Robert Denoël, éditeur

Librairie des Trois Magots

 

La Société à responsabilité limitée « Aux Trois Magots. Blanche, Denoël et Cie», au capital de 45 000 francs, a été créée le 9 mars 1928. Cette librairie-galerie-maison d’édition domiciliée 60, avenue de La Bourdonnais, a publié six ouvrages avant de se transformer en Editions Denoël et Steele, le 10 avril 1930.

Ces livres à tirage limité ont été publiés avec la participation financière de leurs auteurs. Le premier est sorti de presse en juillet 1928, le dernier en novembre 1929. En décembre 1933, Denoël y publiera encore une revue de poésie, avant de créer en 1934 les Editions La Bourdonnais, puis, en 1936, les éphémères Editions de Littérature Populaire.

Aloys Bataillard et une vendeuse devant la librairie de l'avenue de La Bourdonnais

 

La gérance des Trois Magots est confiée en décembre 1930 au poète suisse Aloys Bataillard [1906-1956]. En septembre 1932 la librairie comporte un « Office colonial de librairie », ensuite rebaptisé « Office de librairie générale ». Il est destiné à fournir la plupart des nouveautés en librairie aux clients de province, des colonies et de l’étranger, et il pratique aussi le prêt de livres par abonnement. Cet « Office », soutenu par un bulletin envoyé gracieusement, « Nouveautés du mois », se maintiendra jusqu'en mai 1939.

 

A partir du 1er avril 1935 et jusqu'au 1er septembre 1939, Bataillard sera assisté par deux Suisses, les frères Heyman : Pierre [1908-1988] et Georges [1911-2006], ce dernier venant des Messageries Hachette.

L'activité la plus lucrative était, selon Georges Heyman, « la vente sous le manteau de livres licencieux. Chansons de salles de garde était une des meilleures ventes. La vente était directe ou par correspondance. Le fichier d’adresses était important. Les envois se faisaient à partir du sous-sol de la librairie. »

L'Association médicale,  août 1932

Plusieurs ouvrages ont été distribués par « Les Trois Magots », dont : Ghetto XXe siècle, un recueil de contes de Maria Poliakova publié en 1938 par les Editions Chérix à Nyon (Suisse) :

La Tribune juive,  20 janvier 1939

Cette énigmatique militante anarchiste russe [1889-1946], écrivain juif polyglotte, membre du GRU, les services de renseignements soviétiques, séjournait alors en Suisse, après avoir opéré en Allemagne, en Belgique et en France jusqu'en 1936. Ses activités subversives n'ont été découvertes que bien plus tard.

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La librairie servira aussi de base de repli aux Editions Denoël : le 17 juin 1940, les autorités allemandes ont fermé la maison d’édition de la rue Amélie. En l’absence de Robert Denoël, mobilisé, Auguste Picq, le comptable, Madeleine Collet, la secrétaire, et Georges Fort, l’emballeur, y géreront les affaires courantes en attendant le retour de l’éditeur, puis la réouverture de la maison d’édition, le 15 octobre 1940.

 

Inscriptions successives au Registre de commerce de la Seine

 

On ne sait rien de l’activité de la librairie durant l’Occupation. Aloys Bataillard a rejoint la Suisse, Georges Heyman a été mobilisé puis fait prisonnier, et il a été remplacé par Jean Moreau. Entretemps « Les Trois Magots » ont perdu leur belle enseigne et leur propriétaire a choisi l'appellation « Librairie générale », qui lui enlève tout son charme :

     Lectures 40,  n° 2,  1er juillet 1941

Pierre Heyman est rentré à Genève en mars 1942. Robert Denoël lui établit, le 16 mars, un certificat en vue de nouvelles activités en Suisse :

Le 9 juin 1944 Robert Denoël vend les Trois Magots pour la somme de 500 000 francs [ou 750 000 francs selon Cécile Denoël] à Elie et Georges Alban, deux hommes d'affaires parisiens qui ont constitué, le 1er juin, une nouvelle s.a.r.l. « Aux Trois Magots », au capital de 500 000 francs, pour en faire l'acquisition. L'acte de vente précise qu'il s'agit d'un « fonds de commerce de librairie et papeterie ».

Elie Alban, qui détient 495 parts sur 500, en est le véritable propriétaire et le gérant jusqu'au 21 janvier 1946, date à laquelle il cède ses parts à Didier Jordan, qui en devient le nouveau gérant. Didier Jordan [1911-1946], licencié ès lettres et auteur de deux romans parus en 1945 et 1946, appartient au monde des constructeurs automobiles parisiens.

Le 18 février 1946 Didier Jordan propose de modifier l'objet de la société qui devient « librairie, papeterie et édition ». Le général Charles Jordan [1873-1964], son père, entre alors dans le capital de la société, après rachat des parts de Georges Alban. Les frères Alban ont donc disparu des Trois Magots moins de deux ans après leur acquisition.

Le 13 septembre 1946, un nouvel associé apparaît : André Bauer, administrateur de sociétés et beau-frère de Didier Jordan. Le 28 octobre c'est au tour de Geneviève Binet [1913-1978] d'entrer dans la société, en remplacement de son mari, Didier Jordan, décédé entretemps. Monique Jordan, sa sœur, en est nommée gérante. La Société des Trois Magots est alors entièrement contrôlée par la famille Jordan.

Le 14 mai 1947 Monique Jordan est remplacée à la gérance par Henri Duclos. A cette date la société appartient à Geneviève Binet et Charles Jordan.

Le 20 juin 1952, alors que Duclos démissionne, Maurice Jordan [1899-1976], directeur général de Peugeot, rejoint Geneviève Binet après avoir acquis les parts de Charles Jordan. Cinq ans plus tard la famille Jordan disparaît à son tour de la Société des Trois Magots, qui subsistera jusqu'en 1968, avant de céder la place à un commissaire-priseur.

 

 

Si j'ai poursuivi l'histoire des Trois Magots, bien au-delà de la disparition de Robert Denoël, c'est en raison de l'édition d'un ouvrage du général Jordan en 1947, qui a justifié la modification des statuts de la société en février 1946 et permis la résurrection des Editions des Trois Magots, le temps d'une seule publication.

Didier Jordan avait peut-être l'intention de poursuivre des activités d'éditeur pour publier ses propres écrits, ceux de son père ou d'autres encore. Sa mort, en 1946, aura tout arrêté. Le livre du général Jordan parut le 25 avril 1947 :

 

Je ne l'ai pas inclus dans la bibliographie puisqu'il ne relève pas des activités éditoriales de Robert Denoël mais il m'a paru intéressant de le signaler ici, grâce aux précisions apportées par M. Tristan Jordan, le fils de Didier Jordan.

 

1928


Apulée. L’Ane d’Or [n° 1]

 

1929


Artaud (Antonin). L’Art et la mort [n° 2]
Champigny. Le Grand Vent [n° 3]
Dabit (Eugène). L’Hôtel du Nord [n° 4]
Vitrac (Roger). Victor ou les enfants au pouvoir [n° 5]

 

1930


Chansons de salles de garde [n° 748]

1933


L'Année poétique. 12 fascicules parus entre décembre 1933 et juillet 1935. Voir Revues
Album de l'Année poétique [n° 690]

1939

 


Cingria (Charles-Albert). Le Comte des formes. Voir  Enseignes diverses.