Robert Denoël, éditeur

Brimborions

 

J'ai toujours eu un faible pour ce mot curieux qui désigne un objet de peu de valeur, ou un petit fait sans importance. L'imprimeur liégeois Pierre Aelberts l'a utilisé durant trente ans pour sa collection de brochures bibliophiliques qui, une fois réunies, constituent un bel hommage à la littérature française.

Les témoignages qui suivent ont été recueillis un peu partout, dans les livres, dans la presse, dans les lettres qui m'étaient adressées. Ils peuvent aussi, mis bout à bout, aider à recomposer le portrait d'un homme qui a tout sacrifié à son métier d'éditeur et à la littérature française.

 

*

 

Béatrice Appia

 

Fille d'un pasteur protestant, elle était née le 3 décembre 1899 à Eaux-Vives, près de Genève. Inscrite à l'Académie de la Grande Chaumière à Montparnasse, elle y rencontre en 1922 Eugène Dabit, qu'elle épouse deux ans plus tard, acquérant ainsi la nationalité française. Expose en 1926 à la Galerie Champigny, où elle fait la connaissance de Robert Denoël, et en février 1929 aux Trois Magots, avenue La Bourdonnais. La même année elle illustre de gouaches Le Grand Vent, un livre de Champigny publié à la Librairie des Trois Magots.

Après la mort inattendue de Dabit, elle rencontre à Conakry Louis Blacher [1883-1960], gouverneur de la Guinée française, qu'elle épouse en octobre 1938.

Ses derniers rapports avec Robert Denoël eurent lieu au palais de justice de Paris : en avril 1944, l'éditeur avait, sans autorisation, vendu à l'hebdomadaire Germinal le droit de rééditer en feuilleton L'Hôtel du Nord. Le juge des référés fit arrêter la publication et condamna les Editions Denoël à lui verser 25 000 francs de dommages et intérêts. Béatrice Appia est morte à Versailles, le 30 septembre 1998.

 

[...] Dabit a connu Denoël à la Galerie Champigny quand cette dernière, après quelques années de grands succès, le mien, celui des jeunes peintres dont elle exposait les toiles : Caillard, Klein, Desnoyer, Gabouraud, Krémègne - a commencé une autre vie, qui devint de moins en moins normale. Alors elle eut l’idée de chercher un remplaçant. Denoël frais débarqué de Belgique, poète et littérateur (dont je n’ai jamais rien lu) se présenta.

La galerie s’effondre. Denoël crée les Trois Magots - sans le sou, d’où expédients divers. Puis il veut devenir éditeur. Il a publié un poète (je ne me rappelle plus qui), puis Dabit qui écrivait beaucoup, délaissant la peinture par difficulté de vendre de manière suffisante pour vivre. Il eut envie d’éditer son premier livre valable à compte d’auteur, d’où un contrat qui n’en est pas un, mais où généralement chacun fournissait la moitié.

Denoël, je l’ai connu mais peu fréquenté. Il a joué entièrement la carte allemande. Je l’avais rencontré dans le métro en mai ? 44, je ne me souviens plus. Mais deux jours après, par un torche-cul quelconque, on a vu l’annonce de la publication sous forme de feuilleton de L’Hôtel du Nord.

Or je n’avais pas été sollicitée de donner mon autorisation, et cette publication dangereuse faite sous la protection des Allemands demandait une immédiate réponse par voie de justice en référé, ce qui fut fait. J’avais convoqué la NRF, Paulhan, et bien d’autres amis et écrivains pour assister au palais de Justice à la décision, pour prouver que moi, veuve, je n’avais pas vendu Dabit aux Allemands, et surtout prise en traître etc... Le référé a ordonné la cessation immédiate de publier Dabit en feuilleton dans Germinal dès le prochain numéro. [...]

Champigny est devenue folle, elle a végété à Mézels dans le Lot, et je ne sais quand elle a fini sa vie, mais elle était devenue féroce, méchante, accusant tout le monde de son sort, ou peut-être ne s’en est-elle même plus rendu compte, elle en voulait à tout le monde - et c’est, je pense, à cause de la drogue qu’elle prenait depuis des années.

Lettre à l'auteur, 8 décembre 1979

 

Jean Defraigne

 

Né en 1902 à Liège, condisciple de Robert Denoël au collège Saint-Servais, et voisin des Denoël dans leur première demeure liégeoise.

 

La famille Denoël habitait rue Bois l'Evêque, et la mienne rue des Eburons. Robert était un peu plus jeune que moi et a pourtant été mon condisciple. J'ai commencé la 6e Latine en 1913 et terminé la Rhétorique en 1919 au collège Saint-Servais où toutes les classes étaient dédoublées.

 Il s'ensuit que Robert n'a pas toujours été dans ma classe. Je pourrais même presque dire avec certitude qu'il n'a pas commencé ses humanités à Saint-Servais. Au point de vue études, il devait être un élève moyen et je suis certain que Robert ne montrait pas d'empressement à rédiger ses devoirs à domicile. Après les humanités, nous nous sommes perdus de vue.

Il existait, dans la paroisse Saint-François de Sales, un cercle d'études réservé aux étudiants des humanités, dont nous faisions, entre autres, tous deux partie. A tour de rôle, nous devions y faire une « conférence » sur un sujet parfois religieux, souvent littéraire, parfois même social. Dans le même cercle, nous jouiions des pièces de théâtre que nous appelerions aujourd'hui des « pièces de patronage » et dans lesquelles Robert a tenu son rôle.

Pendant les vacances, nous faisions des excursions pédestres en partant par la rue Mandeville, le pont de Fragnée, le quai du Condroz, pour aller à Sauheid, Embourg, le Sart Tilman, Chèvremont, Ninane, etc.

La famille Denoël était très nombreuse, la mienne nombreuse, et, pendant la guerre 1914-1918, le point de ravitaillement était situé rue du Vieux Mayeur. Puisque rien d'autre n'existait, il fallait louer une charrette à bras chez Bodson, rue des Wallons, et les garçons Denoël aussi bien que Defraigne, allaient avec leurs charrettes chercher leur ration de pain.

Lettre à l'auteur, 20 janvier 1975

 

Lucienne Delforge

 

Pianiste classique [1er mars 1909 - 21 avril 1987], maîtresse de Louis-Ferdinand Céline entre mai 1935 et mars 1936. D'origine juive (ses parents sont inhumés au cimetière israélite de Montrouge), elle s'est convertie au catholicisme durant la guerre.

 

Il est resté seulement dans ma mémoire comme un homme très sympathique, très vivant, ayant un grand don de communication chaleureuse. Le seul détail véritablement intéressant qui m’avait frappée lors d’une rencontre avec d’autres amis était son admiration enthousiaste (que je partageais avec lui) pour Léon Bloy. Il avait donné ce détail qu’encore adolescent il recopiait sur des cahiers d’écolier de très nombreuses pages de cet écrivain tumultueux à la langue si riche et qu’il se promenait dans Paris les poches bourrées de ces trésors - ce qui prouve évidemment cet amour du style et des idées exprimées dans une langue en dehors du commun, qui devait le conduire à sa vocation d’éditeur. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait été accroché dès la première lecture par le manuscrit du Voyage au bout de la nuit de Céline, alors que les autres éditeurs n’avaient pas réagi.

Lettre à l'auteur, 13 février 1980

 

Lucienne Didier

 

Née Lucienne Bauwens à Bruxelles le 16 juin 1912, épouse d’Edouard Didier [1895-1978], directeur des Editions de la Toison d’Or, rue du Musée à Bruxelles. Maîtresse de Henri De Man, Otto Abetz et Emmanuel d’Astier de la Vigerie. La Toison d’Or a co-édité, en 1943 et 1944, sept titres publiés par Robert Denoël.

 

Mon mari est mort l’été dernier. C’est lui dirigeait les Editions de la Toison d’Or, dont je ne m’occupais aucunement sur le plan commercial, administratif ou financier. Je ne pourrais donc vous dire quels arrangements avaient été pris entre lui et Denoël.

Je lisais les manuscrits des romanciers pour aider mon mari dans son choix. Je lui avais conseillé la publication de Guignol’s Band et j’ai personnellement demandé à F. Céline l’autorisation de l’éditer à la Toison d’Or. Je connaissais Céline, que je rencontrais souvent aux réunions qui avaient lieu à Montmartre, le dimanche, chez le peintre Gen Paul, et auxquelles assistait toujours Marcel Aymé.

Lettre à l’auteur, 10 juin 1979

Je ne possède pas les archives de la Toison d’Or, et suppose qu’elles ont été saisies à la Libération. Les livres étaient imprimés à Bruxelles par une petite imprimerie dont le directeur s’appelait Deraeve. Il me semble que Guignol’s Band a été édité la dernière année de la guerre. Mon mari m’avait parlé d’un procédé photographique [offset], si je me souviens bien, pour reproduire économiquement une composition existante. Je ne sais s’il l’a utilisé, soit pour Céline, soit pour une édition populaire de La Vie en forme de proue de Montherlant.

Il est peu probable que Céline ait jamais écrit à mon mari concernant un accord. Céline m’a dit que Denoël s’occupait de tout cela. Il est possible que je retrouve un petit catalogue publicitaire énumérant tous les livres édités par la Toison d’Or. La direction générale de la Sureté nationale en France a procédé en 1946 à une enquête approfondie au sujet de ces ouvrages et de la Toison d’Or, et a remis à mon mari une attestation certifiant « qu’après examen de situation approfondi sur son activité de 1940 à 1945, aucune charge n’a été retenue à son encontre ».

Lettre à l’auteur, 30 juin 1979

Mon mari ne s’est pas présenté en Belgique à la Libération, et cela parce que je considérais que les tribunaux d’exception qui siégeaient à l’époque n’avaient pas qualité pour le condamner ni pour l’absoudre.

En ce qui concerne Denoël, que nous connaissions personnellement, je crois qu’il n’a eu d’autre contact avec les Editions de la Toison d’Or que ceux ayant trait à l’achat du droit d’éditer Guignol’s Band pour la Belgique.

Lettre à l’auteur, 20 janvier 1980

 

Paul Dresse de Lébioles

 

Ecrivain et critique belge, né à Liège le 24 septembre 1901, mort en 1987. Collabora en 1924 aux mêmes revues littéraires liégeoises que Robert Denoël : Créer et Les Cahiers Mosains.

 

Il fut de mes amis mais peu de temps avant de quitter la ville pour vivre à Paris. J’ai cherché dans mes papiers et n’ai rien trouvé qu’une brève note écrite un soir où j’avais passé un moment à Cointe-Sclessin où il habitait chez son père et ses nombreux frères et sœurs. Je ne puis que vous livrer ces quelques lignes : « R. Denoël sait comme Goethe joindre, à la méconnaissance de Dieu, un esprit orgueilleux de son équilibre et une rare bonté envers autrui. Qu’en adviendra-t-il ? ». Vous voyez qu’à cette époque (1924) j’étais loin d’augurer pour lui une fin tragique et, de surcroit, mystérieuse. J’aurais plutôt prévu pour ce garçon sportif une mort accidentelle.

Lettre à l'auteur, 31 juillet 1979

 

Gilbert Dupé

 

Né à Nantes le 30 août 1900, décédé à Cannes le 23 juillet 1986. Romancier, nouvelliste, scénariste, directeur du Théâtre des Nouveautés à Paris de 1944 à 1973. Denoël a édité, entre 1941 et 1944, ses trois premiers romans.

 

J’ai eu des relations très suivies, amicales, avec Robert Denoël, mais je n’ai conservé aucune lettre de lui. Il m’avait fait confiance en acceptant ma Foire aux femmes qui avait été refusé par les grands éditeurs et qui atteignit le tirage de 200 000 exemplaires. Mon contrat prévoyait 15 % pour les droits d’auteur. Il avait traité aux mêmes conditions et en même temps avec Céline pour Voyage au bout de la nuit. J’ai conservé de Denoël le souvenir d’un homme aimable, sérieux, d’un éditeur consciencieux et compétent. Je n’en ai pas rencontré de cette valeur par la suite.

Lettre à l'auteur, 26 mai 1980

 

Erasme Gillard

 

Journaliste à la Gazette de Liége à l'époque [1921-1925] où Victor Moremans, Georges Simenon, et Robert Denoël y écrivaient.

 

Robert Denoël n'a jamais été rédacteur à la Gazette de Liége. Il était pigiste. A ce titre il rendait compte des manifestations estudiantines et des conférences de genres divers. Ces papiers n'étaient pas signés. Il a quitté la Gazette pour gagner Paris.

Lettre à l'auteur, 17 janvier 1975

 

Gerhard Heller

 

Né à Postdam le 8 novembre 1909, mort à Baden-Baden le 29 août 1982. Responsable, durant l’Occupation, de la section littéraire de la Propagandastaffel (52 avenue des Champs-Élysées, puis rue Saint-Dominique). Selon Lucien Rebatet, Heller a été invité chez les Denoël en juin ou juillet 1942, à propos de la parution de ses Décombres, ce qu'il confirme ici.

 

J’ai connu Robert Denoël et j’ai toujours eu beaucoup d’estime pour lui et j’ai admiré son talent d’éditeur, son courage (de publier p.e. Aragon et Elsa Triolet en temps difficiles, à côté de Rebatet). Je l’ai rencontré, j’ai dîné chez lui, on s’est reconnu sans dire un mot ouvert.

Lettre à l'auteur, 25 octobre 1979

 

Robert Kanters

 

Né à Saint-Gilles, près de Bruxelles, le 13 octobre 1910, mort à Paris le 16 octobre 1985. Professeur, critique littéraire, conseiller littéraire des Editions Julliard avant d'être directeur littéraire chez Denoël à partir de 1953. Les bureaux de la rue Amélie qu'il décrit n'avaient pas trop changé depuis la mort de Robert Denoël. La « maison annexe » dont il parle est celle des Editions La Bourdonnais, dirigée avant guerre par son ami Aloys Bataillard, homosexuel comme lui, et la « petite maison de province » celle des Cahiers Libres ayant appartenu à René Laporte, dont Denoël avait racheté le fonds en 1934. Le black-out sur l'esplanade des Invalides n'existait plus en décembre 1945. L'endroit du boulevard où Denoël fut abattu était au contraire bien éclairé.

 

La maison était un petit immeuble vieillot, presque branlant, avec un escalier extérieur, un peu en retrait dans une sorte de passage qui conduisait à un dispensaire d'hygiène sociale tenu par des bonnes sœurs. [...] La fenêtre de mon bureau donnait sur la cour de ce dispensaire, on voyait un grand et bel arbre, on entendait parfois des cris joyeux d'enfants. L'appartement était réservé aux services littéraires, les services de fabrication et les services commerciaux étaient de l'autre côté de la rue, en partie dans une ancienne chapelle luthérienne au petit clocher pointu. [...] Le secrétaire général, installé dans l'immeuble d'en face, était François Nourissier, et le chef de fabrication Dominique Halévy [...]

J’étais donc directeur littéraire d’une maison qui avait un passé lointain glorieux, avec les ouvrages de Céline, de Barjavel, de Rogissart, des romans d’Aragon, et un passé récent difficile. Quand je me suis penché sur les rares dossiers anciens qui subsistaient, j’ai constaté que le fondateur avait parfois pratiqué le compte d’auteur pour faire bouillir sa marmite ou celle d'une maison annexe dont mon ami Aloys Bataillard avait assumé la direction, et qui avait eu un énorme succès avec un mystérieux roman érotique, Prélude charnel, dont on assurait que l'auteur ne s'était jamais manifesté, même pour toucher ses droits, ce qui me valut plus tard des démêlés avec un éditeur marron désireux de faire une réimpression pirate.

Il m'arriva aussi de recevoir des manuscrits d'auteurs d'avant la guerre. Une rapide vérification du contrat qui leur accordait des pourcentages énormes dès le second mille, manière de rembourser des sommes versées sous le manteau, me permettait de savoir qu'il s'agissait bien d'un compte d'auteur. Mais quand je le disais à la victime, elle niait effrontément, elle assurait qu'elle avait été publiée normalement, sans contrepartie. Curieux phénomène d'amnésie par vanité.

On trouvait de tout dans le catalogue, d'excellents titres de Breton et d'Eluard rachetés à une petite maison de province, un court roman de Renée de Brimont qui m'alla droit au cœur, de beaux textes d'Artaud, et aussi les discours de Mussolini et de Hitler...

Malgré la prudence d’un homme qui n’avait pas mis tous ses œufs dans le même panier, Robert Denoël eut des ennuis à la Libération, et il fut assassiné à la faveur du black-out sur l’esplanade des Invalides où sa voiture était tombée en panne, et les assassins ne furent jamais retrouvés. La maison d’édition fut disputée entre sa veuve et sa proche collaboratrice Jean Voilier, ancienne amie très chère de Paul Valéry. C’est elle qui l’emporta et vendit presque tout de suite l’affaire à Gallimard qui y avait installé Philippe Rossignol peu avant moi.

Mme Voilier était une belle femme, intelligente et agréable, je fus invité parfois en tant que critique dans son petit hôtel de la rue de l’Assomption où elle ne détestait pas laisser flotter le souvenir de Paul Valéry, et il m’arriva parfois de faire le lien entre l’ancienne direction et la nouvelle pour essayer de maintenir certains auteurs au catalogue. C’est chez elle que je vis d’abord Malaparte, qui me parut raide et creux.

La maison vivait de quelques succès durables, comme celui de La Grande Meute de Paul Vialar, Torrents de Marie-Anne Desmarest, un Tropique de Miller, alors interdit mais toléré, Kaputt de Malaparte, quelques ouvrages de vulgarisation médicale [...] C'est-à-dire que la maison était déjà, comme beaucoup de maisons d'aujourd'hui, une sorte de Bazar de l'Hôtel de Ville avec de nombreux rayons et ce n'est pas celui de la littérature qui rapportait le plus. Il me sembla qu'il fallait s'accommoder de cette situation : à ne publier que de la littérature pure, on se condamnait à la faillite à brève échéance. Mieux valait donc pour faire bouillir le pot entretenir des collections de meilleure vente, et, bon amateur de romans policiers, je m'intéressai à leur publication [...]

A perte de vue. Souvenirs [Editions du Seuil, 1981]

 

Pierre Laleure

 

Né à Blois le 9 août 1913. Typographe engagé en octobre ou en novembre 1945 aux Editions Denoël, ensuite libraire et éditeur à Ambialet (Tarn). Possédait en 1979 l'unique jeu d'épreuves incomplet de l'édition originale de Scandale aux abysses, composée en avril 1944 chez Denoël mais jamais publiée ; et un manuscrit de Robert Denoël : « Comment j'ai connu et lancé Louis-Ferdinand Céline ». En décembre 1969 il avait offert à la bibliothèque d'Albi un tapuscrit corrigé de Mort à crédit. Le roman de Paul Vialar qu'il mentionne est Belada, éditeur, paru en 1957 chez Cino Del Duca. Pierre Laleure est mort à Albi le 29 mars 1999.

 

Contrairement à ce que vous semblez croire, je n'ai pas fait partie de « l'équipe Denoël » pendant la guerre mais aussitôt après. Au moment où j'y suis entré - fin octobre 1945, autant qu'il m'en souvienne - Denoël avait été écarté de sa maison pour les raisons que vous savez et un administrateur provisoire avait été nommé en la personne de Maximilien Vox. Robert Denoël espérait bien reprendre la direction de son affaire après s'être justifié devant un comité professionnel qui faisait plus ou moins office de tribunal, et il avait gardé toutes sortes de rapports avec ses collaborateurs et la nouvelle administration. En somme il surveillait sa maison sans s'y montrer, et l'on m'avait dit qu'il désirait me connaître : je m'attendais donc à lui être présenté, mais c'est à ce moment-là, une quinzaine de jours il me semble après mon arrivée, qu'il a été assassiné. Je ne l'ai donc jamais vu.

A toutes fins utiles, je vous signale que Paul Vialar, dont les premières œuvres ont paru chez Denoël, a écrit un roman, quelque chose comme « Bada ou Barma éditeur », partiellement inspiré par le personnage de Denoël. Je crois que ce roman a paru chez Flammarion.

Lettre à l'auteur, 3 novembre 1979

 

Valéry Moremans

 

Fils cadet [1927-2009] du journaliste liégeois Victor Moremans, collègue de Robert Denoël à la Gazette de Liége dès 1925. La première visite attestée de son père chez les Denoël est datée du 4 août 1928, alors qu'ils habitent rue du Moulin Vert, avec, pour tout mobilier, des caisses à oranges. La scène de la sonnette a eu lieu rue Amélie, au premier étage de l'immeuble de la maison d'édition, où les Denoël avaient installé leur premier appartement : un an après la création des Editions Denoël et Steele, l'éditeur et sa femme ont déjà du personnel à table et en cuisine, ce qui est confirmé par Jean Proal qui, en février 1932, est invité au même endroit. La visite de Valéry Moremans en 1936 eut lieu rue Charles Floquet, où les Denoël ont habité entre 1933 et 1939, et où une salle de jeux avait été réservée au fils de la maison.

 

Durant cette période faste pour la littérature, papa allait fréquemment à Paris où il avait un point de chute chez un ami français. Par deux fois, il y emmena ma mère qui l'accompagna chez les Denoël et qui fut effrayée de leur dénuement  (cartons et caisses à oranges pour tout meuble...)

Mais la seconde visite la laissa pantoise devant le luxe de leur appartement. Ce qui frappa particulièrement ma pauvre mère, c'est une sonnette que Cécile avait au pied pour appeler le personnel de table. Sauf erreur, c'était en 1931 lors de l'Exposition Coloniale. Maman parlait toujours de cette sonnette quarante ans plus tard !

Quant à moi, je découvris Paris en 1936 ; j'avais neuf ans et rebelote chez les Denoël avec papa. Etait-ce l'influence de ma mère et de sa fameuse sonnette ? Le fait est que j'ai alors été sidéré par leur somptueux appartement du Champ-de-Mars où il y avait - excusez du peu - une salle de jeux ad usum delphini Robert Jr. Il va de soi que les « vieux » nous y expédièrent pendant qu'ils parlaient de choses sérieuses...

Lettre à l'auteur, 6 juillet 2009

 

Carlo Rim

 

Pseudonyme de Jean Marius Richard [Nîmes 19 décembre 1905 - Peypin 3 décembre 1989] : journaliste, romancier, dessinateur, photographe ; scénariste et réalisateur de cinéma entre 1934 et 1965. Rédacteur à L'Intransigeant, Vu, Jazz. Il a illustré le premier ouvrage édité par Denoël et Steele en mai 1930 : Mimes d'Hérondas et publié en 1934 Ma Belle Marseille chez le même éditeur. « Monsieur Virgule », qu'il cite par erreur, est un personnage dessiné par Rim dans les Nouvelles Littéraires. Le livre de souvenirs mentionné est Le Grenier d'Arlequin, paru chez Denoël en 1981.

 

J’ai très bien connu Robert Denoël, et depuis toujours, si je puis dire, car il en était à ses débuts d’éditeur-libraire parisien, à l’enseigne des Trois Magots, non loin de la rue Amélie où il s’installa bientôt, et définitivement. Il a édité trois ouvrages de moi : Ma Belle Marseille, Les Mimes d’Hérondas et Monsieur Virgule.

Je l’aimais beaucoup, j’admirais son courage, sa volonté de vaincre, son caractère ambitieux, son « culot », ses audaces, ses folles imprudences - sans jamais se départir de la plus sereine confiance en soi, jusque dans les moments les plus périlleux de sa carrière plutôt agitée, et parfois suspecte (aux yeux de certains) et repréhensible (aux yeux de bien d’autres !) pour ne pas dire condamnable. Un personnage hors du commun qu’on ne doit pouvoir juger qu’avec le recul. Tout comme Céline, d’ailleurs, qui lui ressemblait, à certains égards.

J’étais en 1932 rédacteur en chef de Vu, le plus grand périodique illustré de l’époque (avec L’Illustration) et j’ai vécu à côté de Robert Denoël la grande aventure du Voyage au bout de la nuit (que Denoël m’avait donné à lire en manuscrit). Je raconterai tout cela dans mon prochain livre de souvenirs - qui sera d’ailleurs mon « Journal ».

Bref, un aventurier de l’édition, un fou de littérature comme Hokusaï était fou de dessin. Un insatiable appétit de lire, de découvrir, de « lancer ». Sa manière à lui de « créer ».

Lettre à l'auteur, 18 novembre 1979

 

Georgette Rostand

 

Veuve du journaliste et musicologue Claude Rostand [1912-1970], critique musical à Carrefour, comme son ami Flavien Monod [1920-1993], le fils aîné de Maximilien Vox. Rostand est l'une des six personnes avec lesquelles Denoël a passé sa dernière journée chez Marion Delbo, le 2 décembre 1945. Il n'a jamais été interrogé par la police.

 

Ce n'était pas une rencontre fortuite, mon mari et Robert Denoël ayant eu l'occasion de se rencontrer souvent, mais je ne crois pas que l'on puisse parler de relations d'amitié. Je dirais plutôt des relations tout court, dans le cadre d'un milieu parisien où les mêmes gens se voyaient tout le temps.De toutes façons, n'ayant épousé Claude Rostand qu'en 1949, il m'est difficile de situer exactement leurs relations.

Lettre à l'auteur, 18 janvier 1980

 

Georges Simenon

 

Denoël a fait ses études secondaires entre octobre 1914 et août 1919 au collège Saint-Servais de Liège, où Simenon a fait les siennes entre septembre 1915 et juin 1918. Denoël fut pigiste occasionnel à la Gazette de Liége entre mai 1921 et son départ pour Paris, en 1926, un journal où Simenon publia billets non signés puis chroniques d'humeur entre janvier 1919 et décembre 1922. L'un et l'autre ont probablement fréquenté la « Caque » à la même époque. Malgré quoi Simenon assure qu'il n'a rencontré l'éditeur qu'incidemment, et à Paris.

 

Je vous aurais envoyé volontiers un petit papier sur Robert Denoël si je l'avais bien connu. Ce n'est pas le cas. Je l'ai rencontré deux fois, je pense, incidemment, lors de mon arrivée à Paris et il me serait difficile de dire quoi que ce soit de lui.

Lettre à l'auteur, 13 août 1979

 

Roger Wild

 

Peintre autodidacte né à Lausanne le 27 août 1894, mort à Athis en 1987. A illustré en 1943 la première édition de Scandale aux abysses, que Denoël renonça finalement à faire paraître. La revue mentionnée est Lectures 40, dont Denoël fut directeur artistique entre juin et décembre 1941. Roger Wild a illustré « La Quinzaine astrologique » de Léon-Paul Fargue dès le n° 2 de Lecture 40, paru le 1er juillet 1941.

 

J'ai été amené à lui par Léon-Paul Fargue dont j'ai illustré une série pour une revue Denoël à laquelle collaborait également mes amis Mac Orlan et Chas Laborde. C'est assez dire qu'il m'apparaissait comme un homme avisé et très actif et dont la fin tragique m'a choqué. Scandale aux abysses, pour autant qu'il m'en souvienne, est une œuvre de grande classe allègre que j'ai pris grand plaisir à illustrer et dont j'ai été régulièrement rémunéré.

Lettre à l'auteur, 30 août 1979