Robert Denoël, éditeur

Denoël dans la presse

1935

 

5 janvier

 

La Revue apologétique était un mensuel dirigé, depuis 1921, par le cardinal Jean Verdier [1864-1940] et qui disparut en janvier 1939. L'article sur L'Anthologie sonore est dû au musicologue André Charlier [1895-1971], qui lui en a consacré un second le 5 novembre [voir plus bas] Ma notice sur L'Anthologie sonore est à l'article du 15 mars.

 

 

 

15 mars

 

La Revue de Paris est une revue bimensuelle consacrée à la littérature et aux arts dont l’origine remonte à 1894. Les éditeurs Denoël et Steele y passaient régulièrement des annonces pour les livres qu’ils publiaient. Le 15 mars 1935, André Cœuroy [Dijon 24 février 1891 - Chaumont 8 novembre 1976], excellent musicologue et rédacteur en chef de la Revue Musicale - dont Robert Denoël publiera en 1942 une Histoire générale du jazz - a consacré une bonne partie de sa chronique musicale à L’Anthologie sonore, maison créée au cours de l’automne 1934 par Bernard Steele, avec le concours d’un disquaire parisien, Maurice Dalloz, et spécialisée dans l’édition de disques de musique ancienne et classique au 106 du boulevard Montparnasse. C'est une entreprise de qualité où Denoël n'intervient que dans la mesure où un bureau de sa maison d'édition lui a été dévolu : c'est Bernard Steele qui en est le seul promoteur.

 

« Chronique des disques »

 

L'an dernier, au début du même article panoramique, nous n'étions pas trop enthousiastes sur l'avenir du disque d'art (le disque commercial pour guinguettes, table d'hôte et autres lieux, où souffle, comme un phoque, l'esprit de Gaudissart, demeurant le pourvoyeur en deniers des grandes firmes éditrices). Cette année-ci, le ton peut changer. On assiste à une renaissance du disque d'art.

M. Bernard Steele a fondé (avec le concours du meilleur disquaire de Paris, Maurice Dalloz, dont la boutique du boulevard Montparnasse joue à peu près le même rôle dans la vie du disque que la boutique de Léon Vanier dans la vie poétique au temps de Verlaine), L'Anthologie sonore, recueil de musiques anciennes, rares et caractéristiques, enregistrées sous la direction du professeur Curt Sachs, bien connu des musicologues par le cours qu'il professait et les livres qu'il publiait à Berlin sur les instruments européens et exotiques.

Les nouveaux éditeurs raisonnent ainsi, non sans clairvoyance : il existe, à côté du grand public, un certain nombre d'amateurs de disques soucieux de découvrir des contrées musicales peu fréquentées, et unanimes à déplorer que des chefs-d'œuvre de la musique ancienne dorment, par centaines, dans les bibliothèques et les conservatoires. Il n'existe, en effet, que peu d'enregistrements de la musique de chambre et de la musique d'orgue de François Couperin le Grand. Les amateurs connaissent de splendides pièces de Chambonnières, de Claude Gervaise, de Marchand, de Blavet, de Clérambault - pour ne citer que ces noms - dont on attend encore l'impression sur cire. Les clavecinistes français, anglais, italiens et allemands, les maîtres de chapelle de la Renaissance ainsi que les compositeurs lyriques du XVIe et du XVIIe siècle ont laissé des œuvres de haute valeur pour qui le grand public n'éprouvera jamais qu'indifférence, mais qui n'en méritent pas moins les honneurs de l'enregistrement. Et le cas est le même pour la musique liturgique du moyen âge, les madrigaux, les danseries populaires, les réserves merveilleuses que recèlent les tablatures des luthistes tels que Mouton, les Gauthier, Milan, Corbett, etc.

C'est pour combler des lacunes si nombreuses et si importantes que quelques musiciens et musicologues se sont groupés et ont fondé la Société L'Anthologie sonore. Celle-ci se propose d'assumer le rôle largement éducateur que les grandes firmes d'édition de disques ne peuvent, ou ne veulent jouer que par intermittence et sans plan concerté.

Si les discophiles sérieux sont en petit nombre, ils constituent, par contre, une élite solide et fidèle. C'est pour elle que L'Anthologie sonore va éditer chaque année une série de vingt disques double-face, grand format. Les œuvres enregistrées font partie d'un ensemble qui constituera, lorsque la collection sera complète, une synthèse de la musique depuis le moyen âge jusqu'au début du XIXe siècle. D'autre part, cette Anthologie sonore illustrera, d'une façon vivante, une « Histoire de la musique », qui sera ultérieurement rédigée.

Le programme des enregistrements a été établi grâce au concours de musicologues et de musicographes qui, en dehors du choix des œuvres, se sont attachés à vérifier l'authenticité des textes et à respecter, dans la mesure où des indications précises le permettent, l'instrumentation originale. Aucune licence, aucun arrangement n'ont été tolérés et la collection offre ainsi les garanties les plus certaines d'exactitude et de fidélité.

Chaque disque est accompagné d'une courte notice sur l'auteur et sur l’œuvre enregistrée. Le choix des instrumentistes et des interprètes a été fait avec le plus grand soin, en tenant compte à la fois de la valeur artistique et des connaissances spéciales de chacun d'eux. Les enregistrements sont exécutés sous un contrôle rigoureux, dans un studio qui possède un équipement électrique moderne.

Le programme de travail pour la période octobre 1934 - août 1935 est le suivant :

XIVe siècle : Madrigaux et ballades florentins (chant homme avec accompagnement de viole). Danceries populaires (chalumeau et tambour).

XVe siècle : Un choral, de Josquin Desprez. Romances espagnoles (chant pour homme sans accompagnement).

XVIe siècle : Le Psaultier huguenot, de Goudimel. Ricercare, de Gabrieli (orgue). Toccate pour orgue, de Frescobaldi. Pièces pour virginal, de Gibbons. Pièces pour virginal, de John Bull. Chansons françaises (pour voix de femme). Les Cris de Paris et Le Chant des Oyseaux, de Jannequin, par l'admirable Chanterie de la Renaissance fondée et dirigée par notre cher Henry Expert. Airs (pour deux flûtes à bec et violes), de Claude Gervaise.

XVIIe et XVIIIe siècles : Le Pendant d'oreille et La Noce d'Auteuil (clavecin), de Dornel. Tombeau en forme d'Allemande (clavecin), de Geoffroy. Duo, de Biber (pour violes d'amour). Sonate, de Blavet (pour flûte et clavecin). Pièce pour orgue, de Pachelbel. Sonate biblique, de Kuhnau, pour clavicorde. Pièces pour guitare, de Robert de Visée. Pièces pour guitare, de Fr. Campion. Cortège et airs de danse, pour cuivres, de Pezel. Quatrième Concert royal (quatuor et clavecin), de François Couperin. Sonate, de Haendel, pour hautbois et clavecin.

Beau programme dont la réalisation est déjà commencée. Deux disques ont déjà paru, remarquablement enregistrés, remarquablement musicaux. Ce sont d'abord des chants italiens du XIVe siècle. Sur la face A de ce premier disque on trouve lta se n'era, de Vincenzo da Rimini (publié par Johannes Wolff dans sa Geschichte der Mensuralnotation) et Io son un pellegrin, de Giovanni da Cascia, dit de Florence (réalisé en notation moderne par Rudolf von Ficker). Sur la face B un chant de Noël, Gloria in cielo, d'un auteur inconnu, publié par G. Adler dans son Handbuch der Musikgeschichte, et réalisé en notation moderne par Fr. Ludwig, ainsi que 0 celestial lume, de Bartolomeo Brolo, notation moderne de Stainer d'après l'ouvrage capital Early Bodleian Music.

Dans la technique de présentation, on note un souci presque touchant d'assurer à l'auditeur, même malgré lui, l'audition la plus rationnelle. L'éditeur a jugé opportun de séparer les différentes œuvres enregistrées sur une même face du disque par une petite plage, sans sillon de raccord. Une telle disposition oblige l'auditeur à avancer le diaphragme de son phonographe entre chaque morceau. En voici la raison : les œuvres enregistrées sont souvent chantées dans des tonalités fort éloignées ; si l'on écoutait ces morceaux les uns à la suite des autres, sans interruption, l'auditeur éprouverait une sensation de heurt incompatible avec une bonne audition. Et voilà qui est fort bien jugé. C'est à notre connaissance la première fois qu'un directeur de collection phonographique prend un tel souci de la joie musicale bien comprise. Il n'a pas tort, car, malgré leurs origines populaires, les Ballades qui composent la face A du disque ne sont pas du tout des chansons du peuple. « Bien au contraire, elles sont nées des divertissements de la société raffinée du Trecento, tels que Boccace les a peints dans son Décaméron. »

Le second disque publié est consacré à la Musique municipale allemande de la fin du XVIIe siècle. On sait qu'à cette époque, dans cette patrie des « cuivres » qu'était l'Allemagne, les trompettes formaient des corporations nobles jouissant de privilèges impériaux. La moindre bourgade avait son groupe de trombones et de cornets à bouquin. On les appelait Stadtpfeifer.Trois fois par jour, aux angélus, ils jouaient un choral du haut du clocher. A midi, c'était un concert de musique profane au sommet de la tour de l'hôtel de ville. Ils accompagnaient - voir les Maîtres Chanteurs - les cérémonies officielles, les cortèges de confréries et de métiers, les mariages bourgeois. Johann Pezel, plus connu des amateurs éclairés sous le. nom de Pezold, a publié en 1685 un recueil de musique à 5 voix pour cuivres, sous le titre archaïsant de Fünffstimmigte blasende Musik, pièces qu'il avait été amené à composer en tant que Stadtpfeifer à Leipzig, puis à Bautzen.

La face A du disque donne une Intrade en style fugué et une Allemande (déjà transformée à cette époque en marche solennelle non dansée). Sur la face B figurent une Courante, une Allemande (dont Wagner semble s'être inspiré dans les Meistersinger) et une Gigue. Des soucis techniques de présentation ont, ici également, guidé l'éditeur. La face B de ce disque présentait des difficultés d'enregistrement presque insurmontables. En effet, la rapidité du mouvement et la tessiture particulièrement aiguë des parties de cornet exigent des exécutants un véritable tour de force. Aussi a-t-il été indispensable de faire une coupure entre la deuxième Allemande et la Gigue, car il était physiquement impossible de jouer, sans repos, les trois morceaux les uns à la suite des autres.

Ainsi inaugurée, L'Anthologie sonore ne peut que rendre service à la musique et à la discophilie tout ensemble. Si le succès répond à son effort, peut-être verra-t-on se créer - les temps sont durs - des associations d'amateurs achetant en commun des disques comme ceux-là et se réunissant périodiquement pour les entendre.

André Coeuroy

 

28 mars

 

Le Figaro,  28 mars 1935

 

1er  septembre

 

Article signé René Barjavel paru dans Le Progrès de l'Allier sous la rubrique « Vichy ». C'est le compte rendu de la conférence [« Les auteurs et leurs éditeurs »] prononcée à Vichy par Robert Denoël le samedi 31 août, et annoncée le 30 août par Barjavel dans le même journal [voir Interviews].

 

« La conférence de Robert Denoël »

Ce fut un régal de l'esprit. Devant un public choisi Denoël traita des rapports des gens de lettres et de leurs éditeurs à travers les âges. C'était un sujet qui, par sa nature même, prêtait à l'aridité, de même que les vieux livres prêtent asile à une respectueuse poussière. Mais si Robert Denoël est un érudit, s'il possède une culture étonnement étendue dans le temps et dans l'espace, il possède aussi, et avant tout, un esprit jeune.

Ce qui lui permit non seulement de secouer la dite poussière, mais de si bien redonner les couleurs de la vie aux êtres dont il évoquait l'existence et les œuvres, que ses auditeurs eurent l'impression de visiter avec lui quelque étrange pays dont les habitants, miraculeusement ressuscités du fond des âges, maniaient tous la plume ou la presse.

Il s'étendit longuement sur la carrière de Christophe Plantin, le grand imprimeur anversois, qui fut le premier à donner à l'édition une importance quasi industrielle, tout en l'élevant, par la qualité, au premier rang des beaux-arts. Puis, s'arrêtant plus ou moins aux tournants des siècles, il marqua au moyen d'exemples pris parmi les vies les plus illustres ou les plus obscures du monde des lettres et de la librairie, l'évolution des conditions d'existence des écrivains, et des hommes qui répandaient leurs œuvres parmi le public.

Il en arriva aux grands éditeurs modernes, dont il ne parla d'ailleurs que discrètement. Mais ce lui fut l'occasion de nous lire quelques pages extrêmement lucides et spirituelles sur la mentalité de l'artiste. Espérons que Denoël aura un jour l'idée d'éditer cette conférence car elle contient des passages, tel celui que nous évoquons, et tel autre sur la maison de Plantin, qui sont de véritables morceaux d'anthologie.

En effet, s'il nous est difficile de résumer une telle conférence, qui échappe à l'analyse par sa richesse même, nous avons joie à insister ici sur la pureté de la langue employée par Denoël. Trop d'orateurs ont l'habitude de négliger leur style, la parole permettant d'escamoter toutes sortes de faiblesses. Ce nous fut une raison particulière de savourer, comme un mets rare, le français de substantifique moelle que nous servit le jeune et grand éditeur parisien.

Il le servit d'ailleurs avec grande aisance et de si agréable façon qu'après les unanimes applaudissements, un auditeur lui déclara : - Monsieur, vous avez été bref... Nous n'ajouterons rien à cette courte phrase, le plus beau compliment qu'on puisse adresser à un conférencier.

René Barjavel

 

5 novembre

 

La Revue apologétique a publié, sous la plume d'André Charlier, un premier article sur L'Anthologie sonore : voir à la date du 5 janvier, ci-dessus.