Robert Denoël, éditeur

 

Robert Beckers

 

Né le 14 avril 1904 à Liège, Robert Edouard Jules Dieudonné Beckers, est décédé à Paris le 10 septembre 1979. Ami de jeunesse de Robert Denoël, qu'il rejoint avenue de La Bourdonnais en 1928. Epouse, le 7 août 1929, Juliette Geneste, avec laquelle il rend divers services, rue Amélie, et dont il divorce en 1937. Rencontre en 1940 l'actrice de cinéma Andrée Heuschling dite Catherine Hessling [1900-1979], qu'il épouse le 7 février 1958.

En 1931 il participe, avec sa femme, à l'étonnante séance de photos imaginée par Antonin Artaud au Studio Forest de Montmartre, en compagnie de Josette Lusson et de Cécile Denoël.

Très lié avec Denoël à la Libération, il est le dernier témoin à lui avoir parlé au téléphone, peu avant qu'il quitte la maison de Jeanne Loviton pour les Invalides.

Les lettres qu'il m'écrivit en 1978, alors qu'il séjournait à l'hôpital, sont assez décousues mais traitent de sujets peu connus.

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Je l’ai connu en 1922 ou 1923, alors qu’il sortait du collège Saint-Servais et moi de l’Athénée. Si nous avons tous deux passé par l’école (1) des sous-lieutenants de réserve de Beverlo (d’où il fut expulsé pour avoir cassé ses arrêts, se croyant obligé, par crainte de son père, d’assister à la prise de voile d’une de ses sœurs) (2) , c’est à trois ans de distance. J’allai bientôt le rejoindre à Paris.

J’ai vu Denoël tous les jours pendant des années, ayant un bureau au siège des Editions, sauf entre la fin 1936 et 1939. Nous sommes partis ensemble pour la guerre, cherchant en vain à rejoindre notre 3e Corps médical à Gand, où nous n’arrivâmes jamais, puis sur les routes vers le midi de la France. Il m’a quitté à Narbonne, profitant d’une voiture de rencontre remontant à Paris.

Lettre à l’auteur, 25 avril 1978

 

Je suis rentré à Paris en octobre 1939. Denoël m’a immédiatement confié le secrétariat d’un hebdomadaire qu’il venait de lancer, Notre Combat, qui eut très vite, à tort, la réputation d’organe officieux de l’Hôtel Continental. Il m’est arrivé de fournir des sujets, chaque numéro traitant d’un sujet unique, mais, le plus souvent, c’est Denoël qui fournissait thème et rédacteur. Je me souviens aussi de démarches à l’ambassade d’Angleterre et auprès du gouvernement tchèque en exil, pour obtenir des subventions ou achat de numéros.

En mai 1940 nous fûmes rappelés, sans uniformes. Nous fûmes enfin envoyés dans le midi, toujours à la recherche du 3e Corps médical basé à Gand. A Pont-Saint-Esprit, nous ne trouvâmes que les Chasseurs ardennais, dont le colonel proposa de nous équiper. Nous l’évitâmes, n’ayant l’un et l’autre aucun goût pour les militaires. En juin Denoël remonta à Paris, moi je gagnai, comme réfugié, Montbrun-des-Corbières, d’où je pris le chemin de Liège, en octobre ou début novembre 1940.

Dès le début de la « drôle de guerre », Denoël avait envoyé en province Cécile et son fils. Dès son retour d’exode, il les fit rentrer. Je me chargeai ensuite de publicité, rue Amélie. Nous y vîmes souvent de « grands résistants », comme Aragon. Je voyais tous les jours Robert et le demi-frère de Cécile, Billy, intelligent, jugeant son monde et sa sœur.

Lors du débarquement, il s’était trouvé un petit appartement près du boulevard des Capucines, plus discret que l’adresse de Jeanne Loviton. Il s’acheta une moto (3), les déplacements étant difficiles. Il m’emprunta 200 000 F à l’époque - ou plutôt à l’amie [Catherine Hessling] que je devais épouser - et les lui remboursa quand il vendit les Editions Denoël à Jeanne, sachant que selon les événements ultérieurs, il les lui rachèterait, ou deviendrait son directeur. Et qu’il l’épouserait.

Je le voyais très souvent après la Libération ; il me téléphona encore, peu de minutes avant d’être abattu. Il s’occupait des Cours de droit et fonda les Editions de la Tour.

Bernard Steele intervenait dans les dépenses mensuelles pour 50 000 F, et parfois plus. Il finit par se croire exploité, et ils se séparèrent. Après la Libération Bernard vint me voir et déclara, avant que je le mette à la porte : « Il est mort comme il a vécu, en gangster ».

Robert a toujours dépensé et emprunté l’argent. Il édita L’Hôtel du Nord sans en avoir les moyens financiers, ni une organisation de distribution. Cela l’amena à accepter Bernard Steele puis, plus tard, à confier, contre toutes ses idées, sa distribution à Hachette, Bernard renâclant de plus en plus.

Il me demanda de l’accompagner, comme « garde du corps », quant il alla toucher son premier million. Je nous revois encore, en taxi ; il n’avait pas encore de voiture, à cette époque (4).

Lettre à l’auteur, 11 mai 1978


Commentaires

1. La fiche militaire de Robert Denoël est précise : il a été mobilisé le 30 novembre 1922 comme milicien. Il n'est jamais passé par l'école des officiers de Beverlo.

2. L'incident relaté par Beckers remonte au 16 février 1923, date à laquelle le grade de caporal lui est retiré.

3. Cette moto appartenait aux Editions Domat-Montchrestien.

4. A ma connaissance, Robert Denoël n'a jamais possédé de voiture. Avant la guerre, il utilisait celle de Bernard Steele. Après la guerre, celle de Jeanne Loviton. Mais on aimerait savoir quand il est allé toucher son premier million...