Robert Denoël, éditeur

1936

 

À Luc Dietrich

Paris, le 20 janvier 1936

Mon cher ami,

Je vous envoie cinquante francs pour que vous preniez votre mal en patience. Le restant demain matin. Mais ce serait plus simple de passer.
    Bien cordialement,


    R. Denoël


* Autographe : collection famille Luc Dietrich.

 

À Louis-Ferdinand Céline

21 Janvier 1936

Cher Monsieur,

Comme convenu avec Monsieur Denoël, nous vous prions de vouloir bien trouver, ci-dessous, détail des sommes que nous vous avons réglées pendant l'année 1935 :


Février 28 - N/ chèque.................................................... 8.000 frs
Avril 1 - d°....................................................................... 8.243,30
Juin 13 - d°.....................................................................  7.500
” 30 - Traite....................................................................   1.200
Juillet 31 - d°..................................................................   1.200
Août 31 - d°....................................................................   1.207,80
Septem. 15 - d°..............................................................    7.500
Novem. 30 - d°.................................................................. 1.000
Décem. 31 - d°................................................................. 1.060,65

Total.............................................................................. 36.911,75

Nous vous prions d'agréer, Cher Monsieur, nos sincères salutations.
    Pour les Editions Denoël & Steele,
    Le Chef de la Comptabilité,

[Auguste Picq]


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël. L'éditeur publie, sous la même date, un « Etat des sommes perçues pour traductions pendant l'année 1935 », non signé, mais dû au comptable.
3 Avril 1935     -     Little Brown.........................................  1.499,55
10 ”        ”        -     Karavan..............................................     100
18 ”        ”        -     Borovy................................................     933,20
17 Septembre  -    Chatto-Windus....................................       475,80
”          ”            -    Julius Kittls..........................................    355,20
Total.................................................................................   3.363,75

 

À Irène Champigny


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

24/1/36

Chérie, je vous écris seulement pour vous dire que j’ai reçu votre carte, que Cécile a reçu la sienne et Fifou les amitiés de Doudou (1). Tout le monde a été heureux d’avoir de vos nouvelles. Mais tout le monde est bien ennuyé de vous savoir malade et dans l’embarras. Est-ce bien prudent de demeurer dans ce pays humide et d’y habiter une maison ruineuse, pour parler comme Ronsard (2) ? Mais je n’ajoute rien puisque je n’ai pas de remède à vous offrir.
    Vos tableaux ornent nos murs et donnent à l’appartement une stabilité nouvelle. Ils nous feraient penser à vous, s’il en était besoin. Vous êtes très proche de nous. Ces quelques mois m’ont donné des raisons plus vives de vous aimer.
    Pour moi, je suis dans un grand effort pénible, souvent douloureux à l’extrême, mais fécond. Tout ce tourment n’est pas vain, j’en suis maintenant assuré. Mes affaires s’arrangent et ne s’arrangent pas, mais il y a un progrès et un espoir bien fondé de sécurité pour un avenir assez proche.
    Je viens de découvrir un très curieux manuscrit, dans des circonstances romanesques que je vous conterai, un jour. Un manuscrit qui vous enchantera. Il s’intitule provisoirement : « Je n’aimerai plus ». L’auteur est d’ailleurs plein d’illusions (3).
    Au revoir, Chérie. Je vais vous envoyer livres et brochures par petits paquets. Vous ne nous dites pas si vous logez déjà chez vous ou si vous avez pris pension quelque part.
    Je vous embrasse. Que ne puis-je vous envoyer un peu de chaleur et de santé !


    Robert


1. La chienne labrador de Champigny.
2. Denoël veut parler d'une maison ruinée : un incendie est survenu dans sa maison de Mézels et Champigny lui a confié plusieurs œuvres d'art.
3. Confessions amoureuses que Denoël publiera début avril sous le titre Tu n'aimeras plus avec, en sur-titre : « Les Papiers de Fabio ». Durant plusieurs mois, les chroniqueurs vont s'ingénier à identifier son auteur, sans succès.
* Autographe : collection Jean-Pierre Blanche.

À Irène Champigny


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Samedi 1/2/36

Chérie, Je ne peux pas encore vous écrire aujourd’hui. A mes difficultés normales, s’ajoute une cause nouvelle de désarroi. Une de mes sœurs (1) est en train de mourir, Cécile est partie près d’elle. Je demeure à Paris et ne la reverrai, sans doute, que morte. La nouvelle m’a accablé, jeté dans une tristesse pesante. Cette fille de vingt-deux ans renonce à la vie, cède à la tuberculose. Il y a deux ans, nous l’avions vue forte comme une jeune bête, avec de gros membres paysans, les joues d’un bon rouge, l’œil vif. Et la voilà qui se consume. C’est cette négation qui me navre, cet abandon et cette famille qui se désagrège. Je voudrais sauver les deux survivantes, sans parler de la troisième qui soigne les lépreux au Congo et que nous ne reverrons sans doute jamais.

Le grand problème est de me sauver moi-même et alors les autres suivront. J’en suis sûr. Et j’y travaille, jour et nuit, dans un effort amer. L’angoisse me ravage parfois la nuit au point que je me réveille le corps ruisselant, les membres brisés. Je rêve toutes les nuits, moi qui ne recueillais aucun rêve, j’en fais de belles moissons. Et, parallèlement, j’organise ma vie, je reconstruis, mais les vieilles ruines ne sont pas encore déblayées.

C’est vous dire que je comprends vos déchirements, vos luttes, l’atroce bouleversement où vous jette la connaissance de votre être profond, quand elle s’ajoute à cette souffrance sans relâche qui semble être votre lot. Mais ne soyez pas trop dure envers vous-même, Chérie, prenez la douceur là où elle se donne à vous. Epargnez-vous. Ne sentez-vous pas que vous avez droit à plus d’abandon, à un peu de quiétude. Ce tourment qui vous déchire, pourquoi vouloir toujours y ajouter ? Votre lettre était pleine de larmes mais toute fleurie de bonté et d’amour.

Elle m’a fait un grand bien, elle a apporté votre souffle dans ce bureau où je ne respire que poussière morte, zut ! mon stylo crache, on m’interrompt, je vous quitte, Chérie, pour me replonger dans des calculs d’équilibre. Mais, grâce à vous, aujourd’hui tout sera moins ardu.

Je vous embrasse très tendrement


    Robert


1. Née à Liège le 1er mars 1912, Suzanne Denoël est morte à Eupen le 15 février 1936.
* Autographe : collection Jean-Pierre Blanche.

À Joë Bousquet


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël & Steele
Paris VIIe - 19 Rue Amélie

Paris, le 6 Février 1936

Cher Monsieur,

Je vous envoie aujourd’hui la fin de vos épreuves (1). Votre aimable lettre du 28 janvier m’est bien parvenue, ainsi que la liste du service de presse qui me paraît fort judicieusement établie.
  Comment voulez-vous procéder pour ce service ? Voulez-vous que nous vous fassions parvenir un paquet des premières feuilles des volumes, que nous ferons brocher ensuite ; ou bien voulez-vous que nous vous fassions adresser un ballot par l’imprimeur ? Il me semble que la première formule serait la meilleure.
  Ne vous préoccupez pas du fait que vous dépassez légèrement le chiffre convenu entre nous au sujet des services de presse. Le chiffre était là à titre indicatif seulement.
  D’autre part, en ce qui concerne les écrivains qui vous ont fait des politesses en votre qualité de critique, il n’est pas d’usage, en ce cas, de la rendre. Les critiques parisiens absorberaient un tirage rien qu’en services de ce genre.
  Nous paraîtrons le 28 février prochain, de telle façon que le service de presse soit déjà parvenu aux principaux critiques quand le volume sera mis en librairie.
  Veuillez agréer, Cher Monsieur, avec mes remerciements, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

R. Denoël

1. Celles de La Tisane de sarments, qui paraît en effet le 28 février, dont le service de presse est fait le 3 mars, et qui est mis en vente le 20 mars.
* Autographe : collection Mme Henriette Patau, sœur de l'écrivain.

 

À Irène Champigny


[Papier à en-tête de L'Anthologie sonore, 19 rue Amélie] (1)

Paris, le 10/2/36

[...] J'ai pensé aussi à ton horoscope : il doit y avoir une erreur d'heure de naissance. L'ensemble est bon, mais le facteur principal manque. Rien que quelques minutes peuvent suffire à rendre tout faux. Pour bien faire, il serait bon d'envoyer à ton astrologue une série de dates importantes, afin de lui permettre la reconstitution de ton horoscope.
    Par un processus de rétro-rotation, il peut alors retrouver exactement l'heure de la naissance. C'est un long travail pour lui, mais il n'y perdrait pas sa peine. Donne-lui une vingtaine de dates, très marquantes, et espacées sur une période de 15 ans. Cela lui facilitera son travail. Surtout, n'oublie pas de lui indiquer, très exactement, le moment où tu vis Catherine pour la première fois, ainsi que le moment de son départ définitif. La date, et si possible, l'heure de ton opération - enfin des points culminants - tu vois le genre. Surtout n'oublie pas les dates où tu faisais des voyages sur l'eau - les autres ont, pour toi, moins d'importance (2).
    N'oublie pas ce que je t'ai dit, ma douce - sois bonne pour toi. Crois-moi, c'est capital pour toi.
    Je t'embrasse bien, de profonde affection.

Bernard


1. La société L'Anthologie sonore a été créée par Bernard Steele en octobre 1934. Un bureau de vente de disques classiques lui a été réservé rue Amélie, avec une vendeuse d'origine belge : Madeleine de Wattripont, qui deviendra deux ans plus tard Mme René Barjavel.
2. On savait Bernard Steele versé dans la psychanalyse mais ses connaissances en astrologie impressionnent, d'autant qu'il s'adresse à quelqu'un qui n'ignore pas le sujet, puisque Champigny tire régulièrement les cartes et les tarots à ses amis, et se passionne depuis longtemps pour la graphologie.
* Autographe : collection Mme Olivia Brunel.

À Irène Champigny


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

13/2/36

Chérie, Steele (1) m’a dit qu’il vous avait trouvée vaillante, pleine de feu, nullement accablée par vos souffrances et sans pleurs devant les ruines. Il a passé des journées et des nuits bienfaisantes auprès de vous. Je l’ai retrouvé l’œil désembrumé, avec une tendance au rire entier et à la bonhomie que je ne lui avais plus vue depuis longtemps.
    Je m’excuse et je me désole de n’avoir pas deux ou trois bonnes heures de liberté pour répondre à vos lettres. Le tourbillon n’arrête pas et si je me sens un peu moins fétu de paille, je ne suis pas tellement assuré que je puisse m’abandonner à moi-même et parler avec vous du profond du cœur. Dans trois mois, sinon davantage, je sortirai de ma prison d’argent. Alors je pourrai lier deux idées étrangères à ces soucis de gros sous.
    Nous avons eu une grande peine à l’annonce de la maladie de ma sœur. Elle va mourir (2), Cécile y est allée. Et moi, cela m’a replongé dans l’horreur de tous ces destins manqués, de ces vies malheureuses, sans rayonnement. J’ai passé des jours pénibles. Et puis le temps emporte tout, je me suis déjà habitué à cette mort. Je suis ainsi. Il faut que je me tourne vers les vivants.
    Ne soyez pas mécontente si je ne réponds pas tout de suite à votre proposition d’édition, à vos lettres. Il ne faut pas que j’entreprenne des choses nouvelles maintenant. J’ai déjà tellement de mal à en sortir avec celles que je connais bien !
    Je vous embrasse parce qu’il est tard mais je voudrais demeurer avec vous et que vos mains soient dans les miennes, abandonnées et aimantes.


    Robert


1. Bernard et Mary Steele ont passé quelques jours chez Champigny.
2. Suzanne Denoël est morte deux jours plus tard.
* Autographe : collection Jean-Pierre Blanche.

À Irène Champigny

Sans date [16 février 1936]

[...] Bernard Steele m'a donné de vos nouvelles. Il m'a dit que vous ne pouviez pas sans danger rester à Mézels (1), et que Mme Estier vous offrait un refuge je ne sais plus où, mais enfin pas trop loin de Paris, un endroit où on pourra aller vous voir le dimanche, de temps à autre. Champi, ma très chère soeur, ce serait ici encore, un nouveau déménagement, mais je ne voudrais pas qu'à la peine physique vienne s'ajouter un désarroi moral.

[...] Vous comprenez, Champi, il faut que je devienne un homme, pour moi et pour Robert, qui commence à s'énerver de me voir peiner à sortir de mon enfance (2). Vous savez, vous qui me connaissez si bien, combien je suis enfant sauvage, le petit paysan de Nyons. Il faut que je m'en guérisse ou que je retourne à la terre qui adhère encore tant à mes semelles. [...]

R. Barjavel


1. « La Mézellerie » a été ravagée par un incendie en janvier.
2. René Barjavel a été engagé par Denoël, sur la recommandation de Champigny, le 15 octobre 1935, en qualité de « secrétaire de rédaction » de sa revue Le Document.

* Autographe : collection Mme Olivia Brunel.

À Irène Champigny


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Mercredi le 19/2/36

Une vie, mon petit, mais une vie dont on ne peut pas se rendre compte ! Je ne fais que galoper, du matin au soir, depuis la Chambre des Députés jusqu'au Ministère de l'Intérieur, en passant par les bureaux des chefs de service, etc, etc. J'ai alerté tout Paris pour ta bicoque (1), et si je ne réussis pas, ce sera vraiment qu'il n'y a rien à faire. Mais j'ai bon espoir : peut-être pas pour toute la somme, mais au moins pour une partie.
    Quoi qu'il en soit, de ma vie je n'ai jamais vu autant de fonctionnaires, de députés et de ministres. Et moi qui, depuis treize ans que j'habite Paris (2), n'avais jamais mis les pieds à la Chambre ! Enfin, c'est pour le bon motif - et c'est cela qui compte.

Quant à moi - j'ai réussi à parer le premier coup qui s'est transformé en une victoire éclatante. Le deuxième coup est tombé comme prévu - c'est plus dur. Si j'arrive à m'en sortir (de cette deuxième passe d'armes) tu pourras te vanter de ton Bernard - il aura réussi quelque chose ! Malheureusement, tout ceci retarde mon voyage. Si tout va pour le mieux, aussi bien pour ta maison que pour mes petites affaires personnelles, le plus tôt que je pourrais songer à partir serait vers le 6 mars. Et pourtant, ce voyage est indispensable pour mon affaire (3). Mais je ne suis qu'un seul homme et ne puis, par conséquent, m'occuper de trop de choses en même temps. [...]

Mille choses tendres. Affectueusement,

Bernard


1. Bernard Steele s'évertue à obtenir une indemnisation pour l'incendie dont a été victime la maison de Champigny à Mézels.
2. Un rapport des Renseignements Généraux français daté du 30 juin 1935 indique que Bernard Steele est « arrivé en France au début de mai 1925, nanti du passeport américain n° 468.717 visé au consulat de France à New York le 19 août 1924 ».
3. On ne sait rien des « affaires personnelles » qui préoccupent Bernard depuis plusieurs mois mais, manifestement, elles ne concernent plus sa maison d'édition.

* Autographe : collection Mme Olivia Brunel.

À Louis-Ferdinand Céline

27 Février 1936

[Pneumatique]

Cher Ami,

J'ai bien reçu votre contrat (1). Je suis d'accord en principe sur tous les points. Je ne veux pas discuter puisque vous êtes le plus fort. Néanmoins, je proteste avec énergie contre la rédaction des additifs suivants :
    1°) Pendant les six premiers mois qui suivront la parution de chaque nouvel ouvrage, l'auteur recevra, chaque fin de mois, sa part du comptant versé par les libraires. Et sur les règlements par traites, l'auteur touchera tous les trois mois ce qui lui revient.
    2°) D'autre part, tous les bénéfices réalisés sur la vente au commerce de tous les exemplaires de luxe de chaque ouvrage seront partagés à égalité entre l'éditeur et l'auteur.
    Je proteste parce que ces textes sont pratiquement inapplicables.
    1°) « Le comptant versé par les libraires » est très peu de chose, car le libraire ne paie jamais un livre, mais pour l'ensemble de ses ventes du trimestre, il serait impossible de s'y reconnaître.
    Je sais que vous faites allusion dans ce paragraphes au versements d'Hachette, mais nous avons depuis deux ans un accord général avec Hachette (2), qui prend tous nos livres en dépôt et qui règle d'une façon convenable, au fur et à mesure des ventes, par conséquent il n'y a plus de versement comptant de ce côté.
    Les règlements par traites ne portent pas non plus uniquement sur vos ouvrages, mais sur tous les ouvrages de la Maison. La distinction est pratiquement impossible à faire.
    Pour simplifier et dans un esprit de conciliation que vous apprécierez, je l'espère, je vous propose l'arrangement suivant, qui évitera toute espèce de discussion :
    Pour le calcul des droits à verser à l'auteur pendant les trois premiers mois qui suivront la mise en vente de chaque ouvrage nouveau, les éditeurs se baseront sur les chiffres de tirage, comme il est dit ci-après :
    A la fin du premier mois qui suivra la mise en vente, les éditeurs régleront à l'auteur des droits sur le 1/4 du chiffre total des exemplaires sortis de leur magasin.
    A la fin du deuxième mois, les éditeurs régleront des droits sur la moitié du chiffre total des exemplaires sortis de leur magasin.
    Pendant les trois mois qui suivront, les éditeurs régleront les droits en se basant encore sur les 3/4 du chiffre total des exemplaires sortis de leur magasin.
    Six mois après la mise en vente, un inventaire sera fait des exemplaires invendus, compte tenu des exemplaires retournés et des exemplaires en dépôt chez les libraires. L'estimation du dépôt chez les libraires ne pourra être supérieur à 10 % du tirage total.
    Aussitôt après cet inventaire, les Editeurs régleront la totalité des droits restant dus. Au cas où l'auteur aurait touché des droits supérieurs à ceux qui lui seraient dus, le surplus serait porté en compte et déduit des règlements futurs.
    En ce qui concerne les bénéfices réalisés sur la vente des exemplaires de luxe, il nous est impossible d'évaluer ces bénéfices, le tirage des exemplaires de luxe étant compris dans le premier tirage de l'ouvrage.
    Pour vous donner toute satisfaction, je vous propose de vous donner sur les exemplaires de luxe les droits maximums, c'est-à-dire 18 % du prix fort, payables à la fin du 3e mois qui suit la mise en vente.
    Je crois que cette façon de procéder est beaucoup plus simple et plus facilement contrôlable que celle que vous me proposez ; je veux avant tout éviter les contestations et ce, pour votre tranquillité et la mienne.
    Si ma façon de faire ne vous convient pas, proposez-moi un autre mode de paiement, mais que ce mode soit clair et qu'il nous évite à tous deux des discussions infinies.
    Si vous êtes d'accord, je ferai retaper l'additif au contrat tel que je vous le propose et je l'enverrai aussitôt à la signature (3).
    Bien cordialement à vous,

[Robert Denoël]


1. Après d'âpres et interminables discussions à propos du montant des droits d'auteur sur son nouveau roman à paraître, Céline propose des additifs de dernière minute.
2. Dauphin et Fouché datent de mai 1936 les accords entre l'éditeur et le distributeur pour Mort à crédit. La présente lettre montre que Denoël avait traité bien plus tôt avec Hachette, et pour tous les ouvrages parus rue Amélie.
3. La formule proposée par Denoël est celle qui sera retenue, et acceptée dès le lendemain par l'auteur. On peut croire qu'il est satisfait du résultat de son marchandage, ce qui ne l'empêche pas d'écrire à Charles Bonabel : « Mes éditeurs sont ce que vous savez. C'est tout dire. Je ne les ai jamais revus et ne les reverrai de la vie. Rien de plus odieux que ces commerçants d'art. Fielleux et plus retors et pillards qu'une banque d'émission. Enfin j'en ai sorti quand même l'essentiel mais non sans insultes périodiques. » [Lettres. La Pléiade, 2009, lettre 36-5].
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Irène Champigny

Sans date [février 1936]

Je vous remercie pour la chienne blonde, Champi, mais je n'en veux pas, pas plus que je ne désire une chatte de Doyon (1). J'ai besoin d'un être à l'épaule de qui je puisse parfois, aux moments de trop grande lassitude, confier ma tête, quelqu'un dans mes bras, le soir, pour m'endormir. Je n'ai pas fini de chercher ma mère (2), Champi. Je la chercherai, je crois, toute ma vie. [...]

L'autre soir, chez Robert, j'ai fait la connaissance du Dr Laforgue (3). J'ai eu la surprise de voir Robert perdre devant lui toute son assurance, être devant lui en admiration comme un enfant, comme moi je le suis devant Robert. Et pourtant, Champi, Robert vaut mieux que lui. Il ne m'a pas emballé du tout, ce brave psychanalyste. Mais je pense que chacun de nous, Robert peut-être plus que quiconque, a besoin d'avoir quelqu'un à admirer.
    Je vous laisse, Champi, je vais dormir après avoir lu quelques pages de Grabinoulor (4), un livre excellent pour vous mettre l'esprit en état de repos, prêt à accueillir le sommeil.

Je vous embrasse de toute mon affection, de tout mon cœur de rose.

R. Barjavel


1. Dans une lettre précédente, Barjavel se plaignait de sa solitude à Paris, « sans même un chien ». Champigny lui a proposé une petite chienne, et René-Louis Doyon [1885-1966], qui travaille par intermittence rue Amélie, une petite chatte.
2. Marie Barjavel-Paget est morte le 29 mai 1922, alors que Barjavel n'avait que onze ans.
3. René Laforgue [1894-1962] dirigeait, depuis 1931, la « Bibliothèque Psychanalytique » chez Denoël et Steele.
4. Récit de Pierre Albert-Birot paru chez Denoël et Steele en mars 1933.
* Autographe : collection Mme Olivia Brunel.

 

À Louis-Ferdinand Céline

Paris, le 12 Mars 1936

Cher Ami,

Veuillez trouver, ci-inclus, le compte des exemplaires vendus du « Voyage au Bout de la Nuit » durant les derniers mois.
    Nous vous prions de trouver, d'autre part, une traite de frs : 812,15 acceptée à la date du 15 mai prochain.
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de nos sentiments les meilleurs.
    Les Editions Denoël & Steele,

[Robert Denoël]


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Louis-Ferdinand Céline

Paris, le 12 Mars 1936

Cher Ami,

Comme suite à notre dernier contrat (1), il est entendu que les droits de 18 % prévus au-dessus de 50.000 exemplaires commenceront à courir à partir du 40.000 et unième exemplaire.
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de nos sentiments les meilleurs.

[Robert Denoël]


1. Le contrat signé le 28 février par les deux parties stipule clairement que l'auteur percevra 12 % sur les ventes jusqu'à 20 000 exemplaires, 15 % sur les ventes jusqu'à 50 000, et 18 % sur les ventes au-dessus de 50 000. A quelques jours de la mise en vente de Mort à crédit, Céline se livre à un nouveau chantage. Soucieux de ne pas envenimer leurs relations, l'éditeur accepte ses nouvelles conditions.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Pierre Albert-Birot


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Paris, le 14 Mars 1936

Cher Ami,

On me dit que vous auriez de sérieuses chances d’avoir le prix littéraire décerné par la Brasserie Lipp (1).
    Il me faudrait pour lundi matin à 9 heures, au plus tard, une notice bio-bibliographique pour distribuer, le cas échéant, aux journalistes.
   Je ne veux vous donner aucun espoir, car cent fois on m’a promis des prix littéraires, que j’ai vu attribuer à d’autres, mais enfin il faut faire sa petite besogne. C’est pourquoi je me permets de compter sur vous.
   Bien cordialement,

 R. Denoël


1. Grabinoulor obtiendra effectivement, le 17 mars, le prix Marcellin Cazes 1936.
* Autographe : collection Mme Arlette Albert-Birot.

À Irène Champigny

Ce samedi, s.d. [mars ? 1936]

Je ne puis pas t'expliquer le « pourquoi » de ma rentrée à Paris - il fallait que j'y fusse à l'heure dite, et, une fois de plus, mon instinct ne m'a pas trompé. Sache pourtant que je suis menacé, très menacé, et que les deux coups - dont l'un s'était déjà produit (j'attends l'autre de seconde en seconde) - pouvaient facilement m'annihiler ! Pas moins !! Il me faut rester encore le temps de poser le second coup - après - je pourrai peut-être partir. Si cela se trouve, ce serait peut-être là la seule issue. Il n'agit pas d'une fuite - peu s'en faut - mais d'un refus après le plus dur combat que puisse mener un homme. Tu en auras des nouvelles, mais de vive voix seulement. Il est des choses que l'on n'écrit pas ! (1)
    D'ici lundi soir, tu auras de moi un télégramme. De deux choses l'une : ou je pourrai partir tout de suite, et en ce cas, je te fixerai rendez-vous, ou il me faudra rester un temps impossible à prévoir. S'il me fallait rester, vas, toi, dans le midi - on verra après. [...]

Bernard


1. Les affaires personnelles de Steele, très mystérieuses, ne paraissent pas concerner sa maison d'édition mais, depuis plusieurs mois, il est bien question pour lui de quitter Paris.
* Autographe : collection Mme Olivia Brunel.

À Louis-Ferdinand Céline

30 Avril 1936

Mon Cher Ami,

Vos scrupules vous honorent et je suis heureux que vous m'en ayez fait jusqu'à présent bénéficier. En effet, puisque la formule règlement a changé, il n'y a pas de raison d'y sacrifier plus longtemps. Je suis entièrement d'accord avec vous pour vous remettre à la fin mai (1) un chèque de 20.000 frs, ou à votre gré des espèces.
    Je vous préviendrai vers le 10 juin de l'importance du règlement que je pourrai vous faire à la fin de ce mois.
    Il m'est absolument indifférent de vous régler par traite ou par chèque, dès l'instant que nous nous mettons d'accord sur la somme à décaisser quelques jours à l'avance. Ne craignez pas de me ruiner ; au contraire, j'ai toujours considéré votre présence dans cette maison comme une source appréciable de revenus. Soyez assuré de ma reconnaissance (2).
    Et croyez-moi, je vous prie, votre entièrement dévoué,

[Robert Denoël]


1. L'article 5 du contrat stipule : « A la fin du premier mois qui suivra la mise en vente, les éditeurs régleront à l'auteur des droits sur le 1/4 du chiffre total des exemplaires sortis de leur magasin ». Mort à crédit sera mis en vente le 12 mai. C'est donc fin juin que ces premiers droits auraient dû être versés à l'auteur. Denoël cède à nouveau aux exigences de l'écrivain.
2. Ces propos ironiques ne doivent pas faire oublier qu'à trois jours de l'avènement du Front populaire, Denoël se trouve dans une position financière inconfortable, et qu'il n'est pas seul à diriger sa maison d'édition. La réponse à l'auteur aurait sans doute été tout autre si elle avait été rédigée par Bernard Steele, son associé et bailleur de fonds.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Lucien Descaves


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël & Steele
Paris VIIe - 19 Rue Amélie

Paris, le 6 mai 1936

Mon Cher Maître et ami,

Voici les 544 premières pages de « Mort à crédit » (1). Je ne veux pas vous faire attendre plus longtemps ce magnifique ouvrage. Je recevrai la fin vendredi soir et vous le ferai porter aussitôt.

Et la semaine prochaine, vous recevrez l’exemplaire sur Japon, non expurgé, qui vous est destiné. J’y joindrai pour la commodité de la lecture un exemplaire ordinaire.

Veuillez agréer, mon Cher Maître et ami, l’expression de mes sentiments très respectueux.

R. Denoël


1. L'éditeur lui envoie donc les épreuves du livre, qui est sous presse et sera mis en vente le 12 mai. L'ouvrage imprimé comporte 700 pages.
* Autographe : reproduit en 2015 sur l'Internet.

À Louis-Ferdinand Céline

8 Juin 1936

Cher Ami,

Comme suite à notre entretien, je vous confirme notre accord au sujet d'une cession éventuelle du « Voyage au bout de la nuit » pour une édition de luxe d'un tirage inférieur à 300 exemplaires (1).
    Nous demandons pour ce tirage une somme de 10.000 frs payable à la signature du contrat de cession, étant entendu que vous vous occupez personnellement de la cession de vos droits d'auteur.
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de nos sentiments les meilleurs.
    Les Editions Denoël & Steele,

[Robert Denoël]


1. Il ne peut s'agir de l'édition illustrée par Gen Paul annoncée par Denoël en mars 1935, et abandonnée depuis. Apparemment c'est l'auteur qui a pris l'initiative de ces pourparlers commerciaux. L'article VII de son contrat pour Voyage le lui permet, « à la condition expresse que le prix de vente du volume soit au moins trois fois supérieur à celui de l'édition Denoël et Steele ». Le projet restera sans suite.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

[ Le 15 juillet 1936 Denoël publie Apologie de Mort à crédit, avec un service de presse important. Voici les dédicataires que j'ai identifiés : ]

Couverture,  juillet 1936   Envoi à Charles Bernard,  juillet 1936   Envoi à Cécile Denoël,  juillet 1936   Envoi à Marcel Espiau,  juillet 1936   Envoi à Victor Moremans,  juillet 1936

* Charles Bernard [1875-1961], éminent critique belge qui, le 27 mai, a rendu compte favorablement du roman dans La Nation Belge et dont Denoël utilise l'article pour clôturer sa démonstration : « A Monsieur Charles Bernard/ très reconnaissant et très respectueux/ hommage/ R. Denoël ».

* Cécile Denoël [1906-1980], sa femme : « La voilà enfin cette brochure,/ chérie, il n'y a que le premier/ pas qui coûte. Tendrement/ Robert ».

* Marcel Espiau [1899-1971], journaliste à L'Echo de Paris : « A Marcel Espiau/ Ami de Céline et de/ Robert Denoël ».

* Bernard Grasset [1881-1955], son confrère éditeur : « A Bernard Grasset,/ bon juge,/ en témoignage d'admiration/ Robert Denoël ».

* Max Jacob [1876-1944] : exemplaire figurant dans le fonds Joseph Pérard de la Bibliothèque municipale de Lyon [texte de la dédicace inconnu].

* Victor Moremans [1890-1973], journaliste à la Gazette de Liége : « A Victor Moremans,/ à l'ami très cher,/ au critique intègre et judicieux,/ ces notes écrites en marge de/ " Mort à crédit "/ R. Denoël ».

 

À Pierre Albert-Birot


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël & Steele
Paris VIIe - 19 Rue Amélie

Paris, le 21 Juillet 1936

Cher Ami,

Décidément les circonstances ne semblent pas favorables à l’édition de votre manuscrit (1). Je vous le retourne à mon très vif regret.
    En vous priant d’agréer l’expression de mes sentiments bien amicaux.

Robert Denoël

[Ajouté à la main :] Pourquoi ne tâteriez-vous pas de Gallimard ? Il regorge d’argent.


1. On ne sait de quel manuscrit il s'agit, peut-être celui de « Rémy Floche, surhomme », la suite de Rémy Floche, employé que Denoël a édité en avril 1934 et qui se révélera une « panne » complète.
* Autographe : Université d'Austin, Texas, fonds Carlton Lake.

 

À Louis-Ferdinand Céline

30 Juillet 1936

Cher Ami,

Contrairement à ce que vous espériez, il me sera absolument impossible de vous régler Frs : 23.000 vendredi matin (1). Les circonstances actuelles me contraignent à me tenir strictement dans les limites du contrat que nous avons passé le 28 février 1936.
    Selon les termes de ce contrat, je vous devais à fin juin le règlement sur le quart du chiffre total des exemplaires sortis de nos magasins. Ce chiffre s'élevait alors à 30.000 exemplaires moins les 5 % de passe. Le règlement portait donc sur 7.125 ex. à 12 % du prix fort (3 frs) soit............................................................. Frs : 21.375.
    A fin juillet le contrat prévoit le règlement des droits sur la moitié du chiffre total des exemplaires sortis de nos magasins. Ce chiffre s'élève à 34.500 exemplaires moins les 5 % de passe. Le règlement porte donc sur 16.388 ex. à 12 % du prix fort (3 frs) soit................................................................................................ Frs : 49.164.
    Or, il vous a été versé à ce jour en deux acomptes une somme de Frs : 40.000 à valoir, moitié fin mai et moitié fin juin. Nous restons donc vous devoir à ce jour une somme de Frs : 9.164, que nous vous prions de bien vouloir trouver, ci-inclus, en un chèque sur le Comptoir National d'Escompte, que vous pourrez faire encaisser aujourd'hui.
    A fin Août, il vous sera dû les 3/4 du chiffre total des exemplaires sortis de nos magasins. Etant donné le rythme actuel des ventes, nous ne prévoyons pas une nouvelle remise à Hachette durant ce mois. Le chiffre de 32.775 ex. restera donc valable selon toute probabilité.

Le règlement portera donc sur 24.581 ex. dont 20.000 à 12 % du prix fort (3 frs)........ Frs : 60.000
et 4.581 à 15 % du prix fort (frs : 3,75)............................................................................. Frs : 17.178,75

                                                                                                                                     _____________


    Soit au total.................................................................................................................   Frs : 77.178,75


    Il vous restera donc dû à fin août une somme de Frs : 28.014,75.
    A cette date nous vous réglerons également les exemplaires de luxe vendus à ce jour, soit 736 ex. à 18 % du prix fort,

Frs : 7.963,20 (2).
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de nos sentiments les meilleurs.
    Les Editions Denoël & Steele,

[Robert Denoël]

Détail des exemplaires de luxe vendus :

25 ex. sur Japon       -   18 % du prix fort (42,30)...........................................................   Frs : 1.057,50
    33 ex. sur Hollande   -     ”       ”       ”       (27).................................................................. Frs :    891
    83 ex. sur pur fil        -     ”       ”       ”       (14,40)............................................................. Frs : 1.195, 20
    595 ex. sur alfa         -     ”       ”       ”       (8,10)............................................................... Frs : 4.819,50

                                                                                                                                       _____________

  Total................................................................................................................................. Frs : 7.963,20


1. Le lendemain.
2. La traite acceptée à fin août que l'éditeur enverra à Céline sera donc de : 28 014, 75 + 7 963, 20 = 35 977, 95 francs.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Irène Champigny


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

28 Août 36

Chérie, je suis navré des mauvaises nouvelles que vous nous donnez. Heureusement que votre dernière lettre nous annonce un progrès. Impossible de vous envoyer de l’argent. Jamais nous ne fûmes plus pauvres, plus en difficultés. Mais il est arrivé pour vous un mandat du Gouvernement de 4.000 francs. Steele s’occupe des démarches pour le faire payer et vous enverra la somme dès qu’il le pourra. Nous attendons votre ami Xavier Pasquereau.
    Je n’ai pas pris de vacances cette année. Rien ne s’est arrangé. Mais Cécile, à bout de souffle, est partie à la Retirance (1) où elle est depuis deux mois avec le Finet. J’ai été la voir deux jours au 15 août. Elle allait bien, brune, dorée, l’œil clair. Et le gosse, une merveille. Pour moi, j’essaye de sortir des décombres que le Front populaire m’a fait tomber sur la tête. C’est sans répit. Vous savez de reste que le combat m’est devenu indispensable, un jour ce sera peut-être la victoire qui prendra ce caractère de nécessité pour moi.
    Malgré tout, nous ne sommes pas malheureux. Angoissés de voir la France minée par la folie. Mais il y a encore des journées merveilleuses, des paysages intacts, des gens qui adorent la vie, de beaux livres et de belles choses. Le monde agonise sans doute, ou traverse une crise effroyable dont il finira bien par mourir. Le tout est de se résigner à ce destin exceptionnel. Les gens de Pompéi taillaient la vigne, jouaient aux dés, écoutaient la musique, faisaient leur marché. Sourions donc comme eux, chaque fois que nous le pouvons.

Steele m’interrompt pour m’annoncer son départ pour New York. Il va régler certaines affaires dans ce pays incroyable où il y a encore des affaires, où il y en a même plus que jamais (2). C’est donc moi qui vous donnerai des explications pour ce mandat de paiement que je vous conseille de faire toucher dès que vous le pourrez.
    Il faut :

1° Que vous nous donniez un certificat de vie sur papier timbré (On vous donnera cette pièce au consulat de France)
    2° Une autorisation sur papier timbré avec signature légalisée (voir le consul) à mon nom : Robert - Gustave - Marie Denoël (Domicile : 48, av. Charles Floquet)
    3° Renvoyer le mandat dûment signé par vous à l’endroit marqué d’une croix.
    Muni de ces pièces, le ministère me donnera la somme que je vous expédierai par les voies les plus rapides.
    Je suis étonné que vous n’ayez pas reçu de lettres. Barjavel et Cécile vous ont écrit. On vous a envoyé des livres et notamment le Céline (3). Mais tout se perd dans vos pays étranges. On va vous renvoyer quelques brochures. Mais nous n’avons rien publié de passionnant depuis quelques mois. Ce sera pour la rentrée.
    Avez-vous appris la mort de Dabit en U.R.S.S. - scarlatine (4). Cette mort m’a replongé dans l’atmosphère de nos débuts, que Warnod a gentiment racontés dans Figaro (La petite galerie, Irène Champigny, Loutreuil, etc...) (5)
    Votre père a eu une histoire singulière qu’il vous aura sans doute contée. Cambriolage, tentative de meurtre, hôpital dont il vient heureusement de sortir. Je n’ai pas voulu vous alerter car cela aurait pu avoir des suites tragiques et je n’ai rien voulu vous dire sans être mieux informé. C’est une histoire imbécile et bien extravagante (6).
    J’ai revu Doudou plus affectueuse que jamais et bien vivante chez les Caillard. Pas vu Catherine. Il paraît qu’elle fait de l’élevage avec la créature hollandaise dans une maison près de Tourette, interdite aux hommes, considérés comme bêtes dangereuses (7).
    J’ai revu Christian toujours gentil, un peu vieilli, mais pourvu d’une commande du Gouvernement pour l’Exposition. Klein a raté la bourse Blumenthal mais garde sa sérénité et sa malice.
    Barjavel vit en concubinage avec une jeune fille fort belle, qu’il a trouvée dans le bureau de L’Anthologie sonore (8). Cette inconduite lui réussit fort bien et il montre partout la gueule d’un homme heureux. Et je suis content de sa collaboration : je pense que cet hiver il n’aura pas beaucoup le temps de badiner car je lui réserve beaucoup de travail.
    Steele va de mieux en mieux. Billy bachotte (9). Pierre est toujours Pierre (10), barbu, plein de boutons et de silence.
    Le Document dort depuis 3 mois (11), mais j’espère le ressusciter à la rentrée sous forme hebdomadaire. Je dirige « techniquement » un hebdomadaire déjà paré, qui paraîtra en octobre (12).
    Ecrivez-nous et dites-nous que cela va mieux. Je voudrais de tout mon cœur vous savoir heureuse. Je vous embrasse très tendrement.


    Robert


1. « Retirance » est une petite maison extrêmement modeste, dans le Malvent, entre Saint-Paul-de-Vence et Cagnes-sur-Mer, que Cécile et Robert avaient achetée, mais dans laquelle ils laissaient les occupants, leurs amis Manon et Adrien Caillard », écrit Albert Morys dans « Cécile ou une vie toute simple ».
2. Bernard Steele rentre alors chez lui pour y régler « certaines affaires », notamment avec sa mère, propriétaire de l'héritage familial. Quand il reviendra à Paris, ce sera pour liquider ses parts dans la Société des Editions Denoël et Steele.
3. Mort à crédit est paru en mai.
4. Eugène Dabit est mort le 21 août à Sébastopol.
5. « Au temps où Eugène Dabit était peintre », Le Figaro, 29 août.
6. René Champigny, 72 ans, habitait un petit pavillon dans l'impasse du Moulin-Vert (XIVe). Dans la nuit du 10 au 11 août, il fut victime d'un cambriolage qui tourna mal. Surpris, le voleur le frappa à la tête avec une hachette et lui déroba ensuite ses économies. Souffrant d'une fracture du crâne, le vieillard fut emmené à l'Hôpital Broussais, où il fut trépané. Denoël, sans doute pour ne pas inquiéter son amie, qui voyage alors en Nouvelle-Calédonie, minimise l'affaire et lui apprend que son père a, depuis, quitté l'hôpital.
7. Catherine Mengelle avait quitté Champigny depuis plusieurs mois pour aller vivre près de Tourrettes, dans le Var, en compagnie d'une « bourgeoise avec deux enfants qui avait tout plaqué pour elle », selon Mme Martine Azoulaï.
8. Cette « Anthologie sonore » était un bureau de vente de disques classiques créé par Bernard Steele en 1934 et domicilié au 19 rue Amélie, c’est-à-dire aux Editions Denoël et Steele. L'employée chargée de la clientèle s'appelait Madeleine de Wattripont [1915-2005]. René Barjavel l'épousera le 10 octobre.
9. William dit Billy Ritchie-Fallon, le demi-frère de Cécile Denoël, né au Cap le 27 mars 1916.
10. Pierre Denoël, le frère cadet de Robert.
11. Le dernier numéro date du mois de mai. Le suivant ne paraîtra qu'en octobre.
12. L'Assaut. Le premier numéro de cet « hebdomadaire de combat politique et littéraire » dirigé par Alfred Fabre-Luce parut le 13 octobre. L'entreprise ne fut pas du goût de tous, et le notaire Jean Brunel déclarait à son amie Champigny, le 25 octobre : « Je devais voir Denoël il y a une dizaine, mais nous nous sommes manqués. Je ne sais ce qu'il désirait me dire. Il a sorti un journal qui s'appelle L'Assaut et qui est anticommuniste (qu'il dit) mais surtout atrocement réactionnaire et croix de feu. C'est abominable. J'imagine qu'il va se casser les reins d'une manière éclatante. Ce qui plus est, c'est un journal mal fait - cela s'améliorera peut-être. Mais quelle pauvreté intellectuelle, quelle gaffe ! Aussi suis-je bien peu pressé de voir Denoël, qui me demandera sans doute mon opinion. J'aurai du mal à la lui cacher. »
* Autographe : collection Jean-Pierre Blanche.

[Louis-Ferdinand Céline]

[Le 31 août, la traite de 35.977, 95 francs envoyée par Denoël à Céline et déposée à la Lloyds Bank, boulevard des Capucines, n'a été honorée qu'à hauteur de 10 000 francs. Un protêt est établi et l'huissier Lucien Doré, chargé d'encaisser le solde, s'est rendu rue Amélie, le 2 septembre. Il y a rencontré une employée qui lui a déclaré que l'éditeur était sorti, et n'avait laissé « ni ordres ni fonds pour payer ». Le 8 septembre le protêt est enregistré pour une somme de 25 977, 95 francs, augmentée des frais légaux (412, 95 francs), ce qui porte la dette de Denoël et Steele à 26 390, 90 francs. Voir les deux documents ci-dessous, figurant dans les archives des Editions Denoël]

Protêt contre Denoël, 2 septembre 1936     Protêt contre Denoël, enregistré le 8 septembre 1936

 

À Irène Champigny

Paris, le 21 septembre 1936

Chère amie,

Je ne sais si vous aurez déjà reçu la lettre que je vous ai envoyée, il y a quelques jours, concernant la subvention que le Ministère vous a accordée pour le sinistre de Mézels (1). Je vous rappelle qu’il s’agit de 4.000 frs que vous pourrez toucher dès que les pièces seront arrivées ici. Je vous enverrai donc cet argent télégraphiquement, si vous le désirez.
    Inutile de vous dire que je suis tout disposé à faire un « Document » sur la Nouvelle-Calédonie, mais il m’est difficile de dépasser la formule que j’ai employée pour « Les Antilles » (2), c’est-à-dire 16 pages, qui absorbent déjà une quantité de copie et de documents vraiment intéressante.
    Pour vous préciser les idées, je vous expédie ce jour 3 exemplaires de ce numéro. Il est inutile de songer à une formule plus importante. Les prix d’imprimerie ont augmenté de 20 %, le papier de 30 %. Il n’y a que les subventions qui diminuent.
    Celle que votre Gouverneur nous propose, à condition qu’elle soit au moins de 25.000 frs, me paraît très convenable. Il faut évidemment qu’il me fournisse la copie entièrement gratuite et des photographies, au nombre de 30 ou 40, également gratuites. Pour la copie le problème est facile à résoudre, il n’a qu’à demander à ses chefs de services et aux industriels intéressés de lui faire des topos sur ces questions. Pour les photographies, il en ont certainement au Gouvernement et je trouverais tout à fait immoral de les payer. Le numéro des Antilles ne nous a rien coûté à cet égard.
    Quant à la publicité que vous pourriez trouver; je joins à tout hasard aux numéros des Antilles plusieurs exemplaires de notre tarif, pour vous permettre, le cas échéant, de solliciter, pièces en main, les gens utiles. Je doute fort que vous arriviez à réunir le minimum d’une page nécessaire pour l’impression. Néanmoins, il faut tout essayer.
    Notre situation est actuellement extrêmement critique sans être entièrement désespérée. Nous n’avons aucune trésorerie, dans l’impossibilité absolue de vous envoyer quoi que ce soit avant d’avoir nous-mêmes touché du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Si nous recevons 25.000 frs, nous pourrons pour la préface et la négociation de l’entreprise vous en donner 4.000, mais pas avant d’avoir touché.
    Je suis au regret de ne pas pouvoir vous en dire davantage aujourd’hui, mais j’ai en ce moment énormément de travaux et de projets à mettre au point et il m’est impossible de vous écrire pour le rare plaisir de bavarder avec vous.
    Très amicalement,


    Robert Denoël


1. L'incendie qui a ravagé sa maison, en janvier.
2. Le numéro spécial du Document : « Antilles et Guyane. Trois cents ans de colonisation française » par Edouard Beaudu, est paru en décembre 1935.
* Autographe : collection Jean-Pierre Blanche.

À Louis-Ferdinand Céline

6 Octobre 1936

Cher Monsieur,

Ainsi que vous l'avez demandé à Monsieur Denoël, nous avons l'avantage de vous remettre, sous ce pli, le relevé de votre compte « Voyage au bout de la Nuit », arrêté au 30 septembre dernier et présentant un solde en votre faveur de francs : 2.263,68.
    Vous remarquerez sur ce compte que le dépôt chez les libraires figure pour 250 exemplaires, parce que à l'occasion de la parution de « Mort à Crédit » et de « Apologie de Mort à Crédit », nous avons remis en dépôt chez les principaux libraires, des exemplaires du « Voyage », espérant ainsi en vendre quelques uns en marge de « Mort à Crédit ».
    Veuillez agréer, Cher Monsieur, l'assurance de notre considération très distinguée.
    Pour les Editions Denoël & Steele,
    Le Chef de la Comptabilité :

[Auguste Picq]


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Louis-Ferdinand Céline

8 Octobre 1936

Cher Monsieur,

Comme suite à votre visite de ce jour, nous avons l'avantage de vous remettre, sous ce pli, le relevé détaillé du compte de votre ouvrage : « Mort à Crédit », arrêté au 30 septembre 1936.
    Ce compte présente un solde créditeur de..................................................... 24.801,25
auquel il y a lieu d'ajouter le relevé « Voyage au Bout de la Nuit » arrêté
à même date et présentant un solde créditeur de..............................................    2.263,68
                                                                                                                          __________
    soit au total....................................................................................................   27.064,93
sur lesquels nous vous avons réglé ce jour, en espèces, la somme de... 500 frs.
    D'autre part, vous avez en portefeuille une traite de 26.396 frs (1)..............    26.896

                                                                                                                      __________
    Soit net à votre crédit..................................................................................  Frs   168,93
    Nous vous prions de bien vouloir, pour la bonne règle, nous confirmer votre accord.
    Dans cette attente, veuillez agréer, Cher Monsieur, l'assurance de notre considération très distinguée.
    Pour les Editions Denoël & Steele,
    Le Chef de la Comptabilité :

[Auguste Picq]


1. Il s'agit de la traite protestée le 8 septembre par la Lloyds Bank. Denoël a noté, à côté de cette somme : « Réglée le 14/11 ».
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Louis-Ferdinand Céline

28 Octobre 1936

Cher Ami,

J'ai bien reçu votre assignation (1) et je vous en remercie.
    Votre geste suppose que je fais preuve à votre égard de mauvaise volonté et je ne peux le considérer que comme un acte de vengeance.
    Vous savez très bien que, d'autre part, je suis occupé à remettre l'affaire sur pied. J'en prends personnellement actif et passif à ma charge, Steele se retire entièrement (2). Il me semble que, dans ces conditions, votre intérêt est de me donner du temps pour m'acquitter envers vous. Je vois actuellement tous mes créanciers et j'obtiens d'eux des délais très considérables, qui me permettront de repartir dans de bonnes conditions. Vous êtes le seul qui soyez passé à des actes de violence. Si vous persistez dans votre attitude, vous réussirez simplement à me jeter à terre, sans obtenir un franc. En effet, l'affaire Denoël & Steele est hypothéquée pour 200.000 frs et elle doit 50.000 frs au fisc. Quand on aura vendu aux enchères, il ne restera rien pour les autres créanciers. Les bouquins se vendront au camion à raison de 80 frs les 1.000 kilos et tout le bénéfice que vous en aurez tiré sera d'avoir ruiné un homme qui, peut-être, vous a fait quelque bien.
    Je vous ai dit l'autre jour que j'aurais des possibilités à la fin de l'année, c'est-à-dire dans deux mois (3). Je pourrais avancer ce terme d'un mois, c'est-à-dire que je pourrais vous régler, si vous le voulez, 5.000 frs à fin novembre et le reste à raison de 5.000 frs par mois en six mois. En garantie de cet accord, je ne peux malheureusement rien vous offrir pour le moment.
    Je ne fais d'ailleurs pas appel à vos sentiments, ce qui est inutile, mais à votre intérêt. Je suppose que sur ce terrain-là, nous pourrons toujours nous entendre.
    Dans l'attente de vous lire ou de vous voir,
    Je vous prie d'agréer, l'expression de mes sentiments bien distingués.

[Robert Denoël]


1. La visite, le 2 septembre, de l'huissier Lucien Doré rue Amélie, à la demande de Céline qui, le 10 octobre, écrivait à John Marks, son traducteur anglais : « Je suis empoisonné par Denoël qui ne me paye pas le saligaud, pratiquement en faillite, la vache. » Et quelques jours plus tard à Karen Marie Jensen : « Mon éditeur Denoël est en faillite. Il me doit encore 50 000 francs que je vais perdre sur mon dernier livre. » [Repris de : Lettres, Ed. de la Pléiade, 2009, lettres 36-52 et 36-53].
2. Le 30 novembre, Bernard Steele et Beatrice Hirshon, sa mère, ont cédé à Robert Denoël et à deux prête-noms, toutes leurs parts dans la Société des Editions Denoël et Steele. L'article VIII des statuts a été ainsi modifié : « Par suite de la cession de tous ses droits dans la société, Bernard Steele a donné, verbalement, le 12 janvier 1937, sa démission de gérant à dater rétroactivement du 31 décembre 1936. Robert Denoël a été nommé seul gérant de la société, dont le nom a été tranformé en " Les Editions Denoël " ».
3. Céline a accepté d'attendre puisque la traite de 26 396 francs, en souffrance depuis le 8 septembre, a été encaissée le 14 novembre.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Gaston Picard


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Sans date [fin octobre 1936]

Mon Cher Ami,

L’erreur ou l’omission sera réparée demain. Vous allez recevoir le « Mort à crédit » sur alfa que je vous avais annoncé (1).
Vous avez dû ou vous allez recevoir « Les Beaux Quartiers » (2) d’Aragon, un roman-fleuve de grande classe. Aragon a su faire abstraction, presque tout le long de son récit, de ses passions politiques. Son roman est avant tout un roman.
  Aragon est candidat au prix Renaudot. Vous dirais-je que moi-même, j’ai une grande nostalgie de ce prix (3) ? J’avais pris la douce habitude, la seconde semaine de décembre, d’assister à l’envahissement de ma maison par votre amical cortège. Il est des habitudes dont c’est une souffrance de se défaire.

Croyez, mon Cher Ami, à mes sentiments dévoués et reconnaissants.

Robert Denoël

1. Gaston Picard avait reçu en 1932 un exemplaire sur alfa de Voyage au bout de la nuit, ce qui ne l'avait pas empêché de voter pour un autre candidat. Est-ce pour cette raison que l'éditeur a oublié de lui envoyer un exemplaire de luxe du roman paru six mois plus tôt ?
2. Le roman d'Aragon est sorti de presse le 1er novembre 1936. Il ne semble pas que Picard ait voté pour lui.
3. A cette date les Editions Denoël et Steele ont reçu le prix Renaudot à trois reprises (1931, 1932, 1933).
* Autographe : Université d'Austin, Texas, fonds Carlton Lake.

 

À Marcel Sauvage


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël & Steele
Paris VIIe - 19 Rue Amélie

Paris, le 11 Novembre 1936

Cher Ami,

Merci des lignes aimables que L’Argus m’apporte ce matin. J’espère, d’autre part, que vous avez reçu Les Beaux Quartiers d’Aragon (exemplaire ordinaire : les grands papiers ne seront prêts que dans une dizaine de jours) (1).
  J’ai parlé longuement de cette candidature avec Charensol et je m’en suis ouvert à plusieurs membres du Jury. Je crois vraiment que le talent de l’auteur peut l’emporter sur les passions politiques. Si votre admiration pour Aragon pouvait se joindre à l’amitié que vous me témoignez si gentiment, pour emporter la victoire, vous m’en verriez ravi.
  Les choses prennent bonne tournure pour moi en ce moment et je crois qu’avant la fin de l’année, toutes mes difficultés seront résolues (2).
  J’espère vous voir bientôt et en attendant, je vous prie de croire, Cher Ami, à mes sentiments tout dévoués.

Robert Denoël


1. Le roman d'Aragon est paru le 8 novembre.
2. Les difficultés de trésorerie de Denoël sont connues dans le monde de l'édition. Elles ne font que commencer avec le départ, le mois suivant, de son principal bailleur, Bernard Steele.

À Louis-Ferdinand Céline

2 Décembre 1936

Monsieur,

Nos comptes au 30 novembre 1936 pour votre volume « Mort à crédit » s'établissent comme suit :
    Livrés à Hachette...................................................................................... 33.786 ex.
    à divers clients..........................................................................................   1.623  ”
                                                                                                                     _________
                                                                                                                      35.409   ”
    Passe 5 %.................................................................................................   1.770  ”
                                                                                                                     _________
                                                                                                                      33.639   ”
    Chez les libraires 10 %............................................................................    3.363   ”
                                                                                                                     _________
    Soit, net...................................................................................................   30.276 ex.
    Droits sur les 3/4 de 30.276................................................... 22.707 ex.
    Réglés à ce jour..................................................................... 22.577  ”
                                                                                                   _________
    Reste dus.................................................................................................       130 ex.
    à 3,75 (15 %), ce qui fait........................... frs : 487,50
    A cette somme, il faut ajouter le reliquat, selon notre lettre du 8/10/36,
    qui s'élève à frs..........................................       168,93
    Il vous est donc dû au total, une somme de frs : 656,45 que nous vous prions de trouver, ci-inclus en un chèque.
    Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos sentiments très distingués.
    Le Chef de la Comptabilité,

[Auguste Picq]


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Louis-Ferdinand Céline


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 15 Décembre 1936

Cher Ami,

Comme suite à notre conversation, je vous prie de trouver, ci-inclus, confirmation de notre accord (1) pour l'édition, en un volume, de votre ouvrage intitulé :

                                                       « MEA CULPA » suivi de la « VIE DE SEMMELWEISS »


les droits d'auteur sont fixés à 18 % du prix fort de chaque volume vendu (2) et le volume sera sorti de presse avant le 31 Décembre 1937 (3).
    Il vous sera remis, au bon à tirer, une somme de Frs : 5.000 (CINQ MILLE FRANCS) à valoir sur vos droits d'auteur.
    Les autres conditions de notre précédent contrat demeurent valables pour cet ouvrage (4).
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de mes sentiments très distingués.
    Les Editions Denoël et Steele (5),

[Robert Denoël]


1. Cette lettre-contrat confirme le contrat verbal conclu le même jour entre l'auteur et l'éditeur.
2. Céline a obtenu, à un moment critique pour l'éditeur, le pourcentage maximum sur tous les volumes tirés.
3. Il doit s'agir d'une faute de frappe. Le volume sortira de presse le 30 décembre 1936, et sera mis en vente le 2 janvier 1937.
4. Le contrat signé le 28 février 1936 pour Mort à crédit.
5. Le changement de dénomination de la société étant postérieur au présent accord, l'éditeur est tenu d'utiliser la formule « Denoël et Steele » pour les courriers relatifs à cet ouvrage. Le papier à en-tête, lui, a déjà changé.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Irène Champigny

4 rue Vital, Paris 16e - ce 18/12/36

Le chambard de ma vie est complet. Je viens de quitter les Editions et j'ai vendu L'Anthologie (1). Tu devais le pressentir, après Mézels. Personne ne saura jamais ce que cela m'a coûté en souffrances. Il est, cependant, des souffrances salutaires! Mon avenir est maintenant devant moi, libre de tous encombres. Je ne sais pas encore ce que j'en ferai. [...]

Bernard


1. Le 30 décembre 1936, Bernard Steele a cédé à Robert Denoël toutes ses parts dans la Société des Editions Denoël et Steele. Beatrice Hirshon-Lesem, sa mère, venue tout spécialement à Paris pour la circonstance, a vendu les siennes ce jour-là à Denoël et à deux prête-noms. Les bureaux de L'Anthologie sonore, cédée à François Agostini, seront transférés peu après au 112 boulevard Hausmann. C'est en effet un chambard complet, et on ne voit pas bien ce qui l'a motivé. En février 1936 Bernard a séjourné à Mézels, chez Champigny, avec laquelle il s'est expliqué, mais elle n'en a pas rendu compte dans ses Cahiers.
* Autographe : collection Mme Olivia Brunel.

 

À Louis-Ferdinand Céline

Paris, le 31 Décembre 1936

Cher Ami,

Je vous prie de vouloir bien trouver inclus, chèque n° 131.549 sur le C.N.E.P. (1), daté du 4 janvier prochain, se montant à Frs 5.000 (Cinq mille francs) représentant l'à valoir sur le premier tirage à cinq mille exemplaires de « MEA CULPA ».
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

[Robert Denoël]


1. Comptoir National d'Escompte de Paris.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.