Robert Denoël, éditeur

Textes et interviews

1922

 

Juillet-août

Compte rendu de Histoire du Christ de Giovanni Papini [1881-1956], paru l'année précédente chez Payot. Storia di Cristo, publié en mars 1921 chez Vallecchi à Florence, eut un grand retentissement et Payot fut le premier à en donner une traduction française. On considère ce livre, toujours réédité, comme le chef-d'œuvre de l'auteur italien. Denoël, manifestement, ne l'a pas apprécié, à cause de son « style détestable ». Il est vrai qu'il s'agissait d'une traduction. Ce texte a paru, signé Jacques Marlande, dans le n° 2 de Créer, p. 53.

C'est peut-être la première « Histoire du Christ » de valeur littéraire écrite par un catholique. N'entendez point que l'interprétation des textes soit le moins du monde littéraire. Cette exégèse évangélique pour originale n'en est pas moins respectueuse.

On n'accusera pas l'historien de partialité pour l'entourage du Christ : les Apôtres par exemple sont appréciés sans aucune bienveillance. L'abondance de la documentation fait que l'auteur sacrifie à la couleur locale ; nous n'en contrôlerons pas l'exactitude...

Plus qu'une histoire, c'est une apologie du Christ, traitée sur le mode lyrique. Suivant les méthodes courantes, Papini réfute les objections, développe les arguments en pédagogue fort érudit. Cet abus du procédé l'abaisse jusqu'à la médiocrité des commentateurs d'aujourd'hui. Heureusement la sensibilité du poète bouscule le prêcheur. Elle éclate alors en envolées fougueuses, en vitupérations qui touchent de bien près au sublime. Il y a une « Prière finale » d'allure prophétique, des pages sur le Pauvre et l'Amour, qu'un Léon Bloy  n'eût point renoncées.

La langue est riche et drue : l'image jaillit à chaque détour de l'idée, parfois crûment, car Papini ignore la périphrase. Il use d'un style détestable où l'énumération fastidieuse, la redite et l'ornement inutile se disputent le triste plaisir de fatiguer le lecteur.

Jacques Marlande

 

Compte rendu de Le Duel et Le Bracelet de grenats d'Alexandre Kouprine, parus en 1922 chez Bossard, l'un et l'autre traduits pour la première fois en français par Henri Mongault. Ce texte a paru, signé Jacques Marlande, dans le n° 2 de Créer, p. 55.

   

Il étonne ce « Duel » écrit lors du triomphe naturaliste : la peinture des mœurs militaires est faite avec réserve et l'auteur garde la faculté de juger.

Les personnages, officiers de petite garnison, n'ont pas que des préoccupations sexuelles ou gastrolâtres. L'observation de Kouprine, plus large que celle de M. Descaves, nous vaut une curieuse étude de caractère. Celle du sous-lieutenant Romachow, jeune homme assez niais, cherchant la gloire et trouvant une mort pleine de romantisme afin de satisfaire aux ambitions d'une femme pratique.

Autour d'eux évoluent quelques types bien dessinés : Raïna la maîtresse que les officiers se repassent, Nazauskü l'ivrogne qui déploie son lyrisme en théories  sur l'amour et l'humanité, un colonel vieille brute au cœur large qui rappelle le « Capitaine » d'Antoine Redier.

Le récit bien construit, fait sur un ton de bonne humeur, mâtinée parfois d'un grain d'amertume. L'exactitude narquoise de l'observation lui donne du piquant. Le style est médiocre. L'auteur plaint l'armée plus qu'il ne la méprise, mais sa pitié est utilitaire.

Le Bracelet de grenats, recueil de nouvelles, est beaucoup moins bon. La première, qui donne le titre au volume, est d'un sentimentalisme bien usé. Les autres ne valent pas davantage. Exceptons toutefois « Gambrinus » et « En famille », tableautins de mœurs assez colorés.

M. Henri Mongault a eu l'heureuse inspiration de traduire ces ouvrages « parfaitement accessibles au public français ». Les conditions typographiques sont excellentes mais pourquoi M. Mongault écrit-il « pokker » au lieu de poker, « Dnièpre » au lieu de Dnièpr ou Dniéper et surtout ceci que nous trouvons délicieux : « Mentir sciemment » ?

Jacques Marlande

 

Septembre

 

Le 12 : Robert Denoël envoie trois poèmes à Mélot du Dy, destinés à la revue Le Disque vert, qui ne les publiera pas. Restés inédits jusqu'à ce jour, ils figuraient dans la succession de Jordaine Mélot, la fille cadette du poète dont la bibliothèque a été vendue à Bruxelles le 8 décembre 2007.

1. Jardin public

De toutes leurs feuilles les marronniers se plaignent,

Le ciel gicle, passoire percée de beaucoup

De petits trous.

Près de la balustrade qui saigne

Une maman mène son petit

Faire pipi.

Les fauteuils d'osier en se rafraîchissant

Attendent d'improbables clients.

Les lauriers, minces réverbères

Coiffés d'un chapeau-cloche vert

Découpent le paysage en tranches.

Lorsque le vent insiste

Du tronc et des branches

Les arbres protestent

Et l'herbe s'aplatit toute pâle.

Muni d'une bissectrice

Le jet d'eau s'exalte en triangle isocèle.

Au loin roulent les tonneaux du tonnerre

Tandis que dans une hâte rotatrice

S'essoufflent les tramways, grosses bêtes de fer.

Des gens passent sous des parapluies

Dômes humides de toile cirée ;

Mais bientôt il les ferme car la pluie

Cesse et le ciel paraît consolé

Alors je paye mon verre et je m'en vais.

2. Nocturne

Le ciel, cette nuit, est une grande étoffe

Imbibée d'encre que Dieu met à sécher

Par dessus la terre.

Il y a des nuages noirs, d'autres clairs ;

Pas d'étoiles.

Elles sont tombées sur la ville

Bleues, jaunes, rouges, blanches,

- Cierges allumés pour quel autel ? -

Qui palpitent comme des cœurs

Ou tremblottent comme des veilleuses ;

D'autres froides et silencieuses

Se groupent. Pour se réchauffer

Ou par crainte des hululements

Des remorqueurs sur le fleuve ?

Là-bas, tout là-bas, où le ciel

Rejoint les montagnes elles sont

Rangées en file comme les pions

D'un échiquier. La ville solennelle

Pénétrée d'ombre,

Etreinte par le silence

Murmure doucement.

... Un sifflement qu'étouffe la distance

... La saccade d'un soufflement

Puis une barre de feu miroitante

Naît quelque part

Et court s'éteindre dans du noir.

C'est un train que le tunnel dévore.

3. Paysage

Par la fenêtre ouverte sur le jardin

L'air entre dans ma chambre

Sans faire de bruit.

Il vient de pleuvoir.

Le soleil généreux, écartant les nuages

Jette un peu de son or au pauvre paysage.

L'herbe, neuve comme au printemps, accroche

Le muffle de la vache

Qui balance la queue avec nonchalance ;

On espère le tour complet.

Ainsi l'enfant de chœur distrait

Donne aux dévots la crainte

De son encensoir.

Il fait calme comme au soir :

Seuls, la clarine qui tinte

Et les merles qui sifflent brusquement

Tels les watmen sur leur plate-forme

Ponctuent la douceur du moment.

Dans la prairie les poiriers difformes

Sont des garçonnières pour moineaux.

Ils font l'amour sur les rameaux

Mais là - vite, en personnes pressées

Qui n'ont que le temps entre deux trains -

Sur les toits lessivés

Flotte une buée bleue

Comme des yeux

Qui ont beaucoup pleuré.

R.D. 1922

(Caramels mous)

Octobre

 

Denoël a de la suite dans les idées : après avoir sollicité Mélot du Dy pour publier ses poèmes dans Le Disque vert, il lui dédie une petite nouvelle, « Louise », qu'il fait paraître dans le n° 3 de la revue liégeoise Créer. Le beau bois qui l'accompagne, non signé, est dû à son ami Auguste Mambour, qui a exposé en décembre 1921 dans la galerie de la Gazette de Liége, exposition dont il a rendu compte. Il utilise depuis quelques mois le pseudonyme de Jacques Marlande. André Baillon l'a épinglé dans Les Nouvelles Littéraires du 9 décembre : « Dans Créer, un conte très curieux mi-Renard, mi-Morand, de Jacques Marlande, que j'inscris volontiers parmi les noms à retenir. »

Le petit derrière au frais sur le seuil, les coudes sur les genoux, la tête aux mains, elle regarde. Lorsqu'il passe devant sa porte, sphynge naïve aux seins émus, elle le dévisage.

Cela caresse sa vanité d'adolescent - une caresse très douce. Mais la fixer il n'ose. Dans le moment que leurs regards peuvent se croiser il feint de lire un journal. Cette indifférence, affectée car la myopie aidant il la croit jolie, exaspère l'enfant. Elle veut intéresser ce grand garçon qui se porte bien.

Ils gravissaient la même rue par un midi de printemps. Les bourgeons s'éveillaient et les feuilles tiraient un bout de langue. Elle était nu-tête. La natte des cheveux, d'un noir comme déteint, dansait sur son dos. Faisant la pressée elle courut et le dépassa cependant que la brise soulevait, révélatrice, le tissu léger de la robe. Sur les jambes déjà spirituelles le bas était tendu par un jarretelle bleue qui se perdait dans un petit pantalon blanc. Entre les deux, un peu de chair rose comme une joue d'enfant.

Sans crainte de congestion il observa, en eut du plaisir et comme il était peu compliqué pensa : « La petite vache ».

Elle avait bien visé. Le lendemain il s'informait auprès d'un jeune garçon qui habitait la maison voisine.

- « C'est Louise, une sale fille. Elle n'aime que les types qui disent des mots cochons. Elle dit : « Il n'y a que ceux-là qui soient francs ».

Ce fut un encouragement : il la regarda davantage, mais de loin. Quant il ne la rencontrait pas, le désappointement s'imposait comme si elle avait manqué à un rendez-vous. Le désir d'une fréquentation naissait. Volontiers il se représentait assis à ses côtés dans l'ombre d'une salle de cinéma, une main dans la sienne et l'autre tâtant un sein pas mûr. Même, bien qu'elle fût fort jeune il envisageait des rapprochements plus intimes encore. Une crainte le retenait.

Dans ce faubourg de petite ville tous les habitants se connaissent. Le soir après le travail les hommes fument la pipe devant les maisons, les femmes tricotent aux fenêtres et les langues vont vite. Malgré les précautions leurs rapports ne seraient pas longtemps ignorés de ces gens qui le tenaient [pour] « un jeune homme sérieux ». C'était perdre cette réputation d'autant plus précieuse qu'elle était fausse. De plus cela pouvait arriver aux oreilles paternelles qui écoutaient sans joie cette sorte d'histoires.

Forte de la présence de ses deux amies Louise ironisa : « Voilà son Excellence Monsieur Remoulin ! » Et toutes trois de rire, sans noblesse.

Elle se moque mais c'est pour attirer mon attention, se dit-il et il s'essaya au dédain, maladroitement.

La compagnie d'une sœurette, maigreur jaune, stimulait Louise. Bientôt elle se mit à donner le bonjour :

- Albèèrt ! Bonjour Albèèrt !

Il y avait une câlinerie moqueuse dans cette parole qu'elle traînait à dessein. Sans répondre il regardait très loin devant soi, allumait une cigarette ou cherchait un mouchoir - opérations oiseuses.

La solitude immobilisait sa langue ; mais la bouche était prometteuse et les yeux parlaient, pleins d'invites.

De ces interpellations, de ces sourires, il tirait fierté et le déplorait comme un sentiment vulgaire. Il en eut une fois de la gêne. Escortant une vieille tante il fut accueilli par le cri habituel.

- Vous avez de singulières fréquentations, mon neveu !

La disculpation est vaine, la parente doute. Cette mésaventure le fait réfléchir : il voudrait que cela continuât mais le dépit l'emporte. A la première occasion, poliment, il la priera de cesser.

Louise et la sœurette se promènent en ville. De loin il les aperçoit sur le trottoir opposé. Il hâte la marche pour les éviter. Malicieuse, elle traverse la rue dans l'espoir de l'apostropher. Son plaisir sera d'un genre différent car brusquement il se décide :

- « Pardonnez-moi de vous arrêter ainsi, Mademoiselle, mais j'ai deux mots à vous dire.

- Certainement, Monsieur.

Il déborde de bonnes résolutions. Pourquoi approche-t-elle de façon qu'il puisse la respirer ? Elle sent un peu l'aigre. Sa toilette la divise en parties disgracieuses et son visage est timbré de taches rousses. Elle sourit et montre des dents tristes plantées à larges intervalles.

Les bonnes résolutions hésitent un instant puis tombent comme une barbe qui se décolle. Il use de causticité :

- Ne pourriez-vous pas vous dispenser, lorsque vous passez à côté de moi, de pousser de petits cris d'enthousiasme ?

Il est très étonné d'avoir articulé cette phrase. Louise s'ébahit.

- Je sais bien que je suis beau...

Gamine, elle rit, ferme un œil et se frotte le bas de sa joue sur l'épaule comme les actrices de cinéma dans les scènes de séduction.

- ... Mais ce n'est pas une raison pour manifester ainsi vos sentiments. Chose curieuse, lorsqu'à la tombée du jour vous prenez le frais avec Madame votre mère, sur le pas de votre porte, il ne vous arrive jamais de m'interpeller.

« Madame votre mère » est de ces vieillardes au geste et au verbe nombreux que l'ont dit commères et maritornes.

- « Oh ! Ça ne me gênerait pas !

Ce calme la vexe. Les ailes du nez s'agitent, piquées de points noirs ainsi qu'un dé à coudre. La constatation déçoit à nouveau le parleur et presque furieux :

- « Moi, ça me gêne et je vous prie de cesser. D'ailleurs je ne m'occupe pas des petites filles.

Il s'éloigne sur un geste qu'il estime superbe. Louise, tigresse blessée à mort, rugit. Une insulte quitte ses lèvres. Il est question de « Remoulin et Cie ».

Déjà il regrettait sa brutalité mais songeait : « la plaisante histoire à conter à mes amis ». Mentalement il y ajoutait quelques fioritures.

Les amis se réjouirent du récit mais ignorèrent la fin qui tarda de venir.

Louise maintenant se taisait à son passage et ne souriait plus. Seuls les yeux imploraient comme ceux du chien qui saute au morceau de sucre tenu trop haut. Cette humilité d'attitude surprenait Albert : il la détaillait avec pitié et un peu d'arrogance.

Peut-être il aurait voulu atténuer ses paroles mais une seconde audace verbale était impossible. Dès qu'il voit Louise il lui semble que ses pieds enfoncent dans le pavé comme dans de la neige et malgré les efforts la marche est ridicule.

... Et ainsi des mois.

Albert revient quotidiennement de la ville vers sept heures. Louise sait ce détail. Une centaine de mètres plus bas que chez elle il y a un jardin d'horticulteur. La maison du jardinier en chef avance en angle droit dans la rue : coin favorable aux amoureux.

Septembre mûrissait les fruits et Louise devenait femme. Un jour Albert aperçut dans ses yeux une lumière et un orgueil inconnus. Qu'est-ce que cela veut dire ? Va-t-elle recommencer les manigances du printemps !

Comme un charbon de soleil s'éteint et jette des lueurs rouges qui foncent, Albert gravit la côte. Soudain il voit Louise appuyée contre la grille du jardin. Un homme est devant elle, qui lui parle doucement. Au bruit des pas elle met la tête à l'épaule de l'homme comme à une lucarne. Elle voit Albert, le regarde puis dressée se noue à l'homme, s'écrase la poitrine sur son gilet. Leurs têtes sont comme les branches supérieures d'un Y. Louise n'a pas les paupières closes des amoureuses extasiées : ses yeux narguent, brillants de victoire.

Le partenaire est grand et fort ainsi que lui. Albert pense de nouveau : « La petite vache ».

Jacques Marlande

 

Compte rendu d'une nouvelle édition du Sang du pauvre et de Lettres à sa fiancée parus en 1922 chez Stock. Ce texte, signé Jacques Marlande, est paru sous le titre : « Réflexions sur les œuvres nouvelles » dans le n° 3 de la revue liégeoise Créer. Denoël y déclare toute son admiration pour Léon Bloy.

   

Le monde catholique s'aperçoit enfin qu'il y eut un Léon Bloy. Les journaux qui lui verrouillèrent soigneusement leurs portes, risquent des lignes laudatives, les revues bien pensantes publient ses inédits et les librairies s'honorent d'étaler ses œuvres aux côtés de cette littérature pieuse qu'il abominait. Quelques critiques se sont inclinés devant la tombe du désespéré et ce tardif hommage fut un baume au cœur de ses dévots. Car il eut - et la mort en a suscité - des fidèles, des fanatiques. Ces « furieux qui recueillent jusqu'à ses raclures » ne distinguent pas l'homme de l'œuvre. La page et le trait ignorés leur sont d'identiques sujets d'émerveillement. Sans jalousie, ils s'empressent à partager le trésor immense qu'ils viennent de découvrir. L'analyse ou la glose leur semble oiseuse qui n'est pas un hymne à la gloire du Maître, car ils l'aiment comme Montaigne aimait Paris « jusques à ses verrues et à ses taches ».

Ils ont raison.

Bloy ne témoignait pas une intelligence remarquable : ses écrits ne sont que l'expression géniale de sentiments exaspérés. On les partage, on les refuse, pourquoi les discuter ? Que ne se laisse-t-on plutôt écraser par la puissance du style ! Sa phrase est une princesse barbare qu'il vêt amoureusement. Une couleur frénétique, une coupe rude déparent quelques fois la somptuosité de la robe, mais de rares joyaux l'illuminent : la majesté de l'ensemble terrasse et saisit. D'autres moments, la parure est simple, élyséenne ; l'anathème fulgurant fait place à la tendresse, à l'infinie suavité et la dominatrice n'a plus que des yeux immenses et doux dont le regard perce les cœurs...

Depuis des années, on attendait cette édition nouvelle du « Sang du Pauvre », sommaire de la doctrine de Léon Bloy, cri de douleur devant la misère sociale, sanglot d'un Pauvre devant le mal du monde. Les jeunes gens d'aujourd'hui traduisent peu leurs sentiments mais beaucoup seront émus, profondément, à la lecture de tels chapitres sur « les débarqués de Cythère », « le système de la sueur », « le Désir des pauvres ».

Puis, après ce livre de déchirement, ils ouvriront avec piété les « Lettres à sa fiancée » qui sont bien la plus magnifique expression de l'amour chrétien. Cette tendresse passionnée, cet amour dont son cœur débordait et que guide une entière confiance en Dieu leur apparaîtra dans la plénitude de sa beauté. Et la gratitude sera grande qu'ils auront pour l'Inspiratrice de ces pages sublimes, la Compagne qui rend témoignage à Léon Bloy, depuis qu'il a franchi la Porte des Humbles.

Jacques Marlande

 

Novembre

 

Compte rendu signé Robert Denoël paru dans Liège-Universitaire du 24 novembre, où il figure en page 1, col. c. Odilon-Jean Périer est né à Bruxelles le 9 mars 1901, et mort dans la même ville le 22 février 1928. Notre Mère la ville est son troisième recueil de poèmes, publié par une maison d’édition qui est aussi une revue, à laquelle Denoël collaborera en 1925.


Notre Mère la ville. Poèmes d’O.-Jean Périer (Ed. du Disque Vert)

Les Muses sont personnes discrètes. Elles n'aiment point le bruit, ni qu'on en fasse autour de ceux qu'elles visitent. Pourtant la parade est nécessaire qui aguiche les gens distraits des choses de l'Art par les exigences quotidiennes. Voilà pourquoi je veux dire mon sentiment au sujet des poèmes d'Odilon-Jean Périer.

En Belgique, plusieurs poètes ont traduit les émotions ressenties au contact de leur ville ou de leur province : Rodenbach, Verhaeren...

Odilon-Jean Périer a vécu en Flandre et à Bruxelles. Il a jeté des regards précis à ses alentours puis s'est examiné. Et voici qu'il nous apporte aujourd'hui une corbeille de fruits savoureux.

Sa Muse l'a guidé, belle fille et fraîche, à la peau dorée, aux yeux de pensée et d'amour, parée des grâces de la jeunesse.

Odilon-Jean Périer ne fréquente pas chez les déesses périmées :

J'enferme les vieilles muses

Car ces filles ont des ruses

Terribles et sans beauté.

Surtout n'allez pas croire que l'harmonie de ses vers soit troublée par des bruits de clackson [sic], des rumeurs de jazz-band ou d'ondes hertziennes. Notre poète distingue fort bien la substance d'avec l'accident. Même il ne craint pas d'enfermer sa pensée, parfois profonde, intéressante toujours, dans le souple contour d'une élégie. Je ne puis me défendre de lui donner raison quand il écrit :


Vais-je fendre seul enfin

Muse, un hiver si tragique ?

Non ! rends-moi comme du vin

Tes baisers philosophiques !

Viens encore à mon secours.

Et je ne goûte pas moins le soupçon d'amertume qui se glisse dans cette exaltation de la vie animale :

Il faut mettre au vert notre poétique

Ne te grise plus de métaphysique

Laisse épanouir ton corps triomphant.

Tout s'arrangera si tu es bien ivre !

Muse des taillis qui te ris de mes livres

Allons dans les bois te faire un enfant.

Ce n'est là qu'une partie du livre. Odilon-Jean Périer s'est mis à chérir Bruxelles en fils pieux, qui ne se soucie pas de la beauté de sa mère. Peut-être qu'il l'aime mieux pour son médiocre visage. Suavité de ces accents et combien personnels !

Non, cette récolte n'est point hâtive, Odilon-Jean Périer, mais précieuse où souvent nous trouvons, allié à la verdeur de la jeunesse,

L'équilibre sans fin d'un poème achevé.

Robert Denoël

Décembre

 

« Chronique des revues ». Article signé Jacques Cormier paru dans Créer, n° 4, décembre 1922, pp. 133-134. L'ultime phrase de l'article concerne « Louise », la nouvelle que Denoël a publiée en octobre dans le n° 3 de Créer sous le pseudonyme de Jacques Marlande.

Les Marges (nov.) - M. René Martineau continue l'intéressante série des souvenirs sur Léon Bloy. L'auteur d'Un Vivant et deux Morts ne va-t-il pas réunir quelque jour ces curieuses anecdotes ?

Réalisant le vœu de Verlaine, M. Paul Souchon nous dit les torts de la rime et même se déclare partisan de sa suppression. Ainsi, ajoute-t-il, la poésie remplacera l' « Art des vers ». Plaidoyer pro domo extrait de la préface d'un livre de vers à paraître : « Nostalgie ». - ¶ La Vie (n° 19).- Réponse à l'enquête sur les « Harmonies ». Mmes Judith Cladel et Delarue-Mardrus donnent de curieux détails sur leur lingerie intime. - ¶ Le Disque Vert vient de mourir à l'âge de six numéros. Victime de la situation économique. Avant de disparaître, il s'est uni à la Lanterne sourde et de cette union féconde naissent les Ecrits du Nord, que nous attendons avec confiance. - ¶ La Revue sincère (n° 1).- Encore une naissance. M. Debatty, soutenu par M. Jadot, fonde cette tribune pour « démasquer les fausses gloires » et « pour faire connaître au peuple belge ce qu'il ignore le plus : sa colonie et sa littérature ». Entreprise louable. Pourquoi faut-il que, dans ce premier numéro, à côté d'un article sur les plagiats de M. de Wiart (le premier de la série ne manquait pas d'intérêt...) et l'étude de M. Jadot, on ne trouve que poèmes médiocres, roman pénible et plaisanteries de séminariste ? - ¶ L'Œuf dur (n° 11). - Voilà une revue sans prétentions dont on lit toutes les lignes. Relevons pourtant : « Anna à Waldighoffen » de Robert Honnert, « Deux romans », de Mathias Lübeck, et une recommandation si joyeusement rosse de M. Francis Gérard à propos d'un livre de M. Léon Baranger : « A la Terrasse ». - ¶ Intentions (nov.) - MM. Benjamin Crémieux, Du Bos, Giraudoux, Paul Morand, Jules Romains et quelques autres de ses amis moins illustres, couronnent de roses - pas artificielles du tout - le front chaud de M. Valéry Larbaud. Nos lecteurs savent assez combien nous est cher l'auteur de A.O. Barnabooth pour que l'insistance soit utile. - ¶ La Flamme (oct.) - Revue juvénile à laquelle M. Louis Thomas envoie d'exquis « Petits portraits » : « Lycas est bel et bête ; bel, on le lui a dit ; bête, on le lui dira. » En attendant, il écrit des vers dans la manière des poètes les plus accrédités de ce temps. - ¶ Montparnasse (oct.) - Un article bien documenté de M. Géo Charles : « La Vie littéraire en Belgique ». Dans le numéro de novembre, M. Marcel Hiver joue son petit Léon Bloy. Il en a la grossièreté et, soyons justes, un peu la verve.Le génie viendra-t-il ? - ¶ Images de Paris - « D'une poétique du vers libre », de M. Robert Boudry. -  ¶ Aujourd'hui - de M. André Baillon : N. I. Fini. - ¶ Le Bon Plaisir (nov.) - « Chef-lieu de canton », poèmes fantaisistes de M. Joseph Latgé et une excellente étude de M. André J. Bounac, sur M. Gabriel Soulages. - ¶ Le Prisme - « A. Donnay », du Père Hugues Lecocq. - La Revue d'aujourd'hui - Der Sturm - Rythme et synthèse - Lumière - Vie des Lettres - Monde Nouveau - Choses de Théâtre - Vie universitaire - Carnet critique - Die Aktion - Der Querschnitt - Grammata - Het Fransche boek - La Nervie. - ¶ Créer (n° 3), p. 78... « ferme un œil et se frotte le bas de sa joue, etc... » L'auteur affirme son innocence.

Jacques Cormier