Robert Denoël, éditeur

 

Le Document

 

On trouve une première mention de cette revue littéraire dans L'Intransigeant du 20 septembre 1934, mais Denoël y pensait depuis longtemps. Comme la plupart des éditeurs, il éprouvait le besoin de promouvoir ses publications grâce à un journal ou une revue qui lui appartienne :

L'Intransigeant,  20 septembre 1934

Si l'on en croit Max Dorian, qui s'attribuait beaucoup d'idées neuves, celle de cette revue lui revient. Il est vrai qu'il en racheta le titre en 1937 et qu'il en poursuivit la publication entre février 1938 et février 1940.

Le 25 septembre, un journaliste de L'Intran se rend rue Amélie, où la maquette du premier numéro de la revue lui est présentée. Le Document, dit l'éditeur, paraîtra quatre fois l'an, à partir du début de novembre.

L'Intransigeant,  25 septembre 1934

Le nouveau trimestriel paraît pour la première fois le 25 octobre 1934. Le texte est dû à Maurice Percheron, et la mise en page illustrée, à Franz Pribyl [1915-1975], un peintre autrichien avec lequel Denoël s'est lié depuis l'année précédente : c'est lui qui a décoré la chambre de son fils, né le 14 mars 1933.

    

 

La revue est vendue au numéro et par abonnement. En 1935 l'abonnement annuel [« quatre numéros et les numéros hors série à paraître dans l'année en cours »] coûtait 36 francs pour la France, 45 francs pour l'Europe, 54 francs pour l'étranger. Les abonnés avaient droit en outre « à 24 francs de volumes à choisir au catalogue Denoël et Steele ». Par déclaration au Registre de commerce, le 4 mars 1935, enregistrée sous la cote 14.251, l'éditeur a ajouté aux activités de sa société l'édition de la revue.

Si les auteurs lui apportent généralement un texte prêt à la publication, c'est Denoël qui se charge de trouver les images pour l'agrémenter. C'est le cas du deuxième numéro consacré au pape Pie XI, que l'éditeur est allé voir personnellement à Rome : « J’ai vu le Pape, un petit vieux trapu, puissant et mal rasé. Il louche, semble bilieux et un peu sale dans sa soutane blanche. Il habite une maison qui vous glacerait les moëlles, tant on y voit de marbre, d’or et de chef-d’œuvre », écrit-il à Champigny, le 21 novembre 1934.

Le 19 juin 1935, il écrit à la même amie : « J’ai deux numéros spéciaux du Document en train et cela m’occupe à peu près 14 heures par jour ». Ce sont, heureusement, des numéros rentables : « La France au travail est un numéro publicitaire, payé avant de sortir de presse. Et Les Croix de Feu est un triomphe (115 000 en 6 jours, nous irons peut-être à 200). » Dès cette époque, on ne trouve plus trace de Max Dorian rue Amélie, et Denoël cherche alors à le remplacer.

C'est que le mois de mai s'est révélé catastrophique pour la trésorerie denoélienne, commanditaire de la pièce d'Antonin Artaud, « Les Cenci », qui s'est arrêtée après dix-sept représentations. Le Document en fera les frais : la revue qui, à l'origine, comptait 96 pages et se vendait 10 F, est tombée à 32 pages et se vend 3 F.

Denoël met en route deux numéros pour la fin juillet : « Le Front Commun » et « L'Action Française » mais, comme il l'écrit alors à Champigny, qui lui a proposé un sujet exotique : « Quant à des sujets " internationaux ", je n’en cherche pas. Le Document ne se vend qu’en France. L’étranger n’a plus d’argent. Tout est trop cher sauf Paris-Magazine pour la fesse et Vogue pour l’élégance. »

Au mois d'août Denoël a accepté, à la demande de Champigny, de faire une conférence à Vichy, et il y a rencontré René Barjavel, un jeune journaliste au Progrès de l'Allier, qui racontera plus tard : « Un jour je suis venu interviewer Denoël venu à Vichy pour une conférence. Et nous avons bavardé toute la nuit... Le surlendemain, rentré à Paris, il m'a écrit une lettre pour me demander de travailler chez lui. Vous pensez si j'ai sauté en l'air ! Il avait une revue mensuelle qui s'appelait Le Document dont la particularité était que tous ses numéros étaient spéciaux (Document sur le pape, Document sur le front commun, etc, etc...) »

Avant de lui écrire, l'éditeur avait demandé l'avis de Champigny, et ses exigences n'étaient pas minces :  « Le collaborateur idéal doit être là à n’importe quelle heure, même la nuit quand on a besoin de lui, doit recevoir les photographes, les guider, tenir note des documents qui lui sont confiés par eux, éplucher leur compte quand ils envoient leur facture, se tenir en rapport avec les auteurs quand les textes sont commandés, calibrer avec eux la longueur de leur copie, pouvoir supprimer ou ajouter le cas échéant, se tenir en contact avec l’imprimerie et avoir assez d’autorité sur les chefs de fabrication pour obtenir le travail à la date prévue. Passer des marchés de papier et savoir toujours quelles quantités il y a en magasin, quelles quantités il faut employer, etc. »

Tout cela sera compensé par le travail de fabrication de la revue « qui est absorbant, pas fastidieux pour un sou, qui laisse un peu de loisirs à celui qui l’assume durant le temps de battement qui sépare la fabrication des deux numéros. Est-ce que vous croyez que Barjavel réunit les qualités nécessaires ? »

Quand à la question matérielle : « je ne puis pas immédiatement tout au moins faire grand chose. Il faudrait partir pour commencer à 1200 frs les trois premiers mois. On passerait ensuite à 1500 et les appointements iraient en augmentant selon les possibilités de la maison. Un collaborateur de ce genre, sauf catastrophe, devrait en deux ou trois ans se faire une situation très honorable. »

Dans La Charrette bleue Barjavel écrira : « Il n'y avait pas de fins de mois aux éditions Denoël, dont j’étais le chef de fabrication. Denoël, éditeur génial et impécunieux, me donnait de l'argent quand il en avait, par petits morceaux. Je n'ai jamais su exactement ce que je gagnais. »

C'est à partir du numéro de septembre 1935 que René Barjavel dirigera la fabrication du Document, mais l'élan initial est brisé. Le 28 août 1936 Denoël écrit à Champigny : « Le Document dort depuis 3 mois, mais j’espère le ressusciter à la rentrée sous forme hebdomadaire. »

Il n'y a aura plus qu'un numéro de 16 pages cette année-là, consacré au Parti radical-socialiste. Champigny avait proposé un numéro sur la Nouvelle-Calédonie mais les conditions posées par l'éditeur étaient telles que l'entreprise tourna court.

Le 29 janvier 1937, l'affaire était pratiquement terminée : « l’année s’est révélée désastreuse : mévente du livre, mévente du Document, difficultés avec Steele », écrit-il à Champigny.  Barjavel dira plus tard : « Cette revue déficitaire a vite été abandonnée par Denoël qui m'a tout de même gardé près de lui comme chef de fabrication, car je connaissais tout de la fabrication sur le bout des doigts. »

L'Echo de Paris,  12 février 1938

Il ne restait plus qu'à en céder les droits à Max Dorian, l'initiateur de la revue en 1934, qui créa au n° 28 de la rue du Four, les Editions S.P.E.G., pour la distribuer. Le 6 novembre 1937, Dorian devenait propriétaire du titre de la revue. Le Document, devenu mensuel, et ayant conservé la même formule (« Un sujet, un auteur ») reparut le 15 février 1938 et disparut définitivement le 15 février 1940.

En octobre 1935 l'éditeur avait fait réaliser une reliure mobile permettant d'encarter les numéros parus. On ne sait quel accueil lui firent les lecteurs et abonnés car je ne l'ai rencontrée qu'une seule fois : chez Auguste Picq, le comptable de la maison.

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Première année :

N° 1 [25 octobre 1934] : U.R.S.S. puissance d’Asie par Maurice Percheron [n° 974]

N° 2 [25 janvier 1935] : Le Pape dans le monde contemporain par Joseph Ageorges [n° 975]

N° 3 [1er avril 1935] : La Femme française par Germaine Beaumont [n° 976]

[N° 4] Numéro spécial [1er juin 1935] : La France au travail par Blandine Ollivier [n° 977]

N° 5 [juillet 1935] : Mers du Sud par Hugo Bernatzik [n° 979]

[N° 6] Numéro spécial [21 juin 1935] : Que veulent... que peuvent... les Croix de Feu ? par Georges Suarez [n° 978]

[N° 7] Numéro spécial [juillet 1935] : Que veut... que peut.. le Front Commun ? par Georges Suarez [n° 981]

[N° 8] Numéro spécial [juillet 1935] : Que veut... que peut.. L’Action Française ? par Simon Arbellot [n° 980]

Deuxième année :

N° 1 [octobre 1935] : Où va notre argent ? par Pierre Martignan [n° 982]

N° 2 [novembre 1935] : L’Europe en armes par le colonel..., présenté par le général Weygand [n° 983]

N° 3 [décembre 1935] : Le Front paysan par Jacques Dyssord [n° 984]

N° 4 Numéro spécial [décembre 1935] : Antilles et Guyane par Edouard Beaudu [n° 1011]

N° 5 [janvier 1936] : Les Forces catholiques de la France par Paul Lesourd [n° 985]

N° 6 Numéro spécial [janvier 1936] : Le Front Populaire vaincra-t-il aux élections ? par Raoul Ouvrard [n° 986]

N° 7 [février 1936] : Aux frontières de l’au-delà par Jean Labadié [n° 987]

N° 8 [1er mars 1936] : Rois et reines dans l’intimité par Hans-Roger Madol [n° 988]

N° 9 [mars1936] : Sommes-nous défendus ? par Lucien Souchon [n° 989]

N° 10 [1er avril 1936] : La Guerre viendra-t-elle du Japon ? par Marc Chadourne et Maurice Percheron [n° 990]

N° 11 [mai 1936] : Les Fraudeurs par Maurice Bedel [n° 991]

N° 12 [octobre 1936] : Le Parti radical-socialiste par Louis Hipeau [n° 992]

Troisième année :

N° 1 [avril 1937] : La Tragédie des volontaires d’Espagne par Georges Suarez [n° 993]

N° 3 [mai 1937] : 40 ans de radio, sous la direction d'Eugène Aisberg [n° 994]

 

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Numéros annoncés et non parus :

Juin 1935 : un numéro consacré aux « Dictateurs » dû à Jacques Bainville, annoncé pour septembre