Robert Denoël, éditeur

Aux Trois Magots

 

Depuis le 6 février 1928 « Chez Mitsou », 60 avenue de La Bourdonnais, Paris VIIe, est devenu « Aux Trois Magots » avec pour propriétaires Anne Marie Blanche et sa grand-mère Anne Vigna-Tenré.

La société au capital de 45 000  F constituée en 1925 n'a fait que changer de nom et d'objet mais, au greffe du Tribunal de commerce, son numéro d'enregistrement est demeuré inchangé : 219 965 B.

Le 23 février 1928 un acte modificateur est passé entre les deux propriétaires et Robert Denoël qui, à cette époque, était domicilié 51 bis rue du Moulin Vert :

Archives commerciales de la France,  6 mars 1928

Anne Marie Blanche a cédé à Robert Denoël, à dater du 15 février 1928, les trois quarts des droits et actions qu'elle possédait et qui étaient de deux tiers dans la société.

Par suite de cette cession, l'actif social appartient à :

- Anne Marie Blanche, à concurrence de un sixième

- Anne Vigna-Tenré, à concurrence de deux sixièmes

- Robert Denoël, à concurrence de trois sixièmes

La raison et la signature sociales de la société seront : « Blanche, Denoël et Cie », qui sera représentée par deux gérants : Anne Marie Blanche et Robert Denoël, dont les appointements mensuels seront de mille francs. Mme Anne Vigna-Tenré n'aura droit à aucun appointement, mais uniquement à sa part de bénéfices annuels.

Les frais de timbre, enregistrement, publicité et honoraires sont à la charge de Robert Denoël.

[Acte passé le 23 février 1928 au Cabinet Paul Schmidt, 21 rue du Temple, et enregistré le 26 février 1928 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine sous le n° 949]

 

L'acte sous seing privé par lequel Anne Marie Blanche a cédé à Robert Denoël les 3/4 de ses parts dans la société, et qui aurait dû être enregistré en même temps que cet acte modificateur, n'a pas été retrouvé.

Comment Denoël a-t-il réglé, le 15 février 1928, ses parts à Anne Marie Blanche, alors qu'il écrivait à Champigny, le 2 janvier 1928 : « Je suis toujours à la veille d’être saisi, de voir mon électricité coupée. Je reçois des lettres de créanciers, des pneumatiques menaçants, des sommations de payer des dettes etc. Depuis trois mois je passe mes journées en cavalcades éperdues dans Paris pour trouver de quoi manger » ?

Comme toujours, « à moins une », il a trouvé un commanditaire, « un monsieur qui nous prête 20.000 frs pour commencer la librairie. On est en train de faire les premiers travaux », écrit-il le même jour à Champigny.

Cet homme providentiel s'appelle Abel Boussingault, il est négociant et habite Montmartre, 181 rue Ordener : « colonial, revenu du Congo et de l’Afrique du Sud après 15 ans et fortune faite. Ce Monsieur me portait de la sympathie, sympathie qui s’accrut quand il sut que Cécile allait devenir ma compagne. Autrefois au Cap il avait fait sauter Ces [Cécile] sur ses genoux. De là, à devenir commanditaire il n’y a qu’un pas. »

Que valaient les parts d'Anne Marie Blanche dans cette petite société en déconfiture grevée d'un nantissement remboursable à sept ans ? Denoël les a-t-il entièrement payées ? Le 2 avril 1928 il écrit à Mélot du Dy : « J’avais trouvé il y a quelques mois un commanditaire qui m’avait promis une somme X. Il m’a versé cette somme en partie. La dernière tranche (de dix-huit mille francs) devait m’être versée ce mois. Il n’en est plus question. Mon commanditaire vient de perdre une très grosse somme dans une mauvaise affaire : il se trouve maintenant sans disponibilités. Me voilà donc dans l’embarras le plus grave, sans possibilités immédiates, avec de gros engagements. »

En juin 1928 Denoël apprend à Champigny que Boussingault n'a pas été fiable : « Nous sommes dévorés de besoins d’argent par suite d’une série de mécomptes dont le plus grave est que le monsieur qui en avait mis (de l’argent) à ma disposition n’en possède presque plus et serait bien aise de rentrer en possession de celui qu’il m’a prêté pour une durée de deux ans. »

La Librairie Aux Trois Magots a été inaugurée le 3 mars 1928. « L'installation terminée, le jour de l'ouverture, il me restait cinquante centimes en caisse », écrira Denoël à son ami Victor Moremans, qui en a témoigné plus tard [La Meuse, 6 mars 1973].

Abel Boussingault, le bailleur défaillant, fut pourtant le témoin de Cécile Brusson lors de son mariage avec Robert Denoël, le 2 octobre 1928. Dans son mémoire de 1969, Cécile écrit : 

« Parmi les amitiés que Denoël avait nouées, se trouvait justement un vieil ami qui m'avait connue toute petite fille au Cap de Bonne-Espérance et qui m'avait vue grandir dans cette exaltante Afrique du Sud de ma jeunesse (ayant quitté Liège, ma ville natale, à l'âge de cinq ans, après avoir fait, en grande partie, le tour de l'Europe). Il avait, pour les ambitieux projets de Denoël, une grande admiration. Il éprouvait pour moi une tendresse infinie. C'est lui qui mit à notre disposition les vingt mille francs qui nous étaient nécessaires. Cher et adorable vieux Boussingault ! »

Le 9 mars 1929, la passation définitive est entérinée :

Archives commerciales de la France,  12 mars 1929

 

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Nantissements

 

Le nantissement, chez un éditeur, sert à garantir des dettes auprès de créanciers, le plus souvent au moyen de son fonds de commerce (à l'exclusion des marchandises). La carrière de Robert Denoël en est jalonnée. Sans être un signe formel de mauvaise santé financière, le nantissement témoigne à tout le moins d'une fragilité qui, parfois, se règle rapidement, et parfois s'éternise.

On s'en tiendra ici à ceux qui concernent la société enregistrée au greffe du Registre de commerce de la Seine sous le n° 219 965 B, c'est-à-dire Chez Mitsou et Aux Trois Magots, puisqu'il s'agit d'une seule et même société qui a changé de nom.

* 17 février 1928 : nantissement 324375 contre Anne Vigna-Tenré  [apuré le 19 décembre 1929]

* 18 avril 1928 : nantissement 327401

*  23 octobre 1929 : nantissement 356937 contre Robert Denoël [apuré le 11 février 1938]

* 11 décembre 1929 : nantissement 360018 contre Robert Denoël [apuré partiellement le 27 février 1930, et            

   complètement le 30 mars 1933]

* 24 novembre 1930 : nantissement 383289

* 29 avril 1935 : nantissement 467950

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Activités annexes

 

Il nous manque le document par lequel Denoël a racheté, le 15 février 1928, les trois quarts de ses parts à Anne Marie Blanche dans la société « Aux Trois Magots », mais nous disposons de la page analytique du Registre du Commerce où sont détaillées les autres activités de la librairie de l'avenue de La Bourdonnais, après le départ de son associée, que je situe en décembre 1929 :

 

* 28 mai 1932 : Office colonial de librairie

* 29 septembre 1936 : Office de librairie générale [devenu « Librairie Générale » en 1941]

* 29 septembre 1936 : Les Editions La Bourdonnais

* 29 septembre 1936 : Editions de Littérature Populaire - collection « Le Chef-d'Œuvre »

* 15 décembre 1939 : Notre Combat

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Les dernières publications des Editions La Bourdonnais datent d'août 1939.

La collection « Le Chef-d'Œuvre » publiée par les Editions de Littérature Populaire s'est interrompue en juin 1937.

Le dernier numéro de la revue « Notre Combat » est paru le 31 mai 1940.

Seule la librairie a poursuivi ses activités durant la guerre. Ses gérants suisses : Aloys Bataillard et Pierre Heyman sont rentrés à Genève en septembre 1939 et mars 1942 ; Georges Heyman fut mobilisé puis fait prisonnier.

Lorsque Les Editions Denoël ont été fermées par l'Occupant, du 17 juin au 15 octobre 1940, c'est la Librairie des Trois Magots qui servit de base de repli à Auguste Picq (comptable), Georges Fort (emballeur) et Madeleine Collet (secrétaire) pour régler les affaires courantes, en attendant le retour de Robert Denoël, mobilisé.

Un nouveau gérant a été nommé en 1941 : Jean Moreau, qui est resté en place jusqu'à mai 1944, remplacé parfois par l'écrivain George-Day. C'est en mai 1944 que Denoël a négocié le rachat de sa librairie.

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Pour l'acquisition du fonds de commerce et l'exploitation de la librairie, une s.a.r.l. au capital de 500 000 francs a été constituée le 1er juin 1944 entre deux frères :

* Georges Marie Elie Alban, demeurant à Paris, 5 rue Champfleury, qui apporte 5 000 francs,

* Elie Marie Louis Alban, demeurant à Paris, 148 avenue du Maine, qui apporte 495 000 francs.

Le capital social de 500 000 F est divisé en 500 parts de 1 000 F chacune, dont 5 ont été attribuées à Georges Alban, et 495 à Elie Alban, qui est nommé seul gérant de la société.

L’article 29 des statuts précise que la constitution de la présente société est subordonnée à la réalisation de la condition suspensive ci-après : acquisition par la société du fonds de commerce de librairie et papeterie sis à Paris, 60 avenue de La Bourdonnais, appartenant à M. Robert Denoël.

[Acte enregistré le 6 juin 1944 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine sous la cote n° 2161]

Cette nouvelle société porte la même dénomination que celle de Denoël : « Aux Trois Magots », son siège social est fixé au 60 avenue de la Bourdonnais, et elle a été enregistrée le 6 juin 1944 au greffe du Tribunal de commerce sous le n° 294 521 B.

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Le 13 juin 1944 un acte s.s.p. enregistré au Tribunal de commerce le 4 juillet 1944 déclare que l'acquisition du fonds de commerce de la librairie de Robert Denoël a été réalisé le 9 juin 1944 par Elie Alban, gérant de la nouvelle Société « Aux Trois Magots ».

[Acte passé le 13 juin devant Georges Hagopian, 24 rue de Bondy, Paris 10e , et enregistré le 4 juillet 1944 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine sous la cote n° 59]

Le 9 juin 1944 Denoël a donc revendu son fonds de commerce pour la somme de 500 000 francs. Le 8 janvier 1950 Cécile Denoël écrivait au juge Gollety : « mon mari avait vendu par ailleurs la Librairie des Trois Magots, dont il avait versé entre mes mains 225 000 francs sur le produit de la vente (la vente avait produit 750 000 francs), nous avions de quoi vivre. ». Un dessous de table de 250 000 francs aurait donc été versé par Elie Alban à l'éditeur : il n'y a aucune raison de ne pas croire la veuve de Denoël, qui n'était pas obligée de dévoiler cette tractation financière.

Ici s'achève donc l'histoire financière de la Librairie des Trois Magots qui, sous le règne de Robert Denoël, eut le mérite de durer plus de quinze ans dans un quartier où les librairies de luxe étaient (et sont restées) rares.

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Elie Alban, pris par d'autres activités, ne s'est pas encombré longtemps de la Société des Trois Magots. Dès le mois de janvier 1946 il en a vendu toutes les parts à deux nouveaux associés : Didier et Charles Jordan.

Didier Jordan, né le 29 octobre 1911 à Paris, appartient au monde des constructeurs automobiles parisiens, mais il est licencié ès lettres et a édité deux romans en 1945 et 1946 : Le Tigre et L'Evangile du Saint-Esprit dans une petite maison d'édition parisienne : Les Œuvres Françaises. En 1941 il avait déjà rédigé un roman, resté inédit : « La Splendeur dans l'abîme ». En 1936 il a épousé Geneviève Binet [1913-1978] et le couple habite 32 avenue de La Bourdonnais.

Le général de brigade en retraite Charles Jordan, son père, né le 15 juillet 1873 à Paris, est passionné de recherches historiques, et il a publié plusieurs articles dans des revues parisiennes. Il habite 57 rue Boissière (XVIe).

Le 21 janvier 1946 Didier et Charles Jordan, réunis 60 avenue de La Bourdonnais en compagnie d'Elie Alban, prennent acte de la démission de ce dernier en tant que gérant. Didier Jordan est nommé nouveau gérant de la société [acte enregistré le 24 janvier 1946 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine sous la cote n° 1366].

Le 16 février 1946 les trois actionnaires se réunissent au siège de la société en vue de modifier l'objet social de la société, qui devient : « L'exploitation du fonds de commerce de librairie, papeterie et édition de livres » [acte enregistré le 26 février 1946 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine sous la cote n° 4260].

Les nouveaux associés ont donc réintroduit une clause qui avait disparu de l'article 2 au moment du rachat de la société par Elie Alban à Robert Denoël, le 9 juin 1944, c'est-à-dire l'édition de livres.

Le 13 septembre 1946 Didier et Charles Jordan se réunissent au siège de la société en compagnie d'André Bauer, qui a sans doute racheté entretemps ses dernière parts dans la société à Elie Alban, dont le nom disparaît des actes.

L'objet de la réunion est une nouvelle modification de l'objet social de la société, qui devient : « L'exploitation du fonds de commerce de librairie, papeterie, édition de livres, antiquités, meubles et objets d'art anciens, haute mode » [acte enregistré le 14 septembre 1946 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine sous la cote n° 456].

André Bauer, administrateur de sociétés habitant 20 rue Saint-Didier (XVIe) est le beau-frère de Didier Jordan. Est-ce sous son impulsion que la vente d'antiquités et d'objets d'art anciens est réintroduite avenue de La Bourdonnais, renouant avec une tradition qui remonte à 1925 ? Je l'ignore car, le 20 octobre 1946, Didier Jordan, qui était le moteur de l'affaire, est mort inopinément (ou accidentellement) à l'âge de trente-quatre ans.

Le 28 octobre 1946 Charles Jordan, André Bauer et Geneviève Binet, veuve de Didier Jordan, se réunissent au siège de la société en vue de nommer un nouveau gérant. Ce sera Monique Jordan, la sœur d'André Bauer, qui n'est pas associée dans la société [acte enregistré le 30 octobre 1946 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine sous la cote n° 1669].

Le 14 mai 1947 les trois associés se réunissent au siège de la société en vue de nommer un nouveau gérant en remplacement de Monique Jordan, démissionnaire. Henri Duclos, employé de commerce demeurant 12 rue de la Barouillère (VIIIe), non associé, est nommé gérant à dater de ce jour [acte enregistré le 21 mai 1947 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine sous la cote n° 818].

Le 2 janvier 1948 Charles Jordan et Geneviève Binet, « seuls membres et propriétaires de l'intégralité des parts de la s.a.r.l. Aux Trois Magots », se réunissent au siège de la société sur convocation du gérant, Henri Duclos, en vue de statuer sur une modification à apporter à l'exercice social.

André Bauer a disparu entretemps des actes de la société, sans doute après avoir revendu ses parts à Charles Jordan ou à Geneviève Binet [acte enregistré le 5 janvier 1948 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine sous la cote n° 96].

Le 20 juin 1952 Geneviève Binet et Maurice Jordan, « seuls membres et propriétaires de l'intégralité des parts de la s.a.r.l. Aux Trois Magots », se réunissent au siège de la société pour nommer un nouveau gérant en remplacement de Henri Duclos, démissionnaire. La nouvelle gérante, non associée, est Aliette Lenormand, épouse divorcée de Roland Lavit d'Hautefort, demeurant 45 rue Claude Lorrain (XVIe) [acte enregistré le 2 juillet 1952 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine sous la cote n° 967].

Le général Charles Jordan a disparu entretemps des actes de la société, sans doute après revendu ses parts à Maurice Jordan [1899-1976], directeur général des automobiles Peugeot, qui demeure 167 boulevard Saint-Germain. Il est le frère aîné de Didier Jordan.

Le 31 mai 1957 un acte s.s.p. a été passé entre Aliette Lenormand, gérante, et Marie Anne Merlo, veuve d'Emile Lenormand, sa belle-sœur, en vue de regrouper les parts sociales, d'augmenter le capital et de modifier les statuts de la société.

A ce moment la famille Jordan a entièrement disparu du capital des Trois Magots, après revente de leurs parts aux deux nouvelles associées. Aliette Lenormand détient alors 265 parts de la société, et Marie Anne Merlo, 235.

Après regroupement, les 500 parts de 1 000 F ont été converties en 100 parts de 5 000 F réparties entre Aliette Lenormand (53 parts) et Marie Anne Merlo (47 parts).

Le capital social de 500 000 F a été porté à 1 000 000 F par la création de 100 parts nouvelles. Aliette Lenormand apporte 265 000 F, et Marie Anne Merlo, 235 000 F.

Après ces modifications les 200 parts ont été réparties entre les associées en proportion de leurs apports, savoir :

* Aliette Lenormand : 106 parts de 5 000 F chacune,

* Marie Anne Merlo : 94 parts de 5 000 F chacune.

Aliette Lenormand, associée majoritaire, reste seule gérante de la Société « Aux Trois Magots » [acte enregistré le 17 juin 1957 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine sous la cote n° 778].

Le 10 février 1961 les deux associées se sont réunies au siège de la société en compagnie de Denise Lannes, demeurant 118 boulevard Richard Lenoir (XIe), en vue de nommer une nouvelle gérante en remplacement d'Aliette Lenormand, démissionnaire [acte enregistré le 22 février 1961 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine sous la cote n° 593].

A dater de cet acte, le numéro d'enregistrement de la société au Registre de commerce devient 57 B 11 072 [modifié définitivement par la suite en 572110724] et les sommes sont exprimées en nouveaux francs (NF). « Au Trois Magots » devient donc une s.a.r.l. au capital de 100 000 NF divisé en 200 parts sociales de 50 NF chacune.

Le 20 février 1961 un acte de cession de parts est passé entre les deux associées et la gérante. Aliette Lenormand cède 86 parts qu'elle détient dans la société à Denise Lannes. Marie Anne Merlo cède les 94 parts qu'elle possède dans la société à Denise Lannes.

Ces cessions ont été réalisées sur la base de 77 NF 50 la part sociale. Denise Lannes a donc réglé à Aliette Lenormand 6 665 NF, et 7 285 NF à Marie Anne Merlo. Mme Denise Lannes, qui reste gérante, devient alors propriétaire de 180 parts dans la société, tandis qu'Aliette Lenormand en conserve vingt [acte enregistré le 22 février 1961 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine sous la cote n° 592].

La gestion de Mme Lannes s'est révélée calamiteuse et un important passif s'est accumulé en quatre ans, qui a été apuré par Mme Lucie Gaillard, libraire demeurant 45 avenue Bosquet (VIIe), ce qui lui a permis d'acquérir les 180 parts de la gérante. Le 26 janvier 1965 Lucie Gaillard a sommé Denise Lannes, par huissier de justice, de réunir une assemblée extraordinaire afin de mettre à jour les comptes de la société.

Le 20 avril 1965 a lieu, en présence d'un conseil jurique, l'assemblée réclamée par Lucie Gaillard, mais à son adresse, celle de la société, 60 avenue de La Bourdonnais, étant restée fermée. Denise Lannes s'est récusée.

Mme Gaillard fait constater que les 32 000 F qu'elle a versés auraient dû être employés à désintéresser les créanciers de la société, malgré quoi divers fournisseurs ont réclamé vainement le règlement de leurs factures, et malgré une déclaration de non-faillite de la gérante datant du 17 novembre 1964.

Une modification des statuts est proposée. Le capital de 10 000 NF, divisé en 200 parts sociales, est désormais réparti entre Lucie Gaillard (8 500 F : 170 parts), Denise Lannes (1 000 F : 20 parts), et Micheline Mantelet, une amie de Mme Gaillard (500 F : 10 parts).

Les associées décident de porter plainte contre Denise Lannes « qui s'est toujours refusée à indiquer l'utilisation des fonds déposés par Mme Gaillard et à fournir toutes justifications comptables », et à la destituer de ses fonctions de gérante de la société. Lucie Gaillard, actionnaire majoritaire, est nommée à sa place [acte enregistré le 14 mai 1965 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine].

Le 2 décembre 1968 a lieu une dernière cession de parts  : Denise Lannes, ex-gérante des « Trois Magots », cède à Lucie Gaillard les 20 parts sociales qu'elle détient encore dans la société, pour la somme de 1 000 F, laquelle a été réglée comme étant comprise dans la somme consignée par Mme Gaillard auprès du syndic de la société [acte enregistré le 28 janvier 1969 au greffe du Tribunal de commerce de la Seine].

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L'histoire des « Trois Magots » se termine cette année-là. Lucie Gaillard a fermé en 1969 sa librairie du 60 avenue de La Bourdonnais, où s'est installé ensuite un commissaire-priseur, Olivier Coutau-Bégarie, qui l'occupe toujours. Le 15 janvier 1963 l'ensemble de ce bel immeuble a fait l'objet d'une décision de classement.