Robert Denoël, éditeur

 

1925

 

À Mélot du Dy

Samedi [mai 1925]

Cher Ami,


  Il ne faut pas m’en vouloir, ni conclure de mon silence des choses qui pourraient m’être
très désagréables. Ai-je des excuses ? Vous m’en trouverez, j’en suis sûr. Voici pour faciliter vos recherches : les variations de température, les fleurs nouvelles, l’étude et la paresse qui la suit, les maux d’estomac et les humeurs chagrines. Les heures s’assemblent - et les jours - avec une rapidité qui déconcerte. Cela ne rend pas mes souvenirs ni moins vifs, ni moins agréables. J’aime beaucoup nos conversations et les « suites » que vous m’envoyez ont des charmes auxquels je ne résiste pas. Cette photo m’a bien fait plaisir : je réclame contre le chapeau qui m’empêche de faire la connaissance de votre ami (1). Quant à vous il n’y a que des félicitations à vous offrir.
  Hier, en feuilletant un antique numéro de Vers et Prose, j’ai découvert un articulet de Jaloux à propos de Beale Gryne (2). Le ton très gentil de ces quelques lignes m’a fait penser que peut-être de ce côté... Jaloux dirige une collection qui s’annonce convenable (3). Qu’en dites-vous?
   B. le poète du « Jeu de cartes » (4) m’avait dit qu’il vous enverrait sa plaquette. Je l’ai rencontré il y a quelques jours tout heureux de votre réponse. J’ai toujours admiré cette faculté que vous possédez de dispenser le contentement (Je dis cela sans plaisanterie, par expérience). A propos de poètes, savez-vous que Madame Georgette Leblanc écrit des vers (5). Les « hasards du journalisme » m’ont fait rencontrer cette dame qui a conservé pour M[aeterlinck] une admiration touchante. Elle donne des concerts en Amérique et à Liège, notamment où elle interprète avec beaucoup d’habileté la musique des « Six ». Au milieu du concert elle dit : « Je vais vous réciter maintenant un petit poème de moi ». Et comme le premier a du succès, elle en récite un second. Je vous raconte tout cela pour vous décider à acheter ces « poèmes » si vous les rencontrez un jour : ils formeraient un agréable pendant à ceux de Madame Lucia V.D. (6).
  L’avant-dernier numéro de S (7) vient de paraître. Il est meilleur que les précédents. Il y a quelques notes très amusantes de Robert Poulet et un chapitre du roman de Léon Duesberg : Spirales. Je voudrais que vous lisiez cela.
  Et maintenant, je vous quitte. Je n’ai rien à ajouter que vous ne sachiez déjà. Je vous le répéterai une autre fois. Parlez-moi de vous.


  R. Denoël


1. Au cours du printemps 1925 Mélot du Dy et Jean de Bosschère ont fait un voyage d'agrément en Italie. La photo envoyée représente les deux hommes parmi les ruines de Pompéi. Le chapeau de Bosschère masque son visage.
2. Première œuvre littéraire de Jean de Bosschère parue à Paris en août 1909 dans la Bibliothèque de « L'Occident ». L'articulet dont parle Denoël a été publié dans le tome XX [janvier-mars 1910] de Vers et Prose mais il est dû à Tancrède de Visan.
3. Depuis 1921 Edmond Jaloux [1878-1949] dirigeait chez Bernard Grasset la collection « Le Roman », qui s'interrompit en 1924 quand, excédé des diktats du fantasque éditeur, le critique mit fin à leur collaboration.
4. Non identifié.
5. Sans doute « Saisons », poèmes mis en musique par Marius Gaillard. La cantatrice Georgette Leblanc [1869-1941] fut, entre 1895 et 1918, la compagne de Maurice Maeterlinck.
6. Non identifiée.
7. La revue mensuelle Sélection paraissait à Bruxelles depuis août 1920, dirigée par P.-G. Van Hecke et André De Ridder. Denoël y publiait des critiques littéraires sous le pseudonyme de Jacques Cormier.
* Autographe : Archives et Musée de la Littérature, cote ML. 4350/2.

 

À Mélot du Dy

Dimanche soir [juin 1925]


  Cher Ami,


  J’ai été absent ces quelques jours et bien empêché de vous écrire. C’est d’autant moins excusable que j’ai des remercîments à vous envoyer et d’autres que je vous prierai de transmettre. J’ai voulu vous télégraphier, mais c’est un peu sec. Alors, pardonnez-moi et pour me montrer que vous ne m’en voulez pas, faites-vous mon messager : dites à Madame Mélot du Dy (je peux parler ainsi ?) que je n’ai jamais vu un petit livre aussi charmant que les « Amours » (1) et que, par suite, je suis très heureux et très reconnaissant. Mais il faut dire cela beaucoup plus gentiment : j’ai confiance en vous. Les « Amours » m’ont tout à fait conquis : je les ai lues avec un plaisir très vif et sans cesse renouvelé. Que me parlez-vous d’économies ? Les « Chansons » que j’ai retrouvées avaient là leur place, c’est certain, et je ne veux plus leur en connaître d’autre. Elles forment la plus agréable des transitions au poème final qui me paraît presque aussi bon que « Fille ». Je dis « presque » et je serais bien embarrassé d’expliquer pourquoi ; c’est différent de ce que j’aurais dû écrire. Les deux poèmes séquilibrent parfaitement, tout m’y semble si heureux, si juste, et si neuf que les Hommeries (2) elle-mêmes pourraient bien être dépassées. Je vais relire les « Amours » et je vous en reparlerai. Mais il faut que ce livre aille rue de Grenelle, il faut aussi réunir les deux autres (3) : ce serait beaucoup moins amusant de ne pas le faire. Vous ne pensez pas assez aux « autres », à tous ces autres que vous ne connaissez pas et qui, sans le dire, vous aiment.
  Scauflaire que j’ai rencontré ce matin est ravi de faire le portrait du poète Mélot du Dy (4). Quant à moi, j’accepte votre invitation : nous irons donc, le jour qui vous conviendra. Il suffira de me prévenir deux ou trois jours à l’avance et j’informerai Scauflaire. J’envoie le cliché (5) et la note à « L’Expansion Belge » dont on me fait maintenant le service.
  Avez-vous vu le Disque ? J’ai été déçu mais la lecture de ce fragment (6) m’a fait voir mieux ce que je voulais. Malgré tous les défauts (déclamation, pléthore d’adjectifs, etc.) il me semble que ces pages vivent. Je leur souhaite une vie plus personnelle : attendons. Sélection va vous arriver. J’ai corrigé il y a une dizaine de jours les épreuves du fragment qui paraît cette semaine (7): ma déception a été plus forte. Je cherchais une certaine dureté d’accent, une certaine brutalité même, à côté d’autres choses, mais je crains d’être tombé dans une alarmante vulgarité. Ne me rassurez pas mais dites-moi exactement ce que vous pensez de cette crainte.
  J’ajoute qu’il y aura dans ce numéro une note digne d’intérêt. Je ne l’ai pas lue mais c’est Thialet qui l’a écrite. Quand venez-vous ? Nous sommes deux à vous attendre, un peintre et un ami.


    Robert Denoël

Un ami vient de venir me dire bonsoir et il m’a parlé de vous. Je lui ai parlé, je n’ai pu m’en empêcher, des « Amours » mais je ne les lui ai pas montrées. Voilà encore un créancier impatient.


1. Amours ne paraîtra qu'en 1929 aux Editions de la NRF. C'est donc un tapuscrit qui lui a été envoyé.
2. Hommeries est paru en 1924 aux Editions de la NRF dans la collection « Une Œuvre, un portrait ». C'est André Lhote qui a dessiné le portrait de l'auteur, gravé sur bois par Georges Aubert.
3. Diableries, paru en 1922 aux Editions littéraires de « L'Expansion Belge » et Hommeries constituent en effet les deux premiers volumes d'une trilogie, que complétera Amours.
4. Edgar Scauflaire [1893-1960] est, avec Auguste Mambour [1896-1968], l'un des peintres liégeois préférés de Robert Denoël. On ne sait comment il a obtenu la commande du portrait du poète, destiné à illustrer le recueil à paraître.
5. Le cliché dont il est question est probablement celui de son propre portrait réalisé en 1923 par le même Scauflaire et dont il fait tirer des épreuves réduites à « L'Expansion Belge » puisque, le 20 juillet, il en offre un exemplaire à son ami liégeois Victor Moremans.

6. « Une Forte Tête », nouvelle signée Robert Marin parue dans Le Disque Vert de juin.
7. Je n'ai pas retrouvé le texte annoncé dans Sélection de juin ou juillet, probablement signé Robert Marin.
* Autographe : Archives et Musée de la Littérature, cote ML. 4350/3.

 

À Victor Moremans

[Liège, 7 août 1925]

Mon cher ami,


    On me donne à l’instant une seconde adresse. La voici : Hôtel Brouwerhuis, Heinrichs, à Oostmalle *. Cela coûte 15 frs par jour sans la boisson et il paraît que c’est très bien. Pour le reste, bruyère, sapins, abbaye. Ci la seconde : Bredene près Ostende, Route royale, 23 frs par jour.
    Au revoir, soyez heureux et envoyez-moi une carte vue.

Votre,


    Robert Denoël

* Oostmalle est en Campine, près de Turnhout. On y accède, je crois, par un vicinal (1).

1. Projets de vacances. Oostmalle se trouve en Campine anversoise, et son abbaye est fameuse pour sa bière trappiste. Bredene est sur la mer du Nord, près d'Ostende.

* Autographe : collection Mlle Geneviève Moremans.

 

À Mélot du Dy

Mercredi [8 juillet 1925]


  Cher Ami,


  Votre lettre ne me fait qu’à moitié plaisir. Je suis très heureux d’apprendre votre prochaine visite mais vos « maux » me désolent, je ne peux pas les admettre. Ceci est pour vous.
  Quant à l’auteur des « Amours », il faut le féliciter très vivement. J’ai relu ce petit livre sur le bord d’une rivière. Il y avait de l’herbe, du soleil, des arbres : un « paysage » intact où vos personnages faisaient figure très assurée. Je les aime tous mais si je puis avoir une préférence ce sera pour « Fille ». Le charme de « Dame » est pourtant bien fort et je crains d’avoir décidé un peu vite. Aussi n’ai-je pas l’intention de vous renvoyer les « Amours » maintenant : je vous les rendrai, si vous le voulez bien, après le 15. A propos de dates le 22, le 23, le 24 et le 25 je ne serai pas à Liège.
  Une petite nouvelle qui vous fera plaisir : G. Thialet vient de recevoir un projet de traité de MM. Emile-Paul. Son roman serait publié en 1926. Je crois même que l’on peut écrire « sera » (1).
  Robert Marin accepte vos compliments avec joie (2). Il tâchera d’y avoir plus de droits cet hiver ; il a l’intention de se montrer souvent. Mais qu’il n’y ait plus de grève : Sélection entièrement composé ne pourra être tiré que le 15. Ce sera pour lire dans le train.
  A bientôt


  Robert Denoël

«L’Exp. B.» [L’Expansion Belge] est très aimable. Avez-vous reçu la réduction du portrait ? Je l’ai envoyée il y a une dizaine de jours.


1. Le premier livre de Georges Poulet est un roman appelé La Poule aux œufs d'or qui sera en effet publié en février 1927 chez Emile-Paul dans la « Collection Edmond Jaloux ». Denoël en reçut un exemplaire de luxe, somptueusement dédicacé.
2. Il s'agit toujours du texte non retrouvé paru dans Sélection.
* Autographe : Archives et Musée de la Littérature, cote ML. 4350/4.

 

À Mélot du Dy

Mardi soir [1925]


  Cher Ami,


  Vous savez comme il m’est difficile de « délabyrinther mes sentiments ». Je vis dans la pénombre ; de temps en temps j’essaie de m’éclairer ; si je les juge aux résultats, mes méthodes sont médiocres. Quand je suis accoutumé à un poème, à un livre, je prends conscience des éléments de mon plaisir dont je ne connaissais tout d’abord que le degré. Le plus souvent, cette analyse encore rudimentaire ne dément pas ma première impression, à laquelle dans bien des cas, je me confie. Cette fois, j’ai attendu. Mais que je vous le dise tout de suite, la lecture de « Fille » m’avait enthousiasmé (C’est un gros mot : je n’hésite pas à vous en infliger la responsabilité). Chaque strophe me rendait heureux, ma joie progressait en même temps que ma lecture et si par instants (très brefs) le contact se coupait, je continuais, certain d’être bientôt repris ; ainsi jusqu’à la fin j’ai goûté le plaisir intense de la découverte. J’en suis sorti un peu étourdi mais l’esprit délicieusement excité. A une seconde lecture j’ai saisi les proportions du poème et ma joie a été aussi vive. Depuis, pendant ces quelques jours, je l’ai relu cinq ou six fois ; je ne peux que l’admirer. Ce fragment est merveilleux ou poétique (n’est-ce pas la même chose ?) par son équilibre et aussi par cette fusion, que l’on aurait pu croire impossible, de l’expérience et de l’ingénuité. A chaque pas l’intelligence contrôle l’élan ; si elle y touche elle ne parvient pas à l’arrêter. Ni son allégresse, ni sa faîcheur n’en sont émues. Tout avantage pour le lecteur qui s’abandonne sans crainte de faux pas. Vous lui, vous me donnez, l’insaisissable avec un air de modestie mais votre orgueil n’en est que plus fort et je vous en sais un excellent gré. L’ordre des découvertes que vous faites dans « Fille » vous appartient en propre, ainsi que la manière dont vous les offrez. Je constate une fois de plus à quel point votre originalité est essentielle : vous me parliez un jour de Cocteau, vous vivez sous le même ciel, c’est là votre seule parenté. J’aime beaucoup ce poème. Je ne vous dis pas que rien ne m’en échappe : ce serait une prétention un peu trop forte de vouloir le connaître en quelques jours, en quelques heures. J’y reviendrai et je sais que chaque fois la récompense sera prête. Déjà - admettez-vous cela ? - même les détails encore obscurs me sont nécessaires. Je l’aime tout entier. Quelle place occupera-t-il dans les « Amours » ? Si les autres fragments ont cette continuité et cet équilibre je crois que le poème atteindra une beauté plus assurée encore que « Feuillages ».
  Je relis ce que je viens d’écrire. Comme je suis trahi ! Mille pensées me traversent que je ne puis exprimer. Quand donc serai-je délivré de cette gaucherie ? Mais vous me comprendrez, je crois ; le principal s’y trouve - et sans arabesques. Je crains de m’être montré indiscret en gardant si longtemps la copie de « Fille ». Pardonnez-moi et quand vous en aurez d’autres, je vous le demande sans pudeur, envoyez-m’en une.
  Voici des choses moins agréables : il est tout à fait décidé que je n’irai pas à Spa. Cela m’agace un peu mais cela vaut mieux. L’Ardenne m'attire et sa découverte exige des préparatifs. Je m’aperçois qu’ils sont rudes : il faudra que j’étudie pendant ces trois mois plus que je n’aurais voulu (1). Aussi ne prendrai-je pas de vacances. Au mois d’octobre je reprendrai ma liberté et je pourrai enfin achever un des récits dont je vous ai parlé (Un fragment du premier va paraître dans le dernier numéro de Sélection. Je vous en dirai un mot dans ma prochaine lettre).
  Au revoir. Sera-t-ce bientôt ?


  Robert Denoël

Scauflaire demande cinq cents francs pour un portrait. J’aurai le cliché dans deux ou trois jours. La note sera terminée aussi. Faut-il envoyer cela à Vielsalm ou à Bruxelles ?


1. Le 15 octobre Denoël « satisfera » aux épreuves de premier doctorat en droit et prendra une inscription pour un second.

* Autographe : Archives et Musée de la Littérature, cote ML. 4350/5.

 

À Mélot du Dy

Vendredi soir, sans date [1925]


  Cher Ami,


  Je songeais ces jours derniers (vous me permettrez de dire ces choses, même si elles vous paraissent trop aimables) aux plaisirs très doux et aussi très vifs dont je vous suis redevable. (Cette phrase pourrait paraître bizarre, mais je continue). A Vielsalm dans votre maison ou au milieu des prairies, à Bruxelles, dans les restaurants de Liège, chez moi quand je lis une de vos lettres ou vos vers, toujours votre compagnie m’a été chère et favorable. A votre contact on se sent - excusez-moi si je me prends comme « centre du monde » - plus intelligent et plus sensible. Comment ne vous en remercierait-on pas ? Je retrouve une ingénuité qui m’enchante et, voilà votre privilège, vous ne m’enlevez pas ma modeste expérience. C’est que vous êtes poète à toute heure, oui, votre vie est poétique, vos gestes et ce petit pigeon dont je vous demandais des nouvelles, il l’est devenu grâce à vous. Je pensais à cela et à vous le dire quand j’ai reçu Hommeries. Je ne les ai encore lues qu’une fois mais je vous dirai cependant combien cette lecture m’a rendu heureux. Partagez-vous mon impression ? « Feuillage » me paraît votre meilleur poème, celui qui touche le plus, bien que vous y soyez vous-même, complètement - Complètement non, car ni vous ni moi ne connaissons vos limites. Ce poème m’enthousiasme : rien que du point de vue prosodique, il y a quelque chose de miraculeux. Pas un instant il ne lasse. Il est délicieusement animé, par moments autoritaire ; et je ne sais comment l’ironie, que vous y avez mêlée, n’est pas superposée, elle se fond aux autres sentiments, ce n’est qu’un mouvement, singulièrement heureux. Le monde que vous nous faites approcher nous ne le connaissions pas, il est nouveau à moins que ce ne soient les yeux du lecteur qui rajeunissent grâce à vous. Laissez-moi vous le répéter simplement : ce poème est beau. Cela me donne plusieurs raisons de manifester ma joie, car je me propose de ne pas me taire à son sujet, si vous le voulez bien. J’ai encore besoin de relire les sonnets avant de vous en parler.
  Après l’œuvre, le portrait (1). Ceux qui vous connaissent, en sont-ils satisfaits ? Il est convenable et fidèle jusqu’à un certain point. Il reflète un de vos visages, mais non votre visage habituel. Vous avez plus de douceur dans le regard, ou si vous préférez, moins de fixité. En tout cas ce portrait ne vous nuira pas...
  Thialet, qui revêt aujourd’hui l’uniforme, parlera des Hommeries dans Sélection. Il fera cela mieux que moi et avec plus d’autorité.
  Je vous quitte, mais je vous écrirai bientôt car j’ai encore bien des choses à vous dire à propos de votre livre. Il m’enchante. Dites-moi si vous avez fait bon voyage l’autre jour, et si la photographie vous réussit.
  Je vous serre les mains,


  R. Denoël


1. Celui qu'a réalisé Edgar Scauflaire et qui illustrera Amours en 1929.
* Autographe : Archives et Musée de la Littérature, cote ML. 4350/23.

 

À Mélot du Dy

Mardi, sans date [1925]


  Cher Ami,


  Je crois que l’on taxe souvent l’homme d’ingratitude à cause de la difficulté qu’il a d’exprimer sa reconnaissance en des termes convenables. Il n’est ou plutôt il n’y a rien de rare comme d’entendre dire : « Merci » d’un ton juste. Depuis deux jours je pense à ma visite chez vous et je ne vous écris pas pour éviter un enthousiasme hyperbolique... enfin pour ne pas vous serrer trop chaudement la main. Votre maison possède un charme. Maintenant encore je m’étonne que la conversation, la promenade, le paysage soient choses si plaisantes. Vous m’avez révélé un bonheur. Tant de gentillesses et de calme répandus autour de moi m’ont doucement, très doucement ému. Ces heures ne sont plus. Leur vertu demeure. J’espérais beaucoup de cette visite (ne m’en aviez-vous pas donné le droit ?) Vous m’avez fait voir la pauvreté de mon imagination.
  Voulez-vous, cher Ami, dire cela à votre femme, lui présenter mes respects, la remercier à ma place car à lui envoyer une carte, même revêtue d’une heureuse formule, je craindrais de commettre une impolitesse. Et donnez à Nadine, Odette et Jordaine (on dénonce en ce moment une crise de familiarité) les compliments du monsieur.
  Je lis : « The cloosed door » (1). Je ne vous en dirai rien si ce n’est que cette poésie me plaît. Plus tard je vous expliquerai pourquoi et si cela vous semble utile je ferai part de mes impressions aux lecteurs de Sélection (2).
  Georges Thialet vous attend. Quand vous viendrez à Liège, j’irai vous chercher et nous nous rendrons ensemble chez lui : sa maison est à quelques pas de la gare.
  Vous m’obligez à donner raison aux optimistes. Mais que de dettes je contracte ! Et comment pourrais-je m’acquitter ?
  Yours,


  Robert Denoël

Je me suis posé une question hier : « N’ai-je rien cassé à Vielsalm ? » Réponse fière : « Non ». Aujourd’hui j’éprouve une légère inquiétude.


1. Recueil de Jean de Bosschère paru en 1917 chez John Lane à Londres.
2. Denoël n'a rien écrit à propos de The Closed Door, ni dans Sélection, ni ailleurs.
* Autographe : Archives et Musée de la Littérature, cote ML. 4350/6.

 

À Mélot du Dy

Lundi [5 Octobre 1925]

Cher, Je suis stupéfait et désolé de ce qui vous arrive (1). La manière dont vous acceptez cet événement est admirable et comme vous le racontez d’un ton qui refuse toute condoléance, il ne me reste qu’à vous féliciter, vous et les vôtres, d’être saufs et de si bonne humeur. Mais peut-être pourrais-je vous être utile en quelque chose ? Il me semble qu’il y a mille services à vous rendre, même d’ici. Faites votre devoir en vous adressant à moi.
  Je vous écris en hâte, pour que ce mot parte ce soir. Je verrai Scauflaire et lui ferai le message. Et vous, viendrez-vous ? (Quoi que vous en disiez je ne parviens pas à admettre cet incendie avec votre allégresse). Ecrivez-moi quand vous le pourrez ; je voudrais vous voir hors de cet embarras et selon mes faibles pouvoirs, vous aider à en sortir.
  Affectueusement,


  R. Denoël


1. Le 29 septembre, alors que Jean de Bosschère et sa compagne séjournaient chez Mélot à Vielsalm, la foudre a provoqué un incendie dans la « Villa des Roches », qui a été entièrement dévastée.
* Autographe : Archives et Musée de la Littérature, cote ML. 4350/7.

 

À Victor Moremans

[Carte postale]  

Sans date [Liège, 12 novembre 1925]

Cher Ami,


    Delteil demeure 17 Bd de la Chapelle (1).
    En vive amitié,


    R. Denoël


1. Denoël avait rendu compte de deux livres de Joseph Delteil : Les Cinq Sens dans Sélection en février, sous le pseudonyme de Jacques Cormier, et Jeanne d'Arc dans Liège-Universitaire en octobre, sous celui de Robert Marin. Le 16 novembre Delteil lui avait écrit, à propos du second : « C'est tout à fait bien cet article, au point de vue cœur et au point de vue jugement, et je vois que Marin est digne de Cormier. Vous me ferez beaucoup de plaisir en venant me voir lorsque vous serez à Paris. Il y a si peu de monde ici ! Rien que des morts. Et c'est pourquoi il nous faut crier outre mesure et un peu à tue-tête : Vive la vie ! »
* Autographe : collection Mlle Geneviève Moremans

 

À Mélot du Dy

Sans date [fin novembre 1925]

Cher Ami, jamais je n’ai autant pensé à vous que ces deux semaines. Vous avez été pour moi une agréable et constante préoccupation. Soyez-en remercié puisque cela m’a valu de relire vos livres, de les découvrir avec un plaisir que je n’essayerais pas de vous exprimer. J’ai senti plus vivement même qu’à la première lecture « votre » poésie. Et c’est assez aisément (en dépit de quelques hésitations dans mes premières phrases) que j’ai pu en parler à un auditoire de philologues parmi lesquels se trouvaient deux dames, dont une jolie. Vous avez eu un succès très vif, dont je vous félicite. Vous recevrez bientôt les quelques lignes de compte rendu consacrées à cette « causerie » : elles paraîtront vraisemblablement vendredi en huit dans Liège-Universitaire (1).
  Je ne vous ai pas écrit plus tôt car depuis un certain temps je joue au peintre : je veux dire que j’enduis les murs entre lesquels je vis, de différentes couleurs. C’est fini : j’ai l’impression d’avoir déménagé : on varie son décor comme on peut. (A propos de déménagements j’ai vu les personnes qui s’occupaient du vôtre le lendemain de mon retour. Elles m’ont affirmé avoir fait leur devoir).
  J’ai bien envie de retourner à Bruxelles, mais ce ne sera pas avant longtemps. Et vous, ne viendrez-vous plus à Liège ? Vous devriez faire un effort, un jour que vous vous sentiriez en appétit de promenade, et venir me dire bonjour avant votre départ.
  Vous m’aviez demandé ou plutôt je vous avais promis un « Portrait ». Il vient d’être imprimé et je ne l’aime plus beaucoup (2). Que faut-il en penser ? J’en ai plusieurs dans la tête. Croyez-vous que l’on pourrait sans ridicule en réunir sept ou huit du même genre et les publier dans une revue ?
  Parlez-moi un peu. Travaillez-vous ? J’ai lu un petit poème de vous dans « Le Monde nouveau ». Saviez-vous que D.J. d’Orbaix l’avait communiqué à cette revue, ainsi d’ailleurs que des vers de Périer ?


  R. Denoël


1. Au cours du mois de novembre Denoël a prononcé à l'amphithéâtre de l'université de Liège une conférence sur « Mélot du Dy, poète ». Je n'en ai pas retrouvé le compte rendu dans Liège-Universitaire.
2. Titre d'une courte nouvelle signée Robert Marin parue dans Liège-Universitaire du 6 novembre.
* Autographe : Archives et Musée de la Littérature, cote ML. 4350/9.

 

À Mélot du Dy

[7 Décembre 1925]


  Cher Ami, il y a déjà quelques jours que l’on m’a envoyé le compte rendu de la causerie aux philologues. Mais il est tellement inexact que j’ai hésité à vous en faire part. Le « camarade » qui l’a rédigé - je ne le connais pas - ne cite pas les noms auxquels j’ai fait allusion mais par contre en écrit quelques uns que je n’ai pas prononcés. Je vous dis cela pour vous éviter la surprise que j’ai eue. Mais cela ne vaut pas la peine de s’arrêter. J’aimerais mieux de savoir si Bruxelles ne vous lasse pas, ce que vous y faites et si vous ne viendrez pas - avant le départ pour la France (1) - à Liège. On y fait des rencontres : Paul Valéry et un autre Paul que nous aimons moins, Claudel. Thialet a quitté l’armée. Il est de nouveau vivant et déjà il me surprend par une ardeur extraordinaire au travail et les résultats qu’il en obtient. Son contrat avec Emile-Paul est signé. Son premier livre paraîtra en mars (2). Quant à moi, après une période mauvaise, je me reprends : je recule toujours davantage l’époque du roman pour m’en tenir à la nouvelle. Heureusement je deviens plus difficile, et je m’efforce d’arriver à des résultats moins anodins. J’ai presque terminé une nouvelle dont je vous enverrai une copie dans quelques jours. Gardez le « Portrait » puisqu’il ne vous déplaît pas. J’en écrirai encore.

Je vais commencer les démarches nécessaires à l’obtention (le mot n’est pas de moi) de la bourse américaine (3). Il faudrait toucher pour cela M. Franki et aussi, je crois, M. Héger, Recteur de l’Université de Bruxelles. Puis-je vous demander - simplement - si vous ne connaissez pas de leurs amis. Il faut, paraît-il, que le candidat à la bourse joigne à sa demande une liste des lettres de recommandation dont il est titulaire. Il est bon que cette liste soit longue. Pouvez-vous m’aider à l’allonger ? J’ai la hantise de ce départ, de n’importe quel départ : j’admire que l’on puisse vivre longtemps dans un monde intérieur. Mais peut-être que ces démarches vont me conduire à Bruxelles. Si cela se fait, je tiendrais beaucoup à vous voir.  Ecrivez-moi. Votre,


  R. Denoël


  Nous recevons le XXe Siècle. Par hasard, j’y ai lu votre nom et celui de votre ami Kolchnitzky (4), entourés d’éloges.


1. Mélot et sa famille quitteront Bruxelles pour Paris début 1926, avant de s'installer, l'année suivante, à Maintenon, en Eur-et-Loir.
2. La Poule aux œufs d’or paraîtra chez Emile-Paul en mars 1927.
3. Je suppose qu'il s'agit de la Bourse Guggenheim créée en 1925, qui était décernée à des artistes, scientifiques ou universitaires « ayant démontré une capacité exceptionnelle dans la recherche académique ou un talent créatif exceptionnel dans les arts ». On ne voit pas trop où Denoël aurait trouvé place dans ce panel.
4. Léon Kochnitzky [Saint-Josse-ten-Noode 2 août 1892 - Côme 29 mai 1965], musicien et écrivain belge, né de père russe et de mère polonaise.
* Autographe : Archives et Musée de la Littérature, cote ML. 4350/8.