Robert Denoël, éditeur

1938

À Irène Champigny

[Sigle imprimé des Editions Denoël]

Sans date [début janvier 1938]

Je voudrais vous faire plaisir et me faire plaisir à moi-même en passant une après-midi avec vous. Mais je ne le peux pas. C’est impossible. Je n’ai jamais une après-midi à moi. Parfois une heure, parfois deux, jamais davantage.

Mais cela ne m’empêche pas du tout de penser à vous, de faire le petit travail que je vous ai promis (1). L’homme que j’ai été compte peu. Je n’aime pas comme vous les rétrospectives et les confrontations. La vie est si appétissante et souvent si joyeuse que j’ai tous les matins de nouvelles raisons de vivre. Je n’ai pas besoin de me souvenir. Il me suffit d’être avec vous, qu’avons-nous besoin de nos ombres ?

Je vous embrasse bien tendrement.


    Robert


1. Denoël a accepté de corriger le manuscrit « Ecris-moi » dont il est question dans sa lettre du 30 décembre 1937.
* Autographe : collection Jean-Pierre Blanche.

 

À Louis-Ferdinand Céline

Paris le 14 Janvier 1938

Monsieur,

Comme suite à votre demande, nous avons l'avantage de vous remettre, sous ce pli, les relevés de comptes concernant :

LE VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT et s'élevant à Frs : .............     933,15
    MEA CULPA.................................................................... ...........     202,50
                                                                                                           _______
                                                                                                          1135,65
    Réglé en trop par caisse le 6/10/37............................................       50
                                                                                                           ________
    Net à régler.................................................................................   1085,65 (1)

Pour le compte « MORT A CREDIT », nous vous demandons de vouloir bien attendre jusqu'au 15 Mars prochain pour son établissement car les Messageries Hachette doivent nous donner le 28 Février prochain le compte de vente exact de cet ouvrage dont il est sorti de nos magasins 4 exemplaires seulement depuis le dernier relevé de compte que nous vous avons fourni (2).
    Quant à « L'EGLISE », nous avons eu 80 retours depuis le dernier relevé de compte (3).
    Nous sommes à votre disposition pour tous renseignements que vous jugerez utile de nous demander et vous prions d'agréer, Monsieur, nos sincères salutations.
    Les Editions Denoël
    Le Chef de la Comptabilité

[Auguste Picq]


1. Mention manuscrite : « Réglé par mandat le 18-1-1938 » (voir la lettre du 18 janvier, ci-après).
2. Le dernier relevé des ventes pour Mort à crédit, arrêté au 28 février 1937 (voir sa lettre du 8 mars 1937).
3. Il remonte au 18 mars 1937.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Louis-Ferdinand Céline

Paris, le 18 Janvier 1938

Cher Ami,

Veuillez trouver, ci-inclus, un mandat de frs : 1.085,65 en règlement de notre relevé de compte concernant le « VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT » et « MEA CULPA ».
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

[Robert Denoël]


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Luc Dietrich

Paris, le 20 janvier 1938

Mon Cher Luc,

Je suis heureux d’avoir de vos nouvelles directement. Il était à craindre, en effet, que ce voyage ne vous fatigue à l’extrême, mais je suis convaincu que le séjour là-bas va vous redonner force et vitalité (1).
    Si vous ne pouvez écrire, peut-être pouvez-vous lire ? Dites-le moi, je vous ferai parvenir quelques bouquins.
    Cécile a été gravement secouée ces derniers temps : angine et sinusite qui l’ont forcée à garder le lit ces quinze derniers jours. Un mieux se dessine actuellement. Le gosse se porte bien et devient chaque jour un peu plus insolent, ce qui est signe de bonne santé, comme vous le savez.

Quand vous reviendrez, il vous récitera tout son répertoire qui comporte déjà plusieurs poésies d’auteurs généralement peu connus. Vous devriez songer à lui composer quelques poèmes pour son usage personnel.
    Toute la rue Amélie se porte bien et vous envoie ses amitiés. J’y joins les miennes, bien affectueuses.


    Robert Denoël

Ps : Un peu de braise viendra à la fin du mois !


1. Du 27 décembre 1937 au 9 mai 1938, Luc Dietrich séjourne au sanatorium de Sancellemoz, en Haute-Savoie.
* Autographe : collection famille Luc Dietrich.

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 21 Janvier 1938

Cher Ami,

Je suis vraiment content d’avoir de vos nouvelles. Cette solitude où vous vous trouvez peut vous être extrêmement profitable, mais elle doit être évidemment bien difficile à supporter. Vous manquez un peu de contact avec Paris.
    Je vous envoie aujourd’hui même les bouquins que vous me demandez : le Céline (1), le livre de Dallet (2) et un petit livre de Denis Saurat (3) qui vous intéressera sans doute. Je ne sais si je vous ai déjà fait parvenir Les Beaux Quartiers d’Aragon et Le Mors au dents de Vladimir Pozner (4). Si ces livres vous tentent, demandez-les moi.
    Je vais lire votre pièce (5) et vous dirai très prochainement si, à mon avis, il y a quelque espoir de la placer. Vous savez que le monde du théâtre est encore plus difficile à aborder que celui de l’édition.
    Benjamin Fondane qui est un spécialiste du cinéma et qui a mis à l’écran un livre de Ramuz (6), vient de tirer un scénario de Tempête de printemps et du second livre. Il ne désespère pas de le placer (7). S’il réussissait, cela serait véritablement un coup de chance.
    Croyez, Mon Cher Ami, à mes sentiments bien dévoués.

R. Denoël


1. Bagatelles pour un massacre a été mis en vente le 28 décembre.
2. Le roman de François Dallet, Les Pieds du Diable, est sorti début novembre.
3. La Fin de la peur date de juillet 1937.
4. Parus en novembre 1936 et en avril 1937.
5. Non identifiée. Le fonds Jean Proal aux Archives départementales des Alpes de Haute-Provence contient une demi-douzaine de manuscrits et tapuscrits d'œuvres théâtrales inédites mais toutes postérieures à la guerre.
6. Séparation des races a été porté à l'écran en 1934 par Dimitri Kirsanoff d'après un scénario de Fondane, sous le titre « Rapt ». Voir la lettre à Proal du 11 avril 1934.
7. Aucun projet ne s'est concrétisé.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

 

À Julien Gracq

[Sigle imprimé des Editions Denoël]

Sans date [janvier ? 1938]

Monsieur,

J'aurais voulu lire le manuscrit du « Château d'Argol » mais vous ne me l'avez pas montré (1). S'il vous plaisait un jour de me parler de vos projets, je serais heureux de vous recevoir. Et plus encore de traiter avec vous.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments très choisis.

Robert Denoël

1. Au Château d'Argol, le premier roman de l'auteur, avait été proposé sans succès chez Gallimard au cours de l'année 1937. C'est José Corti qui le publia en janvier 1938.
* Autographe reproduit dans un catalogue de vente aux enchères de « Lettres & manuscrits autographes », le 8 juin 2017, par la maison Alde à Paris.

À Luc Dietrich

Paris 7 février 1938

Mon cher Luc,

Vos kilogs retrouvés m’enchantent. Et plus encore le ton joyeux de votre lettre. Je suis heureux et toute la maison avec moi de vos progrès. C’est presque aussi bien qu’un roman en trois cents pages.
    Votre poésie « pour Fifou » sera remise tout à l’heure au destinataire. Le père est enchanté de l’honneur que vous faites à son fils. Pour ne rien dire de la fierté maternelle.
    La pauvre Cécile a été fort malade depuis votre départ. Grave angine, dépérissement, neurasthénie. Il y a du mieux, mais ce n’est pas fini. Je ne sais que faire. Cette souffrance régulière – vous connaissez cela – il faut bien du courage pour la supporter. Et Cécile est souvent à bout de forces.
    La famille Barjavel va bientôt s’accroître. Elle suit en cela la maison d’édition qui vient de se gonfler d’une annexe, la boutique voisine, consacrée à la radio (1). Le propriétaire nous a repeint notre façade, nous avons maintenant grand air et bonne renommée. La ceinture n’est pas encore très dorée mais cela va venir. J’hésite à prendre un associé, qui me tirerait d’embarras mais m’en causerait de nouveaux. Je me demande s’il ne vaut pas mieux se débattre encore quelques mois et rester seul. C’est cornélien.
    On vous envoie vos objets ménagers avec des tas d’affections.


    Robert


1. Le 21 rue Amélie est désormais occupé par une boutique d'appareils de radio, tenue par Claude Caillard, un ami de Robert et Cécile Denoël.
* Autographe : collection famille Luc Dietrich.

À Louis-Ferdinand Céline

Paris le 28 Février 1938

Monsieur

Selon les termes de notre accord, il vous est dû, à ce jour, les droits d'auteur portant sur la moitié des exemplaires sortis de nos magasins de votre livre « BAGATELLES POUR UN MASSACRE ».

Ces droits sont de 18 % du prix fort, soit : 4,86 par ex.
SORTIS à ce jour :...................................................................... 27.000 ex.
Passe 5 %.................................................................................... 1.350 ex. = 25.650 ex.

DROITS : 25.650 x 4,86 : 2 = 62.329,50
    N/versement à valoir .............50.000 (1)
                                                _________
                                                  12.329,50

Il vous reste donc dû sur ce compte la somme de DOUZE MILLE TROIS CENT VINGT-NEUF FRANCS, 50 C/mes, que nous vous remettons ce jour en espèces.
    Veuillez agréer, Monsieur, nos sincères salutations.
    Les Editions Denoël
    Le Gérant,

[Robert Denoël]


1. L'article II de la lettre-accord du 8 novembre 1937 stipule que l'éditeur lui versera, à la remise du manuscrit, un acompte de 50 000 francs, à valoir sur les droits du livre. L'éditeur suit donc, à la lettre, tous ses engagements, ce qui n'empêche pas Céline d'écrire à Aimée Barancy : « Je serais bien content aussi de quitter Paris, mais je ne quitte pas Denoël des yeux. Ma liberté, ma subsistance dépend de ses fantaisies financières. Et je les redoute ! » [Repris de : Lettres, Pléiade, 2009, lettre 38-10].
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Irène Champigny


[Sigle imprimé des Editions Denoël]

Paris, le 8 Mars 1938

Chère Amie,
Je vous envoie, ci-inclus, quarante nouvelles pages corrigées de votre travail (1). Examinez bien les corrections que j’ai faites, vous verrez qu’il ne s’agit jamais là de fantaisie, mais de corrections indispensables, soit pour la clarté du récit, soit pour la correction grammaticale.
    Je ne puis encore vous dire sur ces 120 pages quoi que ce soit au sujet des coupures, car il faut évidemment relire page par page et très soigneusement pour savoir ce que l’on pourrait à la rigueur enlever.
    A très bientôt et bien affectueusement,


    R. Denoël

L’on me dit à l’instant que vous avez envoyé un amateur de postes, ce dont je vous sais le plus grand gré (2).


1. Il s'agit toujours du manuscrit « Ecris-moi », que Denoël ne publiera pas. On ignore pourquoi mais Champigny a noté en marge d'une autre lettre de l'éditeur : « Pleine d’amertume j’eus une colère terrible (solstice d’hiver) et rompis avec fracas. Ma conduite le tuméfia. La sienne m’avait révoltée. Longue coupure. Chagrin. Je ne le revis ensuite qu’à la clinique de Geoffroy St-Hilaire en 1942. » Il est possible que des soucis personnels aient alors perturbé l'éditeur. Dans son journal, Luc Dietrich écrit, le 18 juin 1938 : « Confidence de Denoël. Ça marche mal avec Cécile, il en a marre. Pauvre type saucissonné dans la corderie familiale. Il me fait de la peine. Désordre chez lui, désordre en lui, désordre ici, autour de moi, derrière moi. » Qu'est-ce qui pouvait expliquer ces mauvaises relations ? Dietrich note encore, le 22 décembre : « Denoël me demande de lui offrir un porte-cigarette qu'une maîtresse vient de lui donner. Il faut que devant sa femme je pose la housse-alibi. »
2. Voir la lettre du 7 février à Luc Dietrich, note 1.
* Autographe : collection Jean-Pierre Blanche.

À Louis-Ferdinand Céline

Paris le 31 Mars 1938

RELEVÉ DES COMPTES DE « BAGATELLES POUR UN MASSACRE »

Exemplaires sortis................................... 27.000
    Passe 5 %................................................ 1.350
                                                                    _______
                                                                                          = 25.650 ex.

DROITS
    sur les 3/4 de 25.650 ex. à 4,86.........................         Frs 93.491,80
    Réglé à la date du 28/2/38.................................               62.329,50 (1)
                                                                                            __________
    Net à régler........................................................                31.162,30

PS. Les 400 exemplaires faisant l'objet de votre réclamation (2) sont des « Services de Presse » (Art. V du contrat)

[Auguste Picq]


1. Voir sa lettre du 28 février.
2. En réaction à sa lettre du 28 février, où l'éditeur chiffrait à 27 000 le nombre d'exemplaires sortis de ses magasins, Céline a écrit directement au comptable, le 26 mars : « Le premier tirage Bagatelles fut de 27.400 je pense et non 27.000 - Nuance! soit les 3/4 de 27.400 à me régler en espèces S.V.P. + enfin le solde des luxes. » [Repris de Tout Céline 1, 1981, p. 117].
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Irène Champigny


[Papier à en-tête : Sonora Radio s.a.]

Sans date [été 1938]

Ma chère Champi,

Je m'excuse de mon long silence, motivé uniquement par le grand branle-bas du déménagement. [...] Nous partons tous pour Nice le 13 - c'est donc rue de la Buffa (1) qu'il faut écrire à partir du 15. [...] Ai vu R.D. [Robert Denoël] il y a quelques jours - je me suis arrangé avec lui en ce qui concerne les questions d'intérêts, mais là, je suis beaucoup moins certain de la fin ! Autrement, il n'y a rien de changé - je t'en parlerai quand nous nous revoyons. Il m'a dit : « Tiens, vous revoyez Champigny ? Comme c'est drôle - justement, nous sommes brouillés ». Autant en emporte le vent ! [...]

Bernard


1. Adresse de la société Radio-Azur (26 rue de la Buffa à Nice), « Fournitures pour la radio et l'électricité » appartenant précédemment à un M. Y. Popovitch, que Steele a rachetée.

 

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 19 Août 1938

Cher Ami,

Il y a longtemps que j’attendais de vos nouvelles et je suis heureux d’en avoir tout à coup d’aussi bonnes.

Rien, en effet, ne pouvait me faire plus de plaisir que de savoir que vous poursuivez tenacement un effort dont nous sommes quelques uns à attendre beaucoup. J’avais encore, il y a quelques jours, l’occasion de parler de vous à Monsieur Georges Mer (1) qui a pour vous la plus grande estime. Dans le groupe de critiques et de gens de lettres que je vois régulièrement, personne ne vous a oublié : on attend avec confiance l’œuvre qui imposera votre nom.
    Par conséquent, votre projet me semble tout à fait excellent. Nous pourrions très aisément publier les trois volumes (2), non pas à deux mois de distance, ce qui est vraiment trop bref, mais à quatre ou cinq mois. C’est en effet le temps nécessaire à une bonne diffusion.
    Suivez donc plutôt dans votre rédaction l’ordre naturel. Dès que vous aurez terminé un manuscrit, faites-le moi tenir et je le lirai au plus tôt. Si vous m’envoyez les trois manuscrits ensemble, il faudra vous arranger pour venir passer quelques jours à Paris, pour que nous puissions en parler sérieusement et étudier ensemble un plan de campagne.
    Il m’est impossible actuellement de me déplacer. J’ai déjà pris quelques jours de vacances et mes obligations me retiennent à Paris jusqu’à la fin de l’année au moins.
    Croyez, mon Cher Ami, que je suis vraiment heureux de cette nouvelle orientation de votre vie littéraire. Bien cordialement,

R. Denoël


1. Georges Mer [1882- ], docteur en droit, haut fonctionnaire au ministère des Finances, commandeur de la Légion d'Honneur en 1938, ami de Charles Braibant avec qui il partageait en 1939 la direction de la section française des Amitiés Internationales.
2. L'éditeur a reçu la veille trois manuscrits. La trilogie annoncée sera composée de Bagarres, Où souffle la lombarde, Les Arnaud. Mais l'ordre de parution de ces volumes sera tout différent de celui prévu par l'auteur.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Pierre Albert-Birot


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 1er Septembre 1938

Cher Ami,

J’ai fait examiner la situation de Rémy Floche : elle est tout bonnement désastreuse (1). Je savais que le succès n’avait pas été fort vif, mais je ne croyais pas que nous avions des résultats aussi faibles.
  Pour aujourd’hui, je ne puis donc que vous dire que je ne demanderais pas mieux que de publier un nouvel ouvrage de vous, mais il faut pour cela que j’attende les résultats de mon programme de rentrée, qui me paraît excellent. Ce n’est donc qu’au mois de janvier que je pourrai prendre une décision (2).
  Bien amicalement à vous,

R. Denoël


1. Bien que tiré à 1 000 exemplaires en avril 1934, Rémy Floche, employé restait invendu chez l'éditeur en juin 1947. Il fut alors soldé à la moitié de son prix catalogue par Jeanne Loviton, la nouvelle directrice des Editions Denoël.
2. Aucun ouvrage de l'auteur ne sera édité chez Denoël avant la Libération. Les Amusements naturels, dont le contrat date du 9 février 1943, parut au cours de l'été 1945, et fut soldé en juin 1947.
* Autographe : collection Mme Arlette Albert-Birot.

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 23 Septembre 1938


    Cher Monsieur,

Je viens de recevoir de Maître Henri d’Acremont (1) une lettre me réclamant votre compte de droits d’auteur pour Mervale. Ce compte sera prêt dans quelques jours. Il est assez élevé. J’espère pouvoir le régler totalement avant la fin de cette année (2).
   Nous avons connu durant tous les derniers mois de très sérieuses difficultés de trésorerie, aggravées d’un fait assez singulier et qui vous concerne particulièrement. En effet, d’après l’accord que nous avions avec les Messageries Hachette, tous les livres publiés avant le 1er janvier 1938 ne comportaient pas de règlement de la part des Messageries. Ils viennent en amortissement d’un compte général. De telle sorte que tous les exemplaires de votre ouvrage, et vous savez que la vente a été surtout abondante à partir du 1er janvier, n’ont fait l’objet d’aucun règlement pour nous.

Evidemment, ces considérations doivent vous demeurer étrangères; cela n’empêche pas qu’avec tous les événements qui se sont produits, nous avons subi de ce fait de graves embarras, dont nous commençons à voir la fin. Tout va donc être réglé dans les quelques mois qui vont suivre.
  Je m’excuse vivement auprès de vous de ce mécompte et j’espère qu’il ne nuira pas à nos bonnes relations. Je profite de cette occasion pour vous demander où en sont vos travaux et si durant l’année, vous avez pu donner suite à votre grand projet (3).
   Veuillez agréer, Cher Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

R. Denoël


1. Avocat et écrivain ardennais [1867-1952]. Il était le conseil de la Société des Ecrivains Ardennais, au nom de laquelle il adressera en 1939 un autre courrier à Denoël, toujours à propos de Mervale dont les droits de publication ont tardé à être versés à cette société.
2. Le contrat signé en novembre 1937 prévoyait un règlement des droits d'auteur le 31 décembre et le 31 juillet de chaque année. L'éditeur n'avait rien réglé en décembre, à cause des possibilités de retour des invendus, mais avait proposé un échelonnement des paiements sur six mois jusqu'à la date-butoir du 1er juillet 1938 : manifestement il ne l'avait pas fait et n'avait pas non plus répondu aux rappels de l'auteur.
3. Jean Rogissart a entrepris d'écrire Le Fer et la forêt, premier volume du cycle des Mamert, qui en comportera sept.

* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 7 Octobre 1938

Cher Ami,

J’attends donc votre manuscrit avec une vive impatience. Nous avons eu très chaud ici aussi. L’alerte est heureusement reportée à quelques mois (1). Ne dormez pas sur votre premier manuscrit, nous aurons peut-être quelque autre mobilisation en 39. Mais il faut agir comme si cet accident ne devait pas avoir lieu.
    Bien cordialement,

R. Denoël


1. Les Accords de Munich ont été signés le 29 septembre.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Louis-Ferdinand Céline

Paris, le 11 Octobre 1938

Cher Ami,

Comme suite à nos entretiens, je vous confirme que l'article V du contrat que nous avons échangé au sujet de l'édition du « VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT » est purement et simplement abrogé.
    Il ne peut donc être question pour nous de vous refuser le paiement des droits portant sur les 3.000 premiers exemplaires de cet ouvrage (1).
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
    Les Editions Denoël,

[Robert Denoël]


1. Céline lui a écrit, la veille : « Envoyez-moi je vous prie une lettre abrogeant le fameux article V de notre premier contrat - Je ne veux plus entendre parler de ces 3 000 gratuits ! » [Repris de : L'Année Céline 2014, pp. 68-69, où cette lettre est datée du 10 novembre]. L'article V du contrat signé le 30 juin 1932 stipulait que l'auteur ne percevrait des droits qu' « à partir du quatrième mille », c'est-à-dire du 3 001e exemplaire tiré et vendu.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Jean Proal


[Sigle imprimé des Editions Denoël]

Paris, le 11 Octobre 1938

Cher Ami,

J’ai bien reçu le manuscrit de « Bagarres ». Donnez-moi huit jours et je vous donne une réponse.

Bien cordialement à vous,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Irène Champigny

Madame Champigny
    aux bons soins de Me Lecointe
    pour être remis à Mr J. Brunel, 4 rue de la Paix, Paris (1)

[Vers le 11 octobre 1938]

Madame,

Pour conclure les négociations en cours, je vous confirme que vous n'avez envers les Editions Denoël et Steele, dont j'ai été gérant, les Editions Denoël dont je suis gérant, ou moi-même ou tout tiers avec qui les dites éditions et moi-même aurions dû traiter, aucun engagement pour votre production littéraire.
    Vous êtes donc à partir du 12 octobre 1938 dégagée des conséquences du contrat synallagmatique (2) qui nous unissait.

Pour prévoir toute éventualité, nous stipulons cependant que la vente de vos livres édités par nos soins et les opérations commerciales que ces livres pourraient provoquer, seront régies par les termes du contrat qui nous a unis. (3)
    Recevez Madame, mes salutations


    Robert Denoël


1. Champigny a confié en avril 1937 un manuscrit à Denoël qu'il ne se décide pas à éditer. Pour reprendre sa liberté Champigny a dû avoir recours à un avocat et un notaire. La rupture est consommée : Champigny ne reverra Denoël qu'en 1942.
2.  Contrat synallagmatique ou contrat bilatéral : convention par laquelle les parties s'obligent réciproquement l'une envers l'autre. Dans ce type de contrat, la cause de l'engagement d'une partie repose sur l'obligation de l'autre et réciproquement. Chaque partie est donc à la fois créancière et débitrice de l'autre. Leurs obligations sont interdépendantes.
3. Le contrat en question paraît concerner deux ouvrages : celui que Denoël a reçu en manuscrit l'année d'avant, et Le Grand Vent, un recueil de chansons de marins qu'il a édité
en 1929.
* Autographe : collection Mme Olivia Brunel.

 

À Rachilde  (1)

Paris, le 12 novembre 1938

Madame,

Rien ne m'autorise à vous écrire, rien, si ce n'est la certitude que vous avez toujours eu pour le jeune talent le plus gracieux accueil, le plus vif intérêt. Cette année, un de mes auteurs, une institutrice de Saint-Rémy-de-Provence, se présente au Jury Femina avec un livre remarquable : Le Quartier Mortisson (2).

L'auteur, Marie Mauron, n'a, si j'en crois la rumeur publique, aucune chance de réussite. Personne ou presque personne ne la connaît. Elle vit dans son coin, à l'écart. Son livre ne fait l'objet d'aucune campagne. Jusqu'à aujourd'hui, je suis seul - en dehors de la presse qui est merveilleuse - à m'occuper de sa candidature. Et pourtant, je ne veux pas croire sa cause désespérée. Je suis convaincu que, si Le Quartier Mortisson était lu par tous les membres du Jury, il y aurait un vrai mouvement en faveur de ce roman.

Je m'excuse, Madame, de cette lettre peut-être inconsidérée, vous pardonnerez peut-être au zèle d'un éditeur que sa conviction emporte. Si je ne craignais d'abuser de votre bonté, je vous demanderais même, Madame, la faveur de quelques minutes d'entretrien. Je voudrais vous parler de l'auteur de ce livre, de ses mérites ; il me semble que j'arriverais à vous persuader de ses titres à votre attention.

Veuillez agréer, Madame, je vous prie, l'expression de ma respectueuse et vive admiration.

Robert Denoël


1. Née Marguerite Aymery le 11 février 1860 près de Périgueux, décédée à Paris le 4 avril 1953. Femme de lettres sous le nom de Rachilde, épouse d'Alfred Valette, le directeur du Mercure de France, elle faisait partie du jury du prix Femina
2. Le roman de Marie Mauron est sorti de presse au début du mois d'octobre. Plusieurs articles, peu nombreux mais tous favorables, sont parus dans Marianne, Les Nouvelles Littéraires, Candide, Vendredi et la Revue de Paris. Le prix Femina fut attribué le 6 décembre à Caroline ou le départ pour les îles de Félix de Chazournes (Gallimard). La presse précise que « dix tours de scrutin ont été nécessaires, le livre de Marie Mauron talonnant depuis le début celui de Chazournes : c'est la voix prépondérante de la présidente du jury, Germaine Beaumont, qui a désigné le lauréat ». Germaine Beaumont publiait chez Denoël depuis 1935.
* Autographe : librairie Arts & Autographes à Paris, qui reproduit le manuscrit, vendu 280 euros. Cette lettre avait d'abord été proposée aux enchères, le 21 janvier 2011, à l'Hôtel Drouot, où elle atteignit 80 euros.