Robert Denoël, éditeur

Denoël dans la presse

1943

 

Janvier

 

Echo paru dans L'Ouest-Eclair (Rennes) du 23 janvier 1943 :

 

 

12 mars

 

 

Article signé Henri Poulain paru dans Je Suis Partout, rubrique « En parlant de leurs livres », sous le titre : « Dans l'arche de René Barjavel, promoteur paisible des déluges » , à propos de la publication chez Denoël de Ravage, le premier roman de l'auteur.

Montherlant a raconté qu'un ecclésiastique attribuait la survivance de l'institution du mariage au fait que les hommes seraient généralement privés d'une qualité précieuse que le curé nommait : le sens de la catastrophe. Ne retenons que le mot et seulement pour la commodité, d'autant qu'en la matière, brille l'axiome définitif et charmant de l'Irlandais Georges Moore : « La femme est l'occupation sérieuse de l'homme ».

Si donc, par son récent roman Ravage, René Barjavel démontre qu'il compte parmi les princes dotés de ce fameux sixième sens, beaucoup de ses lecteurs sentiront naître ou grandir en eux la mystérieuse attirance vers la catastrophe, tandis qu'à dévorer l'évocation de Paris de l'an 2052, les dames sensibles connaîtront le petit frisson, celui de la peur, aussi celui de la curiosité plus forte que la crainte.

Ravage rajeunit le genre difficile du roman fantastique et c'est une histoire aussi terrible que savoureuse, menée à grand train par un auteur très à l'aise dans les visions d'Apocalypse. René Barjavel me dira :

- Quelques-uns m'ont déjà traité de nécrophile et je pense en effet que, pour des esprits imperméables à l'humour, mon bouquin doit paraître macabre. Je confesse que souvent les romans psychologiques m'ennuient, que j'ai horreur des coliques sentimentales en trois cents pages qui me font toujours penser à des traces de mouches sur du carreau dépoli. J'ai la passion de l'épopée, vigoureuse, violente, et la Chanson de Roland, avec ses cruautés ou ses buissons d'épines sortant du ventre des cadavres sarrasins, me passionne plus que les coupeurs de cheveux en quatre.

La déclaration a le mérite de la netteté et rien depuis Rabelais ne vaut les histoires extraordinaires pour mener les malades vers la guérison. D'ailleurs, à la première page de son roman, René Barjavel a décrit en exergue le mot malin de Céline : « L'avenir, c'est pas une plaisanterie. »

L'auteur de Ravage a donc imaginé pour le prochain siècle le parfait triomphe du machinisme, où l'usine fabrique la viande, les céréales et le lait, celui-ci transporté jusque dans les cuisines, au même titre que l'eau chaude. Les villes ont grossi comme des champignons géants et dévoré la campagne. A l'autre bout du monde, un empereur nègre a succédé depuis des lustres au dernier rejeton blanchâtre des Roosevelt.

Que voulez-vous ? le temps est largement dépassé où, selon Céline, les noirs de New-York iront voir danser les survivants blancs dans leur quartier réservé de Harlem, nous sommes en l'an 2052. La guerre va éclater, mais voici que tout à coup l'électricité cesse de se manifester, la nuit envahit la terre. Les avions s'écrasent sur les villes, les trains déraillent, les moteurs s'arrêtent. La loi de la jungle reprend ses droits.

En quelques pages, René Barjavel a posé toutes les données de l'aventure et le lecteur le plus rétif se voit contraint d'avouer « qu'il croit parce que ce n'est pas absurde ». Après quoi, Ravage vous permet de faire connaissance avec le choléra, l'incendie et l'exode revu et perfectionné. La grande terreur de l'an mille n'était rien auprès de l'odyssée promise à François Deschamps, à Blanche, vedette de Radio-300, et à leurs compagnons, parmi lesquels des gardes nationaux promis - est-ce hasard ? - l'un après l'autre au massacre.

Bien entendu, l'auteur de ce déluge de fer et de feu promène dans la vie un calme souriant, teinté de nonchalance, mais méfions-nous, les Dauphinois sont gens rusés. Taillé en hercule, brun, osseux, le cheveu broussailleux et noir, René Barjavel me regarde avec des yeux d'Albigeois. Ce fabricant de cataclysme pour citoyens de l'année 2052 ressemble à un homme de l'an 1572, à la rougeoyante enseigne de la Saint-Barthélémy.

Trente ans, simple, extrêmement sympathique, l'auteur de Ravage exerce le métier de chef de fabrication chez l'éditeur Robert Denoël. Toute la journée, il brasse le papier, le carton, les épreuves d'imprimerie ; d'un manuscrit accepté, il fait un livre, de sorte que Barjavel est, si on peut dire, le père temporel d'un certain nombre d'ouvrages de poids, de Bagatelles pour un massacre aux Décombres.

- Les heures de travail ne font rien à l'affaire, sourit Barjavel, mais Ravage a tout de même été écrit chaque matin, de 5 Heures à 7 heures. Remarquez que, dans le fantastique, je n'ai rien inventé : le wagon de verre existe, la culture des plantes se pratique en usine, la viande se fabrique au laboratoire. J'ai seulement poussé l'expérience jusqu'à l'absolu ; il y a eu aussi l'an passé des troubles électriques le long de l'Equateur et j'ai supposé Le Corbusier au pouvoir.

Là se bornaient à peu près les confidences du jeune romancier sur son œuvre. Je lui ai reproché l'emploi au XXIème siècle de l'anachronique bicyclette.

- J'en avais besoin pour mon exode, a-t-il répliqué gentiment.

Nous aurions pu aussi bien recommencer la vieille querelle sur le bitume et la glèbe puisque Ravage s'achève sur le tableau d'une vie paysanne, idyllique, patriarcale, polygame et dorée, mais René Barjavel parle si bien de sa province natale.

- Je suis né à Nyons dans la Drôme, raconte-t-il, au coeur d'une vallée couverte d'oliviers, avec alentour de hauts rochers et des grottes où, enfants, nous allions à la chasse aux chauve-souris. Je ris un brin quand je pense qu'entre deux fournées de pain, mon boulanger de père va peut-être lire mon premier roman !

Barjavel ajoutait aussi comme pour répondre à mon vœu secret :

- J'aime la campagne dauphinoise quand je suis à Paris et je lorgne la ville dès que j'ai débarqué à Nyons.

Le romancier de Ravage trompe-t-il par d'imaginaires voyages cosmiques sa fringale de départs ? Un de ses frères, capitaine au long cours, est maltraité depuis un an dans les geôles britanniques d'Afrique du Sud pour avoir voulu couler son bateau attaqué par des patrouilleurs de Sa Majesté. Lui-même fut zouave et caporal d'ordinaire à la première division de tirailleurs marocains.

Le livre de René Barjavel obtiendra, sans aucun doute, le plus vif succès. Les débuts de son auteur dans les lettres sont si curieux qu'il faut les résumer ici.

- Avant ma bienheureuse rencontre avec Robert Denoël, dit Barjavel, j'ai sommeillé cinq mois dans les bureaux d'une banque, puis j'ai été à Vichy démarcheur pour la vente et la location d'immeubles, mais un jour que j'avais laissé une traite impayée entre les mains du débiteur, mon patron, à ma grande surprise, me flanqua à la porte. J'entrai alors au Progrès de l'Allier, correspondant à Vichy et chargé de divertir pendant la saison les plus riches hépatiques du continent. En même temps je faisais partie d'une compagnie de comédiens amateurs spécialisée surtout dans Labiche et François Coppée. Un beau jour de 1935, Denoël vint faire une conférence à Vichy, j'étais chargé de le présenter au public, nous avons bavardé toute la nuit et à l'aube mon patron d'aujourd'hui m'offrait de travailler chez lui.

Tandis que je prenais congé, l'auteur de Ravage me glissait à l'oreille :

- Il y a longtemps que Vichy est une étrange cité, pleine de Sociétés abracadabrantes. Songez qu'il existe une "Société des Vichyssois de Vichy " et une " Société des corniauds de Vichy " ’».

Décidément, Ravage, qui sait distraire, nous aura de surcroît appris des choses dignes de réflexion.

Henri Poulain

 

28 mai

 

Ciné-Mondial,  28 mai 1943

 

3 septembre

 

Article signé Lucien De Meyer paru dans le magazine féminin crypto rexiste bruxellois Elle et Lui consacré à quelques Belges de Paris. Le journaliste retrace la carrière « fulgurante » de Robert Denoël, depuis L'Ane d'or (1928) jusqu'aux nouvelles publications de luxe : L'Hôtel du Nord illustré par Rémy Hétreau, Les Marais illustré par l'auteur, Charme de Paris illustré par Touchagues. Cet article rare est dû à la bienveillance de Michel Fincoeur.

    

 

Né à Uccle. Robert Denoël fait à Liège des études dont la multiplicité - philo-lettres-droit-médecine - enrichira plus tard son activité professionnelle. Débuts à La Gazette de Liége. Simenon y rédige, au fixe, le quotidien « Billet de Monsieur Lecoq ». Robert Denoël y fait, lui, à la ligne, le compte rendu des conférences des « Amitiés françaises », la critique dramatique du
« Pavillon de Flore » et autres théâtres secondaires (le rédacteur en chef se réservant bien sûr les théâtres principaux), les inaugurations de monuments aux morts, les résumés de discours politiques. Poussé par la curiosité et l'amour des lettres, il débarque à Paris et installe une librairie. Comme il a le tempérament créateur, et que l'édition de luxe ne demande pas beaucoup de papier, c'est par là qu'il commence : il tire à 1.530 exemplaires (1) L'Ane d'Or d'Apulée. Trouvant de l'argent, il évolue dans un sens plus large : Hôtel du Nord, le premier roman d'Eugène Dabit, connaît un succès énorme, est traduit dans toutes les langues. Editeur et auteur prennent ensemble un beau départ.

Depuis Hôtel du Nord, Robert Denoël, la quarantaine à peine tournée, a publié 500 volumes (2) en restant fidèle à son point de vue initial : au lieu d'éditer les fonds de tiroir de gens célèbres, il lance les écrivains peu connus, voire inconnus, il les lance très exactement ! Les uns vers la célébrité, les autres vers la gloire. Qu'il suffise de citer parmi ses nombreux auteurs : Philippe Hériat, L.-F. Céline, l'Ardennais Jean Rogissart, Louise Hervieu, Robert Poulet, Albert Paraz, et récemment Giulbert Dupé (3), Paul Vialar, René Barjavel (4), Jean Proal, tous ceux-là romanciers. Il s'intéresse aussi à la psychanalyse (docteurs de Saussure, Laforgue, René Allendy), à l'art (Le Corbusier (5), André Lhote, Pierre du Colombier), aux grands maîtres de la pensée religieuse, aux enfants, pour qui il crée « La Bibliothèque merveilleuse », « La Clef des Champs », « La Fleur de France », tout cela, hélas et bien entendu, épuisé pour le moment (6).

Et voilà que le papier manque ! Comme au temps de L'Ane d'Or, Denoël s'oriente vers l'édition de grand luxe, et cette série nouvelle débute au par Hôtel du Nord, enrichi des illustrations de Hétreau, excellent imagier de la jeune génération (7). Ensuite, ce sera un Touchagues (8), puis Les Marais. C'est un roman que publia naguère chez lui une Belge, petite-fille de Léon Cladel, Dominique Rolin. Or, il se trouve que cette jeune femme est douée d'un stupéfiant talent de dessinateur, très moderne, avec le côté à la fois minutieux et fantastique des vieux peintres flamands. Robert Denoël a par-dessus tout le goût de l'initiative, cela nous vaudra donc une nouvelle révélation, car il lui a confié Les Marais à illustrer (9).

La hardiesse, l'entreprise, la recherche de la qualité, la ténacité, sont certes les dons qui permirent à ce jeune éditeur une si foudroyante réussite.


1. L'ouvrage est tiré à 144 exemplaires numérotés.
2. C'est le chiffre donné par Denoël dans sa brochure publiée en janvier 1939.
3. La Foire aux femmes est paru en mai 1941.
4. A cette date, Barjavel n'a encore rien publié. Roland, le chevalier plus fier que le lion, est sous presse, mais ce n'est pas un roman.
5. Entretien avec les étudiants des écoles d'Architecture paraîtra en août 1943.
6. La collection « La Fleur de France », créée avec succès en mars 1942, s'est arrêtée en décembre, faute de papier.
7. Cette édition de luxe, entreprise dès février 1943, ne verra le jour qu'en mai 1944.
8. Touchagues prépare deux livres illustrés : Femmes et modèles, qui paraîtra en 1944, et Charme de Paris, que Denoël ne verra pas : il fut terminé d'imprimer le 10 décembre 1945.
9. Malgré un achevé d'imprimer du 30 novembre 1943, cette édition de luxe ne sera mise en vente que le 28 juin 1944.

 

15 octobre

 

Article non signé paru dans le journal clandestin Combat, « Organe du mouvement de libération française », qui parut entre décembre 1941 et juillet 1944. Au moment où fut publié cet article, il était dirigé par Claude Bourdet [1909-1996] , qui remplaçait Henri Frenay, parti à Londres. Son équipe de rédaction était composée de Georges Bidault (rédacteur en chef), Pierre-Henri Teitgen, François de Menthon, Albert Camus : c'est donc un organe d'obédience gaulliste.