Robert Denoël, éditeur

Louis-Ferdinand Céline

 

Le nom de Robert Denoël dans la correspondance de Céline apparaît à des centaines de reprises, et j'en ai parsemé mon site. N'ont trouvé place ici que les mentions figurant dans ses œuvres publiées. Le renvoi est fait à la pagination de l'édition originale.

 

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Mort à crédit   (1936)

Je téléphone à Delumelle mon placeur ; je veux m’en faire un mortel ennemi... Je veux qu’il râle sous les injures... Il en faut pour le cailler !... Il s’en fout ! Il a des millions. Il me répond de prendre des vacances... [p. 18]

 

Bagatelles pour un massacre (1937)

Je ne reçois pas non plus « l’Argus », Denoël pas davantage. Il trouve que ça coûte trop cher... [p. 75]

Denoël m’a fait remettre ces jours derniers, pour mon instruction personnelle, un rapport de la « C.G.T. » sur le crise du livre en France. [p. 142]

 

L'Ecole des cadavres  (1938)

Tout ! que t’auras ma Paix ! pour toi ! Je t’aurai Trésor ! ma Paix Marmite ! Ce qu’il faudra ! Pourvu que tu reluises à point, me tombes dans l’actif, trébuches pantelante, pâmée Paix ! flageoles, digue-digue, éparpillée sur mes tendres os ! pluie d’or ! ondée miraculeuse ! dont enfin Denoël mon succube, ne tondera pas un fifrelin ! cornu sorcelleux ! C’est lui qui fera l’expert quand même, retors regardant, il saura bien si l’on m’arnaque, il s’y connaît en passes faisanes !  [p. 24]

 

Préface à L’Ecole des cadavres  (1942)

 A la première audience, admirable plaidoirie de notre vaillant Saudemont, puis au jugement trois mois plus tard (quel temps pour se renseigner !) n’assistaient que Denoël et moi forcément, Mlles Canavaggia, Marie et Renée, nos bons amis Bernardini, Montandon (et son parapluie), Bonvilliers, et notre excellent Tschann le libraire, et Mlle Almanzor. [p. 13]

 

Préface à Guignol’s Band  (1944)

Il a fallu imprimer vite because les circonstances si graves qu’on ne sait ni qui vit qui meurt ! Denoël ? vous ? moi ?...  [p. 7]

Voilà Denoël qui s’apporte, hors de lui !...
- Mais dites j’y comprends rien du tout ! ah ! mais c’est terrible ! pas possible ! Je ne vois que des bagarres dans votre livre ! C’est même pas un livre ! nous allons tout droit au désastre ! Ni queue ni tête !
Je lui apporterais le « Roi Lear » qu’il y verrait que des massacres. Qu’est-ce qu’il voit lui dans l’existence ?
[p. 8]

 

Première esquisse de Féerie pour une autre fois  (1945)

« Enfin une lettre de Marie ! Denoël vient d’être assassiné - les journaux - Je le vois encore Denoël - place des Invalides - Il a payé. »  [p. 578]

 

Version A de Féerie pour une autre fois  (1947)

« Pour Popol, par malheur il a illustré le Voyage. C’était bien, moi je trouvais. Jamais on l’a fait paraître. Y a eu cabale encore par là. Des manigances d’éditeurs, des chinoiseries à Denoël. »  [p. 615]

 

A l’Agité du bocal  (1948)

M’avez-vous assez prié et fait prier par Dullin, par Denoël, supplié « sous la botte » de bien vouloir descendre vous applaudir !

 

Réponse à l’exposé du Parquet de la Cour de Justice  (1950)

Je dois faire connaître à la Cour que j’avais cédé par mon premier contrat, à Robert Denoël, tous mes droits d’édition et de réédition. Robert Denoël était donc maître absolu, souverain exclusif, de ma production littéraire. Il publiait et republiait à sa volonté, à sa seule volonté, tous mes ouvrages. Je lui ai offert par vingt fois de rompre ce contrat véritablement «léonin », il s’y est toujours refusé. Je n’étais pour rien dans mes rééditions.  [p. 1]

Certes je ne suis pas fier je l’avoue de la réédition de L’Ecole des Cadavres en 43. Il m’a semblé assez étrange à l’époque que Robert Denoël m’en demande la réédition au moment précis où il publiait Le Cheval de Troie, roman philosémite d’Elsa Triolet. Quel jeu de balances ? Quel mic mac ? Avait-il partie liée avec la Résistance à ce moment pour me compromettre absolument - étoffer mon dossier ? Je l’ai pensé. C’est au même moment d’ailleurs qu’il me demanda de lui donner une préface pour un livre de Bernardini (ouvrage de philologie comparée, sur l’origine des noms patronymiques juifs, etc...) avec une étonnante, inquiétante insistance.

J’observai cette insistance et je finis après des mois d’atermoiement par lui donner une préface tellement antiraciste qu’elle était impubliable. Le livre en effet resta sur le marbre. Le dépit, la colère même de Denoël, si courtois d’habitude, la véritable crise qu’il piqua devant moi à la lecture de ma préface me parurent assez révélateurs de singulières intentions... Je savais que Denoël hébergeait plus ou moins Aragon chez lui... J’avais des raisons sérieuses de méfiance. En tout cas Denoël me présenta la réédition de L’Ecole comme indispensable en l’état de ses finances... état toujours très précaire.

Il fallait au surplus vu les «règlements de l’Edition » d’alors, pour justifier une augmentation de prix du livre, que je fournisse à Denoël une préface ! Ainsi fut écrite la préface qu’on me reproche.  [p. 2]

 

Féerie pour une autre fois  (1952)

Chacun ses aléas sans doute... Y a des Destins, y a des toucheurs, y a des branleurs, des ébranleurs, y a des « non-lieu » !... Tenez, par exemple, Denoël, ils l’ont abattu et voilà !... Moi, j’ai abattu rien du tout, j’ai pas de « Non-lieu » !... Ram ! Stam ! Gram ! Oh, j’ai ma petite idée bien sûr, ferme et sincère... c’est ma petite idée qu’on tuerait si l’on pouvait !...  [p. 50]

C’est vraiment extraordinaire tout ce que j’ai commis... des ventes de journaux à l’ennemi !... 150 !... 120 !... je ne sais plus !... et la maison Denoël !... et l’assassinat du Robert et de Madame Thérèse Amirale, tôlière, fée maligne aux Invalignes...  [p. 156]

 

Féerie pour une autre fois, 2. Normance  (1954)

[...] salopiauds bombardiers aussi, qui brûlent tous les stocks ! Yankees ceux-là ! le mois dernier à Draveil ils nous ont brûlé quatorze tonnes !... chacun pense à ses intérêts ! papier ! papier ! broum !... Denoël me le disait mardi... mercredi... il avait eu sept tonnes rousties en un raid, un seul raid ! un cyclone, entre Draveil et La Jonquière ! Une planque vous auriez jamais cru... un ancien fortin de 70 !... rasibus ! et 30.000 «Voyages » imprimés, stockés dans un wagon de rebut, dans un jardinet, un wagon sans roues, pas loin, porte d’Issy... encore une idée de Denoël ! soufflé ! une bombe ! fin avril ! la chance ! Robert de Robert ! envolé aux pyrotechnies !  [p. 98]

[...] ils bombardent, ils fulgurent dehors, alors ? alors ?... c’est de l’éruption ! c’est l’affaire de la guerre des airs ! mais moi mes tirages un petit peu !... que Denoël a plus de papier !... [...] « les Fritz nous en ont secoué six tonnes » !... Denoël Robert, mort maintenant, qu’était pourtant bien ingénieux, nous en avait fait perdre dix tonnes dans une champignonnière de l’Aisne... dix tonnes ! une planque pas décelable qu’il disait !... les dix tonnes avaient flambé !... dans des tunnels d’une culture où il poussait rien depuis vingt ans !... c’était pas une planque ? alors ?  [p. 222]

 

D’un Château l’autre  (1957)

Puisque nous sommes dans les Belles Lettres je vous parlerai de Denoël... de Denoël l’assassiné... oh, qu’il avait d’odieux penchants !... s’il le fallait il vous fourguait, bien sûr, bel et bien ! le moment venu, les circonstances... vous étiez ligoté, vendu !... quitte à se reprendre, s’excuser, comme tel... tel... (cent noms !) cependant un côté le sauvait... il était passionné des Lettres... il reconnaissait vraiment le travail, il respectait les auteurs... tout à fait autre chose que Brottin !... Brottin Achille, lui, c’est l’achevé sordide épicier, implacable bas de plafond con... il peut penser que son pèze ! plus de pèze ! encore plus ! le vrai total milliardaire ! et toujours plus de larbins autour !... langues hors et bien déculottés... Denoël l’assassiné lisait tout... Brottin lui est comme Claudel il regarde que la page des « valeurs »... la lectavure, c’est le « Pin-brain-Trust » : Norbert Loukoum, président !...  [p. 15]

Revenons aux faits historiques... on m’enlèvera jamais de l’idée que Fred Bourdonnais, mon premier mac, est sorti tout exprès de chez lui, tout seul, et au clair de la lune, pour se faire buter, Esplanade des Invalides... on y assassinait tous les jours !... soit ! et il le savait !... c’était l’Esplanade à la mode... qu’il était vicieux ?... bien sûr ! mais c’était pousser le vice au delà de tout, minuit et tout seul Place des Invalides !... ce qui lui est arrivé, devait !... le marrant, c’est que Bourdonnais, rendue son âme, minuit place des Invalides, je suis fourgué, butin !... la Marquise Fualdès m’héritait !... bel et bien !... butin du coquin !... et que je te fourgue !... encore !... encore !... une fois de plus !... deux fois de plus !... moi et mes chefs-d’œuvre immortels !... « où y a de la gêne » ! marlous, marlotes, me laissent rien...  [p. 42]

Drôle ?... drôlerie ?... que le lendemain de l’assassinat, Esplanade des Invalides, moi, mon tour, j’étais agrafé ! à l’autre bout de l’Europe !... et pas pour rire !... pour le compte !  [p. 43]

Le Bourdonnais, l’assassiné, était bien faux derge, tartuffe, maque... oh, pas plus, pas moins, qu’Achille ou Gertrud... mais lui acculé par les dettes, à-valoirs, chèques sans dépôt !... comment ça est terminé, je vous ai dit... il aurait eu la « couverture », il vivrait encore, on l’aurait pas emmené se promener... mais pas couvert ? c’était joué ! c’était fatal !... Carbuccia, une fleur ! un touriste !... « selon que vous serez »... moi, vous pensez !... moi, mes ours ! où j’ai été dans la culbute ! livré aux croquants dépravés !... armes et bagages !... jamais ils s’étaient tant repus !... porcs !... le pire, le poids comme ils sont lourds !... leurs roublardises... ces épaisseurs ! si grasses, si épaisses, qu’ils vous en laissent plein les doigts... des subtilités ! vous avez des heures vous laver les mains !... poisseux !... La Bourdonnais était fadé ! jeune hippopotame ! s’ils l’ont vu s’amener... gros sabots d’astuces !... l’Esplanade, le soir... un gros trou dans le dos !... étendu !... au clair de la Lune ! la mère Fualdès hérite ! m’hérite et fourgue ! passe à l’Achille !... football, mes trésors ! mes génies !... rugby !... Fualdès touche, échappe !... Achille marque ! gagne !... emporte tout !... m’enfourne en cave !... moi, mes ours !... salut !... on me voit plus ! la marquise de Fualdès digère... voilà qu’est passé !... une époque !... Voltige ! bouillon ! bâillon ! rigodon !... [p. 47]

[...] j’aurais été chez ma mère rue Marsollier, ils me précipitaient... comme La Bourdonnais !... toc !... comme rue Girardon... suffit que vous êtes le « puant » !  [p. 48]

[...] je miragine pas : tenez, Denoël !... Denoël, l’assassiné... roublard, doublard s’il en fût, mais extrêmement belge et pratique... à tout prendre, là maintenant cadavre, si je le compare à ce qu’a suivi : joliment regrettable !... deux jours avant qu’on l’assassine je lui ai écrit de Copenhague : « foutez le camp... bon sang ! sauvez-vous ! votre place est pas rue Amélie !... » il est pas parti... les gens m’obéissent jamais... ils se croient parés marles !... grigri à l’oigne !... bon !... à leur aise !... toujours est-il, c’est un fait, jusqu’au moment qu’on l’assassine il a eu beurre à profusion, frometons, poulgoms, truffes... la table ample !... ravittaillerie à volo !... drôlement bien vécu !... par l’Incarnerie des Auteurs !... la révélation de leur Mission !... l’Annonce !... mais gafe !... attention !... je vous préviens !... le truc est magique !... facilement mortel !... vous en grisez pas !... la preuve : Pétain ! la preuve : Laval ! la preuve : Louis XVI ! la preuve : Stalin !... vous y allez à fond, tout permis ?... salut !... Denoël à force de faire le Mage d’une province l’autre, de faire incarner celle-ci... celle-là... se sentait plus !... « Bravo ! Tabou ! tout j’ose !... » mais minuit Place des Invalides le truc a rompu ! un nuage, la Lune !... envolés les charmes !... Denoël ce qui l’a fini, ce qui l’a achevé de faire le con, c’est sa collection des « Provinces », les envoûtés folkloriques, les incarneurs en transe de lieux !... chiadeurs en concours : Moi ! Moi ! Moi ! moi les Cornouailles... moi le Léon... moi les Charentes !... épileptiques d’incarnation !

Croyez pas si extraordinaire ! « Envoyez Jeanne d’Arc par ici ! » je vous en trouve douze par préfecture !... et colis avec !... et rillettes !... mottes !... wagons de sacs de farineux !... dindes !... gardeuses et troupeaux !... « Vous êtes retenu pour le Concours !... oh, que vous incarnez le Cameroun !... » par ici bananes !... les dattes, ananas ! tout l’Empire y arrivait à table !... sur sa table !... je vous dis : rien manquait !... on peut dire que le pauvre Denoël avait vraiment bien mis au point la question d’approvisionnement...  [p. 138]