Robert Denoël, éditeur

 

1933

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël & Steele
Paris VIIe - 19 Rue Amélie

Paris, le 9 Janvier 1933

Cher Ami,

Voici bien longtemps que nous n’ayons eu de vos nouvelles. Que devenez-vous et où en sont vos projets ?

Devons-nous espérer votre livre pour ce printemps ou croyez-vous devoir nous remettre le manuscrit à l’automne ?

Il nous serait très agréable d’avoir quelques précisions, car il est beaucoup plus facile pour nous de préparer un lancement si nous savons à l’avance quels sont les manuscrits que nous publierons.
    Le Touring Club de France nous a envoyé une lettre circulaire à propos du prix qu’il décerne annuellement. Il s’agit d’après les statuts, d’un prix de frs. 5.000 attribué à un ouvrage, roman de préférence, « pouvant développer l’esprit touristique et faire pénétrer dans l’esprit du lecteur, sous la forme la plus agréable et la plus française, les idées les plus propres à servir la propagande du Tourisme en France. »
    Ce prix n’a pas d’importance littéraire, mais il a une certaine importance au point de vue du public. Peut-être pourrait-il vous être utile ? Qu’en pensez-vous ? Il nous semble que vous auriez quelque chance de succès.

Nous connaissons deux des membres du Jury, auprès desquels nous pourrions intervenir utilement.
    Dites-nous ce que vous en pensez, donnez-nous un peu de vos nouvelles. Votre situation lointaine ne nous empêche pas de penser à vous fort souvent, et avec beaucoup d’amitiés.
    Bien cordialement à vous,

Les Editions Denoël & Steele,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël & Steele
Paris VIIe - 19 Rue Amélie

Paris, le 20 Janvier 1933

Cher Ami,

    Toutes réflexions faites, il vaut mieux renoncer à une candidature auprès du Touring Club. Si vous nous donnez votre livre à la fin de l’été, nous pourrons essayer de courir notre chance pour les prix de fin d’année.

Nous écrivons aujourd’hui même à la Revue Hebdomadaire pour lui rappeler que vous êtes très désireux de recevoir le montant de votre article (1).
    D’autre part, la Tempête de printemps, en dépit du succès de presse qu’elle a obtenu n’est pas ce qu’on appelle un succès de librairie. Il en a été vendu en tout et pour tout 910 exemplaires (2).
    Il n’y a pas lieu de se désespérer, car votre sort est celui de quelques écrivains excellents qui atteignent aujourd’hui des tirages fort respectables.
    Veuillez agréer, Cher Ami, l’expression de nos sentiments les plus cordiaux.

Les Editions Denoël & Steele,

R. Denoël


1. « Cécile Sauvage poète de Provence » est paru dans La Revue Hebdomadaire en avril 1932.
2. Le roman, publié en février 1932, a été tiré à 3 000 exemplaires.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Louis-Ferdinand Céline

27 janvier 1933


   [Recommandée]

Cher Monsieur,

Voici votre compte arrêté au 31 décembre.
    A cette date, nous avons vendu 28.350 exemplaires du « Voyage au bout de la nuit ». Les trois premiers mille ne comportant pas de droits d'auteur (1), le tirage vendu se réduit donc à 25.350 exemplaires.
     Les droits portant sur ces volumes se répartissent comme suit :
      2.000 volumes à 10 % (2,40 de droit)..........................................   4.800 frs
      5.000 ˝ ˝    12 % (2,88 de droit).................................................... 14.400 ˝
     18.350 ˝ ˝   15 % (3,60 de droit).................................................... 66.060 ˝

                                                                                                        ________
                                                                                                            85.260 ˝
    D'autre part, nous avons touché de la maison Piper à Munich (2) un premier versement sur les droits.
    Il vous revient de ce fait une somme de................................................    1.822
    Au 31 décembre dernier, nous vous devions donc la somme de........... 87.082
    Comme, d'autre part, vous avez touché une somme à valoir de............   5.000
    Il vous reste dû à cette date, la somme de : frs...................................... 82.082

Si vous le voulez bien, nous vous réglons cette somme ce jour, partie en un chèque de : 12.082 frs, partie en deux traites de 35.000 frs, chacune à fin février et à fin mars.
    Ces sommes que nous vous versons aujourd'hui sont, nous vous prions de bien vouloir le remarquer, en avance sur notre contrat qui prévoit deux versements par an, qui devraient normalement échoir à fin juillet et à fin décembre prochain.
    Au cours de nos conversations, nous avons décidé d'agir d'une manière différente et pour le solde des exemplaires vendus à ce jour, que nous évaluons environ à 25.000 volumes, le reste étant encore en dépôt chez les libraires (3), nous vous proposons l'arrangement suivant :
    Ces 25.000 volumes à 15 % (3,60 de droit) représentent une somme de 90.000 frs. Nous vous proposons deux effets à l'échéance de fin avril et de fin mai de 45.000 frs chacun.
    D'autre part, l'argent qui nous parviendra des traductions (4) pour lesquelles nous avons signé contrat (Italie, Amérique, Angleterre, Tchécoslovaquie) vous sera versé au fur et à mesure des rentrées.
    Si la vente se prolonge durant le mois de février d'une façon normale, nous pourrions à fin février vous accepter un effet à fin juin représentant les droits des volumes que nous pourrons considérer comme vendus.
    Nous pensons que notre façon de faire recevra votre entière approbation et nous vous prions de bien vouloir nous accuser réception du chèque et des quatre effets, que vous trouverez ci-inclus.
    Veuillez agréer, Cher Monsieur, l'expression de nos sentiments les meilleurs.
    Les Editions Denoël & Steele,

[Bernard Steele]

Ci-joint : 4 effets - 1 chèque.


1. L'article V du contrat signé le 30 juin 1932 stipule que l'éditeur paiera à l'auteur « 10 % sur le prix de chaque volume vendu, à partir du quatrième mille, sauf les 5 % de passe d'usage en librairie et les exemplaires du service de presse ». Cela signifie que les droits sont applicables à partir du 3 001e volume. La passe représente les feuilles de papier ajoutées à la quantité nécessaire au tirage pour compenser celles qui pourraient être salies, froissées ou déchirées pendant l'impression ou au cours des manipulations ultérieures. Les exemplaires de passe défectueux, endommagés, défraîchis ou réservés au service de presse et comme tels non commercialisables, sont donc défalqués par l'éditeur du nombre de ceux sur lesquels sont calculés les droits d'auteur.
2. Piper Verlag a été le premier éditeur européen à acquérir les droits de traduction du roman de Céline : dès le 30 décembre, les accords sont signés avec Denoël et Steele.
3. Denoël a refusé jusque-là de confier la distribution de ses livres aux Messageries Hachette mais il doit en passer par leurs pratiques, à savoir dépôts à terme et paiements différés.
4. Denoël a cédé le 13 janvier les droits de Voyage à l'Italien Corbaccio et au Tchèque Borovy. Les droits pour l'Angleterre ont été acquis le 23 janvier par Chatto & Windus. Pour l'Amérique, des pourparlers sont en cours avec Little Brown et aboutiront le 10 mars.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Robert Freund

Le 3 Février 1933

Messieurs,

En main votre lettre du 1er février dont nous vous remercions. Nous avons l’honneur de vous informer que nous ne voyons pas en ce moment de motif suffisant pour renoncer aux termes du contrat que nous avons passé récemment (1).

M. Grünberg nous a soumis sa traduction ainsi que la liste des fautes que vous lui reprochez. Après un examen attentif, il nous a semblé que vos reproches étaient très souvent mal fondés.
    La personne qui a étudié le texte de M. Grünberg l'a fait dans un esprit académique qui est tout à fait éloigné de la conception de l’auteur. Celui-ci, que nous avons consulté également et qui connaît la langue allemande, est entièrement de notre avis (2).
    Nous sommes d’autant plus à l’aise pour vous dire cela que nous ne connaissions pas personnellement Mr. Grünberg avant de traiter avec lui de l’affaire du « Berliner-Tageblatt ». Ce ne sont donc pas des sympathies personnelles qui jouent là mais bien un sentiment d’équité que vous serez les premiers à comprendre.
    Veuillez agréer, Messieurs, l’expression de mes sentiments distingués.
    Les Editions Denoël et Steele,

[Robert Denoël]


1. Robert Freund était l'administrateur de Piper & C°, l'éditeur munichois qui avait acquis, dès le 30 décembre, les droits de Voyage au bout de la nuit pour l'Allemagne et il en avait confié la traduction à Isak Grünberg [1897-1953], fervent admirateur du livre, qui habitait Paris, rue Vaneau. Grünberg était correspondant littéraire du Berliner Tageblatt où il avait rendu compte du livre, le 15 décembre, et où il était question d'en faire paraître des chapitres en feuilleton. Le 14 janvier, le traducteur avait envoyé un échantillon de vingt pages de son travail à Piper, qui s'en disait mécontent, et envisageait de rompre le contrat avec Denoël.
2. Céline avait en effet apporté son soutien à Grünberg dans une lettre destinée à l'éditeur allemand, avant de se rétracter : le 17 février Piper écrivait à Paul Winkler que « M. Céline, qui avait d'abord pris parti pour M. Grünberg, a avoué sans ambages après notre déclaration qu'il n'était pas compétent pour porter un jugement ». Sur cette affaire embrouillée, on consultera les articles de Christine Sautermeister dans Etudes céliniennes n° 4 et 5 (2008-2009).
* Repris de : Rudolf von Bitter. Louis-Ferdinand Céline und sein Roman Reise ans Ende der Nacht im deutschsprachingen Raum. Bonn, Romanistischer Verlag, 2007.

À Louis-Ferdinand Céline

4 février 1933

Cher Monsieur,

Nous venons de recevoir par l'entremise de l'Agence Winkler (1) un chèque de frs : 2.592 représentant l'à valoir pour l'édition anglaise du « Voyage au Bout de la Nuit » (Chatto & Windus).
    Nous vous remettons donc, sous ce pli, conformément à nos conventions, moitié (2) de ce versement soit : frs 1.296 en un chèque n° 93.081, sur le Comptoir National d'Escompte de Paris.
    Veuillez agréer, Cher Monsieur, l'expression de nos sentiments les meilleurs.
    Pour les Editions Denoël & Steele
    Le Chef de la Comptabilité,

[Auguste Picq]


1. Paul Winkler [1898-1982]. Il avait fondé en 1928 l'agence Opera Mundi, chargée des droits étrangers chez Denoël et Steele.
2. L'article VIII du contrat prévoit le partage pour moitié entre l'auteur et l'éditeur des droits de traduction.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Robert Poulet


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Paris, le 20 février 33

Cher Ami,

Je suis navré de vous faire attendre mais la lecture de « Ténèbres » a rencontré bien des obstacles : une grippe d’abord, une nouvelle installation, un déménagement (1) et surtout - pourquoi ne pas le dire ? - une incapacité presque totale de ma part. Je suis arrivé au bout de cette lecture, au prix d’un effort sévère, avec la certitude de n’avoir rien compris à votre dessein. D’autres que moi ont essayé de lire « Ténèbres » et n’y sont point parvenu.
  Je ne veux pas dire que ce refus presque immanquable de l’attention du lecteur moyen vous soit imputable. Mais il est certain que vous ne faites rien pour l’aider : vous l’exaspérez, vous le rebutez, vous ne l’affolez pas. On ne peut pas vivre dans votre monde étrange, on ne peut se passionner pour ce microcosme incongru. Vous me dites que toutes les grandes œuvres ont comme premier effet de susciter ce genre de répulsion. D’accord. Mais elles sont néanmoins comprises de quelques uns qui se chargent d’éclairer la lanterne de ceux à qui manque la subtile prescience dont vous parlez. L’auteur le plus difficile a toujours des zélateurs.
  Je me suis passionné pour vos recherches dès que je les ai connues. J’ai lu vos premières nouvelles je ne sais combien de fois pour me familiariser avec le tour étrange de votre esprit : j’ai été récompensé. Handji a été pour moi une grande joie. Les vraies résistances ont commencé avec Le Trottoir puis avec Le Meilleur et le pire (2). Je vous ai fait part à l’époque de mes craintes : l’événement m’a hélas donné raison. Chaque livre nouveau semble être pour vous l’occasion de restreindre le cercle de vos lecteurs. « L’Ange et les Dieux » (3) m’a paru insoutenable et « Ténèbres » me consterne. Je ne trouve aucun fil conducteur, rien. C’est la nuit, une nuit qui ne permet qu’une promenade stérile et fatigante. Votre style de plus en plus précis (et de plus en plus nu) n’est pas là pour nous distraire, vous nous le démontrez victorieusement - mais encore voudrait-on s’accrocher à quelque chose, comprendre vos intentions, ou plutôt avoir longtemps envie de comprendre.
  Avez-vous fait lire « Ténèbres » ou « L’Ange et les Dieux » à d’autres personnes. Je voudrais savoir ce qu’en pense Georges par exemple, son opinion me serait probablement très utile (4).
  Je ne sais pas où va le roman mais je sais que notre époque est de plus en plus rebelle aux problèmes d’esthétique pure. Je crains bien que « Ténèbres » ne soit un problème insoluble faute de données.
  Vous pouvez juger par tout ceci de mes dispositions : amicalement, je suis désolé car je ne pourrai pas publier « Ténèbres » (5) car je suis certain de ne pas en vendre cinq cents exemplaires (« Le Meilleur et le Pire » beaucoup moins « difficile » ne fera pas mille exemplaires) et intellectuellement cela m’irrite de ne pouvoir pénétrer dans un univers que je croyais pouvoir explorer avec plaisir.
  Que faire ? Je n’en sais rien. Peut-être tenter la N.R.F. mais je ne crois pas que la démarche aboutisse. Ni Plon, ni Grasset, ni Albin Michel, ni Corrêa ne comprendront ce livre. Cela me désempare. Je crois que vous trompez et d’autre part le respect que j’ai de votre travail m’incline à croire que mon effort a été trop faible.
  Vraiment, je ne sais plus que penser. Je vous prie de m’excuser de cette lettre si décevante à tous égards et de croire cependant à mon amitié.

R. Denoël


1. En vue de la naissance de leur fils [le 14 mars], Cécile et Robert Denoël ont quitté le petit appartement qu'ils occupaient au premier étage de la maison d'édition, rue Amélie, pour un immeuble assez cossu, 48 avenue Charles Floquet.
2. Denoël a publié Handji en février 1931, Le Trottoir en octobre 1931, et Le Meilleur et le pire en octobre 1932.
3. Ce quatrième roman ne paraîtra qu'en 1942 à Bruxelles aux Editions de la Toison d'Or. Dans sa préface l'auteur donne raison à son premier éditeur : « Dans sa première version L'Ange et les Dieux était un énorme roman de douze ou treize cents pages auquel chaque remaniement apportait de nouveaux chapitres. Jusqu'au jour où je ne pus plus dissimuler que ce récit monstrueux avait fini par dévorer son propre sujet. Dès lors, il ne pouvait être question de publier un ouvrage qui serait une apothéose du désordre. »
4. Voir ci-dessous sa lettre à Georges Poulet, datée du 27 février.
5. Denoël publiera Les Ténèbres, remanié, à 2 500 exemplaires en avril 1934. Le tirage du Meilleur et le Pire avait été de 3.000 exemplaires.
* Autographe : Archives littéraires suisses, Berne. Cote ALS Poulet-B-2-DEN.

 

À Pierre Albert-Birot


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Paris, le 27 Février 1933

Pneumatique

Cher Monsieur et Ami,

Que deviennent les épreuves de Grabinoulor ? Je les attends pour la Nouvelle Revue Française et pour les Cahiers du Sud (1). Hâtez-vous, je vous en supplie.
  Bien cordialement à vous,

R. Denoël


1. Ces deux revues ont publié en mars les « bonnes feuilles » du livre.
* Autographe : collection Mme Arlette Albert-Birot.

 

À Georges Poulet


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël et Steele
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 27 Février 1933

Mon Cher Georges,

Robert t’aura probablement envoyé une lettre que je lui ai écrite à propos de « Ténèbres » (1), roman qui témoigne d’un effort fabuleux, consacré m’a-t-il semblé à l’évocation d’une série d’événements infiniment petits, dont j’aperçois vaguement le rythme mais dont je ne découvre pas la signification.
  J’ai lu ce livre honnêtement et avec une grande obstination. Il m’a inquiété parfois, même légèrement angoissé mais pour dire exactement les choses, il m’a surtout paru terriblement vain et ennuyeux. Je ne parviens pas à m’accrocher à ces personnages qui tiennent plus de l’ombre que du vivant, à cette succession de petits drames baroques où ne subsiste qu’un reflet d’humanité très vague. J’ai reconnu évidemment, dans cet ouvrage, cette puissance inouïe qui est la marque du talent de Robert, mais l’emploi de cette puissance m’a fortement déçu. Je le lui ai dit, ainsi que tu l’as lu, d’une manière peut-être un peu vive.
  Je ne voudrais pas commettre une injustice : aussi ai-je décidé de reprendre la lecture de « Ténèbres ». J’aimerais toutefois que tu m’écrives d’une manière détaillée ce que tu penses de ce roman et comment tu en comprends le dessein. Tu me rendras service et, sans doute, par la même occasion, rendras-tu service à ton frère.
  Où en es-tu de tes travaux personnels ? Tu me ferais plaisir en me donnant des précisions à ce sujet.
  Pour moi, comme tu le sais, j’ai abandonné provisoirement toute activité littéraire, mais sans doute y reviendrai-je quand les Editions auront une destinée assurée.
  J’ai revu dernièrement l’excellent Francis (2). Toujours le même, tout rempli de petites préoccupations dont la singularité ne m’avait jamais autant frappé, mais toujours dévoué à ses amitiés et bon compagnon.
  Florquin (3), qui a beaucoup couru le monde ces dernières années, vient de rentrer à Liège où il va tenir une chaire de biologie. Il est aussi demeuré le même, toujours en mouvement, informé de tout, spirituel et sceptique comme tu l’as connu. Lui, au moins, il est passé par Paris. Quand pourrai-je en dire autant de toi ?
  Bien cordialement,

Robert


1. Voir plus haut sa lettre à Robert Poulet, datée du 20 février.
2. Francis Soulié publiait dès 1922 des critiques littéraires dans Créer puis dans Le Disque Vert et Sélection sous le pseudonyme de Gille Anthelme.
3. Marcel Florkin [Liège 15 août 1900-3 mai 1979], docteur en médecine diplômé de l'université de Liège, premier titulaire de la chaire de biochimie à la même université dès 1934. Il fit lui aussi partie de l'équipe du groupe « Créer » dès 1922.
* Autographe : Archives littéraires suisses, Berne. Cote ALS Poulet-B-2-DEN.

 

À Louis-Ferdinand Céline

1er mars 1933

[Recommandée]

Cher Monsieur,


    Votre compte arrêté au 28 février porte sur un tirage de 60.350 exemplaires. En effet, bien que nous ayons tiré davantage, nous considérons que les exemplaires encore en dépôt chez les libraires et la passe prévue par contrat représentent le solde du tirage.
    Nous vous réglons donc :
    10.000 exemplaires à 18 % soit 43.200 frs en un effet accepté à fin juin prochain.
    D'autre part, nous vous remettons un chèque de 252 frs, montant des droits qui ne vous ont pas été payés sur 350 volumes dans notre règlement du 27 janvier dernier. En effet, les droits portant sur ces 350 volumes vous avaient été réglés à 15 %, alors qu'ils devaient l'être à 18.
    Nous pensons être bien d'accord avec vous.
    Et nous vous prions d'agréer, Cher Monsieur, l'expression de nos sentiments très distingués.
    Les Editions Denoël & Steele

[Bernard Steele]

inclus : un chèque et un effet.


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Louis-Ferdinand Céline

3 mars 1933

Cher Monsieur,

Nous avons l'avantage de vous remettre, sous ce pli, un chèque barré n° 93.835 sur le Comptoir National d'Escompte de Paris, de frs : 1.040 en règlement des droits vous revenant sur la traduction hongroise (1) du « Voyage au Bout de la Nuit ».
    Veuillez agréer, Cher Monsieur, l'expression de nos sentiments très distingués.
    Pour les Editions Denoël & Steele,
    Le Chef de la Comptabilité,

[Auguste Picq]


1. Le 21 février Denoël a cédé les droits de traduction pour la Hongrie à l'éditeur Pantheon.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Abel Gance


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël et Steele
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 4 mars 1933

Monsieur,

Suite à nos divers entretiens, nous avons l'honneur de vous informer que nous vous accordons à dater d'aujourd'hui, samedi 4 mars 1933, une option de huit jours sur les droits cinématographiques du « Voyage au bout de la nuit » de Louis-Ferdinand Céline, pour l'Europe (1).

Il est donc entendu que nous nous engageons à ne traiter pendant ce laps de temps avec aucune maison de cinéma.

D'autre part, au cas où vous désireriez traiter avec nous, nos conditions seraient les suivantes :

La cession des droits cinématographiques serait consentie pour une somme de 300.000 frs. payable :

100.000 frs à la signature du contrat,

100.000 frs au premier tour de manivelle

et 100.000 frs six mois plus tard.

Il est bien entendu que nous ne vous accordons là que les droits européens.

Nous vous prions de bien vouloir nous retourner la copie de cette lettre que vous trouverez, ci-incluse, munie de votre signature, précédée des mots « lu et approuvé ».

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos sentiments très distingués.

Les Editions Denoël et Steele,

R. Denoël


1. Cette cession des droits d'adaptation au cinéma du roman de Céline est la première d'une longue série. Aucune n'a jamais abouti.
* Repris de : Bibliographie des écrits de Louis-Ferdinand Céline par Jean-Pierre Dauphin et Pascal Fouché, 1985.

 

À Louis-Ferdinand Céline

13 Mars 1933

Cher Monsieur,

Nous avons l'avantage de vous remettre, sous ce pli, un chèque barré n° 93.847 sur le Comptoir National d'Escompte de Paris, de frs : 1.400 en règlement des droits versés pour traduction polonaise par l'Agence Winkler (1).
    Veuillez agréer, cher Monsieur, l'expression de nos meilleurs sentiments.
    Pour les Editions Denoël & Steele,
    Le Chef de la Comptabilité,

[Auguste Picq]


1. Les droits de traduction polonaise ont été accordés par Denoël à l'éditeur Przeworshniego de Varsovie, le 25 février. L'agence Opera Mundi de Paul Winkler est chargée des droits étrangers chez Denoël et Steele.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

À Pierre-Albert-Birot


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Sans date [vers la fin mars 1933]

Cher Ami,

Nous aurons les premiers exemplaires de Grabinoulor samedi matin [1er avril] 10 heures.
    Bien cordialement,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Arlette Albert-Birot.

 

À Louis-Ferdinand Céline

Paris le 31 mars 1933

[Recommandée]

Cher Monsieur,

Votre compte arrêté au 31 mars porte sur un tirage de 70.350 exemplaires. Comme nous vous avons réglé jusqu'à présent les droits portant sur 50.350 exemplaires, nous vous envoyons une traite acceptée à fin juillet prochain de :
    Francs : 43.200
montant des droits de 10.000 exemplaires à 18 %.
    Nous pensons être bien d'accord avec vous.
    Et nous vous prions d'agréer, Cher Monsieur, l'expression de nos sentiments distingués.
    Les Editions Denoël & Steele,

[Bernard Steele]

PS. Si les retours ne sont pas trop importants, nous pourrons vous envoyer une traite égale, acceptée pour fin août, le mois prochain.


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Louis-Ferdinand Céline

Paris, le 4 Mai 1933

[Recommandée]

Cher Monsieur,

Ainsi qu'il a été convenu le mois dernier, nous vous envoyons ce jour le règlement de vos droits sur dix mille exemplaires du « Voyage au Bout de la Nuit ».
    Veuillez trouver, ci-inclus, deux traites acceptées : l'une de 22.000 frs à fin août et l'autre de 21.200 frs à fin septembre prochain.
    Nous vous prions d'agréer, Cher Monsieur, l'expression de nos sentiments très distingués.
    Les Editions Denoël & Steele,

[Bernard Steele]


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Louis-Ferdinand Céline

4 Mai 1933

Cher Monsieur,

Vous avons l'avantage de vous remettre, sous ce pli, un chèque barré n° 95.614 sur le Comptoir National d'Escompte de Paris, de Frs : 2.660,65 représentant la moitié du chèque de $ 220,80 reçu de Little Brown & C° (traduction américaine) par l'intermédiaire de l'Agence Winkler (1).
    Nous vous prions d'agréer, Cher Monsieur, l'expression de nos sentiments les meilleurs.
    Pour les Editions Denoël & Steele,
    Le Chef de la Comptabilité,

[Auguste Picq]


1. Les droits de traduction pour les Etats-Unis ont été cédés à Little Brown & C° le 10 mars. L'agence Opera Mundi de Paul Winkler est chargée des droits étrangers chez Denoël et Steele.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Jean de Bosschère

 

Vouvant-Cézais (Vendée), s.d. [début juillet 1933 (1)]

Cher Ami,

Me voici un peu détendu, un peu reposé de cette année de lutte, extrêmement dure pour moi, que je viens de passer. Je suis arrivé à bout de souffle, à la limite de l’énervement. Vous ne pouvez imaginer quel effort il faut faire parfois pour vivre dans ce Paris infernal et délicieux. Ou plutôt vous l’imaginez fort bien, puisque vous avez sagement renoncé à y vivre d’une manière continue. La lutte devient de plus en plus féroce et la vie hélas ! de plus en plus creuse. On éprouve cela fort après quelques jours de vie simple dans un village comme celui-ci, un vrai village encore intact, dont les habitants ont une politesse naturelle, une amabilité incomparable. Toutes les maisons sont fleuries : des roses partout, le long des murs, aux balcons, dans les jardins. Le plus pauvre a son rosier. Les enfants sont beaux, les femmes agréables et les vieillards décoratifs. Et la promenade nous réserve toutes les joies que peuvent donner de beaux arbres, une rivière, des prés, des oiseaux. Ajoutez à cela le langage paysan qui a gardé ici une fraîcheur et une saveur vraiment belles. Vous comprenez de quel sentiment de paix je me sens envahi et comme je m’abandonne à ces délices pour moi toutes nouvelles. C’est la première fois, depuis ma petite enfance, que le mot « vacances » retrouve pour moi une signification.
  Cela ne m’empêche pas de penser à vous et à nos projets d’une manière très précise. Et je vais répondre à toutes vos questions. L’article de la page belge des N.L. (2) ne peut pas vous nuire. Au contraire. Il ne faut, en ce moment, négliger aucune occasion de ce genre. Je me réjouis de penser que vous donnerez un article à Minotaure, revue dont la publication s’annonce comme un succès. C’est dans des organes de ce genre que votre place est marquée. Qu’iriez-vous faire dans les Candide et les Marianne ? Rien qui puisse vous servir. Je suis à peu près certain que ces journaux n’accueilleraient pas vos écrits, bien trop amers pour leur public habitué à une guimauve sagement commerciale. Nous pourrons peut-être obtenir que l’on y parle de Satan l’Obscur. Encore ne suis-je pas certain que l’on vous consacre le grand article. Remettez-vous de cela à ma volonté bien déterminée de faire l’impossible pour le succès de votre livre.
  Il est très heureux que Delamain publie « Le Merle bleu » (3) dans les « Livres de nature ». Cette collection a touché un assez vaste public. Je ne doute pas que la publication de votre livre dans cet ensemble intéressant ne fasse connaître votre nom à tout un public qui pourrait s’informer du reste de votre œuvre. Il est à souhaiter que « Le Merle bleu » paraisse avant ou en même temps que Satan l’Obscur qui paraîtra à la fin d’octobre (4).
  Je n’ai pas de catalogue ici. Dès mon retour, je vous l’enverrai. Pour le portrait de Céline, je ne dis pas non, s’il consent à en faire paraître un dans L’Eglise (5). Il s’est jusqu’à présent montré réfractaire à la publication de son image. Je lui en parlerai dès mon retour.
  Ma femme vous remercie de votre gentille attention. Elle se porte presqu’aussi bien que son fils qui donne dans les signes extérieurs de la prospérité. Rappelez-nous, si vous le voulez bien, au bon souvenir de Madame d’Ennetières et croyez-moi,  Cher Ami, votre entièrement dévoué,


Robert Denoël


1. L'éditeur et sa famille ont passé leurs vacances dans ce village vendéen durant les quinze premiers jours de juillet.
2. Gaston Pulings a consacré une vingtaine de lignes de sa chronique « belge » des Nouvelles Littéraires [10 juin 1933] au livre de Samuel Putnam : The World of Jean de Bosschère, paru l'année d'avant chez Fortune Press à Londres.
3. Premier titre de Les Paons et autres merveilles qui paraîtra à la fin de l'année chez Stock dans la collection « Les Livres de nature », avec une préface de Jacques Delamain.
4. Achevé d'imprimer le 20 novembre, Satan l'Obscur sera mis en vente le 30 novembre.
5. Conformément au vœu de l'auteur L'Eglise, paru le 18 septembre dans la même collection que Satan l'Obscur, ne comporte pas de portrait mais la reproduction du masque mortuaire d'une jeune fille inconnue (« L'Inconnue de la Seine (1930) »).
* Autographe : Archives et Musée de la Littérature, cote ML 2902/96.

 

À Pierre Albert-Birot


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël & Steele
Paris VIIe - 19 Rue Amélie

Paris, le 17 Juillet 1933

Cher Ami,

A mon retour de vacances, j’ai trouvé un excellent article sur votre livre (1). Sans doute, l’aurez-vous déjà reçu par l’« Argus » ; néanmoins je me fais un plaisir de vous le signaler : il s’agit de l’article de Gabriel Marcel, paru dans L’Europe Nouvelle. On me dit, d’autre part, qu’il y en a eu un, également excellent, dans Balzac, mais je ne l’ai pas encore lu.
  Vous voyez que votre livre ne tombe pas dans l’indifférence générale, comme vous sembliez le croire.
  Avez-vous des nouvelles de Paulhan pour la Nouvelle Revue Française ? Je vais le relancer si nous n’avons rien au 1er août.
  Bien cordialement à vous,

R. Denoël

Cassou a publié, lui aussi, un bon article dans 14. Cassou - G. Marcel - G. Truc - Max Jacob, voilà déjà quelques noms intéressants. Vous ne pouvez pas savoir comme cela me fait plaisir.


1. Grabinoulor est paru début avril.

* Autographe : collection Mme Arlette Albert-Birot.

À Jean Proal


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Paris, le 17 Juillet 1933

Cher Ami,

Votre solitude et votre silence sont-ils féconds et pouvons-nous compter bientôt sur votre manuscrit (1) ? Nous aimerions d’avoir des précisions à ce sujet afin de pouvoir établir notre programme de rentrée.
    Il serait très bon pour nous d’avoir votre manuscrit deux ou trois mois à l’avance afin, le cas échéant, de pouvoir le faire passer dans une revue. De toute manière, même si votre version n’est pas tout à fait définitive, nous serions heureux d’en prendre connaissance.
    Dans l’attente de vous lire, nous vous prions d’agréer, Cher Ami, l’expression de nos sentiments les meilleurs.
    Les Editions Denoël & Steele,

R. Denoël


1. Jean Proal a noté en marge : « Répondu le 19/7. Pour fin août ». Il a envoyé son manuscrit rue Amélie le 22 août.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël & Steele
Paris VIIe - 19 Rue Amélie

Paris, le 31 Juillet 1933

Cher Ami,

Je trouve votre lettre au retour des vacances et je suis content de savoir que votre livre est en bonne voie. Sans vouloir vous presser outre mesure, je vous prie instamment de ne pas perdre une heure et de m’envoyer deux exemplaires dactylographiés, dès que vous serez décidé à mettre le point final à cette œuvre.
    Vous savez que nous comptons beaucoup sur cet ouvrage, dont le titre précédent A hauteur d’homme nous paraît meilleur que celui que vous nous proposez aujourd’hui (1). Enfin, vous aurez le loisir d’y songer jusqu’à la fin de mois.
    Bien cordialement à vous,

Les Editions Denoël & Steele,

R. Denoël


1. On ne sait quel nouveau titre Proal avait proposé. Pour tous ses livres, il hésitera sur leurs titres, ce qui exaspérait son éditeur.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Paris, le 22 Août 1933

Cher Ami,

Ne nous faites pas languir plus longtemps. Envoyez-nous ce manuscrit sans tarder, il faut que nous puissions préparer longemps à l’avance sa publication. Nous comptons fermement sur vous.
    Bien cordialement,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël & Steele
Paris VIIe - 19 Rue Amélie

Paris, le 24 Août 1933

Cher Ami,

    J’ai reçu ce matin le manuscrit de votre roman (1) et je l’ai lu aussitôt. Mon impression est complexe, malaisée à définir. Je trouve ce roman supérieur en plus d’un point à Tempête de printemps, plus dense, plus nourri d’expérience et de réflexion mais faible par la technique. C’est un livre trop lyrique dont les éléments proprement poétiques entravent la marche. Certes, on sent mieux ici que dans le premier volume la solitude de votre héros en face de son village, de l’être qu’il a choisi et de la nature. Vous avez admirablement décrit et fait sentir l’unité du village, sa force, sa puissance dirigée contre le solitaire ; mais vous y avez mis peut-être trop d’insistance. Votre livre est encombré de redites, de descriptions qui arrêtent la marche du récit, de fautes de construction.
    Il semble que vous usiez, avec trop de complaisance, d’un procédé narratif aisément lassant. Je veux dire que vous ne racontez presque jamais un épisode d’un seul trait. Vous en donnez un fragment, vous passez ensuite à un autre épisode et, votre héros se reportant par le souvenir à l’épisode précédent, le revit et en donne de la sorte connaissance au lecteur. Ce procédé, vous l’employez beaucoup trop souvent et cela au détriment de l’intérêt dramatique de l’ouvrage (2).
    Je vous jette ainsi un peu pêle-mêle mes premières remarques, mais je pense qu’il serait peut-être utile que je fasse une seconde lecture de votre roman, la plume à la main et que je note dans le détail ce qui m’a paru fâcheux ou inutile. Si vous jugez intéressant que je fasse ce travail, je suis à votre entière disposition. Je crois, personnellement, que cela peut vous être utile, car il faudrait peu de choses pour que le manuscrit gagne énormément en résonance et en attrait.
    Il est évident que tout chaud encore de la composition, certaines choses vous échappent peut-être et que les précisions que je suis disposé à vous donner vous serviraient. Voulez-vous m’écrire, par retour du courrier, si vous voulez que je fasse ce petit travail.
    En tout cas, vous avez fait un pas en avant considérable : l’atmosphère générale du roman, en dépit du ton parfois trop tendu, est admirablement créée. Le travail d’épuration que je vous suggère me semble aisément réalisable.
   Avec mes sentiments les meilleurs,

R. Denoël


1. À hauteur d'homme, second volume du « Maître du jeu », que l'auteur lui a annoncé dès l'été 1932.
2. Le 26 août Proal lui écrit : « Etes-vous sûr de ne pas vous tromper ? Etes-vous sûr que ce qui vous pèse dans mon livre n'est pas ce qui a le plus de valeur ? » Il se met néanmoins à l'ouvrage et remanie son manuscrit en tenant compte des remarques de l'éditeur.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Paris, le 28 Août 1933

Cher Ami,

Je vais relire votre livre en tenant compte des indications que vous me donnez. Je le relirai la plume à la main et vous ferai part aussitôt de mes suggestions.
    Avec mes sentiments les meilleurs,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal

13 septembre 1933

Mon cher ami,

Je viens de relire avec soin le manuscrit d' « A hauteur d'homme », titre que je préfère de loin à « Homme de peu d'amour », trop littéraire et qui résume les défauts de votre livre sans faire songer à ses qualités.

Car, maintenant, après cette deuxième lecture, je suis à peu près certain de pouvoir vous désigner clairement les faiblesses de cette oeuvre exceptionnelle en plus d'un endroit. Le premier et le plus grave reproche que l'on puisse vous faire et celui qui s'impose le plus souvent à l'esprit au cours de la lecture, c'est l'enflure du ton, le faux dramatique. Votre sujet est très beau, âpre, tragique même. Il se suffit à lui-même. Il émeut, il étreint le lecteur. Pourquoi en remettre en forçant votre voix ? Dites les choses simplement, sans vouloir faire des effets de style. Supprimez les superlatifs. Allez à l'essentiel. Une histoire, par elle-même émouvante, gagne toujours à être contée avec simplicité.

Evitez aussi les expressions « régionalistes » qui donnent un pittoresque tout local, auquel la plupart des lecteurs demeurent indifférents et pour cause. Tout le long du manuscrit, j'ai souligné des mots, des expressions qui m'ont paru ou faibles ou inutiles.

A côté de cela, j'attire votre attention sur les longueurs de votre livre. C'est au moment où vous voulez philosopher que tout se gâte. Les réflexions sur la vie, l'amour, la solitude de l'homme, laissez donc au lecteur le soin de les faire. Votre récit les suggère, et c'est assez. Un roman, c'est d'abord une histoire. Les grands maîtres l'ont bien compris. Dostoïevski par exemple, qui a fait des romans énormes où les réflexions des héros n'entravent jamais la marche de l'action.
Votre intervention, vos interpellations au lecteur sont fâcheuses, croyez-moi. Contez et contez bien. Toutes ces idées que vous développez avec un plaisir évident naîtront dans l'âme du lecteur et y prospéreront beaucoup mieux que si vous les imposez.

Je reviens encore sur ce que je vous disais dans ma première lettre : les vices de construction. Esthétiquement, vous n'avez pas le droit de faire d'un épisode de votre récit un puzzle que vous reconstituez un peu au hasard des états d'âme de votre héros. Le lecteur supporte cela aisément une fois, il ne peut le supporter tout au long d'un roman.

Reprenons « A hauteur d'homme » au début, si vous le voulez bien. Le premier chapitre marche bien, sauf page 25 où Sylvain se souvient du jour où Marthe s'est blessée. Passage mal soudé au reste.

Au chapitre deux, après la visite du notaire, retour au bal de la Saint-Jean d'été auquel vous mêlez petit à petit un épisode ultérieur : la rencontre avec Marthe. Le lecteur est obligé de vous suivre sur trois plans : cette fin de journée où vous l'avez conduit à Digne - surle plan du bal de la St Jean - sur le plan du passé (Tempête de printemps ) et encore sur le plan de la rencontre avec Marthe. C'est pénible. Si vous consentiez à suivre partiellement, tout au moins, la chronologie, vous éviteriez cette impression de désordre et de piétinement que l'on éprouve par la difficulté de vous suivre.

Les pages 44 - 45 - 46 - 47 gagneraient à une condensation. Une page sur un ton plus froid ferait bien plus d'effet.

P. 53 - 54 ton forcé, déclamatoire.

Pour le reste, cette première partie est admirablement venue. La mort de la mère Séveran, l'orage, sont des morceaux admirables. Purgez votre récit et, sans effort, sans vous essoufler, vous atteindrez le plan héroïque.

La seconde partie : « Marthe » est excellente. Au début vous éprouvez encore le besoin des retours en arrière mais c'est moins pénible. A vous de voir simplement si dans cette partie l'élément descriptif n'est pas exagéré. Je crois que non, personnellement. Çà et là quelques verrues que j'ai signalées. L'ensemble est beau, d'une noble venue.

La troisième partie est ratée par excès de longueur. Ici votre procédé se justifie par la tragique promenade de votre Sylvain conduisant sa femme à l'hôpital. On admet que le récit procède par saccades jusqu'au moment où l'on arrive à l'hôpital. Arrivé à la salle d'opération, l'histoire est finie. Vous n'avez plus qu'à conclure. Et c'est trop de soixante-dix pages pour y amener le lecteur.

C'est ici plus qu'ailleurs qu'il faut, à mon avis, manier les ciseaux. Soyez sans pitié. Enlevez tout net l'épisode faux du curé que Sylvain va trouver. Faux parce que Sylvain, être mystique ou en tout cas animé d'une intense vie intérieure, aurait déjà pensé à Dieu et à ses prêtres catholiques avant la crise. Or, ni dans Tempête de printemps ni dans les deux premières parties de cet ouvrage, vous n'avez parlé de ses sentiments religieux. Et l'histoire du curé qui a des grives à manger ce jour-là est presque grossière. C'est cousu de fil blanc, donc inutile. Il n'a pas besoin de ce refus-là pour désespérer tout à fait.

Trop longues aussi les explications sur leur vie commune. Contez, n'expliquez pas. Vos commentaires abîment le récit. La fin est très belle et d'un ton très juste.

Que tout ceci ne vous accable pas. Et ne vous méprenez pas sur mes intentions. Je répugne au métier de pion mais je préfère l'exercer pour que d'autres ne puissent le faire quand le livre sera publié.

Vous vivez très isolé. Ces remarques que je note, d'autres vous les auraient faites, si vous aviez eu l'occasion de faire lire votre manuscrit. Ce sont là fautes légères : le remède est aisé. Il n'y faut qu'un peu courage. Ne croyez pas que votre livre rendra un son grêle parce qu'il sera écourté. Au contraire. Il gagnera en densité. Le dessin en sera plus ferme, plus accusé. Il gagnera en pathétique et en humanité. Vous pouvez faire tout le travail de correction en huit jours. Mais il faut couper une trentaine de pages environ et rétablir la chronologie en deux ou trois endroits.

Ce n'est pas un travail agréable.Je le sais. Mais si je vous supplie de le faire, c'est que j'ai mis en vous une grande confiance. Je vois le grand pas que vous venez de faire et je ne voudrais pas que cet effort admirable n'aboutisse pas au résultat maximum par suite de quelques négligences.

Nous vivons une époque très belle puisqu'elle exige de nous une sorte de perfection. En art comme ailleurs il se fait en ce moment une grande épuration. Ne donnez pas prise sur vous. Ce feu qui brûle en vous, ne l'alourdissez pas de fumées. Vous devez nous donner une flamme haute et claire, qui se voie de loin.

Cordialement à vous,

R. Denoël


* Autographe : Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence à Digne, cote AD 171 7 JO1.

 

À Jean Proal


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Paris, le 20 Septembre 1933

Cher Ami,

Nous sommes enchantés d’apprendre que vous avez remanié le manuscrit de À hauteur d’homme. Dès que nous l’aurons lu, nous vous ferons connaître notre réponse. Envoyez-nous donc deux exemplaires, ce sera plus commode pour nous.
    Ce sera peut-être un peu tard pour le faire paraître dans un journal et arriver à temps pour les prix, mais nous allons essayer.
    Croyez-moi, Cher Ami, votre bien cordialement dévoué,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Jean Proal.

 

À Louis-Ferdinand Céline

27 Septembre 1933

Cher Monsieur,

Nous avons l'avantage de vous remettre, sous ce pli, un chèque barré n° 100.079 sur le Comptoir National d'Escompte de Paris, de :
    Francs : 933,50
se rapportant à la 2ème réédition de 1.000 exemplaires de la traduction tchèque (1) du « Voyage au bout de la nuit ».
    Veuillez agréer, Cher Monsieur, l'assurance de nos sentiments très distingués.
    Pour les Editions Denoël & Steele,
    Le Chef de la Comptabilité,

[Auguste Picq]


1. L'éditeur Fr. Borovy, à Prague, a acquis le 13 janvier les droits de traduction pour la Tchécoslovaquie. Selon Dauphin et Fouché, il a procédé à quatre tirages en 1933, et deux en 1934. L'expression « 2ème réédition » doit donc désigner le troisième tirage.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël & Steele
Paris VIIe - 19 Rue Amélie

Paris, le 6 Octobre 1933

Cher Ami,

Les corrections que vous avez faites au manuscrit de À hauteur d’homme me paraissent excellentes, ainsi que je vous l’ai dit dans ma précédente lettre qui se sera sans doute égarée.
    J’espère que vous aurez reçu les épreuves que nous vous avons envoyées hier. La suite va vous arriver incessamment et nous vous prions de faire la plus grande diligence : le temps presse.
    Nous vous enverrons un chèque sur vos droits dans la seconde quinzaine d’octobre. Par suite de la crise, notre trésorerie est, en ce moment, un peu serrée et il ne nous est pas possible de faire mieux.
    Voulez-vous penser à un « prière d’insérer » et à un texte de bande. Nous pourrions confronter nos idées. Vous reverrez encore sur les épreuves si toutes les liaisons vous paraissent bien faites. Il y a peut-être çà et là une transition à ajouter. Mais vous jugerez mieux que nous.
    Bien cordialement,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Pierre Albert-Birot


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Paris, le 9 Octobre 1933

Cher Monsieur,

C’est entendu, nous envoyons aujourd’hui même un exemplaire [de Grabinoulor] à Monsieur de Ghelderode (1). Entendu également pour le « Prix Goncourt », nous envoyons à tous les membres de l’Académie, sauf à MM. Descaves et Daudet qui l’ont déjà reçu, l’exemplaire que vous souhaitez leur voir remis .

Les Editions Denoël & Steele

R. Denoël


1. Michel de Ghelderode [Ixelles 3 avril 1898 - Schaerbeek 1er avril 1962], auteur dramatique et conteur belge.
2. A ma connaissance Grabinoulor n'a pas été proposé par Denoël pour un prix littéraire, cette année-là. Il le fera en 1936 et l'ouvrage sera couronné deux fois.
* Autographe : collection Mme Arlette Albert-Birot.

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël & Steele
Paris VIIe - 19 Rue Amélie

Paris, le 14 Octobre 1933

Mon cher Ami,

J’ai bien reçu les épreuves de À hauteur d’homme, dont je vous ai retourné aujourd’hui le bon à tirer. Il y a dans la prière d’insérer de très bonnes choses que j’utiliserai au mieux, selon vos désirs...
    Je suis bien ennuyé de ce que vous me dites de votre santé. Je suis désolé de penser que vous ne serez pas à Paris pour le lancement de votre livre. Nous avons si rarement l’occasion de nous voir, il fallait que celle-là nous soit enlevée ! J’espère que cela ne sera pas grave et que vous pourrez bientôt m’annoncer un complet rétablissement.
    Si tout va bien, je compte sortir À hauteur d’homme le premier novembre prochain (1). Il ne sera pas nécessaire de vous envoyer les exemplaires brochés du volume. Nous nous contenterons de vous faire parvenir la première feuille du livre que l’on brochera avec votre dédicace. Comptez sur nous pour le versement des droits d’auteur pour le 22 courant.
    D’autre part, ce que vous me dites de Sequana me surprend fort. Le tirage que nous avons livré à cette maison n’a pas en effet dépassé 1.250 exemplaires annoncés. Il faut que ce soit des exemplaires de surcroît qu’ils liquident de cette façon (2). Votre cas est d’ailleurs celui de tous leurs auteurs. Pierre Benoit, Tharaud et autres Seigneurs des Lettres... se voient ainsi liquidés parfois à très bas prix.
    A bientôt j’espère de vos nouvelles, et croyez-moi votre bien cordialement dévoué.

R. Denoël


1. À hauteur d’homme a été mis en vente le 31 octobre.
2. Jean Proal a appris que des exemplaires de son premier livre étaient bradés chez les bouquinistes des quais de la Seine.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Paris, le 17 Octobre 1933

Cher Ami,

Voici à peu près la fin de votre livre. Il ne nous est malheureusement pas possible de rajouter un encadrement de filets en tête de page. Nous avons, en effet, renoncé à cet ornement typographique qui alourdit, à notre avis, la page. Vous ne le trouverez plus dans aucun de nos livres.
    Comptant sur votre diligence, nous vous prions d’agréer, Cher Ami, l’expression de nos sentiments les plus cordiaux.

Les Editions Denoël & Steele,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Paris, le 18 Octobre 1933

Cher Ami,

Nous vous renvoyons aujourd’hui la mise en pages de À hauteur d’homme. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous envoyer le bon à tirer, par retour du courrier.
    Après examen de votre compte dans la maison, nous avons remarqué qu’il nous restait en magasin, au dernier inventaire, 1.811 exemplaires ordinaires de Tempête de printemps. Nous ne pouvons donc, étant donné les circonstances actuelles particulièrement difficiles, songer à tirer 3.000 exemplaires d’À hauteur d’homme. Nous commencerons cette fois par un tirage de 2.000 exemplaires et si la demande suit nos espérances nous retirerons (1). Nous vous règlerons donc, vers la fin de cette semaine, la moitié des droits soit 1.500 frs et le solde à la mise en vente de l’ouvrage, vers la fin du mois.
    Veuillez agréer, Cher Ami, l’expression de nos sentiments les plus cordiaux.

Les Editions Denoël & Steele,

R. Denoël


1. Tiré à 2 000 exemplaires, À hauteur d’homme a été mis en vente le 31 octobre.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Paris, le 21 Octobre 1933

Cher Ami,

Veuillez trouver, ci-inclus, un chèque de 1.500 frs, en règlement de vos droits sur la moitié de l’édition d’À hauteur d’homme (1). Nous vous prions d’agréer, Cher Ami, l’expression de nos sentiments les meilleurs.

Les Editions Denoël & Steele,

R. Denoël


1. Le contrat signé le 8 octobre 1931 pour Tempête de printemps a été reconduit pour le volume suivant, c'est-à-dire 10 % sur le prix fort de chaque volume vendu, avec paiement anticipatif de la moitié des droits à la signature du contrat, et l'autre moitié à la mise en vente. Le prix de vente de À hauteur d’homme étant de 15 francs, et le premier tirage de 2 000 exemplaires, l'auteur reçoit donc 1 500  francs.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël & Steele
Paris VIIe - 19 Rue Amélie

Paris, le 26 Octobre 1933

Cher Ami,

Aux Nouvelles Littéraires l’on me dit qu’on serait disposé à faire paraître la petite nouvelle que vous aviez envoyée autrefois et qui, malheureusement, s’est égarée. Voulez-vous regarder dans vos papiers si en avez le double et le renvoyer immédiatement à Monsieur Maurice Martin du Gard avec un petit mot ?
    D’autre part, si vous en aviez une que vous jugiez meilleure et qui serait en plus un peu plus longue, envoyez-la de préférence. La première avait été très longtemps retardée à cause de sa brièveté.
    Nous annonçons votre livre aujourd’hui afin de pouvoir prendre date pour les prix (1). Hâtez-vous de nous faire parvenir le service de presse. Et croyez-nous vos bien cordialement dévoués.
    Les Editions Denoël & Steele,

R. Denoël


1. A ce moment-là Denoël n'a pas d'autre candidat pour les prix de fin d'année.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

 

À Louis-Ferdinand Céline

9 Novembre 1933

Cher Ami,

Suite à votre lettre reçue ce jour, nous avons le plaisir de vous informer que votre compte (1) s'établit comme suit :

                                                                      I. Voyage au bout de la nuit :

Exemplaires sortis actuellement de nos magasins....................................................................................... 93.500
    Retours ou défectueux................................................................................................................................      800
                                                                                                                                                                        ______

Report :......................................................................................................................................................  92.700
    En dépôt chez les libraires, approximativement : ......................................................................................     2.000
                                                                                                                                                                        ______
                                                                                                                                                                         90.700
     Passe (5 %) ............................................................................................................................................      4.535
                                                                                                                                                                        ______
                                                                                                                                                                         86.165
    Il vous a été réglé à ce jour .........................................................................................................................79.751 ex.
                                                                                                                                                                        ______


    Votre balance s'établit donc par : .................................................................................................................6.414  ex.

Ces 6.414 exemplaires vous rapportent des droits de 18 % du prix fort, soit : frs 4,32 - Au total frs :         27.708,48

                                                                                 II. L'Eglise :

Nous avons vendu actuellement l'édition « Loin des foules » entièrement.
    Sur les autres tirages, nous avons sorti à ce jour de nos magasins.......................................................   6.750 ex.
    Nous considérons qu'il y a actuellement.................................................................................................   1.500 ex.
    de ce tirage en dépôt chez les libraires.
    Reste donc.............................................................................................................. .............................    5.250 ex.
    moins 5 % de passe, soit......................................................................................................................        250 ex.
    approximativement.
    Reste donc ..........................................................................................................................................     5.000 ex.

Vos droits sur l'édition de luxe (10 %) se chiffrent comme suit :
    5 ex. sur Japon à 100 frs......................................................................................................................         50 frs
    10 ˝ ˝ Hollande à 60 frs.........................................................................................................................         60 frs
    25 ˝ ˝ Pur fil à 35 frs..............................................................................................................................         87,50
    1.800 ˝ ˝ Alfa à 20 frs............................................................................................................................    3.600 frs
    Total, frs :.............................................................................................................................................     3.797,50

D'autre part, les exemplaires qui suivent ce tirage jusqu'à concurrence de 5.000 exemplaires vous rapportent des droits de 10 %.
    Les 3.160 premiers exemplaires de l'édition ordinaire (prix 15 frs) vous rapportent donc net :
............................................................................................ 4.740 frs
    Les exemplaires suivants, jusqu'à concurrence de 10.000, vous rapportent 12 %. Nous aurons à vous régler en outre 1.840 ex. à 1,80, soit frs : ..................................................  3.312 frs
    Le total des droits actuellement dus pour L'Eglise se chiffrent donc comme suit :
frs ...................................................................................... 11.849,50
    Si nous y joignons les droits dus pour le Voyage au bout de la nuit :
frs ...................................................................................... 27.708,48
                                                                                           ___________
Nous arrivons à une somme globale de frs......................... 39.557,98


    Nous vous proposons le règlement de cette somme en deux traites acceptées. L'une au 31 janvier 1934 de 20.000 frs et l'autre de frs : 19.557,98 au 28 février 1934.
    Veuillez avoir l'obligeance de nous dire si ce mode de règlement vous agrée.
    Et dans cette attente,
    Nous vous prions d'agréer, Cher Ami, l'expression de nos sentiments les meilleurs.

[Robert Denoël]


1. Cette lettre est pleine d'enseignement, à condition de pouvoir la déchiffrer, ce qui n'est pas simple quand on ne dispose que de fragments d'informations. Essayons tout de même.

Pour ce qui concerne Voyage, on note que l'éditeur met à charge de l'auteur les « retours et défectueux », ce qui doit signifier les volumes abîmés, manipulés et défectueux qui résultent des dépôts qu'il a consentis chez les libraires et dépositaires. Il lui débite aussi une « passe » de 5 %, ce qui est conforme au contrat de juin 1932, mais la passe ne concerne-t-elle pas les volumes abîmés durant l'impression du volume ? En théorie, si, mais l'article V du contrat ajoute : « ou au cours des manipulations ultérieures ». L'auteur reste donc seul responsable des accidents survenus à son livre avant, pendant, et après sa mise en vente. Céline perd ainsi ses droits d'auteur sur 5 335 exemplaires défectueux ou de passe. C'est excessif, et sans doute abusif, mais légal. On comprend mieux ses emportements lorsqu'après la guerre, des éditeurs éphémères lui proposaient des contrats où la « passe » restait fixée à 5 ou 10 %.

L'Eglise n'a pas fait l'objet d'un nouveau contrat, c'est donc celui de Voyage qui prévaut, où l'éditeur accorde à l'auteur 10 % sur les 5 000 premiers exemplaires vendus, qu'ils soient de luxe ou ordinaires, et 12 % sur la tranche de 5001 à 10 000. Denoël a eu l'élégance de ne pas tenir compte de l'article V qui stipule que Céline ne percevra de droits qu'à partir du « 4000e mille ».

Comme il s'agit du dernier relevé de comptes de l'année 1933, on est tenté, un an après la publication de son livre à succès, de faire l'addition des gains de l'écrivain, en écartant ceux de L'Eglise, puis de les transposer en euros actuels.

A la date du 9 novembre, Céline aurait vendu 93 500 exemplaires de Voyage et il en aurait perçu les droits à hauteur de 150 000 francs, avant impôt, ce qui correspond peu ou prou à 97 500 euros d'aujourd'hui.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Pierre Albert-Birot


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Paris, le 17 Novembre 1933

Cher Ami,

Voici encore un article de cet excellent de La Mort (1) qui vous fait décidément une propagande active.
    Bien cordialement à vous,

R. Denoël


1. Noël Bayon dit Noël B. de La Mort, médecin et chroniqueur, publiait des articles littéraires dans plusieurs journaux parisiens. Je n'ai pas identifié l'article signalé par Denoël.
* Autographe : collection Mme Arlette Albert-Birot.

À Jean Proal


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Paris, le 17 Novembre 1933

Cher Ami,

Vous allez recevoir, par un prochain courrier, quelques exemplaires de À hauteur d’homme. Nous nous occupons de vous en ce moment. Nous aurons sans doute un article dans un prochain numéro des Nouvelles (1).
    D’autre part, nous vous poussons, sans grand espoir, mais fermement quand même, pour les prix (2). Vos cordialement dévoués,

Editions Denoël & Steele,

R. Denoël


1. Je n'ai pas trouvé de compte rendu du roman dans Les Nouvelles Littéraires, ni d'annonces de l'éditeur.
2. Depuis la mi-octobre Denoël « pousse » davantage Le Roi dort de Charles Braibant, ce dont Proal s'est aperçu, qui lui répond, trois jours plus tard : « Sans doute le lancement de Braibant et celui d'Emeraudes [de Janine May] vous ont-ils absorbé beaucoup. [...] Sans doute la grande presse n'a pas encore donné. Mais elle ne fera rien si vous ne la sollicitez pas. [...] Si vous estimez que tel ou tel livre a plus de chances, poussez-le davantage. Mais ne laissez pas tomber le mien. [...] Nous sommes à 15 jours des prix, et vous n'avez pour ainsi dire pas encore annoncé mon livre. »
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël & Steele
Paris VIIe - 19 Rue Amélie

Paris, le 21 Novembre 1933

Cher Ami,

Nous avons bien reçu votre lettre du 20 novembre et nous comprenons fort bien les sentiments qu’elle exprime. Ils viennent, croyons-nous, d’une erreur d’optique. Isolé comme vous l’êtes, vous vous rendez mal compte de ce qu’il est opportun de faire pour la diffusion d’un livre. Puisqu’en somme votre lettre nous demande des explications, vous allons vous les donner.
    Le livre de Charles Braibant, que nous venons de publier (1), a bénéficié de circonstances extrêmement favorables : patronages d’André Maurois et de Georges Duhamel, situation toute particulière de l’auteur, Président des Amitiés Internationales, qui débute en pleine maturité en usant d’innombrables relations. Je ne vous parle même pas du livre qui est substantiel, je vous signale simplement les possibilités que nous avions d’audience immédiate. La publicité que nous avons faite ne fait que suivre un mouvement d’opinion, ainsi que nous le faisons toujours. Dès que nous voyons qu’un livre correspond à une attente, ou à un besoin du public, nous le poussons autant que nous le pouvons. Les expériences que nous avons faites jusqu’à présent nous ont démontré péremptoirement que nous ne pouvions pas arriver à créer cet état de choses par la publicité - exemple : il y a deux ans, nous avons publié un livre aimable en dépensant plus de trois fois ce que nous dépensons aujourd’hui pour Le Roi dort. Nous en avons vendu péniblement 3.000 exemplaires. Cette publicité était d’ailleurs payée par l’auteur, qui avait tenu absolument à voir son nom dans tous les journaux. La publicité est absolument inopérante quand il n’y a pas déjà un appel du public (2).
    L’année dernière, avant le Prix Goncourt, nous avions fait un gros effort publicitaire sur le Voyage au bout de la nuit sans aucun résultat appréciable. Ce n’est que le scandale créé autour du Prix Goncourt qui a déclanché la vente du livre qui aurait très bien pu sans cela faire une carrière de 2.000 à 3.000 exemplaires.
    Nous avons une conception de notre rôle d’éditeurs, sujette évidemment à changements, mais qui consiste plutôt à tâter l’opinion qu’à vouloir la diriger. Notre ambition, plus modeste, a l’avantage d’être réalisable. Dans le cas de votre livre, ne croyez pas à une négligence volontaire de notre part. Nous avons fait il y a deux ans, pour le lancement de Tempête de printemps, un effort très onéreux. Nous avons dépensé environ 12.000 francs de publicité, plus la fabrication du livre.

Tempête de printemps se solde pour nous par un déficit net d’environ 15.000 frs. Cela n’a d’ailleurs aucune importance puisque notre effort sur vous est de longue durée. Nous pensons bien que le moment viendra où vous donnerez une œuvre plus mûrie, plus forte et plus assurée aussi d’éveiller chez le lecteur cette admiration contagieuse qui fait le succès.
    Notre rôle pour le moment en ce qui vous concerne consiste à ne pas laisser ignorer votre nom et vos œuvres. Ce n’est pas en publiant des placards incendiaires dans les journaux que nous arriverions à créer le mouvement dont vous rêvez. Pour le moment, nous nous contentons d’annoncer votre livre partout où il doit être annoncé : le Mercure de France, La Revue de Paris, La Revue de France, La Revue Universelle, La Nouvelle Revue Française, la Bibliographie de la France, etc, etc. Nous envoyons aujourd’hui même plus de trois cents lettres personnelles à des gens qui, par définition, s’intéressent à tout ce qui touche la montagne en leur signalant très spécialement votre livre. Nous avons alerté tous les critiques de nos amis, soit lors d’une conversation, soit par lettre personnelle, soit par téléphone, ainsi que nous le faisons d’habitude.
    Les premiers résultats sont là. Déjà vous avez eu plusieurs articles, notamment dans Le Figaro d’aujourd’hui (Maurice Noël) et des témoignages de vive sympathie. L’accueil général est excellent, sans être cet accueil enthousiaste qui, seul, peut déclancher un mouvement d’opinion. Nous nous honorons de publier un livre comme À hauteur d’homme mais, très certainement, nous n’avons pas espéré en obtenir un succès triomphal. Qu’il vous suffise de savoir que votre livre n’est pas du tout, comme vous le pensez, étouffé, et qu’au contraire nous agissons avec régularité et constance pour lui assurer la carrière la plus féconde.
    Nous avons lancé, en même temps que votre livre, un livre de Philippe Hériat : L’Araignée du matin, sans grand fracas, et pourtant l’auteur et nous, nous sommes enchantés des résultats obtenus (3). Nous ne doutons pas que nous n’arriviez bientôt à une importante diffusion, mais cela dépend bien plus de vous que de nous.
    Pour finir, nous vous donnerons encore un exemple. C’est celui de Jean Giono, que Grasset a cru pouvoir imposer en dépensant des centaines de mille francs de publicité et dont le plus gros succès de vente n’a jamais dépassé 6.000 exemplaires.
    Bien cordialement à vous,

Les Editions Denoël & Steele,

R. Denoël


1. Le Roi dort a été mis en libraire le 7 novembre.
2. Le roman qui paraît avoir bénéficié d'un effort publicitaire particulier de l'éditeur en 1931 est Rien que nous deux d'Edmonde Bernard.
3. La publicité faite pour le nouveau roman de l'auteur est en effet assez discrète mais Philippe Hériat est autrement connu que Proal puisqu'il a obtenu le prix Renaudot 1931 avec L'Innocent.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[Sigle imprimé des Editions Denoël et Steele]

Paris, le 17 Décembre 1933

Cher Ami,

Il est vraiment fâcheux que les exemplaires de presse que nous vous avons envoyés, il y a plus de quinze jours, ne vous soient pas parvenus. Nous vous faisons une seconde expédition de l’ouvrage par poste. Nous espérons que cette fois les exemplaires vous parviendront bien.
    Croyez-nous, Cher Ami, vos bien dévoués,
    Les Editions Denoël & Steele,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Jean Proal.