L'affaire Robert Denoël

Denoël dans la presse

1950

Année déterminante pour les procès engagés par Cécile Denoël contre Jeanne Loviton. Dès la mi-janvier, les journaux publient un grand nombre d'articles documentés sur l'affaire Denoël.

D'aucuns diront que cette campagne de presse a été initiée par Armand Rozelaar, l'avocat de Cécile Denoël, exaspéré par les lenteurs de l'instruction et les pressions politiques exercées sur les juges chargés de l'affaire.

En réalité le feu couvait depuis décembre 1949, lorsque Mme Denoël obtint la réouverture de l'information sur l'assassinat de son mari. Les amis de Jeanne Loviton déclarèrent que cette dernière salve n'avait pour but que de retarder une décision de justice concernant la cession des parts de Robert Denoël à sa maîtresse, le pénal tenant le civil en l'état.

Mais la nouvelle enquête menée par la police allait faire apparaître de nouveaux faits susceptibles de changer la donne, et s'il est avéré que Me Rozelaar communiqua à la presse des éléments du dossier répressif, c'était par crainte que l'affaire ne fût à nouveau étouffée.

La plupart des grands quotidiens parisiens confièrent à de vrais journalistes le soin d'enquêter : leurs articles contenaient, cette fois, des informations qui ne venaient pas du Parquet. Etant donné que la plupart rappellent à leurs lecteurs les circonstances de l'assassinat, déjà évoquées en 1945, je n'en ai retenu que les informations nouvelles.

 

7 janvier

 

1. Article non signé paru dans Combat. Il fait suite à celui paru le 3 décembre précédent. C'est la première fois que Jeanne Loviton se manifeste dans la presse :

« Dont acte »

Nous avons reçu à propos d’un écho paru le 3 décembre, sous le titre « Un secret bien gardé » une lettre de Mme Jean Voilier dans laquelle celle-ci déclare notamment :

« Nul n’ignore dans le monde des lettres et de l’édition que le procès visé par cet article me concerne. Rappelant que la police n’a pas retrouvé le meurtrier qui, le 2 décembre 1945, tua Robert Denoël, vous avez affirmé sans transition qu’un procès suivit cet attentat concernant la succession ‘assez embrouillée’ de cet éditeur...

D’autre part, l’article indiquait que la Préfecture de police devait posséder un dossier gardé secret et susceptible de faire rebondir l’affaire sur le plan de la justice répressive.

Je tiens à faire connaître à vos lecteurs qu’à la suite de votre article, mon avocat, Me Raymond Rosenmark, a saisi le Procureur général. Celui-ci a répondu que M. le Préfet de police avait fait connaître au Parquet de la Seine " que ses services ne possèdent aucun document inédit et n’ont appris aucun élément nouveau à propos du meurtre de Robert Denoël ".

Je fais appel à votre courtoisie, etc.

Signé : J. Voilier, gérante des Editions Domat-Montchrestien et gérante des Editions Denoël. »

 

13 janvier

 

2. Article non signé paru dans L'Aube, illustré d'une photo de Robert Denoël, et publié simultanément dans L'Aurore, qui appartient au même groupe de presse. On note que les journalistes situent généralement le domicile de Jeanne Loviton à Passy, alors que la rue de l'Assomption appartient à la commune d'Auteuil :

 

« Qui a assassiné l’éditeur Robert Denoël ? »     

                Une information reprise à zéro après quatre ans                      

Tous ceux qui, depuis le 2 décembre 1945, depuis un peu plus de quatre ans, ont été amenés à réfléchir sur l'assassinat de l'éditeur Robert Denoël n'ont pu admettre sans réserves la conclusion de l'enquête menée à l’époque.

Crime crapuleux, avait-on. dit. Denoël a été tué par un nègre américain en état d'ivresse. On n'a jamais retrouvé ce nègre. Et d'ailleurs on ne semblait guère avoir fait beaucoup d'efforts pour le rechercher.

On s'en tenait pourtant officiellement à cette « version » du meurtre qui, somme toute, enterrait l'affaire presque en même temps que l'éditeur.

Mais un homme comme Denoël, même mort, ne s'escamote pas aussi facilement. Trop de gens avaient vécu dans son sillage tumultueux pour que sa disparition ne fît pas quelques remous.

Il y eut plusieurs procès entre les héritiers de Robert Denoël et Jeanne Loviton, en littérature Jean Voilier, directrice des éditions Domat-Montchrestien, maîtresse et associée de Denoël. En discutant de succession, on en vint à évoquer les conditions du drame ou, du moins, l'extraordinaire complexité des intérêts et des sentiments qui régnaient dans l'entourage de l'éditeur durant les mois qui précédèrent sa mort. Plusieurs points troublants furent relevés. Et ce sont eux notamment qui ont décidé le 28 décembre dernier, le juge Gollety à rouvrir l'instruction et faire reprendre l'enquête à zéro.

Un crime étrange

Car les premières constatations de police, les éléments de base de l'enquête, présentaient certaines étrangetés qui, pour peu qu'on les ait « creusées », pouvaient constituer le départ d'un des plus extraordinaires romans policiers de ce temps.

L'assassinat de Denoël se déroula sans témoins, entre 21 h 20 et 21 h 30, le 2 décembre 1945. Le seul récit des circonstances qui le précédèrent immédiatement est celui qu'en fit Mme Jeanne Loviton aux policiers.

Le couple était parti du domicile de cette dernière, rue de l'Assomption, à Passy, vers 20 h. 45, d'après le témoignage de la bonne. On avait décidé d'aller au théâtre, « Chez Agnès Capri » à Montparnasse.

Quand la 202 eût dépassé l'angle des Invalides (là où se trouve un petit square), le pneu avant droit éclata. Denoël stoppa, prit dans le coffre-arrière le cric et sa manivelle. Puis, toujours selon le récit de Mme Loviton, l'éditeur pria son amie d'aller demander au poste de police le plus proche un taxi qui la mènerait au théâtre à l'heure tandis que, de son côté, il changerait de roue.

Mme Loviton possédait le certificat médical nécessaire à cette époque pour obtenir un taxi «en priorité». Elle suivit donc la rue de Grenelle, rencontra un agent qui lui indiqua le poste, situé quelques mètres plus loin. C’est là qu'elle apprit qu’un meurtre venait d'être commis à l'angle de la rue de Grenelle et du boulevard des Invalides. Denoël venait d'être assassiné.

Un agent - est-ce le même? - avait découvert le corps de Robert Denoël étendu sur le ventre, frappé d'une balle dans le dos. Le projectile était entré par l'omoplate gauche et il était ressorti par le téton droit. Le cadavre se trouvait sur le trottoir opposé à celui auprès duquel était rangée la voiture, soit à 20 bons mètres du véhicule. Dans une main, le cric, dans l'autre la manivelle du cric non encore dépliée. Les vêtements n’avaient pas été fouillés. Le portefeuille, avec 12.000 francs, les papiers, l'agenda personnel, un carnet de métro étaient encore à leur place, dans les poches. Le « rôdeur » n'avait donc pas cherché à voler.

Six questions

Voyons, sur ces simples constatations, quels points aurait pu préciser l'enquête qui n'a pas été faite. Nous les traiterons sous forme de questions, celles justement auxquelles la nouvelle information va chercher des réponses.

1. De la rue de l'Assomption au boulevard des Invalides, une demi-heure, c'est long, à une époque (1945) où les rues n'étaient guère encombrées.

2. Il se peut également que les Invalides ne soient pas le plus court chemin pour se rendre de Passy à Montparnasse (il suffit de se reporter à un plan de Paris). Mais, cela ne signifierait rien - les automobilistes empruntent souvent des itinéraires imprévus - si justement, le boulevard des Invalides ne passait à proximité du siège des Editions Denoël, 10, rue Amélie, et du domicile d'un des familiers du couple Denoël-Loviton (rue Las-Cases). Le juge devra sans doute entendre cet homme.

3. Pourquoi, à une époque où voitures et taxis sont rares (décembre 1945) un homme qui se trouve en panne seul dans une auto avec une femme, l'enverrait-il chercher un taxi ? Pour changer une roue, il faut dix minutes dans les cas les plus ordinaires. Nous craignions, a déclaré Mme Loviton, d'être en retard au théâtre. Le fait de changer la roue n'avait a priori aucune raison de constituer une cause de retard. Il n'y a pas de raison de mettre en doute les déclarations de Mme Loviton, qui, de toute façon, se trouvait absente lors du meurtre. Mais, dans une affaire aussi complexe, tout doit être examiné. Mme Loviton avait peut-être d'autres raisons de s'éloigner de la voiture en panne. Quoi qu'il en soit, son chauffeur, le lendemain, vint chercher la voiture (qui ne fut pas mise sous scellés) et changea la roue sans difficulté particulière.

4. D'autres passagers avaient-ils pris place dans la 202 de l’éditeur Denoël ? N’y eut-il pas discussion entre l'un d'eux et l'éditeur, connu pour sa violence et sa force redoutable ?

5. Le jour du drame, Denoël et Mme Loviton avaient déjeuné à Neuilly chez une amie. Cette personne n'a pas été entendue. L’éditeur aurait ramené, de Neuilly à Paris, deux personnes qu'on n'a pas cherché à retrouver. Ne serait-il pas, non plus, intéressant de les interroger ?

Tout ceci constitue les bases matérielles du mystère. Cela ne peut à aucun titre, être tenu, même pour des présomptions. Mais les questions que nous avons posées ressortissent à la curiosité ordinaire des policiers.

Des affaires embrouillées

Tout autour du fait brutal, du meurtre à fond de règlement de compte qui s'est déroulé au soir du 2 décembre, il y a l'atmosphère trouble dans laquelle vivait Denoël, au lendemain de la libération.

Homme d'affaires sans pitié, éditeur aventureux, Denoël avait, durant l’occupation, publié des ouvrages tels que Les Décombres de Rebatet, qui pouvaient lui laisser prévoir des « ennuis » à la libération.

Denoël avait donc monté des sociétés fictives, tenues par des hommes de paille. Elles dissimulaient son «fonds» d'éditeur et lui assuraient des revenus confortables.

Il s'était aussi étroitement associé avec Mme Loviton, avocate, dotée de brillantes relations dans le monde politique, gérante et héritière des Editions Domat-Montchrestien, fondées par son père et qui, de maison spécialisée dans les ouvrages juridiques, allait devenir maison d'édition générale. Denoël avait, en outre, fait à diverses personnes, des cessions de parts non datées et en blanc, dans ses différentes affaires. Tous ces prête-noms seront sans doute entendus.

En 1945, Denoël voyait ses « ennuis d'épuration » s'arranger. Il n’était plus personnellement poursuivi. Le 13 juillet il bénéficiait d’une décision de classement, sauf pour trois livres. Et la nouvelle information ouverte alors ne visait plus que la Société des Editions Denoël. C’est pourquoi certains de ses anciens familiers pensent qu'à cette époque il aurait refusé de se laisser «débarquer» de ses affaires et qu'au contraire, il aurait voulu reprendre la haute main, en nom propre, sur ses entreprises.


    Et ceux qui estiment que l’assassinat de Denoël est l'épilogue d'une querelle d'intérêts et non pas un banal épisode crapuleux, s'appuient principalement sur les derniers faits que nous venons d'exposer.

On ignore encore et les protagonistes et les raisons exactes. On ignore même s'ils correspondent à une quelconque réalité. Mais, si cette thèse « tient », elle révèle des surprises et une succession stupéfiante de coups de théâtre à forme de scandale. L'information en cours n'a d'autre but que de faire une bonne fois la lumière dans cette sombre histoire.

Hier, Me Rozelaar, avocat de Mme Denoël, a déposé entre les mains de M. Gollety, juge d'instruction, un volumineux mémoire qui expose en détails les « machinations » qui auraient eu pour but d'accaparer l'exploitation de l'entreprise Denoël. Toutefois, ce texte ne contient aucune précision qui puisse établir un rapport entre ces manœuvres et le crime lui-même.

Mais maintenant que le dossier est rouvert, les rebondissements et les révélations vont se faire nombreuses.

Du criminel au civil

La réouverture d'une information dans l'affaire Denoël pose un cas juridique assez peu fréquent.

Le 2 novembre dernier, la 3e chambre de la Cour d'Appel avait à se prononcer sur la cession des parts de la maison Denoël faite par ce dernier au bénéfice de Mme Voilier. Le Tribunal de Commerce ayant, au préalable, annulé cette cession sur demande des héritiers Denoël.

La Cour avait, avant de se prononcer, ordonné une expertise à M. Caujolle. Or si Mme Denoël obtient que l'actuelle information contre X se transforme dans les jours qui suivent en information contre « personne dénommée », la Cour devra suspendre son jugement en vertu du précepte bien connu : « Le criminel tient le civil en état ». Signalons que Me Rozelaar insiste auprès du procureur général pour que l'information soit menée rapidement.

 

3. Article non signé paru dans Ce Matin. Le collaborateur « très intime » de l'éditeur qui accepte de parler au journaliste connaît assez la situation de Denoël pour assurer qu'il « finissait juste de payer ses dettes » à la Libération. En réalité, la Société des Editions Denoël n'avait pas terminé de rembourser le prêt accordé en 1943 par l'éditeur Andermann. Mais il ne pouvait ignorer que l'éditeur avait personnellement fait d'excellentes affaires au marché noir. Sa déclaration conforte simplement la thèse de Jeanne Loviton :

 

« Quatre ans après, l’enquête reprend sur le meurtre de l’éditeur Denoël »

Le Parquet de la Seine vient de charger le juge d’instruction Gollety de rouvrir l’information sur le meurtre de l’éditeur Robert Denoël, tué par un inconnu il y a quatre ans.

Le 2 décembre 1945, à 21 h. 30, on découvrait à l’angle du boulevard des Invalides et de la rue de Grenelle, le cadavre de l’éditeur. Il avait été abattu à bout portant d’une balle de colt et son corps gisait sur la chaussée, près de sa voiture.

Un garde républicain, de faction devant l’hôtel des Invalides, à cinquante mètres de là, n’avait même pas entendu le coup de feu.

Aussi l’enquête de la brigade criminelle fut-elle particulièrement difficile, et, après de vaines recherches, le dossier fut classé. A l’époque, on avait envisagé le règlement de comptes ou bien l’exécution politique, en raison des attaches de Denoël sous l’occupation.

Or des faits inédits auraient été recueillis par la justice, faits qui démontreraient que le crime n’était ni politique ni crapuleux, mais motivé par des questions d’intérêt.

Aussi le juge va-t-il interroger de nouveau tous les proches de l’éditeur et ceux qui étaient en relations intimes ou commerciales avec lui au moment de sa mort.

D’autre part, les avocats de Mme Denoël ont remis un mémoire au magistrat, mémoire comportant des précisions qui vont être l’objet de vérifications.

Une déclaration d’un collaborateur de Denoël

L’un des collaborateurs très intimes de l’éditeur Denoël nous a déclaré hier soir :

« Tous les amis de Denoël sont très heureux de voir enfin rouvrir ce dossier. Mais ce que jugent absurde tous ceux qui l’ont connu, c’est l’hypothèse que ses assassins aient agi par intérêt. Denoël n’avait pas un sou. A la libération, malgré ses succès, il finissait juste de payer ses dettes. Il était sans argent, nous en avons mille preuves.

Aussi, malgré certains faits qui ont fait exclure par la police l’idée d’un règlement de comptes, nous continuons à croire à un assassinat politique. »

 

4. Article non signé paru dans Combat. Les deux témoins évoqués sont Charles-François Baron et Jeanne Valery, son épouse en 1945 :

 

« Mme Denoël fait rouvrir le dossier concernant la mort de son mari »

Sur l’instance de Mme veuve Denoël, assistée de Me Rozelaar, l’information qui avait été ouverte contre X à la suite de l’assassinat de son mari va être reprise par M. Gollety, juge d’instruction.

L’éditeur Denoël avait été tué d’une balle de revolver le 2 décembre e1945, alors qu’il était près de sa voiture, en stationnement au coin du boulevard des Invalides et de la rue de Grenelle.

La plaignante estime que la mort de son mari pourrait avoir un rapport avec des questions d’intérêt et elle demande l’audition de plusieurs témoins, notamment de deux personnes avec lesquelles M. Denoël aurait déjeuné en compagnie de Mme Loviton, son amie, le jour de sa mort.

Elle réclame également une expertise comptable des entreprises dans lesquelles son mari avait des intérêts.

Celles-ci sont constituées principalement par la maison d’édition qui fit connaître Céline et Rebatet.

Malgré les lourdes charges relevées contre lui, Denoël avait obtenu de n’être poursuivi que pour trois livres seulement.

En ce qui concerne la nouvelle information, le juge Gollety se refuse à communiquer quelque renseignement que ce soit.

 

5. Article signé Georges Gherra paru en première page de France-Soir, illustré d'une photo de l'éditeur. Ce journaliste consacrera plusieurs articles, bien documentés, à l'affaire, mais il est à présumer qu'il tient ses informations d'Armand Rozelaar ou d'un proche de Cécile Denoël, puisqu'il affirme que Denoël possédait « en sous-main » la moitié des parts des Editions Domat-Montchrestien, thèse défendue par la partie civile. Gherra a peut-être aussi ses « entrées » au palais de Justice ou au quai des Orfèvres, où l'on sait que des contradictions ont été relevées entre certains témoins au cours de la première enquête. Cet article a été publié simultanément dans le quotidien bruxellois La Lanterne :

 

« La Justice a rouvert le dossier du meurtre de l’éditeur Denoël,
abattu d’une balle dans le dos en 1945 »

« Crime d’intérêt » pensent maintenant les enquêteurs

Des contradictions ont été relevées dans les déclarations de divers témoins

 

La 2 décembre 1945, entre 21 h. 20 et 21 h. 30, l'éditeur Robert Denoël était abattu d'une balle de colt à côté de sa voiture, au coin du boulevard des Invalides et de la rue de Grenelle. On crut à un crime de rôdeur et l'affaire fut classée. Mais, à la faveur d'un procès qui oppose les héritiers de l'éditeur et son amie, Jeanne Loviton, dite Jean Voilier, directrice des éditions Domat-Montchrestien, certains faits nouveaux viennent d'apparaître. Ces faits sont si troublants qu'ils ont incité le Parquet à rouvrir une information.

Depuis le 28 décembre, le juge d'instruction Gollety a rouvert le dossier de l'assassinat de Robert Denoël. Plus de quatre ans après ce meurtre resté mystérieux, la justice tente d'identifier celui qui tira dans le dos de l'éditeur de L-F. Céline, Rebatet, Elsa Triolet, etc., un soir de décembre 1945.

Tous les éléments d'une enquête hâtivement menée vont être repris à leur début et divers témoins importants de ce drame vont être entendus dans les jours qui vont suivre par le magistrat instructeur. Il est apparu, en effet, que la mort de l’éditeur, dont l'activité pendant l'occupation avait été discutée à la Libération, ne serait pas un crime crapuleux mais un crime d’intérêt.

Pendant l'occupation, Robert Denoël, éditeur, en même temps que très habile homme d'affaires, publiait dans sa maison nombre d'ouvrages de collaborateurs et en particulier : Les Décombres de Rebatet, Guignol’s Band de Céline, etc., et d’autres ouvrages aussi parmi lesquels les œuvres nouvelles d’Elsa Triolet.

En 1944, Denoël possédait une fortune considérable qu’il s’agissait pour lui de préserver car il était inculpé d’intelligence avec l'ennemi par M. Olmi, juge d'instruction.

Pour éviter une confiscation qu'il prévoyait ruineuse, Robert Denoël dissimula dans diverses sociétés d'édition la presque totalité de sa fortune. Il fit des cessions de parts en blanc non datées à divers prête-noms.

Le 13 juillet 1945, Denoël bénéficiait d'une décision de classement (sauf pour trois livres incriminés) par le parquet de la Cour de justice. En octobre, une nouvelle information était ouverte visant seulement la société des Editions Denoël.

L'éditeur était à ce moment séparé de sa femme et son intention était de divorcer. Il vivait chez son amie, Jeanne Loviton, gérante des Éditions Domat-Montchrestien, dont Denoël possédait « en sous-main » la moitié des parts.

Vers la mi-novembre 1945, Denoël manifesta dans son entourage l'intention de reprendre dès janvier 1946 la direction de ses affaires. Il prévint même sa femme de suspendre toute procédure de divorce, les événements évoluant, à son avis, vers une solution favorable. Sur son agenda, un rendez-vous était prévu pour le 3 décembre avec des hommes d'affaires. Le 2 décembre au soir, il était assassiné.

Le vol n'était pas le mobile du crime. Une somme de 12 000 francs fut retrouvée dans son portefeuille. Jeanne Loviton, qui l'accompagnait ce soir-là, déclara qu'ils se rendaient tous deux chez Agnès Capri ; à un moment donné, un pneu de la voiture ayant éclaté, Denoël avait prié sa compagne de se rendre au commissariat le plus proche pour réclamer un taxi pendant qu'il changeait la roue. C'est en arrivant au poste de police qu'elle apprit qu'un meurtre venait d'avoir lieu à l'angle du boulevard des Invalides : la victime était son amant, Robert Denoël.

La nouvelle information ouverte tend tout d'abord à vérifier divers points :

1°  La situation commerciale des diverses maisons d'édition créées par Denoël ;

2°  Retrouver deux personnes que Denoël ramena en voiture de Saint-Brice (Seine-et-Oise) à Neuilly où il avait déjeuné chez Mme Marion Delbo en compagnie de Mme Loviton ;

3°  Les contradictions relevées entre divers témoins au cours de la première enquête, et l'emploi du temps de certains d'entre eux.

D'autre part, des bruits ont couru selon lesquels les conclusions d'une enquête parallèle menée par la direction des Renseignements Généraux de la préfecture de police étaient opposées aux conclusions de l'enquête menée par la brigade criminelle. Le dossier aurait été gardé secrètement par l’ex-préfet Luizet, qui l'aurait légué à son successeur. M. Léonard, interrogé sur ce point, a démenti ces affirmations, qu'il a déclarées être dénuées de tout fondement.

Il n'en reste pas moins que tous ces faits ont créé une atmosphère trouble autour de la mort de l'éditeur Robert Denoël. C'est pourquoi sa veuve, représentée par Me Rozelaar, a renouvelé sa constitution de partie civile à la suite de la décision prise par le Parquet de la Seine.

Georges Gherra


14 janvier

 

6. Article signé G.G. [Georges Gherra] paru dans France-Soir et, simultanément, dans La Lanterne de Bruxelles. Cécile Denoël prend pour la première fois la parole :

 

L'éditeur Robert Denoël était abattu, le 2 décembre 1945 au soir, à côté de sa voiture, à l'angle du boulevard des Invalides et de la rue de Grenelle, à Paris, d'une balle de revolver. Ce crime, qu'on attribua d'abord à un rôdeur, se présente actuellement sous un nouveau jour.

Il apparaît, en effet, que les affaires financières et judiciaires de la victime étaient, au moment du drame, dans une phase délicate (on accusait Denoël d'avoir édité des ouvrages compromettants sous l'occupation). La police recherche donc en compagnie de qui l'éditeur passa ses dernières heures. Les familiers de Robert Denoël croient, eux aussi, au « crime d’intérêt ».

- Je ne puis vous révéler pour l'instant les faits que nous avons portés à la connaissance du Parquet, mais je suis persuadée qu'ils aideront à identifier le coupable de l'assassinat de mon mari.

C'est par ces paroles que Mme Vve Cécile Denoël nous a accueilli dans son appartement de la rue de Buenos-Ayres, à Paris. Après nous avoir fait le récit de la nuit tragique au cours de laquelle l'éditeur trouva la mort, Mme Cécile Denoël a ajouté :

- Dès le premier jour, j'ai eu la conviction qu'il ne s'agissait pas d'un crime crapuleux. Le lieu de l'attentat, la position du corps, la balle qui l'avait frappé, ce meurtre qui n'avait pas le vol pour mobile me laissèrent penser qu'il s'agissait d'autre chose.

Mon mari a été trouvé de l'autre côté du boulevard des Invalides ayant dans sa main le cric et la manivelle de la voiture. Il a été frappé d'une balle de 11 mm., alors que le calibre du " Colt " dont est dotée l'armée américaine depuis 1941, est de 11 mm, 43. Il s'agissait donc d'un modèle ancien. Ce fait m'a été révélé après la première enquête.

Mes premières impressions devinrent une certitude au fur et à mesure que les mois passaient. De divers côtés, j'ai appris qu'il ne s'agissait pas d'un crime de rôdeur. J'ai cherché longtemps qui pouvait avoir intérêt à tuer mon mari. C'est alors que se plaidait le procès commercial que mon conseil, Me Rozelaar, a découvert, au cours de recherches approfondies, les détails contenus dans la note déposée entre les mains du Procureur de la République.»

Quant à Mme Loviton, alias Jean Voilier, associée de Denoël, elle nous a fait savoir que trop occupée pour l'instant, elle ne pouvait nous recevoir. Néanmoins, sa secrétaire a bien voulu nous déclarer au nom de la directrice des Editions Domat-Montchrestien :

- Mme Jean Voilier est très heureuse de la décision prise par le Parquet à la demande de la partie civile. Elle est persuadée que toute la lumière sera faite sur cette affaire qui bouleversa une période heureuse de sa vie.

G.G. [Georges Gherra]

 

15 janvier

 

7. Article signé G.G. [Georges Gherra] paru dans France-Soir et, simultanément, dans La Lanterne de Bruxelles. Gherra y désigne d'emblée une des clés de l'affaire : l'identification de la personne qui appela Denoël chez Marion Delbo pour lui fixer rendez-vous, le soir du 2 décembre 1945 :

 

« L’Affaire Denoël : Les enquêteurs devront élucider six points

pour résoudre le mystère de la mort de l’éditeur »

A la suite de l'annonce de la réouverture de l'information dans l'affaire Denoël, Me Rozelaar, avocat de Mme Cécile Denoël, a fait parvenir une nouvelle note à M. Gollety,  juge d'instruction.

Depuis deux jours, l'avocat de la partie civile a eu connaissance de faits nouveaux relatifs à la mort de l'éditeur. Il les a transmis aussitôt au magistrat instructeur.

Situation financière non désespérée

Il a porté également à la connaissance de M. Gollety des documents écrits de la main de Robert Denoël qui tendraient à prouver que l'éditeur n'était pas, au moment de sa mort, dans une situation financière désespérée, comme certains t'affirmaient. M. Gollety va donner incessamment une nouvelle commission rogatoire à la police afin qu'elle reprenne l'enquête criminelle à zéro. Les premières investigations porteraient sur les points suivants :

1°  La véritable situation financière de Denoël ;

2°  L'emploi du temps de l'éditeur à partir du moment où il quitta Saint-Brice, l'après-midi du 2 décembre 1945 ;

3°  Entendre comme témoins les personnes qu'il ramenait dans sa voiture ;

4°  Retrouver si possible la personne qui l'appela au téléphone ce même après-midi, chez Marion Delbo, et qui lui donna un rendez-vous ;

5°  Pourquoi Denoël, parti du 11 de la rue de l'Assomption en compagnie de Mme Jean Voilier, vers 21 heures, pour se rendre chez Agnès Capri, à Montparnasse, se retrouva vers 21 h. 20, à l'angle de l'esplanade des Invalides et de la rue de Grenelle ;

6°  Confronter certains témoins dont les contradictions ont été relevées au cours de la première enquête et dont l'attitude, par la suite, a été pour le moins suspecte.

    C'est là la première partie de la tâche qui attend les enquêteurs. Quatre ans après l'assassinat, elle apparaît difficile. Mais hier, on affirmait au Palais de Justice que rien ne serait négligé pour éclaircir cette mort étrange, sans que pour cela une mesure suspensive empêchât le procès qui oppose la veuve de Robert Denoël à la directrice des Editions Domat-Montchrestien.

G.G. [Georges Gherra]

 

8. Echo non signé paru dans Le Monde. Il y a bien eu deux mémoires remis au juge d'instruction ; le premier, daté du 8 janvier, est dû à Cécile Denoël et porte essentiellement sur les circonstances du meurtre ; le second, daté du 14 et dû à son avocat, concerne plutôt la situation financière de l'éditeur :

« La Réouverture de l’instruction sur le meurtre de M. Denoël »

La seconde phase de l’affaire Denoël se précise : un deuxième mémoire a été remis hier soir au juge d’instruction, M. Gollety, par le conseil de Mme Denoël, Me Rozelaar. Le magistrat se refuse à toute déclaration.

Mais on croit savoir que ce document porte sur les circonstances mêmes du crime, et donnera lieu, comme l’avocat le demande, à une vingtaine d’auditions de témoins.

 

17 janvier

 

9. Article signé Paul Bodin paru dans Carrefour sous le titre : « Le Dessous des cartes ». L'auteur paraît avoir fait sa propre enquête. Il est le premier à mentionner les Editions de la Tour dont le gérant, Albert Morys, avait signé « une cession de part en blanc qui devait devenir effective le 4 ou le 5  décembre », ce qui revient à dire que Morys avait autant de raisons que Jeanne Loviton de faire assassiner Denoël.

Le dossier constitué par l'éditeur « dont on parlait dans tout Paris et qui mettait en cause d'autres éditeurs » est probablement une autre clé de l'affaire, mais le scénario que rapporte Bodin est sans doute, comme il l'écrit, du roman-feuilleton. Pourtant il ne l'a pas inventé. Le 8 mai 1949 un certain G. Marcout écrivait à Albert Paraz : « Dernièrement il m’a été confié que Denoël avait été descendu par la DGER !! De même que Solière. C’est un type du « service » qui me l’a affirmé. Denoël, pour se dédouaner, aurait [mot illisible] à la DGER quelques chefs miliciens, mais aurait prévenu ceux-ci de telle sorte qu’il y aurait eu véritable massacre de résistants " secrets et chamarrés " ! Sous toutes réserves ! »

Qui était ce Marcout, surnommé Papou Grizzly, 39 ans, ancien de la LVF et d'un Mouvement Caverniste Occidental, en délicatesse avec la justice de l'Epuration ? On n'en pas aucune idée, mais Paul Bodin reprend ce « roman-feuilleton » dans son article, sans toutefois mentionner la DGER (services du Renseignement extérieur créé après la Libération).

 

 

Crime passionnel ? Crime d’un rôdeur ? Crime politique ?

Le 2 décembre 1945, vers 21 heures, une 202 suivait le boulevard des Invalides. L'éditeur Denoël était au volant et son amie, Mme Jean Voilier se tenait à côté de lui. Le couple se rendait au Théâtre Agnès-Capri à Montparnasse. Rien pour lui ne semblait marquer cette soirée d'un signe particulier. Il a pourtant suffi qu'un pneu de la 202 éclate pour que change le destin d'un homme et que naisse du même coup une énigme policière qui n'est pas résolue après plus de quatre années.

Il était 21 h. 20. Robert Denoël arrêta sa voiture à l'angle de la rue de Grenelle et du boulevard des Invalides, descendit, alla regarder son pneu avant-droit et se disposa à changer de roue. Cependant, pour éviter à son amie d'être en retard au théâtre, l'éditeur lui conseilla d'aller chercher un taxi au commissariat (Les taxis étaient rares à l'époque et Mme Voilier possédait un certificat médical lui donnant droit à une priorité.) Mme Voilier suivit la rue de Grenelle et arriva au poste de police. Aucun taxi n'étant disponible, elle attendit. Quelques minutes plus tard, elle apprenait qu'un meurtre venait d'avoir lieu. Il s'agissait de son ami. Robert Denoël venait d'être tué d'une balle dans le dos. Son corps avait été retrouvé à 20 mètres de l'endroit où était rangée sa voiture. L'éditeur tenait dans une main le cric de la voiture et, dans l'autre, la manivelle.

Un voleur qui oublie de voler

Telles sont les circonstances du drame, suivant les déclarations de Mme Voilier et le rapport de l'agent qui fit le premier constat. L'emploi du temps de Mme Voilier fut vérifié. Les enquêteurs admirent qu'elle était au poste de police lorsque le meurtre eut lieu. Ils s'orientèrent donc sur plusieurs autres pistes pour s'arrêter finalement, faute d'indices suffisants, à cette conclusion : le crime était celui d'un rôdeur.

En réalité, cette conclusion n'est qu'une hypothèse parmi tant d'autres. Puisque l'enquête est rouverte, on nous permettra d'essayer d'examiner toutes ces hypothèses comme le fait tout auteur policier qui se respecte, après s'être livré, bien entendu, à une minutieuse enquête personnelle.

Cette version du crime crapuleux est en apparence tout à fait plausible. Un seul fait, pourtant, mais de taille, paraît aller à l'encontre de cette hypothèse : le rôdeur a «oublié» de faire les poches de sa victime. Le portefeuille de Robert Denoël n'a pas été fouillé.

- Si Robert Denoël a été tué par un rôdeur, comment expliquer que ce dernier ne se soit pas emparé des 12.000 francs contenus dans le portefeuille ?

Telle est la question qu'un homme appelé à témoigner peu après l'attentat posa aux inspecteurs chargés de l'enquête. Il obtint cette réponse surprenante :

- Les rôdeurs actuels sont des jeunes gens qui jouent les terreurs. Ou ils volent facilement ou ils tuent dès qu'on leur résiste. Mais il arrive souvent qu'ils s'affolent et qu’ils tuent sans pouvoir voler...

Le quartier des Invalides et bien d'autres quartiers de Paris étaient alors, assez fréquemment, le théâtre d'agressions nocturnes. Si le meurtrier n'est qu'un vulgaire voleur, a-t-il été dérangé ? C'est possible. Rien dans l'enquête ne permet pourtant de l'affirmer. Il faut, en outre, noter que Robert Denoël a été tué par une balle de fort calibre. L'arme du crime était celle d'un tueur et il semble bien que le même genre d'arme ait été employé, ultérieurement, dans des règlements de compte sensationnels.

La passion et les affaires

C'est Mme Cécile Denoël, veuve de l'éditeur, qui a demandé la réouverture de l'enquête. Ici, il est nécessaire de dire quelle était la situation de Robert Denoël au moment du meurtre.

A la Libération, Denoël, qui avait édité des livres jugés compromettants, avait reçu un petit cercueil. Il avait cru bon de disparaître et, depuis ce temps, il vivait chez son amie, Mme Voilier. Il avait, d'autre part, entamé la procédure de divorce et il aurait alors confié à des amis son désir d'orienter son existence d'une façon nouvelle. Son amie, Mme Jean Voilier, représentait pour Robert Denoël une étape importante de sa vie. Car cette femme très élégante lui apportait ce qui lui avait toujours manqué : des relations et des possibilités de financement. Denoël passait, à bon droit, pour un éditeur dynamique, mais il était constamment en quête d'argent, faute de s'adresser à ceux qui en avaient.

Mme Voilier était directrice des Editions Domat-Montchrestien. Denoël, qui avait de grands projets, avait dressé, d'accord avec son amie, un plan d'association selon lequel il cédait la moitié des parts des Editions Denoël aux Editions Domat-Montchrestien.

Mais, contrairement à ce qu'on a prétendu, l'éditeur l'avait fait en toute liberté, envisageant en retour la possibilité d'une très large extension de ses affaires. Il avait notamment l'intention de créer à Paris, avec le concours de son amie, un « Palais du livre », qui aurait abrité un centre d'échange international du livre, un club d'écrivains et d'éditeurs, un cinéma, etc. Ce club devait constituer une des plus grandes entreprises de l'édition française.

On voit à quel point les intérêts de Denoël étaient liés à ceux de Mme Jean Voilier à laquelle l'unissaient, d'autre part, des liens passionnels indiscutables. Pourquoi Mme Voilier ou Robert Denoël auraient-ils cherché à les rompre ?

Pourtant, en demandant la réouverture de l'enquête, Mme Cécile Denoël aurait affirmé que son mari avait renoncé à divorcer, ce qui laisserait supposer que le crime a pu avoir un mobile passionnel en même temps qu'un mobile d'intérêt. Or, au point où en est l'enquête, tout semble prouver le contraire.

En plein roman-feuilleton

Cette hypothèse étant examinée, il est du devoir de tout enquêteur d'en étudier une autre dont on a fait, jusqu'ici, assez peu de cas. Robert Denoël avait fondé à la Libération les Editions de la Tour. Il avait pour cela emprunté de l'argent, grâce à l'aide de Mme Voilier. Il faut noter que Denoël avait choisi, comme gérant de ces éditions, l'ami même de sa femme, auquel il avait fait signer, une semaine avant l'attentat, une cession de parts en blanc. Cette cession devait devenir effective le 4 ou 5 décembre (deux ou trois jours après le meurtre). Elle devait, en effet, être enregistrée au nom des nouveaux propriétaires. Le hasard voulut que Robert Denoël fût assassiné. Les choses en restèrent donc là. Mme Denoël hérita, régulièrement, les Editions de la Tour qui publièrent d'ailleurs plusieurs livres après la mort de l'éditeur.

Ces faits ne sauraient rien prouver du tout. Ils constituent une piste de plus dans cette affaire rocambolesque. En voici d’ailleurs une autre : vers le milieu du mois de décembre Denoël devait comparaître devant le Comité d’épuration de l’Edition. Bien qu’il ne risquât plus grand-chose, il en avait assez, disait-il, d'être le bouc émissaire de l'édition. Il avait constitué un dossier dont on parlait dans tout Paris et qui mettait en cause d'autres éditeurs.

C'est ici que le roman se corse. Il est question d'une mystérieuse voiture noire qui aurait suivi la 202 de Robert Denoël. D'où l'explication suivante : un éditeur aurait eu recours à une police politique renommée pour abattre un témoin gênant. L'affaire s'embrouille à ce point que le service en question aurait agi par vengeance. Des hommes de ces services se seraient présentés chez Denoël au moment de la Libération et celui-ci n'aurait obtenu son salut qu'en dénonçant un repaire de miliciens. Lorsque les hommes de la police politique se seraient présentés chez les miliciens, ils auraient été accueillis par des mitraillettes, laissant de nombreux morts sur le carreau. D'où la vengeance contre l'éditeur. Nous sommes ici en plein roman-feuilleton. Mais, piste pour piste, les enquêteurs avaient le devoir de la suivre. Il faut avouer qu'elle ne donne pas grand-chose pour le moment, bien qu'un coup de théâtre soit dans l'ordre de cette énigme.

Les enquêteurs sont sceptiques

Des esprits de bon sens (il s'en trouve chez les policiers) font toutefois remarquer que le crime effectué par une police politique n'aurait pas été accompli de cette façon. Nul ne pouvait prévoir que le pneu de la 202 éclaterait et il était facile d'exécuter l'éditeur dans d'autres circonstances. La vengeance politique, pour quelque motif que ce soit, est donc possible.

Mais Robert Denoël, qui circulait fréquemment à motocyclette, était extrêmement vulnérable, surtout lorsqu'il rentrait au domicile de son amie, rue de l'Assomption. Pourquoi aurait-on attendu qu'il tombe en panne boulevard des Invalides ? En ce qui concerne les pièces contenues dans le dossier de Denoël, on affirme aujourd'hui qu'elles ne constituaient un mystère pour personne.

Faute de raisons passionnelles, de mobiles d'intérêt ou de vengeance sérieusement établis, on est bien obligé de revenir à la première hypothèse : le crime d'un rôdeur. Mais les enquêteurs, tout en refaisant complètement l'enquête, ne semblent plus y croire.

Paul Bodin


18 janvier

 

10. Communiqué paru dans L'Aurore qui conforte la thèse de Jeanne Loviton selon laquelle Denoël était désargenté. Le rappel du prêt supposé de 200 000 francs par Maurice Percheron indique que ces « amis de Robert Denoël » ne se trouvaient pas rue Amélie, mais rue de l'Assomption. Le fils de l'éditeur y répondit d'ailleurs le 23 janvier, dans le même journal : « Je ne veux pas répondre à cette note : la justice est saisie et elle suivra son cours malgré toutes les oppositions. Permettez-moi simplement de vous faire observer que si les anonymes qui vous ont fait parvenir cette note avaient été réellement les amis de mon père, ils seraient aujourd'hui les miens. » :

 

« L’assassinat de l’éditeur Denoël »

Les amis de M. Denoël nous prient d'insérer le communiqué suivant :

« Aux Éditions Denoël, où se trouvent encore plusieurs collaborateurs intimes de Robert Denoël, l'affirmation qu'il ait pu être assassiné en raison de sa grande fortune, a provoqué une véritable stupeur.

En effet, tous les amis de Robert Denoël savaient à quel point il était gêné ; il l'était considérablement en 1942 déjà, au moment où il dut emprunter deux millions à un éditeur allemand pour faire marcher sa maison.

En échange de ce prêt, aujourd'hui encore non remboursé, Robert Denoël dut céder au prêteur presque la moitié des parts de sa société. Les quelques publications retentissantes qui lui furent reprochées ne l'avaient nullement enrichi. Les événements qui ont suivi la Libération placèrent Robert Denoël dans une situation financière plus difficile encore.

Il avait toutefois assez d'amis pour recevoir dans les cas urgents les concours d'argent nécessaires pour faire vivre la petite Société des Editions de la Tour, qui fut la seule affaire qu'il ait jamais créée depuis qu'il avait été évincé des Editions Denoël, placées sous administration provisoire.

Cette affaire fut d'ailleurs constituée avec l'aide d'un de ses amis, à qui il emprunta deux cent mille francs, lui abandonnant en contrepartie un certain nombre de parts de la Société.

Voilà à quelles exactes proportions il faut ramener les allégations fantaisistes de plaideurs dont les mobiles ne sont que trop apparents.

Tous les amis de Robert Denoël attendent avec confiance les décisions de justice qui interviendront. »


20 janvier

 

11. Article non signé paru dans Aux Ecoutes. Le jour même, l'avocat de Cécile Denoël s'en indignait auprès du juge Gollety ; quoique sa réponse  n'ait pas été publiée, j'ai choisi de la donner à la suite de l'article afin de montrer la guerre sournoise que se livraient les deux parties par journaux interposés :

 

« Les Dessous d’une affaire retentissante »

Le 7 mai 1948, Aux Ecoutes avaient rapporté les conditions dans lesquelles la Société des Editions Denoël, dont la majorité des parts appartenaient aux Editions Domat-Montchrestien, venait d'être acquittée le mois précédent en Cour de justice.

Il semblait que désormais la Société Denoël, qui avait pratiquement perdu depuis la Libération toute valeur commerciale, allait être en mesure de reprendre un début d'activité.

Mais il y eut dès cette date une reprise des procès civils que Mme Denoël avait commencé à engager peu de temps avant la mort de l'éditeur, pour reprendre les parts que son mari avait vendues à la Société Domat-Montchrestien.

En octobre 1949, un arrêt de la Cour de Paris, infirmant un jugement précédent du Tribunal de Commerce, venait de nommer un expert pour vérifier les intentions et les comptes des parties.

C'est sur ce dernier épisode d'un long litige que de prétendus faits nouveaux - sur lesquels la Justice n'a pu qu'ordonner une enquête - ont été, ces jours derniers, annoncés avec bruit, pour chercher, sans doute, à brouiller et à retarder la fin, qui semblait proche, de cette vieille dispute.

Tous ces faits n'avaient sans doute pas manqué d'être examinés par les diverses instances judiciaires qui s'étaient succédé et, par ailleurs, l'expertise civile finale se poursuit, selon la demande présenté par Me Rosenmark et Me Simone Penaud-Angelelli, avocats des Editions Domat-Montchrestien.

Il n'est, en effet, que trop manifeste que la situation de Robert Denoël en 1945 était précaire et que sa maison d'édition, aussi endettée que lui-même, était à la fois sous le coup d'une poursuite en Cour de justice et sous la dépendance d'un administrateur provisoire.

Mais quelle est donc vraiment la source de tout ce bruit autour d'une affaire qui n'était guère jusqu'ici qu'une séquelle de divorce ? Robert Denoël, séparé de sa femme, devait épouser Mme J.-V., gérante des Editions Domat-Montchrestien.

Pourquoi donc a-t-on soigneusement tu que Robert Denoël avait été amené, sous l'occupation, en raison déjà de ses difficultés financières, à accepter dans son affaire un associé allemand ?

Que cet associé allemand, grand éditeur de Leipzig, avait ainsi obtenu, dès 1941, 45 % des parts de l'affaire dans laquelle il avait mis en outre une avance de deux millions de francs de l'époque ?

Pourquoi a-t-on soigneusement tu que ce grand éditeur allemand chercherait aujourd'hui à la fois à rentrer dans ses fonds et à remettre la main sur cette affaire d'édition française ?

Pourquoi a-t-on soigneusement tu que ce grand éditeur allemand a pris, pour défendre - et avec quelle âpreté - ses intérêts contre l'Administration française des Domaines, séquestre de ses parts, Me Rozelaar, l'avocat même de Mme Denoël qui a soudain déclenché l'offensive parallèle et tapageuse que l’on sait contre la Société française, propriétaire de la majorité des parts de l'affaire ?

On a parlé de crime d'intérêt. Que non pas. Les affaires d'intérêt, comment donc !

 

12. Lettre d'Armand Rozelaar, avocat de Cécile Denoël, au juge Ferdinand Gollety, 20 janvier 1950 :

 

« Cette fois, perdant tout sens de la mesure, l’adversaire a fait insérer dans un hebdomadaire chevronné, Aux Ecoutes, dont le Parquet connaît bien les tendances et l’animation, un article dans lequel je suis personnellement pris à partie.

Ce n’est, ni la première, ni la dernière fois, que l’on cherche à me nuire dans cette affaire [...] Ce long écho est un tissu de mensonges [...]

On y lit, en effet, que Mme Denoël avait engagé des procès civils avant la mort de son mari pour reprendre les parts que son mari avait vendues à Domat-Montchrestien. Comme la cession a été enregistrée 6 jours après la mort de Denoël, notifiée à la Société Denoël le 9 janvier 1946, et que le procès civil n’a commencé qu’en 1947, on voit clairement le but de ce mensonge...

Puis, l’écho prétend que c’est à la suite de la désignation de M. Caujolle, expert, que sur de prétendus faits nouveaux, la Justice n’a pu qu’ordonner une enquête. C’est absolument inexact et la nomination de M. Caujolle par un arrêt d’ailleurs fortement motivé et entièrement favorable à la thèse que j’ai toujours soutenue, n’est pour rien dans la réouverture de l’information sur l’assassinat de Robert Denoël.

Dans le corps de l’article on retrouve un peu trop les arguments présentés par Me Rosenmark devant la juridiction commerciale et devant la Cour (situation précaire de Robert Denoël en 1945, maison d’édition aussi endettée que lui-même, poursuite en cour de justice, maison sous la dépendance d’un administrateur provisoire, séquelle de divorce, Robert Denoël fiancé à Mme J. V. - au fait, pourquoi seulement les initiales d’un pseudonyme? - etc, etc).

Et en définitive, l’argument que l’on voudrait être un argument massue : le grand éditeur allemand qui chercherait aujourd’hui à la fois à rentrer dans ses fonds et à remettre la main sur cette affaire d’édition française.

Je défendrais personnellement les intérêts de cet éditeur allemand contre l’Administration des Domaines [...]

Tout cela n’est pas très joli car le seul geste de M. Andermann [...] a consisté à adresser à Mme Veuve Denoël ses respectueuses condoléances et l’assurer de son sincère désir de voir triompher une cause juste.

M. Andermann est [...] un homme particulièrement estimable. Ce n’est pas moi qui le dis. Ce sont mes excellents confrères Me Joisson et Me S. Penaud-Angelelli, qui défendaient à l’époque Robert Denoël poursuivi devant M. Olmi, juge d’instruction [...] »

 

13. Article signé F.S. paru dans Paroles Françaises. C'est dans le même journal qu'avait paru, le 18 novembre 1949, « La Volonté du mort », un article d'Abel Manouvriez favorable, lui aussi, à Jeanne Loviton. Le «grand quotidien du soir » qui avait, le 13 janvier, annoncé en première page la reprise de l'enquête est France-Soir [cf. l'article n° 5]. L'information selon laquelle Cécile Denoël aurait perdu son procès au tribunal de commerce et gagné en appel est inexacte : Mme Denoël l'a gagné au Tribunal de commerce, et la Cour d'appel a commis un expert, M. Caujolle, pour examiner les écritures litigieuses, avant de rendre son jugement :

 

« La Reprise de l’affaire Denoël n’est-elle

qu’une opération de diversion ? »

Le 2 décembre 1945, l’éditeur Denoël était abattu, vers 21 heures, à l’angle du boulevard des Invalides et de la rue de Grenelle.

M. Denoël était l’éditeur de L.-F. Céline et de Rebatet. Pendant l’occupation il aida et édita également Aragon et Elsa Triolet, fait que quelques uns de nos courageux confrères passent sous un silence respectueux.

En 1945, la police conclut au crime crapuleux, le meurtrier effrayé par les cris de sa victime s’étant enfui sans l’avoir dépouillée.

Vendredi dernier, un grand quotidien du soir annonçait à «la une», sous un titre sensationnel, la reprise de l’enquête sur cette affaire. Le lendemain, la presse quotidienne faisait chorus.

On s’est demandé dans quelle mesure cette opération bruyante et spectaculaire n’avait pas pour objet de créer une diversion à côté de l’affaire Mast-Revers (d’un autre calibre !) également rebondissante.

Pour réclamer un supplément d’enquête sur l’assassinat de Denoël, il est fait état de considérations de deux ordres :

1°  La première enquête criminelle aurait été mal conduite et insuffisamment approfondie.

2°  Mme Cécile Denoël, veuve de l’éditeur, estimerait que la mort de son mari pourrait avoir un rapport avec des questions d’intérêt.

De nos propres investigations sur ces deux points, il ressort que la première enquête, assortie de commissions rogatoires et de perquisitions diverses, a duré un an. L’actuel supplément d’information a pour but de vérifier si réellement il existe des charges et des faits nouveaux susceptibles d’orienter les recherches d’une façon nouvelle. M. Gollety, juge d’instruction, se prononcera là-dessus.

A propos du second point, il faut d’abord préciser qu’un procès oppose la veuve de Robert Denoël à certains actionnaires devenus propriétaires de parts de la société d’édition au moment où l’éditeur assassiné envisageait de donner à ses affaires un cadre et un développement nouveaux. Ce procès a été perdu au tribunal de commerce et gagné en appel par Mme Denoël. Finalement un expert a été commis dont le rapport serait sans doute décisif.

Selon certains bruits circulant au Palais, le rebondissement provoqué de l’enquête ne serait pas sans rapport avec cette situation récente ; l’offensive de la veuve de l’éditeur pouvant (prétendait-on) influer, dans un sens favorable pour elle, sur les décisions de l’expert.

Mais cette hypothèse semble sans fondement sérieux, car dans tous les cas le supplément d’enquête n’arrête pas l’expertise que son caractère technique met à l’abri des fluctuations de l’actualité journalistique.

Sans doute aurons-nous l’occasion de revenir sur cette affaire et sa philosophie car il y a des leçons à en tirer qui dépassent le cadre de ces brèves informations.

F.S.

 

22 janvier

 

14. Article non signé paru dans La Presse, illustré d'une photo de Robert Denoël et d'une vue de « La Tour de Nézant », la propriété de Marion Delbo à Saint-Brice. Le journaliste écrit que Jeanne Loviton connaît le quartier des Invalides « pour avoir résidé tout près, rue Casimir-Périer ». En réalité elle a habité, entre 1931 et 1936, un appartement au n° 5 de la rue de Champagny, une petite artère piétonne située derrière l'église Sainte-Clotide, qui joint la rue de Martignac à la rue Casimir-Périer :

 

« L’Affaire Denoël restera l’énigme n° 1 du demi-siècle »

La nuit était tombée depuis longtemps lorsque, le 2 décembre 1945, vers 21 h. 20, la « 202 » noire de Robert Denoël roulait sur le boulevard des Invalides. Près du célèbre éditeur se tenait son amie, Mme Jeanne Loviton - Jean Voilier en littérature - avec qui il se rendait au Théâtre Agnès Capri, rue de la Gaîté, à Montparnasse.

A l'angle du boulevard et de la rue de Grenelle, une détonation retentit. La voiture fit une embardée et stoppa : le pneu avant droit venait d'éclater.

- Il y a quinze jours que je te dis de faire changer tes pneus, fit tranquillement observer Mme Loviton.

- Des 155 x 400 pour roues « pilote » ? Impossible d'en trouver en ce moment. En tout cas comme nous sommes déjà en retard, si tu tiens à voir une partie du spectacle, tu ferais mieux d'aller au commissariat le plus proche, chercher un taxi. Je vais mettre la roue de secours et te rejoindrai ensuite...

Pendant que Robert Denoël sort du coffre à outils le cric et le vilebrequin, Mme Loviton s'éloigne dans la rue de Grenelle. Elle connaît le quartier pour avoir résidé tout près, rue Casimir-Périer, mais, dans l’obscurité héritée du « black out » des années de guerre, elle hésite sur la direction à prendre. Soudain elle avise une forme lourde qui semble faire les cent pas. C’est un agent. Elle l'interroge : - Où se trouve le commissariat du quartier ?

C'est là, à deux pas. Elle pénètre dans une salle enfumée où un poêle monumental répand une chaleur de serre, montre ses papiers, son certificat médical lui donnant droit à une priorité et demande un taxi. Justement le dernier vient de partir. Tant pis, elle attendra...

Quelques minutes plus tard, un agent entre en coup de vent dans le bureau :

- Vite, chef, y a un type qui s'est fait descendre par derrière, à quelques mètres de sa bagnole, tout près d'ici...

Jeanne Loviton s'est dressée brusquement : elle a reconnu entre les mains du gardien le porte-cartes de son ami.

- ... C'est un certain Denoël, d'après les papiers trouvés sur lui, termine le policier en la regardant d'un drôle d'air.

Trois hypothèses

    Quatre ans se sont écoulés depuis la nuit du crime et l’instruction vient d'être rouverte à la demande de Mme Cécile Denoël, veuve de l'éditeur. De nouveaux indices seraient-ils parvenus à la connaissance de la justice depuis la clôture de l'enquête, menée à l'époque par le commissaire Pinault et l’inspecteur principal Ducourthial, qui avait conclu à un crime de rôdeurs ? Il ne semble pas, de prime abord. Pourtant, bien des points restent obscurs dans cette affaire.

Si l'on retient l'hypothèse d'un crime crapuleux, comment admettre que le - ou les - meurtriers se soit enfuis sans avoir dépouillé sa victime des douze mille francs contenus dans son portefeuille ?

Les enquêteurs répondent à cette objection : « Ce quartier de Paris était, à l’époque, un théâtre permanent d’agressions nocturnes. Des bandes de jeunes gens dévalisaient les passants en les menaçant de leurs armes dont ils n'hésitaient pas à faire usage en cas de résistance. Mais, alors, pressés de disparaître, ils ne touchaient pas à l’argent : leur crime n’avait d’autre but que d’établir autour d’eux une réputation terrifiante ».

Et Pinault et Ducourthial pensent qu'il y a peu de chances pour qu'on retrouve un jour le meurtrier de Denoël, sinon au hasard d'une rafle ; un repris de justice se « mettant à table »...

Si l'on écarte l'éventualité du crime de rôdeurs, deux hypothèses restent en présence : le meurtre politique et le crime d'intérêt. C'est la première qui est venue immédiatement à l'esprit des amis de l'éditeur. On sait que Robert Denoël était accusé de « collaboration littéraire » pour avoir édité - bien avant la guerre - les pamphlets antisémites de L.-F. Céline et, pendant l’occupation, Les Décombres de Lucien Rebatet, polémiste de Je suis partout. Il ne cachait pas que c'était lui qui avait trouvé le titre des Décombres, mais il soulignait en même temps qu'il s'était abstenu de toute activité politique et que, toujours pendant l'occupation, Aragon et Elsa Triolet - dont il avait sorti en 1943 Le Cheval blanc avec le Geprüft de la Propaganda Staffel - avaient reçu chez lui, avenue de Buenos-Ayres, abri et subsides.

Il avait aussi procuré à diverses reprises du papier à l'éditeur communiste Pierre Seghers, alors établi en Avignon... Aragon et Elsa Triolet témoignèrent d'ailleurs par écrit, après la libération, des services que leur avait rendus l'éditeur, ce qui n’empêchait nullement Les Lettres Françaises d'imprimer, la semaine du meurtre, que «s'il s'était trouvé en prison, où était sa vraie place, rien ne serait arrivé à Denoël ».

En dehors du meurtre politique, qui pouvait avoir intérêt à supprimer Robert Denoël ? Ses concurrents ? On fait état d'un mystérieux dossier qu'il avait préparé pour assurer sa défense au Comité d'épuration professionnelle de l'Edition, devant lequel il devait comparaître le 15 décembre. Or, ce dossier ne contenait suivant un de ses proches collaborateurs qui l'aida à le constituer, que des coupures de la Bibliographie de la France (années 1941 à 1944) démontrant que la plupart des grands éditeurs avaient publié des livres imposés par les Allemands, alors que trois maisons seulement étaient poursuivies : Grasset, Sorlot et la sienne.

La « 202 » fut-elle suivie, comme on l'a laissé entendre, par une voiture transportant les membres d'un gang de tueurs appointés par un éditeur concurrent ? Outre que de telles pratiques sont peu courantes dans ce milieu, il resterait à expliquer le providentiel éclatement dans un endroit désert, alors qu' il était plus simple, Robert Denoël circulant couramment dans Paris à vélomoteur, de l'abattre au cours d'un de ses déplacements nocturnes, par exemple lorsqu’il sortait de chez son amie, rue de l’Assomption.

Crime passionnel ?

La réouverture de l’enquête, à la demande de Mme Denoël, peut susciter une quatrième hypothèse : celle du crime passionnel. Mais l'emploi du temps de Mme Loviton a été soigneusement vérifié, minute par minute, depuis le moment où elle quitta son ami jusqu’à celui de son entrée au commissariat. Selon les policiers, le meurtre eut lieu après son arrivée.

Robert Denoël, en instance de divorce, avait l'intention de refaire sa vie avec Mme Loviton, directrice des Editions Domat-Montchrestien, qui lui apportait, d'autre part, ce dont il était aussi dépourvu en 1945, qu’à son arrivée à Paris, vingt-cinq ans plus tôt : de l'argent et des relations.

« Car si Denoël, disent ses intimes, avait réussi à payer ses dettes, pendant la guerre, où les affaires de librairie marchaient bien, il ne s'était pas enrichi pour autant. On estime qu'à la libération il ne disposait pas de plus de quelques centaines de mille francs. C'était bien peu pour le sourcier des lettres qui avait révélé - entre autres - Philippe Hériat, Céline, Paul Vialar, Jean Proal, P.-J. Launay et René Barjavel... »

Toute la carrière de Robert Denoël avait été, du reste, une sorte de course au trésor, fertile en péripéties. Fils d'un professeur à l'université de Liège, il était venu sans un sou à Paris, avec l'espoir de s’imposer comme écrivain. Pour vivre, il se fit représentant de commerce : on l'aperçut, une lourde valise dans chaque main, gravissant les étages et proposant, de porte en porte, des réveille-matin. Vendeur dans une galerie de tableaux, il débuta dans la librairie aux « Trois Magots », puis il tâta de l'édition d'art. Sa première chance fut la rencontre de l'Américain Steele, qui lui avança de l'argent pour fonder la maison « Denoël et Steele », devenue, par la suite, les « Editions Robert Denoël », après que le bailleur de fonds eût quitté l'affaire.

Passionné de littérature, il ne trouva jamais le temps d'écrire pour son compte personnel, à l'exception d'une mince brochure sur Céline : Apologie de Mort à crédit. Fait unique dans l'histoire de l'édition, il lisait lui-même tous les manuscrits qu'on lui adressait. Un simple coup d'œil sur le catalogue général de sa maison prouve qu'il fut un remarquable détecteur de talents. Son éphémère incursion dans le monde du théâtre se révéla moins heureuse. Peu après son mariage, il commandita une audacieuse pièce italienne, Les Cenci, que Cécile Denoël interpréta avec Antonin Artaud, et qui fut un four noir.

Il était plein d'audacieux projets quand le meurtrier inconnu l'abattit. Pendant le déjeuner, qu’il avait pris chez la comédienne Marion Delbo - Mme Henri Jeanson - à Saint-Brice-sous-Forêt, il avait évoqué ce « Palais du Livre », exposition permanente de librairie internationale qu'il s'apprêtait à fonder aux Champs-Elysées, avec l'appui financier de Mme Loviton. Rien n’indiquait donc un changement possible dans ses sentiments envers celle-ci.

La demande de réouverture d'enquête intervient quelque temps seulement avant le jugement devant être rendu par le tribunal civil sur l'affaire de cession des parts des Editions Denoël à Mme Loviton, cession consentie par Robert Denoël immédiatement après la libération. Cette évolution dans le maquis de la procédure n'est pas pour éclaircir l’énigme qui restera comme l’une des plus troublantes du demi-siècle.

 

28 janvier

 

15. Article non signé paru dans l'hebdomadaire Le Cri de Paris, contre lequel Jeanne Loviton portera plainte pour diffamation, le 7 mai suivant :

 

« L’Affaire Denoël »


    On en parle de plus en plus, et, surtout, on en fait parler. Nous n'en parlerons pas pour la simple raison que la presse n'a pas à chercher à influencer une instruction criminelle.

Un jugement du tribunal de commerce déclare qu'il y a détournement d'héritage de la part de Mme V... et des Editions Domat-Montchrestien, qui, actuellement, sont en place aux Editions Denoël, rue Amélie, et condamne Mme V... à la restitution et à 600.000 fr. de dommages intérêts.

La partie condamnée s'est pourvue en appel. Le président de la troisième chambre de la Cour a estimé suspectes les coïncidences de certaines cessions de titres et de l'assassinat de Robert Denoël. Avant d'infirmer ou de confirmer le jugement du tribunal de commerce, il a demandé une expertise à l'expert Caujolle. Cette expertise, et des précisions nouvelles apportées par les demandeurs ont mis le parquet dans l'obligation de rouvrir le dossier de l'enquête criminelle.

Il s'agit actuellement de savoir si Mme V..., grande profiteuse de l'assassinat, y a joué ou non un rôle d'exécutante ou de complice. Seule une instruction loyale peut nous l'apprendre. Et toutes les polémiques en cours ne sont que des manœuvres dont le but est de dérouter l'instruction.

Madame V... et ses amis

Les réactions passionnées d'un certain public s'expliquent par la personnalité même de Mme V... Elle fut avocat à la Cour de Paris et l'épouse du regretté Pierre Frondaie avec lequel elle dirigea une collection à la librairie Emile-Paul. Elle quitta son mari, et sa carrière fut celle d'une très jolie femme. Ses charmes lui attirèrent pas mal d'amis influents. D'abord un très haut fonctionnaire de la police judiciaire, puis une dame exerçant des fonctions publiques, et qui est devenue l'épouse d'un président du Conseil. D'autres encore.

Voici quelques jours la préfecture de Police démentait officiellement qu'un de ses agents eût fait classer un dossier relatif à l'assassinat de Robert Denoël. Ce démenti même prouve que l'on a dit beaucoup le contraire. On a dit, en outre, pas mal d'autres choses au sujet de démarches qu'aurait eu à subir le Président de la 3e Chambre de la Cour. Il est évident que ce haut magistrat n'est pas de ceux qu'une démarche féminine influence. César n'aurait pas toléré telle immixtion de sa femme en matière de justice. La IVe République est anti-césarienne.

 

24 mars

 

16. Echo non signé paru dans l'hebdomadaire Juvénal, contre lequel Jeanne Loviton portera plainte pour diffamation, le 7 mai suivant. L'« homme d'action condamné à mort sous Vichy » est le procureur général Antonin Besson :

« L’Assassinat de Denoël »

L'époque est singulière. De tout temps, il y eut des scandales. Rarement on en vit d'aussi nombreux et qui sont étouffés pour raison d'État.

La première information menée sur l’assassinat de l'éditeur Denoël fut rapidement stoppée, bien que l'on n'eût point découvert le meurtrier.

Voici que l'affaire rebondit, sous l'impulsion d'un homme d'action, condamné à mort sous Vichy. C'est qu’en effet, la maîtresse de Denoël, une femme au cœur d'airain, mais non de cœur pur, n’ignore rien de l'auteur ni des circonstances du drame, puisque celui-ci s'est déroulé sous ses yeux. Seulement, voilà : on chuchote que cette Walkyrie aurait un faible pour une personnalité en place. Ce serait la raison pour laquelle l'affaire aurait été mise en sommeil, une première fois.

L'instruction qui vient d'être reprise dans le cabinet de M. Gollety pourra-t elle être poursuivie sans entraves ?

 

26 mars

 

17. Article non signé paru dans Ce Soir. La confrontation, dont les journaux précisent qu'elle a duré deux heures, eut lieu en réalité la veille ; elle mit en présence, pour la première fois, Cécile Denoël et Jeanne Loviton :

 

« Un duel (judiciaire) entre deux femmes peut livrer

le secret de la mort mystérieuse de l’éditeur Denoël »

On reparle aujourd’hui de l’affaire Denoël. On sait que l’éditeur a été assassiné dans des circonstances très mystérieuses le 2 décembre 1945.

Sa veuve a engagé différents procès pour obtenir l’annulation d’un acte par lequel son mari avait cédé la majorité des actions de la Société des Editions Denoël aux Editions Domat-Montchrestien, dont la gérante est Mme Jean Voilier.

Le défunt avait, paraît-il, l’intention de divorcer pour se remarier ensuite avec Mme Voilier...

Bref, depuis quatre ans, les deux femmes se livrent un combat sans merci. Quoi qu’il en soit, l’enquête relative au meurtre de l’éditeur n’a donné aucun résultat positif. Et pourtant cette affaire serait à présent sur le point de rebondir avec éclat.

D’ailleurs l’instruction, close le 28 décembre 1947 [sic pour 1946] par un non-lieu, a été reprise deux ans plus tard, jour pour jour, par le Parquet de la Seine.

Car les instances civiles et commerciales, qui opposent toujours les deux rivales, auraient tout à coup révélé des faits particulièrement intéressants et susceptibles de jeter un jour inattendu dans cette sombre histoire.

Cet après-midi, Mme veuve Denoël, partie civile par l’organe de Me Rozelaar, doit être confrontée dans le cabinet du juge d’instruction Gollety, avec divers témoins. Et il n’est pas impossible qu’un coup de théâtre intervienne d’ici peu.

 

Cécile Denoël et un avocat non identifié au Palais de justice de Paris,

le 25 mars 1950 [Le quotidien rémois L'Union, qui publie ce document le 27 mars 1950, indique erronément

qu'il s'agit d'Armand Rozelaar. C'est peut-être l'avoué Rocher, qui a plaidé pour Mme Denoël le 5 décembre 1950].

 

3 avril

 

18. Article signé Georges Gherra paru dans France-Soir sous le titre : « Une Enigme digne d’un roman policier » et repris le 5 avril dans La Lanterne de Bruxelles. Il est le premier à mentionner le feuillet du livre de nuit d'André Ré, le gardien du ministère du Travail :


De nouveaux documents ont été découverts

et de nouveaux témoins sont entendus

Le 2 décembre 1945. l'éditeur Robert Denoël était abattu d'un coup de revolver boulevard des Invalides. Une première information conclut à un non-lieu. A la demande de la partie civile, représentée par Me Rozelaar, une deuxième enquête fut ouverte le 28 décembre dernier. Dirigée par le commissaire Mathieu, elle a apporté un certain nombre de faits nouveaux qui posent aujourd'hui une énigme à la Simenon.

Depuis trois mois l'inspecteur principal Voges, chargé de la seconde enquête sur la mort de l'éditeur Robert Denoël, réunit patiemment les fils d'une affaire qui semblait sans issue. Le policier possède dans son dossier des éléments qui lui permettent de circonscrire dans un cercle réduit, le but de ses investigations. Un document inconnu jusque-là a été placé sous scellés. Il s'agit d'un feuillet appartenant au livre de nuit d'un gardien au ministère du Travail.

Le soir du crime, celui-ci avait consigné les allées et venues et les paroles échangées entre lui et deux personnes dont la présence au ministère, un dimanche soir, entre 21 h. 10 et 21 h. 30, lui avait parue insolite. Ce fait banal en apparence lui était apparu si important le lendemain qu'il avait arraché la feuille du livre de nuit.

Il en rendit compte à son chef qui lui répondit : « Vous avez bien fait, mais gardez-la, on ne sait jamais. » Il suivit ce conseil et, il y a quelques jours, il remettait la feuille à l'inspecteur: Le contenu de celui-ci est gardé secret. Peut-être constitue-t-il la pièce maîtresse du nouveau dossier ?

Les vides à combler

Il est évident qu'il reste encore des « vides » à combler dans les heures qui précédèrent la mort de l'éditeur.

Le jour du crime, Denoël, en compagnie de son amie Jeanne Loviton, alias Jean Voilier, déjeune à Saint-Brice chez l'actrice Marion Delbo. Avec eux il y M. Baron, gouverneur de colonie, sa femme et un journaliste, M. Claude Rostand. Il est prévu que Denoël et son amie restent pour le dîner. Dans l'après-midi, l'éditeur change d'idée, il préfère rentrer. Entre-temps, Il a reçu un coup de téléphone. De tous les témoins, un seul se souvient de ce fait : c'est le gouverneur. Les autres ne peuvent l'affirmer.

Denoël quitte en voiture Saint-Brice avec son amie vers 18 heures et dépose à Neuilly le ménage Baron. Il rentre rue de l'Assomption et dîne rapidement au point qu'il néglige le dessert, affirme la bonne Mlle Zatopek.

Vers 20 heures, au moment de partir, Denoël a une longue conversation téléphonique. Il quitte la maison, dans sa voiture, entre 20 h. 15 et 20 h. 30, pour se rendre chez Agnès Capri, rue de la Gaieté.

Pour se rendre à Montparnasse Denoël, pressé, dans un Paris où la circulation est nulle en ce soir de décembre, emprunte le boulevard des Invalides. Il est 21 heures 10.

Un pneu crève. Il range sa voiture le long du trottoir, côté du square. Une brume légère baigne le boulevard désert éclairé d'un seul côté. Mme Loviton part au commissariat, rue de Grenelle, chercher un taxi pendant que Denoël va changer la roue.

Entre 21 heures 20 et 23, un coup de feu éclate. Police-Secours arrive quelques instants plus tard et découvre l'éditeur étendu sur le ventre râlant de l'autre côté du boulevard. Il tient dans une main le cric et dans l'autre la manivelle de la voiture. Il meurt un quart d'heure plus tard à Necker, où l'on constate qu'il a été mortellement blessé d'une balle dans le dos tirée à moins de 1 mètre 50, avec un colt de 11 mm. 45. La douille est retrouvée dans le gravier, à 10 mètres en avant de la voiture.

Le premier jour, l'affaire parut toute simple aux policiers. La déposition du colonel Lhermitte, aujourd'hui décédé, qui avait entendu crier : « Au voleur ! », confirma la thèse d'un crime de rôdeur.

Mais la personnalité de l'éditeur le présente maintenant comme la victime d'un crime d'intérêt camouflé peut-être en crime crapuleux.

Georges Gherra

 

30 avril

 

19. Article signé Roger Darbois paru dans l'hebdomadaire Express-Dimanche sous le titre : « Le Dossier secret de l’affaire Denoël ».  C'est assurément le plus copieux et le plus documenté qui ait paru sur l'affaire, mais il mettait nommément en cause trois personnes. Guillaume Hanoteau ne réagit pas. Pierre Roland Lévy envoya une « rectification » qui fut publiée le 4 juin [cf. n° 23]. Jeanne Loviton chargea son avocat de déposer plainte et de réclamer des dommages-intérêts à hauteur de cinq millions de francs [cf. n° 21]. Qui était le signataire de cet article ? En page 1 il signe « Robert Dabois », et en page 3 « Roger Darbois ». Il doit s'agir de Roger Darbois, un journaliste qui publiait à cette époque des mots croisés dans plusieurs journaux et qui est peut-être un « paravent » de Me Rozelaar, car il donne deux ou trois détails qu'on ne trouve que dans le dossier de police.

 

« Etouffée pendant cinq ans l’enquête sur l’assassinat du fameux éditeur

va connaître de sensationnels rebondissements »

On prête à M. Besson, Procureur Général, l’intention d’intervenir vigoureusement pour que soit menée sans égard pour personne l’instruction d’une affaire qui, pendant cinq ans, a sommeillé aussi bien au parquet qu’à la préfecture de police, dans des conditions scandaleuses qu’il conviendra d’éclaircir. C’est en fait les dessous d’un assassinat resté impuni depuis 1945, grâce à un réseau de complicités tacites et d’interventions actives, qui vont être évoqués dans le cabinet d’instruction du juge Gollety ; on y prononcera des noms que le public sera stupéfait de voir mêlés à une affaire de sang.

C’est en effet le 2 décembre 1945 que l’on trouvait sur le trottoir, en bordure du square des Invalides, à peu de distance de la rue de Grenelle, l’éditeur Denoël, abattu d’une balle de revolver et mortellement blessé. Un quart d’heure plus tard, il devait mourir à l’hôpital Necker, sans avoir pu parler. Dès le départ, l’enquête fut ouverte dans des conditions d’apparente négligence difficilement admissibles. Très vite, on conclut au classement de l’affaire en mettant l’assassinat sur le compte d’un rôdeur, en l’espèce un noir américain, dont on put sans peine à cette époque où Paris était plein de troupes alliées, attester le passage dans les environs à l’heure approximative du crime.

Or cette hypothèse n’était même pas vraisemblable, puisque le portefeuille de la victime ne lui avait pas été dérobé. On peut dire sans peine que la véritable instruction de cette affaire n’a été menée que par les soins de la partie civile qui, au cours des cinq années qui viennent de s’écouler, s’est trouvée engagée dans une cascade de procès civils relatifs à la succession de l’éditeur et qui, au milieu de ces démarches, a réussi à reconstituer avec les faibles moyens dont elle disposait un faisceau de faits extrêmement troublants. La police aussi bien que le parquet ont fini, nous venons de le dire, par s’y intéresser, mais il est hors de doute qu’un grand nombre d’indices qu’il était à l’époque aisé de relever, ont été systématiquement négligés et sont aujourd’hui impossibles à reconstituer.

Le 2 décembre 1945 l’éditeur Denoël déjeunait à la campagne à Saint-Brice, chez l’actrice Marion Delbo. Il y était venu en compagnie de sa maîtresse, Mme Loviton, plus connue en littérature sous le pseudonyme de Jean Voilier. Assistaient encore à ce repas un gouverneur des colonies, M. Baron et sa femme, et un journaliste, M. Claude Rostand. L’éditeur Denoël est à l’époque dans une situation difficile ; il vient certes d’obtenir le bénéfice du classement de l’instruction ouverte contre lui devant la Cour de justice ; c’est évidemment un succès ; mais il lui reste encore à comparaître devant la Commission d’épuration du Livre dont la décision peut encore être redoutable pour ses activités professionnelles.

Son attitude pendant l’occupation a été en effet pour le moins discutable. En 1940 [sic pour 1937], il s’est séparé de Steele avec qui il avait été longtemps associé dans la maison d’édition qui portait leurs deux noms. En 1941, il a accepté d’associer l’éditeur allemand Andermann pour moitié dans ses affaires et à partir de cet instant il a édité les ténors les plus agressifs de la collaboration, de Lucien Rebatet à Céline. Il se trouve donc à la Libération singulièrement en vedette. Il a certes camouflé la plus grande partie du fonds de livres de sa maison d’édition, pour échapper à d’éventuelles confiscations. Il a même pris des dispositions pour échapper plus complètement encore à une saisie de ses biens. On pense même qu’à l’époque, son activité d’éditeur se doublait d’un trafic de devises ou tout au moins de toute une série de mouvements de fonds pour le moins curieux.

Cette après-midi-là, à Saint-Brice, la journée dominicale semble s’écouler sans heurt. Denoël et son amie doivent rester le soir à dîner. Pourtant on appelle à un moment donné l’éditeur au téléphone. Il est vrai qu’en dehors de M. Baron, qui en témoigna plus tard, aucun des convives ne se rappellera au cours des auditions policières ou judiciaires, cet appel téléphonique qui dut pourtant perturber cette après-midi de campagne. En effet, Robert Denoël décidait de rejoindre d’urgence Paris. Il partait en voiture avec Mme Loviton et rejoignait son appartement de la rue de l’Assomption. Il y dîna d’ailleurs avec sa maîtresse mais, talonné par des préoccupations qui semblaient pressantes, il en oublia le dessert, comme la femme de ménage devait le confirmer. Il commença peu avant 20 heures une conversation téléphonique qui s’éternisa de telle façon qu’il ne quitta, en voiture, sa maison qu’entre 20 h. 15 et 20 h. 30.

C’était pour se rendre avec sa maîtresse au Théâtre Agnès Capri, rue de la Gaîté. C’est tout au moins ce que déclare Mme Loviton. Il reste assez surprenant que son désir d’aller à ce spectacle ait été assez vif pour qu’il en ait bousculé tous ses projets et faussé compagnie à son hôtesse de Saint-Brice. Fait plus surprenant encore : pour se rendre à Montparnasse venant de la rue de l’Assomption, à une époque et à une heure où la circulation dans Paris est nulle, l’éditeur fait un singulier détour qui l’amène à l’esplanade des Invalides. Il arrive au coin de la rue de Grenelle à 21 h. 10, soit en mettant les choses au mieux, 40 minutes après son départ de son domicile. Là, raconte Mme Loviton, un pneu crève. Elle s’en va, expliquera-t-elle plus tard, chercher un taxi au commissariat de la rue de Grenelle. Que fait l’éditeur pendant ce temps-là ? Mystère.

Un dimanche à 9 heures du soir...

Mais entre 21 h. 20 et 21 h. 25, un coup de feu éclate, et Mme Loviton trouve à son retour Denoël étendu sur le ventre sur le trottoir opposé à celui contre lequel est rangée sa voiture. D’une main, il tient son cric et de l’autre la manivelle de mise en marche du moteur. On a conclu un peu hâtivement qu’il avait été tiré par derrière alors qu’il changeait sa roue. Or, on ne se sert pas d’une manivelle de mise en marche pour changer une roue et il semble plus vraisemblable que l’éditeur s’était armé de ces deux engins pour se défendre. La roue était crevée, certes, mais on ne sait par quoi, on n’a même pas vérifié s’il ne s’agissait pas d’une balle de revolver.

A l’heure qu’il est, on n’aurait peut-être pas d’autres témoins à entendre, si un humble fonctionnaire n’avait pas surpris certaines bizarreries. Les faits se sont déroulés sous les fenêtres du ministère du Travail. Un dimanche, à 9 heures du soir, le ministère était vide, sauf un employé de garde.

Or, celui-ci fut frappé par la venue insolite d’un fonctionnaire accompagné d’un ami, à peu près à l’heure du meurtre. Il s’agissait de M. Pierre Rolland-Lévy, magistrat de carrière, aujourd’hui membre du Conseil supérieur de la Magistrature et qui à l’époque avait un bureau au ministère du Travail, où il était détaché auprès du sous-secrétaire d’Etat. Il était avec un ami, M. Guillaume Hanoteau, cousin éloigné de l’académicien.

Ils entrèrent au ministère, puis ressortirent pour y rentrer à nouveau. - J’avais oublié mes cigarettes, expliqua plus tard M. Rolland-Lévy. Celui-ci et M. Hanoteau furent des témoins au moins partiels du drame, puisqu’en passant devant le concierge, M. Rolland-Lévy dit au portier : - On se tue dans votre quartier.

Cependant, l’audition de ces deux témoins a été très superficielle. Au point qu’elle est en contradiction certaine avec celle que fit le concierge. Celui-ci fut si surpris par le déroulement de ces événements, et les allées et venues, qu’il jugea indispensable de consigner aussitôt sur une page de carnet les remarques qu’il avait faites et qu’il en avisa le lendemain ses chefs.

Cette pièce maîtresse est restée longtemps dans le dossier de la police ; ce n’est que récemment qu’elle a été enfin acheminée chez le juge d’instruction. La partie civile a relevé un fait : c’est que ces deux témoins apparaissant comme accidentels connaissaient l’éditeur et sa maîtresse. Mme Loviton s’était même trouvée, à l’époque où elle était avocate, faire partie du même cabinet - en l’espèce celui de Me Maurice Garçon - que M. Guillaume Hanoteau, qui fut lui-même avocat.

Or, les dépositions des deux témoins ne font aucune mention qu’ils aient reconnu l’éditeur, pas plus qu’ils aient reconnu Mme Loviton, qu’ils rencontrèrent pourtant sur le trottoir du ministère. Il reste encore à éclaircir pourquoi la voiture mit au moins 40 minutes pour venir de la rue de l’Assomption au boulevard des Invalides.

La partie civile croit pouvoir conclure des éléments qu’elle a rassemblés, que Denoël n’était pas seul avec Mme Loviton dans la voiture, lorsque celle-ci s’arrêta à l’angle de la rue de Grenelle.

Ce qui compliquera la tâche du magistrat instructeur c’est que de toute façon M. Rolland-Lévy ne peut témoigner en raison de ses fonctions au Conseil supérieur de la Magistrature, et bien que ses opinions très avancées ne lui donnent pas aujourd’hui une grande audience dans les cercles gouvernementaux, il faudrait des conditions tout à fait exceptionnelles pour pouvoir passer outre.

D’autre part, on a enregistré depuis lors toute une série de pressions singulières dont il faudra bien un jour éclaircir les raisons. Qu’un dossier secret sur cette affaire soit resté si longtemps entre les mains de la police n’est pas habituel et l’inspecteur Ducourthial n’aurait pas caché à ses amis sa stupéfaction de le voir s’éterniser à la préfecture de police alors qu’il eut dû être déjà entre les mains d’un juge d’instruction.

Un million... pour se taire...

Pour sa part, un des avocats mêlés à l’affaire s’est vu offrir un million pour abandonner les intérêts de son client, tandis que le directeur d’un journal de province qui faisait enquêter sur cette affaire, s’est vu l’objet d’une démarche courtoise mais insistante de la part d’une des personnalités politiques les plus en vue, pour que l’enquête fût abandonnée.

En fait, l’instruction a été menée dans cette affaire essentiellement par Me Rozelaar qui se trouvait défendre les intérêts de Mme Cécile Denoël, veuve de l’éditeur. Celle-ci s’est en effet trouvée engagée dans une procédure fort compliquée avec Mme Loviton. Celle-ci, qui est directrice des Editions Domat-Montchrestien, une maison d’édition à laquelle s’intéressait Denoël, s’est vue attaquer en restitution de 1 515 parts de la société des Editions Denoël. En effet, dans la crainte d’une décision des juridictions d’exception, Robert Denoël avait, dans un acte sous seing privé portant la date du 25 octobre 1945, déclaré céder ses parts contre 750 000 francs, dont il donnait quittance à un acquéreur dont le nom était resté en blanc. Son intention évidente était d’y inscrire, si une décision de confiscation intervenait, un nom quelconque et peut-être effectivement, celui de Mme Loviton.

Il semble bien que, lorsqu’il fut assassiné, l’acte ne comportait pas encore ce nom, puisque ce même acte ne fut porté à l’enregistrement que le 8 décembre 1945, soit six jours après l’assassinat de Denoël. Le Tribunal de Commerce chargé de trancher le débat sur la propriété de ces parts entre la femme et la maîtresse les attribua à la femme avec des attendus assez sévères.

Les magistrats du tribunal consulaire qui avaient rendu cette décision ne manquèrent pas d’être assez étonnés que le Parquet n’ait pas encore pris position dans cette affaire. L’un d’eux devait confier à un ami : « Jamais encore nous n’avions été l’objet de tant de sollicitations à l’occasion d’un procès. On a fait donner le ban et l’arrière-ban. Mais nous avons voulu prouver que si la justice officielle a manqué de tenue dans cette affaire, la juridiction d’exception qu’est le tribunal de commerce a tenu à rendre la justice. »

Roger Darbois

 

5 mai

 

20. Echo non signé paru dans Aspects de la France et du monde. L'hebdomadaire fait référence à l'article précédent sans donner sa source et ne cite le nom que du seul Roland Lévy, qui est un adversaire politique :

« L'Affaire Denoël »

L'assassinat de l'éditeur Denoël reste mystérieux. Un journal du dimanche a consacré à cette affaire un très long article.

Le moins qu'on en puisse dire est que M. Pierre Rolland-Lévy, magistrat et membre du Conseil supérieur de la magistrature, y est durement mis en cause.

 

7 mai

 

21. Article non signé paru dans Express-Dimanche. Les deux autres publications mentionnées sont les hebdomadaires Le Cri de Paris et Juvénal [cf. les articles n° 15 et n° 16] :

 

« Le Scandale Denoël »

« Express-Dimanche » apprend que Mme Loviton, dont le nom figure parmi ceux des témoins de l’affaire Denoël, a décidé de nous réclamer 5 millions de dommages et intérêts pour diffamation et d’attaquer également deux autres publications.

Faute d’avoir jusqu’ici reçu citation ou convocation, nous ignorons sur quelle base légale s’appuie Mme Loviton. Nous aurons de toute manière l’occasion de prononcer son nom à nouveau dans l’affaire Denoël qui a pris une place assez importante dans les audiences du juge d’instruction Gollety.

 

22. Echo non signé paru dans Paris Presse. Les trois hebdomadaires, non cités, sont Express-Dimanche, Le Cri de Paris et Juvénal :

 

« Plaintes en diffamation »

L’information judiciaire ouverte au sujet de la mort tragique de l’éditeur Denoël n’a pas recueilli jusqu’ici d’éléments de nature à donner à l’enquête une impulsion nouvelle. Toutefois, les tribunaux vont avoir à s’occuper de cette affaire.

Mme Jeanne Loviton, dite Jean Voilier, qui a été entendue comme témoin, a chargé son avocat, Me Raymond Rosenmark, de déposer une plainte en diffamation contre un hebdomadaire, en raison d’un article paru le 30 avril. La plaignante demande solidairement au journal et à l’auteur de l’article cinq millions de dommages-intérêts.

Deux autres plaintes en diffamation ont déjà été déposées, au nom de Jean Voilier, par Me Simone Penaud-Angelelli, contre deux périodiques.

M. J. Perez, juge d’instruction, a été chargé par le Parquet d’informer au sujet de ces plaintes.

 

4 juin

 

23. Article non signé paru dans Express-Dimanche. Je n'en possède qu'un extrait tronqué mais, comme il porte de la main du professeur Harry Stewart l'indication selon laquelle Pierre Roland Lévy aurait demandé que sa « rectification » soit publiée « à la même page et avec les mêmes caractères » que l'article de Roger Darbois [cf. n° 19], il est probable qu'il aura eu recours aux services d'un avocat ou d'un huissier :

« L’Affaire Denoël »

Nous avons reçu de M. Pierre Roland Lévy, membre du Conseil supérieur de la Magistrature, la lettre que nous publions ci-dessous.

« Paris, le 27 mai 1950.

«[...] Mon ami et moi arrivâmes sur le lieu du meurtre quelques instants plus tard... Je suis retourné immédiatement au ministère donner l’ordre au concierge d’appeler Police-Secours. [...] »

 

7 juillet

 

24. Echo non signé paru dans L'Union de Reims, identique à la plupart des communiqués publiés ce jour-là. Le non-lieu a été prononcé le 6 juillet par le juge Ferdinand Gollety :

 

« Nouveau non-lieu concernant l’assassinat de l’éditeur Denoël »

Le 2 décembre 1945, l’éditeur Robert Denoël était trouvé assassiné auprès de sa voiture dont un pneu était crevé. La police, immédiatement alertée, avait conclu à un crime crapuleux et l’information ouverte n’apportant aucun élément controuvant cette hypothèse, un non-lieu intervint.

Mme Cécile Denoël déclara en décembre 1949 qu’elle était en mesure de faire découvrir les assassins de son mari. Une nouvelle instruction fut ouverte et M. Gollety, magistrat instructeur, s’attacha à suivre les pistes indiquées par Me Rozelaar, avocat de Mme Denoël.

Aucune des hypothèses émises n’ayant été confirmée, M. Gollety vient de rendre une ordonnance de non-lieu. Mme Cécile Denoël a aussitôt annoncé qu’elle interjetait appel de cette décision.

 

29 juillet

 

25. Echo paru dans le Figaro. Le 10 juillet, Cécile Denoël avait fait parvenir un dernier mémoire de 19 pages à la Chambre des mises de la cour d'Appel, en insistant sur la partialité du réquisitoire prononcé le 1er juillet par le procureur général, Antonin Besson, lequel n'avait tenu aucun compte des conclusions déposées le 25 mai par le commissaire de police Henri Mathieu. Le 28 juillet, la Cour d'appel de Paris confirmait l'ordonnance de non-lieu prononcée le 6 juillet par le juge d'instruction :

 

« Non-lieu définitif dans l’affaire du meurtre de l'éditeur Denoël »

Par arrêt du 28 juillet, la Chambre des mises en accusation de la Cour d’Appel de Paris vient de confirmer, dans l’affaire du meurtre de l’éditeur Robert Denoël, l’ordonnance de non-lieu rendue le mois dernier par le juge d’instruction chargé de l’affaire.

 

14 décembre

 

26. Echo paru dans L'Aube. Pour rappel, c'est le 2 novembre 1949 que la 3e Chambre de la cour d'Appel de Paris a commis l'expert Caujolle pour examiner les écritures litigieuses. L'expert a déposé ses conclusions le  13 octobre 1950, et le conseiller Bourdon, chargé de l'affaire, a remis à la Cour son rapport écrit le 5 décembre. La cour d'Appel s'est prononcée définitivement le 13 décembre :

 

« Un arrêt définitif dans l’affaire de la société Denoël »

La cour d’appel de Paris vient de rendre son arrêt dans le procès opposant Mme Denoël, veuve de l’éditeur Robert Denoël, et Mme Jean Voilier, assistée de Me Simone Penaud-Angelelli.

Adoptant les conclusions de l’expert précédemment commis, M. Caujolle, la 3e Chambre de la cour d’Appel a déclaré régulière et valable la cession de parts consentie par Robert Denoël, de son vivant, aux Editions Domat-Montchrestien, dont Mme Jean Voilier est gérante, et a rejeté la demande de Mme Denoël.

 

22 décembre

 

27. Articulet paru dans Le Cri de Paris, dont l'écho du 28 janvier [cf. n° 15] avait fait l'objet, le 7 mai, d'une plainte pour diffamation de la part de Jeanne Loviton. Etant donné qu'il concernait surtout les circonstances de l'assassinat et les relations de Mme Loviton, l'hebdomadaire aurait pu faire paraître cette « mise au point » au lendemain du non-lieu définitif prononcé par la cour d'Appel, le 28 juillet. Au lieu de quoi il a attendu la décision finale du 13 décembre. C'est pourquoi sans doute il présente des excuses aussi humbles : la plainte n'a pas encore été retirée :

« Mise au point »

Nous avons publié dans notre numéro du 28 janvier 1950 deux échos concernant l’affaire Denoël. Nous devons reconnaître que ces échos étaient basés sur des informations malignes dont l’inexactitude est aujourd’hui démontrée.

L’instruction rouverte à la demande de Mme veuve Denoël a été clôturée par un non-lieu du 6 juillet 1950, confirmé par arrêt de la Chambre des mises en accusation du 28 juillet 1950.

La Cour de Paris, saisie de la demande tendant à faire prononcer la nullité de la cession de parts consentie de son vivant par l’éditeur Robert Denoël à la Société des Editions Domat-Montchrestien, dont Mme Jean Voilier est gérante, a rendu son arrêt le 13 décembre. Adoptant les conclusions de M. Caujolle, expert précédemment commis, elle a déclaré régulière et valable la cession de parts et rejeté la contestation soulevée par Mme Denoël.

Toujours objectifs et soucieux de vérité, nous sommes heureux de donner à Mme Loviton ce témoignage.

 

29 décembre

 

28. Articulet paru dans Juvénal, dont l'écho du 24 mars [cf. n° 16] avait fait l'objet, le 7 mai, d'une plainte pour diffamation de la part de Jeanne Loviton. Cet hebdomadaire se trouve dans la même situation que Le Cri de Paris, dont il adopte le profil bas :

« Dont acte »

Nous avons publié dans notre numéro du 24 mars 1950 un écho concernant l’affaire Denoël. Nous devons reconnaître que cet écho était basé sur des informations inexactes.

Depuis lors, l’instruction rouverte sur la demande de Mme veuve Denoël a été clôturée par une ordonnance de non-lieu le 6 juillet 1950, confirmée par un arrêt de la Chambre des Mises en accusation du 28 juillet 1950.

D’autre part, la Cour de Paris, saisie de la demande tendant à faire prononcer la nullité de la cession de parts consentie de son vivant par l’éditeur Robert Denoël à la Société des Editions Domat-Montchrestien dont Mme Jean Voilier est gérante, a rendu son arrêt le 13 décembre 1950.

Adoptant les conclusions de M. Caujolle, expert précédemment commis, elle a déclaré régulière et valable la cession de parts et rejeté la contestation soulevée par Mme Denoël.

Nous regrettons d’avoir été abusés par des renseignements dont la fausseté a été démontrée et de la publication desquels nous tenons à nous excuser.

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Il restait un troisième hebdomadaire mis en cause pour diffamation et auquel Jeanne Loviton avait réclamé cinq millions de francs de dommages-intérêts pour son article explosif du 30 avril [cf. n° 19]. Sans doute des excuses n'auraient-elles pas suffi à apaiser la plaignante : Express-Dimanche préféra donc se saborder à la fin de ce mois de décembre 1950.