Robert Denoël, éditeur

Denoël dans la presse

1936

 

Janvier

 

Dans sa livraison du 24 au 30 janvier l'hebdomadaire La Semaine à Paris consacre un écho signé A.F. à une réalisation prochaine de L'Anthologie sonore de Bernard Steele. L'auteur de l'article avait sans doute plus souvent affaire, rue Amélie, avec son associé belge.

 

 

17 juillet

 

Article de Max Frantel paru dans Comœdia sous la rubrique « Belles Lettres ».

 

« M. Robert Denoël part en campagne pour la gloire de Mort à Crédit »

Mort à crédit a valu à M. Louis-Ferdinand Céline encore plus de horions que Voyage au bout de la nuit. Que de coups de poing contre un seul homme !

Aussi M. Robert Denoël, le co-éditeur avec M. Steele de M. Louis-Ferdinand Céline, a décidé de ne pas laisser son poulain tout seul. Et il vient de lancer au visage des pugilistes hostiles un opuscule : Apologie de « Mort à crédit ».

M. Denoël commence par une citation mise en épigraphe, et qui a tout l'air d'une magistrale gifle par ricochet, sur les figures grincheuses. C'est une phrase de Wieck, un critique musical mort en 1850 : « Cette œuvre est une honte. Il est impossible de ne pas reconnaître que la musique de Beethoven est une musique d'ivrogne. Il n'en restera rien. » M. Louis-Ferdinand Céline aura-t-il l'immortalité de l'auteur de Fidélio ?

A notre confrère M. André Rousseaux, M. L.-F. Céline, et M. Denoël nous le rappelle, a dit : « La langue des romans habituels est morte, syntaxe morte, tout mort. Les miens mourront aussi, bientôt sans doute. Mais ils auront eu la petite supériorité sur tant d'autres, ils auront pendant un an, un mois, un jour, vécu. Tout est là. Le reste n'est que grossière, imbécile, gâteuse vantardise. Dans toute cette recherche d'un français absolu, il existe une niaise prétention insupportable, à l'éternité d'une forme d'écrire. »

L.-F. Céline n'est pas ambitieux, comme on le voit. Mais son éditeur l'est, pour lui, plus que lui-même, bien qu'il oublie ou ignore que d'autres critiques l'ont été également et même plus que lui. Il n'a donc pas jugé vain de composer cette mercuriale toute flambante.

Que dit l'apologiste? Les critiques devraient être modestes. Ils se trompent. Et leurs erreurs sont sidérales. « A Balzac, à Stendhal, à Flaubert, à Zola », ils ont préféré « Frédéric Soulié, Octave Feuillet, Victor Cherbuliez et Paul de Kock ».

Ensuite M. Denoël nous cite quelques-unes des ces « gracieusetés » dont on a fait le piquant cadeau à Céline; et il répond à quatre reproches : Céline 1° a écrit : un livre monotone et profondément ennuyeux ; 2° il ne doit son succès qu'à la réclame ; 3° il use d'un langage tout artificiel ; 4° il use et abuse de l'obscénité.

La grande tactique de M. Denoël c'est d'opposer les critiques les uns aux autres. Espère-t-il qu'ils en viendront aux mains et qu'on n'en verra plus que les cadavres ?

Le plus savoureux de cette « Provinciale » littéraire, c'est le passage où M. Denoël nous parle des blancs du livre. Et nous apprenons (horresco referens !) que M. Céline et ses éditeurs risquaient, avec le texte, caviardé, l'inculpation pour outrage aux mœurs.

En effet, nous lisons en toutes lettres : « l'artiste emporté par son sujet avait oublié les limites où la loi entend le contenir. Nous les lui avons rappelées. Avec nous il décida alors de faire subir à Mort à crédit une censure préalable plutôt que d'assister à la saisie de l'ouvrage par autorité de justice. »

Céline en correctionnelle ! Pour la beauté du fait, comme dit Alceste, nous aurions voulu voir ce procès, unique dans les annales des tribunaux comiques. La sténographie du procès eût été d'une rare verdeur. Et il eût fallu ressusciter Courteline pour en écrire une pièce.

Nous n'aurons pas ce « divertissement ». Tant mieux ! Car M. Céline semble ne se faire aucune illusion. N'a-t-il pas dit dans un discours prononcé en 1933, en hommage à Zola : « On ne sortirait pas de prison si on racontait la vie telle qu'on la sait, à commencer par la sienne ! »

Max Frantel

 

22 juillet

 

Article de Jules Rivet [1884-1946] paru dans la rubrique « Plumes au vent » du Canard enchaîné.

 

 « Apologies »

M. Robert Denoël, éditeur de Mort à crédit de L.-F. Céline, a écrit Apologie de « Mort à crédit », une petite brochure qu’il s’est lue à lui-même avec intérêt, qu’il s’est acceptée aimablement et qu’il a éditée. Il en a fait ensuite l’envoi à la critique :

- Lisez donc ça, ce n’est pas mal du tout ! Ce n'est pas mal du tout.

M. Robert Denoël, qui écrit mieux que beaucoup de ses auteurs, veut sans doute nous démontrer, en même temps que les vertus du livre de Céline, sa propre philanthropie. Si, pouvant écrire ses livres lui-même, il consent à s’adresser à la main-d’œuvre étrangère, c’est certainement par pure bonté d’âme. Et dorénavant, les écrivains vont se sentir gênés pour tirer sa sonnette. Présenter un manuscrit à M. Robert Denoël, c’est un peu comme si on offrait de la ficelle à un cordier, un sonnet à M. Tristan Derème, un calembour à notre ami Breffort et un canon à M. Schneider ! Et encore, M. Schneider accepterait peut-être le canon pour le vendre à Hitler... Ce n’est pas tout. Avec son Apologie de « Mort à crédit », M. Robert Denoël se révèle, non seulement écrivain, mais critique.

- Si Mort à crédit, explique-t-il, est un livre épatant, c’est à cause de ceci et à cause de cela... Quant à ceux qui en disent du mal, ce sont des ci et des ça..., etc.

Ainsi tout est fait dans la maison : manuscrit, édition, critique littéraire. Très bonne idée. Excellente idée... Et qui me laisse l'espoir que mon propre éditeur, prenant lui aussi sa plume, fera paraître sans tarder une Apologie de « Paule Calou » dont le monde lettré, j'en suis sûr, se passe difficilement.

Jules Rivet

 

25 juillet

 

Article d'André Billy paru dans le supplément littéraire du Figaro, illustré d'une photo de Céline prononçant son hommage à Zola à Médan, le 1er octobre 1933.

 

« Propos du samedi »

J'ai déjà loué l'ingéniosité que [sic] témoigne l'éditeur de M. Céline. Jusqu'à présent, il n'avait pas encore fait lui-même l'éloge de Mort à crédit, il laissait ce soin à ses agents de publicité. Ces jours-ci, devant la défaillance à peu près générale de la critique, il s'est décidé à publier une brochure intitulée Apologie de « Mort à crédit ». On n'est jamais mieux servi que par soi-même.

Avant M. Robert Denoël, M. Bernard Grasset avait pris la plume pour soutenir ses auteurs. C'était son droit. Jusqu'à un certain point, c'était son devoir. Il est naturel qu'un éditeur qui se sent des démangeaisons d'écrire, en fasse bénéficier les écrivains de sa maison, qui, après tout, sont ses associés. Mais on n'avait pas encore vu un éditeur faire passer son auteur après lui. Sur la couverture des livres qu'il préfaçait, Grasset gardait la seconde position. Sur celle de la brochure que son éditeur fait paraître et dont ce dernier a cru devoir corser l'intérêt en y ajoutant le texte du discours prononcé par Céline à Médan, le pauvre romancier n'a plus l'air que d'une quantité négligeable ; il ne vient qu'en second et bien loin derrière son éditeur, bien au-dessous, et en caractères bien plus petits. Ce trait est amusant. Il eût choqué Balzac, il eût irrité Lamartine et Victor Hugo. Nous n'en sommes plus à nous froisser de pareilles vétilles. Les mœurs littéraires ont évolué sans qu'on puisse dire pourtant que le prestige de l'écrivain y ait gagné. Ce serait plutôt le contraire, si je ne m'abuse...

 

14 novembre

 

Article de Roland Alix paru dans la rubrique « Les Editeurs nous parlent » des Nouvelles Littéraires. Depuis plusieurs semaines le journaliste interroge les éditeurs parisiens sur leurs projets. A cette date, Robert Denoël répond désormais seul car son associé est sur le point de le quitter.

 

« Aux Editions Denoël et Steele »

M. Robert Denoël qui est, comme ses confrères, l'ami de ses auteurs et sait prendre leur défense, comme il le fit pour Céline et sa Mort à crédit, continue malgré les difficultés de l'heure présente à préparer un programme d'essais et de romans.

Aragon : Les beaux quartiers ; Louise Hervieu : Sangs, roman ; Abeille Guichard : David, roman ; Dr Laforgue : Cours de psychanalyse ; Diche-Marrou : Bernard et quelques femmes ; Georgette Day : La Colombe noire, roman ; Eugène Guichard : Allo Londres, allo Berlin ; Maurice Sachs : André Gide, essai ; Jean Ajalbert : Règlements de comptes ; Luc Dietrich : Terre (illustré de photos inédites) ; André Lhote : Parlons peinture ; Dr Gregorio Maranon : Problèmes sexuels.

Roland Alix

 

25 décembre

 

Article de Jean Desthieux paru dans la chronique « Lettres à Roxane » de l'hebdomadaire Cyrano.

 

La coutume n'est pas établie de louanger les éditeurs qui ont su nous offrir de bonnes lectures. Mais la critique a tort. Quand tant de libraires se contentent de solder des invendus et d'imprimer de chétifs comptes d'auteurs, il serait élémentaire de tresser des couronnes aux rares hommes de l'édition parisienne qui, par leur courage,  leur sens critique et leur habileté, ont le mieux servi les lettres.

Cette idée me vient une fois plus en constatant que Mort à crédit de L. Ferdinand Céline, Sangs de Louise Hervieu, lauréate du prix Femina, Les Chasses de novembre de René Laporte, lauréat du prix Interallié, Les Beaux Quartiers d'Aragon, lauréat du prix Renaudot, et les Mémoires à rebours de M. Jean Ajalbert, qui viennent de paraître, ont eu un seul et même couple d'éditeurs : Denoël et Steele. On dira sans doute que je me suis vendu à ces deux hommes jamais vus. Mais peu me chaut ! J'entends user de ce qui, peut-être, me reste ici de liberté à louer ces deux éditeurs jeunes, hardis, heureux, intelligents, qui, en 1936, ont sauvé la face de l'édition française, alors que tant de marchands sans honneur se souciaient uniquement de leur absurde commerce et faisaient si bien que de jeunes auteurs belges pouvaient me dire l'autre jour, à Bruxelles, sans que je fusse en état de protester trop haut : « Nous considérons que la littérature française est morte ».