Robert Denoël, éditeur

 

Notre Combat

 

Le premier numéro de cette revue hebdomadaire parut le 21 septembre 1939, le dernier le 31 mai 1940 : en tout, 38 fascicules in-8 [220 x 150] de 32 pages, brochés à l'épingle métallique, et vendus 2,50 F au numéro, ou par abonnement.

Sa formule, conçue sur le modèle du défunt Document, était : « un auteur, un sujet », et paraissait le vendredi. Robert Denoël, qui avait alors les pires difficultés de trésorerie, fit appel, pour la financer, à un M. Benisti, directeur de la Banque des Pays de l’Europe Centrale, 12 rue de Castiglione, dans le 1er arrondissement. C'était une société au capital de 100 millions de francs, créée en 1922.

Georges Hagopian, l'homme d'affaires de Denoël durant toute l'occupation, déclara, le 21 janvier 1950, à la police qu'il avait fait la connaissance de l'éditeur par son intermédiaire : « Ils sont venus tous les deux me consulter pour la création d’une société devant avoir pour objet la publication d’une revue. Par la suite Mr Benisti a renoncé à sa participation et Mr Denoël a créé la revue pour son compte personnel et non pas sous forme de société. Cette revue s’intitulait Le Combat ou Notre Combat. »

Personne, en France, ne voulut subventionner cet hebdomadaire patriotique en raison de la position neutraliste affichée, dès le 3 septembre 1939, par le roi des Belges. On l'oublie trop souvent : la Belgique ferma aussi ses frontières avec la France.

La revue fut inscrite le 15 décembre 1939 dans les colonnes du Registre de commerce sous la cote 38411 comme faisant partie des activités de la Société des Trois Magots constituée le 28 mai 1932 par Robert Denoël, ce qui impliquait qu'elle y fût domiciliée.

Or le premier numéro, paru le 21 septembre 1939, porte bien l'adresse de la rue Amélie, et l'annonce : « S.A. en formation au capital de 10 000 F », disparaît après le n° 11, sorti le 1er décembre 1939. Tous les numéros de la revue, qui est distribuée par les Messageries Hachette, portent en 4e de couverture le sigle « MH » au tampon encreur.

On trouvait donc la revue « en vente partout », c'est-à-dire essentiellement dans les gares, mais Denoël avait aussi prévu de démarcher les libraires de Paris et de la province :

Le Petit Parisien,  20 octobre 1939

La gérance, toute théorique, de Notre Combat est confiée à Charles Lejay, le représentant des Editions Denoël depuis 1930. Cette mention obligatoire est de pure complaisance : le nom du gérant qu'on trouve au bas des couvertures du Document est celui de Georges Fort, l'emballeur.

Robert Beckers, promu secrétaire de rédaction, m'écrivait : « L’hebdomadaire prit très vite, à tort, la réputation d’organe officieux de l’Hôtel Continental (Information et Censure sous Jean Giraudoux). Il m’est arrivé de fournir des sujets, mais le plus souvent c’était Denoël qui fournissait thème et rédacteur. Je me souviens aussi de démarches à l’ambassade d’Angleterre (Mr Noble Hall) et auprès du gouvernement tchèque en exil, pour en obtenir subvention ou achat d’exemplaires. Les Anglais ne marchèrent pas. »

Dans une lettre adressée à sa femme au début de l'année 1940, Denoël découvrait qu'il avait aussi des ennemis en France : « Il paraît que je suis soupçonné d'activités anti-nationales. C'est incroyable mais c'est comme ça. Depuis douze ans je passe ma vie à servir les idées, le goût et la culture françaises, j'aide les jeunes écrivains, je crée une firme d'édition justement renommée, mais entièrement vouée aux lettres françaises ; je n'ai même pas comme mes confrères de rayon de littérature étrangère. Je n'aime pas publier de traductions, tu le sais. Je suis entouré de l'estime parfois même de l'amitié de tout ce qui a un nom dans la littérature. Demain, je trouverais dix cautions de ma moralité, de mon attachement à la France, et sur la foi d'une dénonciation calomnieuse - du moins je suppose qu'il ne peut en être autrement - on me tient pour suspect. Et cela au point que l'on m'a retiré ma carte de circulation. C'est-à-dire que actuellement je ne peux plus sortir de Paris ! »

Robert Denoël n'a, semble-t-il, jamais bien mesuré le handicap de sa « belgitude » à Paris, en dépit de tous ses efforts : « Depuis la guerre mon activité n'est pour ainsi dire que nationale. " Notre Combat " qui a l'approbation de toute la presse, de toute l'opinion, du Grand Quartier Général, du Ministère de l'Information, a dû, ou susciter des jalousies mal fondées car " Notre Combat " est loin d'être une affaire brillante !, ou être soupçonné d'abriter on ne sait quelles machinations. C'est invraisemblable, ahurissant, tout ce que tu veux, mais c'est comme ça. [...] Je puis donc dire que mon activité de guerre est entièrement consacrée à servir la cause des alliés et de la France, à répandre les idées qui sont à la base de toute l'action gouvernementale. [...] Je me trouve donc dans la situation suivante : le Président du Conseil honore ma firme en y laissant publier par un de ses collaborateurs immédiats une étude sur sa carrière. Le Ministre des Colonies encourage ma revue en faisant distribuer des numéros aux troupes coloniales. Le G.Q.G. fait pareil pour les troupes métropolitaines. Le Ministre de l'Information souscrit des numéros de ma revue pour ses Centres de Documentation en France et à l'étranger. Et d'autre part, dans le même moment, un service indépendant de ces Ministères, me brime d'une manière extrêmement pénible, dérange toutes mes affaires, me vaut mille avanies de la part de mes correspondants, s'acharne contre ma vie privée en retardant tes lettres et contre la vie commerciale qui est entièrement bouleversée. [...] »

Le tirage de Notre Combat n'est pas connu. On sait seulement que le 17 juin 1940, les autorités allemandes ont saisi 146.329 exemplaires de la revue chez l'imprimeur, La Technique du Livre, 29 bis rue du Moulin-Vert, dans le XIVe arrondissement, ce qui représentait une perte de 371 578,50 F.

Tous les numéros de Notre Combat trouvés chez l'imprimeur furent donc pilonnés, et leur vente interdite par les autorités allemandes ; ils figurent sur toutes les listes publiées durant l'occupation : la « Liste Bernhard » en août 1940, les trois « Listes Otto » publiées en octobre 1940, juillet 1942 et mai 1943, et aussi la liste belge CEHD parue à Bruxelles en septembre 1941.

   

 

Première année :


N° 1 : 21 septembre 1939 : Journal d’un crime par Louis Gillet [n° 696]
N° 2 : 29 septembre 1939 : La Menace aux civils par André Fribourg [n° 697]
N° 3 : 6 octobre 1939 : L’Angleterre et la guerre de 1939 par André Maurois [n° 698]
N° 4 : 13 octobre 1939 : Qui tient la mer, tient la terre par Paul Chack [n° 699]
N° 5 : 20 octobre 1939 : La Propagande allemande par Edmond Vermeil [n° 700]
N° 6 : 27 octobre 1939 : La Tchéco-Slovaquie renaît par Stefan Osusky [n° 701]
N° 7 : 3 novembre 1939 : Le Blocus par Jean Desbois [n° 702]
N° 8 : 10 novembre 1939 : L’Empire colonial et la guerre par Pierre Mille [n° 703]
N° 9 : 17 novembre 1939 : Les Chefs nazis par Georges Suarez  [n° 630]
N° 10 : 24 novembre 1939 : Les Françaises depuis la guerre par Marcelle Auclair [n° 631]
N° 11 : 1er décembre 1939 : Les Etats-Unis et cette guerre par Robert de Saint Jean [n° 704]
N° 12 : 8 décembre 1939 : Les Français sous les armes par Pierre Mac Orlan [n° 705]
N° 13 : 15 décembre 1939 : La Gestapo par Pierre Dehilotte [n° 706]
N° 14 : 22 décembre 1939 : Hitler peint par lui-même par René Gillouin [n° 632]
N° 15 : 29 décembre 1939 : Désastre allemand à l’Est par André Fribourg [n° 707]

Deuxième année :


N° 1 : 5 janvier 1940 : Anglais, amis de la France par André David et L.-G. Guerdan [n° 708]
N° 2 : 12 janvier 1940 : L’Ouvrier au pays de Hitler et de Staline par Marcel Chaminade [n° 709]
N° 3 : 19 janvier 1940 : Les Persécutions allemandes contre les catholiques par Georges Hourdin [n° 633]
N° 4 : 26 janvier 1940 : Pourquoi l’Allemagne perdra la guerre par Testis [n° 710]
N° 5 : 2 février 1940 : Un Groupe-Franc en 1918 par Paul Vialar [n° 711]
N° 6 : 9 février 1940 : L’Armée de l’Empire par Philippe Roques [n° 712]
N° 7 : 16 février 1940 : La Finlande, garde-frontières de l’Europe par André Adorjan [n° 634]
N° 8 : 23 février 1940 : La Française au service de la Défense nationale par Céline Lhotte [n° 713]
N° 9 : 1er mars 1940 : Paris, capitale de la qualité par Lucien François [n° 714]
N° 10 : 8 mars 1940 : Ce que Hitler prépare en Pologne par Luc Durtain [n° 710]
N° 10 bis : 8 mars 1940 : Barbares et musiciens. Les Allemands tels qu’ils sont par Emile Ludwig [n° 635]
N° 11 : 15 mars 1940 : La Suisse et la guerre par Henry Bordeaux [n° 716]
N° 12 : 22 mars 1940 : Londres depuis la guerre par Robert L. Cru [n° 717]
N° 13 : 29 mars 1940 : L’Allemagne inconnue par Louis Salomon-Koechlin [n° 636]
N° 14 : 5 avril 1940 : Corsaires par Paul Chack [n° 671]
N° 15 : 12 avril 1940 : Les deux patries des Belges par Louis Piérard [n° 735]
N° 16 : 19 avril 1940 : La Bataille du fer par Pierre Varillon [n° 741]
N° 17 : 26 avril 1940 : La grande misère du paysan russe par Marcel Chaminade [n° 610]
N° 18 : 3 mai 1940 : Le Vatican et le conflit actuel par Pierre Corval [n° 718]
N° 19 : 10 mai 1940 : Les Balkans sont-ils menacés ? par André Pierre [n° 535]
N° 20 : 17 mai 1940 : La Belgique rempart de la civilisation [numéro collectif] [n° 742]
N° 21 : 24 mai 1940 : Les Horreurs de l’invasion. Récits de réfugiés recueillis par Claudie May [n° 637]
N° 22 : 31 mai 1940 : Appel pour notre combat [numéro collectif] [n° 611]

Cet ultime numéro paru trois semaines après le début des hostilités comporte un « Appel » non signé qui est à la fois un plaidoyer discret pour la revue et un appel à poursuivre la lutte :

« il faut mener notre combat non pas seulement contre l'ennemi extérieur dont l'armée envahit la France, mais contre l'ennemi intérieur qui la sape. [...] Il faut la défendre contre telles de ses qualités qui deviennent des défauts, contre ses excès de générosité, d'insouciance, d'hospitalité, qui lui font accueillir et choyer toutes les victimes, vraies ou fausses, de la tyrannie, tous les étrangers, tous ses ennemis mêmes, nous allions écrire ses ennemis surtout. Il faut la défendre contre son insondable puissance d'illusion et d'oubli, contre les exils de son idéalisme, contre le laisser-aller, l'esprit de facilité, la veulerie, le scepticisme, et surtout contre la dénationalisation qui la mine sourdement depuis vingt années. Nous entendons mener ici, dans tous les plans, avant qu'il ne soit trop tard, notre combat pour refranciser la France. »

« Refranciser la France »... voilà un programme « maréchaliste » avant la lettre dont on peut se demander qui l'a rédigé. Il est daté du 27 mai 1940 : Robert Denoël se trouvait alors à Montpellier et il ne rentrera à Paris que le 31. Les trois numéros parus durant son absence ont été publiés sous la direction d'André Fribourg [1887-1948], agrégé d'histoire et homme politique radical-socialiste, qui a participé à tous les numéros de Notre Combat.

 

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Numéros annoncés et non parus :

« Les Forces de l'Empire » par Pierre Lyautey : annoncé dans les n° 1 à 4 de 1939 (21 septembre - 13 octobre)

« Le Nazisme en guerre » par le général Pierre Weiss : annoncé dans les n° 1 à 6 de 1939 (21 septembre - 27 octobre)

« Suite à la " Guerre blanche " » par Georges Duhamel : annoncé dans les n° 2 à 15 de 1939 (21 septembre - 29 décembre) et dans les n° 1 à 6 de 1940 (5 janvier - 9 février)

« L'Islam avec les démocraties » par René Laporte : annoncé dans les n° 11 à 15 de 1939 (1er - 29 décembre) et dans les n° 1 à 7 et 17 de 1940 (5 janvier - 16 février, 26 avril)

« Ceux de la Royal Air Force » par Blaise Cendrars : annoncé dans les n° 4 à 10 de 1940 [26 janvier - 8 mars]

« La Guerre des ondes » par Georges Fraysse : annoncé dans les n° 14 à 20 de 1940 [5 avril - 17 mai]

« L'Or noir » par Georges Roux : annoncé dans le n° 14 du 5 avril 1940

« Le Paysan dans le IIIème Reich » par Marcel Chaminade : annoncé dans le n° 17 du 26 avril 1940

 

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Notre Combat, qui fut une revue de qualité, inspira les autorités d'occupation : moins d'un an après sa disparition, elles chargèrent le journaliste André Chaumet d'en publier une sorte de contrefaçon à leur usage.

La nouvelle revue s'appellera Notre Combat pour la Nouvelle France socialiste mais, le plus souvent, c'est bien « Notre Combat » qui figurera sur les couvertures.

 

Notre Combat pour la Nouvelle France socialiste, financée par l'ambassade d'Allemagne et distribuée par les Editions Le Pont, comporte 88 numéros parus d'août 1941 à avril 1944 : c'est bien de cette revue, qui a traversé toute l'occupation, dont on se souviendra en 1945 pour accabler ceux qui y avaient participé. Les dossiers des épurateurs avaient été bien composés : Robert Denoël ne fut jamais inquiété à ce sujet.