Robert Denoël, éditeur

Elisabeth d'Ennetières

 

Jean de Bosschère rencontra la marquise d’Ennetières à Londres en 1922 et en fit sa compagne jusqu’à sa mort, le 17 janvier 1953. Début 1926, le couple s’installe à Paris, 12 avenue de Corbéra, dans le XIIe arrondissement. Denoël, débarqué de Liège le 15 octobre, les rencontre chez eux au cours des semaines qui suivent ; le 6 novembre il écrit à Victor Moremans : « J’ai vu de Bosschère, un vieil homme charmant qui fait une peinture très étrange et pleine de séduction. J’ai passé une soirée avec lui et sa compagne, une marquise un peu ennuyeuse. Mais comme il parlait tout le temps et d’un ton tellement agréable, je suis resté là fort tard sans m’en apercevoir. »

Le 3 mars 1928 Denoël inaugure l’ouverture de sa librairie-galerie « Les Trois Magots », 60 avenue de La Bourdonnais, dont Mme d’Ennetières a accepté le marrainage et, dit-elle, choisi le nom. En janvier 1935 elle dessine le portrait du poète Audiberti pour un numéro spécial qui lui est consacré, en janvier 1935, par L’Année poétique.

Le témoignage qui suit est tiré de Nous, et les autres, un volume de souvenirs qu’Elisabeth d’Ennetières a publié en 1967 à Aurillac.


*

 

C’est à cette époque (1928) que Robert Denoël, un Liégeois, ami de Mélot du Dy, vint nous trouver. Il avait le projet de monter une maison d’édition et pour la lancer il désirait obtenir de Jean l’autorisation de publier son Ane d’Or d’Apulée, qui avait eu tant de succès à Londres. Il fallait demander à l’éditeur londonien John Lane s’il y consentait. L’autorisation fut donnée, cet éditeur ne comptait pas faire une réédition, préférant maintenir la rareté du livre en ce qui concerne l’édition anglaise.

Robert Denoël se mit au travail, il s’installa provisoirement dans la boutique d'un antiquaire-brocanteur, avenue La Bourdonnais, dont il fit une librairie. Je fus la marraine du nouvel établissement et lui donnai le nom de : « Les Trois Magots ». Dans cette librairie, il fit une exposition de dessins d'écrivains, dont je me rappelle surtout ceux de Jean et de Léon-Paul Fargue. C'est à l'enseigne des « Trois Magots » que fut donc publié L'Ane d'Or d'Apulée, illustré par Jean, en 1928, tirage limité : 1 Japon, 7 Japon impérial, 16 Hollande, 110 Arches. L'Art et la Mort, d'Artaud, avec une eau-forte de Jean en frontispice parut également à l'enseigne des « Trois Magots » en 1929, tirage limité aussi : 15 Japon, 35 Hollande et 750 Lafuma. Ensuite Robert Denoël trouva un associé et la firme prit le nom de Denoël et Steele, pour plus tard encore abandonner le nom de Steele et devenir les Editions Denoël. [...]

Dans cette maison spacieuse [« La Carrière » à Fontainebleau], Jean avait un grand atelier où tout était réuni : un endroit pour écrire, un autre pour peindre, celui où il pouvait faire ses eaux-fortes avec l’installation d’eau nécessaire, la presse pour les imprimer, etc. Nos amis ne nous oublièrent pas, beaucoup de ceux qui vinrent à nos soirées de l’avenue de Corbéra, prirent le chemin de Fontainebleau et souvent ils passèrent le week-end à la Carrière. Il y avait Jean et Ida Cassou, Robert Denoël et sa jeune femme, André Billy qui habitait Barbizon [...]

Pendant ce triste hiver [1931], je fis la copie du roman écrit à Sienne. Il prit le titre de Satan l’Obscur que les Editions Denoël et Steele publièrent dans leur collection « Loin des foules » en 1933. La presse fut élogieuse malgré que ce soit un roman, qualifié par beaucoup de difficile, mais tous furent unanimes à reconnaître la beauté du style. [...]

Lorsqu'en automne Jean revint, il écrivit L'Obscur à Paris. Ce fut pour nous l'occasion de parcourir les quartiers les plus excentriques de la ville. Mon métier de journaliste qui n'était pas encore bien vieux, m'avait cependant déjà appris à voir, à écouter. Plusieurs scènes de ce livre ont été vues par moi, Jean en les écrivant les poétisa. Denoël publia ce livre en 1937. Cette fois, c'étaient les Editions Denoël et non plus Denoël et Steele ou les « Trois Magots », oubliés depuis longtemps.

 

*

 

Le 14 août 1979 Elisabeth d'Ennetières me permit de prendre copie de quatre lettres de Robert Denoël à Jean de Bosschère, et me donna quelques indications supplémentaires sur Les Trois Magots : « Tout cela ne marchait que cahin-caha. C'est qu'il faut d'énormes capitaux pour faire marcher une maison d'édition et Denoël ne les avait pas. Il essaya de prendre des associés : le premier fut Steele, et vous savez la suite, et nous ne pouvions plus rien, le crash américain fut dur pour nous aussi, mais, tant que nous possédions la propriété de Fontainebleau, les Denoël y venaient souvent passer les week-end. »