Robert Denoël, éditeur

Maurice Percheron

 

Né le 22 juillet 1891 à Arcachon (Gironde), Villa Magaly, allée Charles Rhoné, fils d'Alfred, 23 ans, étudiant en médecine, et de Madeleine Nonès, 25 ans, sans profession, domiciliés 259 boulevard Péreire, à Paris.

Marié le 7 novembre 1916 à La Garenne-Colombe avec Suzanne Moreau, dont il a divorcé le 26 septembre 1940 et qui lui a donné deux enfants.

Remarié le 18 janvier 1941 à Paris avec Suzanne Boyer.

Ingénieur de formation, il a pris part à la Grande Guerre mais j'ignore si c'est comme pilote ou comme médecin : au « Tableau d'honneur » consacré aux officiers, sous-officiers et soldats cités à l'ordre de l'armée, il figure sous le titre de « médecin auxiliaire de réserve, 98e d'Infanterie ».

Ses premiers écrits sont tous consacrés aux avions : Nos Avions (1914), Les Aéroplanes Maurice Farman (1916), Le Biplan Voisin (1916), Manuel de l’aviateur (1916), Agenda de l’aviateur (1917), Les Biplans Nieuport (1917), Guide du mécanicien d'aviation, à l'usage des mécaniciens, des élèves pilotes et des candidats aux troupes de l'aéronautique militaire (1918), Les Aéroplanes de la guerre (1920).

A cette époque ses livres portent : « Diplômé de l'Ecole supérieure d'aéronautique et de construction mécanique », « Ingénieur attaché à l'Etablissement central d'aéronautique militaire, 109 avenue Mozart, Paris ». Certains précisent : « Ingénieur E.S.A. 1917-1918 ».

En 1921 il publie L'Aviation de demain. Télémécanique. La Direction des avions par T.S.F. Est-ce le manuel d'un inventeur farfelu à la Henry de Graffigny ? Pas du tout : l'ingénieur Percheron est un pionnier des recherches sur les avions sans pilote. En février 1923 Lectures pour tous consacre deux longs articles à son invention :

 

« Mais comment nos ingénieurs ne se seraient-ils point passionnés tout particulièrement pour cet aspect du problème : la commande à distance d'un avion, en d'autres termes : la direction d'un avion sans pilote ? De fait, les recherches à cet égard ont été nombreuses depuis quelques années. Mais, disons-le tout de suite, il semble bien que les plus complètes comme les plus fécondes soient celles qu'a poursuivies l'ingénieur français Maurice Percheron. »

Plan de l'avion sans pilote de Maurice Percheron [Lectures pour tous,  février 1923]

Le 17 avril 1923, avec le capitaine Max Boucher, Percheron réalise et expérimente avec succès, à Etampes, le premier « drone ». L'armée française ne manifeste alors aucun intérêt pour cette nouvelle technologie, mais l'armée allemande, elle, saura s'en servir en 1939, puis, plus tard, l'armée américaine durant la guerre du Vietnam.

En novembre 1941 le ministre de l'Air Laurent Eynac, dont les services cherchaient le moyen de faire voler des bombardiers avec pilotage automatique, se souvint de ces expériences, et fit venir Percheron à Alger pour y exposer sa conception de « l'avion automatique », comme on l'appelait vingt ans plus tôt.

Ses recherches n'étaient pourtant pas passées inaperçues car, lors de sa nomination au grade de chevalier, le Journal Officiel du 12 août 1924 avait fait paraître l'avis suivant :

Les ouvrages qu'il publie au cours des années vingt concernent aussi l'automobile : Aide-mémoire pour la recherche des pannes des moteurs à explosion (1921), Moteurs fixes. Moteurs agricoles (1921), Les Derniers progrès de l'automobile (1923).

En septembre 1924 Percheron fut élevé au grade de Chevalier de la Légion d'Honneur, avec le parainage du capitaine Max Boucher, lui-même officier de l'ordre. Sa fiche indique qu'il était alors « ingénieur et pilote aviateur » :

 

En 1929 l'ingénieur Percheron, « placier de matériel agricole », donne à la Société d'Enseignement mutuel de Cochinchine à Saïgon une conférence sur l'agriculture. Le chroniqueur de L'Eveil économique de l'Indochine, qui en rend compte, est élogieux : « Réunion très instructive et à la fois hautement éducatrice : nous n'attendions pas mieux du savant doublé d'un lettré qu'est M. Maurice Percheron, dont le charme de causeur et la compétence nous apparurent dès notre premier contact avec lui, voici trois ans. » [7 avril 1929].

Ce n'est pas exactement ce qu'écrivait, le 28 août 1927, un chroniqueur qui signe « Caton » dans le même hebdomadaire. Percheron, mandaté par l'Office national des combustibles liquides, un organisme parisien, avait effectué une mission de propagande à travers l'Indochine, où il avait présenté du matériel agricole à une foire à Saïgon, et « débiné » celui de ses concurrents : « Notre impression est que ce très habile courtier, qui vient placer du matériel de tout genre et de toute provenance, en particulier du matériel allemand, voudrait bien ne pas courir trop de risques. »

Le chroniqueur trouvait « assez étrange » que selon Percheron, tous les autres systèmes que le sien n'étaient pas au point et exposaient leur utilisateurs à de graves mécomptes : « lui seul, M. Percheron, apportait la solution. Or un fait est certain c'est que plusieurs de nos abonnés, qui n'ont pas attendu la venue du Messie Percheron pour installer chez eux des moteurs à gaz pauvres de bois en sont enchantés. Ne nous laissons pas monter le bourrichon et donnons à chacun chance égale. » [« Une caravane exposition »].

Percheron ne publie plus avant 1931 : c'est durant ces années qu'il entreprend plusieurs voyages en Asie dont il rendra compte dans ses livres. Ce goût des voyages lui venait de son père, médecin de première classe de l'armée coloniale et chargé, en 1901, du service médical de la Grande Comore.

On ne sait comment il rencontra Denoël, mais ce n’était pas à propos de Tour d’Asie, le premier livre qu’il publia chez lui en février 1936, car il avait inauguré, en octobre 1934, la revue Le Document avec un numéro consacré à l’U.R.S.S. puissance d’Asie.

      

 

Le 10 octobre 1946, il avait déclaré au commissaire Pinault : « J’ai connu Robert Denoël en 1934 comme auteur, ayant eu plusieurs ouvrages édités dans sa maison. Nos relations sont devenues amicales puis même affectueuses. Nous nous recevions mutuellement, jusqu’au départ de Robert Denoël du domicile conjugal. »

Le 19 juin 1935, Denoël, qui a été sollicité par Champigny pour faire une conférence à Vichy, lui écrit : « Que penseriez-vous comme conférencier de Percheron ? Il pourrait vous faire une conférence épatante sur la Chine mystérieuse, par exemple, la Bataille du Pacifique (Japon-Amérique), ou n’importe quel sujet sur l’Extrême-Orient. C’est un conférencier remarquable et je crois qu’il serait assez heureux de se déplacer. De toute manière, vous auriez bien du plaisir à le rencontrer, il vous parlerait des sorciers et des lamas d’une façon incroyable. »

Champigny accepta la proposition et, le 2 septembre 1935, Denoël lui annonçait l’arrivée de Percheron à Vichy, où il fit une conférence remarquée sur « La Médecine et la pharmacie chinoises contemporaines ». Percheron n’avait pas parcouru l’Extrême-Orient en simple touriste, il avait aussi étudié en profondeur ses religions et son folklore, à propos desquels il publiera d’ailleurs plusieurs ouvrages remarquables après la seconde guerre mondiale.

Le 8 septembre 1935, Denoël écrit à son amie : « Percheron a été très frappé par vous, il a immédiatement conçu une grande estime de votre personnalité. Vous avez touché cet homme bizarre, inquiétant et à la fois plein de séduction. » Champigny, adepte des sciences occultes, dut aussi être sensible à la personnalité multiple de Maurice Percheron, que Le Jardin des Lettres présentait, en août 1936, à propos de Tour d'Asie : « N'est-il pas tout ensemble ingénieur, chimiste, physiologiste, ethnographe et pilote de ligne ? »

En 1939 Percheron donne plusieurs textes à la revue de Denoël, Notre Combat, dont il rédige l'ultime numéro, et publie dans l'éphémère collection « Les grandes figures d'aujourd'hui » un Gamelin qui paraît aux Editions Documentaires.

 

Pour la Noël 1942 il a conçu une pièce pour enfants qui sera représentée chez les Denoël, rue de Buenos-Ayres : « La grande pitié du prince Antheaume ». Les relations entre les Denoël et les Percheron sont alors très étroites.

 

 

Denoël lui a édité un livre cette année-là : Sur les chemin des Dieux, quatrième volume de la collection « La Révolution mondiale ». Percheron déclarera curieusement à la police, le 8 octobre 1946 : « Je n’ai jamais eu d’intérêts dans la maison Denoël et n’ai même jamais signé de contrat d’auteur avec cette maison. »

     

Il publiera encore chez Denoël Intermède chinois en 1944, De la poupe à la proue et Dans les nuages et les vents en 1947, Dieux et démons, lamas et sorciers de Mongolie en 1953, avant de confier le reste de son œuvre à Cino del Duca.

Le 2 juillet 1958 Percheron fut élevé au grade d'Officier de la Légion d'Honneur. Sa fiche indique qu'il était alors « journaliste, conférencier et homme de lettres ». Nulle part, on ne rappelle sa qualité de médecin. C'est pourtant au titre de « docteur en médecine, biologiste » qu'il était, en 1945, domicilié 15 rue Las-Cases, Paris VIIe, une petite artère proche de la rue Amélie.

Les dossiers de la Chancellerie de la Légion d'Honneur sont heureusement très détaillés et celui de Percheron, daté du 24 mars 1958, nous donne toutes les précisions qui manquaient :

Il précise même ses activités de journaliste et de conférencier :

 

Maurice Percheron est décédé à Paris le 22 décembre 1963, au domicile de sa collaboratrice, Madeleine Le Roux. C'est un détail que ne pouvait révéler la Chancellerie. Son avis de décès indique donc qu'il est mort chez lui.

 

*

Le 8 mai 1944, c’est à Maurice Percheron que s’adresse Denoël pour reprendre les 18 parts que détient Auguste Picq dans la Société des Nouvelles Editions Françaises, qui deviendront ensuite les Editions de la Tour.

On ne trouve plus trace du nom de Percheron dans la correspondance de Denoël avant le 18 juillet 1945, quand il écrit à Jeanne Loviton : « Je ne vois personne sauf une fois les Percheron qui t’adorent décidément ».

Suzanne et Maurice Percheron connaissent Jeanne Loviton depuis peu : « Deux ou trois mois après son départ du domicile conjugal, M. Denoël m’a mis au courant de sa liaison avec Mme Loviton, que je ne connaissais pas, et de son intention de l’épouser lorsqu’il serait divorcé », déclare Percheron au commissaire Pinault, le 10 octobre 1946. Sa rencontre avec Mme Loviton daterait donc de la fin de l’année 1944.

Cela n’empêche pas Percheron de rencontrer Cécile Denoël chez Gustave Bruyneel, où Robert prend ses repas de midi d’octobre 1944 à mars 1945.

C’est précisément en mars 1945 que Denoël aurait emprunté 200 000 francs à Percheron : « Il me donnait en garantie les actions dont je devais alors toucher le rapport, avec néanmoins la promesse de lui recéder ses actions lorsqu’il pourrait me rendre les 200 000 frs, ce qu’il prévoyait dans un délai d’environ 18 mois. Nous avons omis tous deux d’annuler la rétrocession en blanc », déclare Percheron au commissaire Pinault, le 8 octobre 1946.

Le 2 décembre1945 à 23 heures 15, Cécile Denoël a été prévenue par la police que son mari avait été victime d’un accident et qu’elle devait se rendre d’urgence à l’hôpital Necker. Elle s’y rend en compagnie d’Albert Morys, et est invitée à voir le corps de Denoël qui repose à la morgue. Mme Denoël n’a pas, comme Jeanne Loviton, un certificat médical lui permettant d’appeler un taxi, aussi rentre-t-elle à pied chez elle à minuit et demie.

Cécile Denoël appelle ensuite au téléphone plusieurs personnes : Jeanne Loviton, qui ne peut répondre puisqu’elle est en garde à vue rue de Grenelle ; Paul Vialar : « après un début de conversation la communication fut coupée » ; Maurice Percheron, qui ne répond pas. Seule Elsa Triolet décroche son appareil.

Mme Denoël prétend avoir essayé d’appeler Percheron «toute la nuit», avant qu’il réponde enfin, à 7 h. 30 : «Je lui déclarai que, depuis minuit, je l’avais vainement appelé ; il me répondit alors que son téléphone était probablement détraqué car c’était le premier appel qu’il entendait. Lorsque je lui appris l’affreuse nouvelle, il me répondit qu’il allait se renseigner ».

Dans sa déclaration du 8 octobre 1946, Percheron dit simplement : « Il est exact que Mme Denoël m’a déclaré m’avoir appelé toute la nuit, le soir du drame. Je n’ai été réveillé par le téléphone que vers 7 heures. »

En janvier 1950, l’inspecteur Voges lui demandera quelques précisions à ce sujet : « J’ai appris la mort de M. Denoël le lendemain matin par l’intermédiaire de Mme Denoël, qui m’a téléphoné. J’ai été atterré de cette nouvelle car j’avais vu M. Denoël la veille ou l’avant-veille [...] Le soir du drame, c’est-à-dire la nuit du 2 au 3 décembre 1945, je suis resté chez moi ; j’ai joué aux cartes l’après-midi chez mon cousin M. Jacques Trefouel, 205 rue de Vaugirard à Paris. Je suis rentré chez moi pour dîner et je ne suis pas ressorti.


    Si, au cours de la nuit, je n’ai pas répondu aux appels téléphoniques qui ont pu m’être adressés par Mme Denoël, c’est qu’on ne m’a pas appelé ou que je n’ai pas entendu. Je ne me souviens pas que mon appareil ait été en dérangement à cette époque. »

Maurice Percheron se trouvait donc chez lui, rue Las-Cases, à 500 mètres de l’endroit où Denoël fut assassiné vers 21 heures 15. Il n’a pas d’alibi, et il n’a pas répondu aux appels téléphoniques de Cécile Denoël, entre minuit et 7 heures du matin. Il est médecin, et devrait avoir l’habitude des coups de fil nocturnes ; d’autre part, il habite cet appartement avec sa femme et ses deux enfants. Personne, chez lui, n’a entendu les appels de Cécile Denoël.

Dans la note qu’il adressa au juge Gollety, le 24 mars 1950, Armand Rozelaar écrivait : « Je n’ai pas voulu, dans cette note, passer sous silence le rôle singulier que paraît avoir joué dans cette affaire le Docteur Maurice Percheron. [...] Comme d’autre part, le Docteur Percheron n’était vraisemblablement pas à son domicile pendant la nuit du crime, qu’il ne put être atteint au téléphone qu’à partir de 7 heures du matin, et qu’il a fait auprès de l’agent d’affaires Hagopian des démarches pour le moins singulières, on peut se demander le rôle exact qu’il a pu jouer à l’occasion du drame lui-même. »

Si l’avocat de Mme Denoël a des doutes à son sujet, c’est que, au cours des semaines qui ont suivi l’assassinat de Denoël, Percheron a entrepris de curieuses démarches, que Rozelaar n’a pas manqué de mettre en parallèle avec celles de Jeanne Loviton.

Le 3 décembre 1945 à 7 heures du matin, Percheron est avisé par Cécile Denoël de l’assassinat de son mari : « J’ai téléphoné à Mme Loviton par la suite, elle n’était pas en état de répondre mais sa femme de chambre m’a prié de sa part de l’accompagner à l’hôpital pour un dernier hommage, ce que j’aurais fait moi-même personnellement sans invitation de qui que ce soit. Mme Loviton vint me chercher en voiture et me fit part d’un coup de téléphone qu’elle avait reçu de Mme Denoël, la priant de venir, " aucune rivalité amoureuse ne pouvant subsister après une pareille catastrophe "... J’accompagnai Mme Loviton avec une de ses amies, Mme Dornès, et me trouvai en face de Mme Denoël et de plusieurs autres personnes. »

Cécile ignore que Percheron connaît Jeanne Loviton, et elle est surprise de le voir aux côtés de la maîtresse de Denoël, alors qu’elle attendait sans doute quelque réconfort de sa part. Depuis un an, Percheron rencontre Denoël en compagnie de Jeanne, et celle-ci l’a complètement séduit.

Quand il déclare à la police, le 8 octobre 1946, à propos de Robert et Cécile : « Nous nous recevions mutuellement, jusqu’au départ de Robert Denoël du domicile conjugal », il passe sous silence les déjeuners pris avec eux chez les Bruyneel, à partir d’octobre 1944. C’est véniel mais cela indique que sa préférence allait, désormais, aux rencontres avec Denoël et Jeanne Loviton.

Or il a connu intimement le couple Denoël, et il est le seul qui puisse affirmer : « Je savais depuis 1935 que le ménage Denoël était désuni. Un seul lien subsistait : l’enfant. »

Le 21 mai 1946, alors que Cécile Denoël vient de se constituer partie civile, son avocat écrit au juge Gollety que, le 5 ou le 6 décembre 1945, Maurice Percheron « se rendit au domicile de Mme Denoël et lui expliqua, au nom des auteurs de la maison Denoël, qu’il fallait absolument se débarrasser par les moyens les plus rapides de la déplorable administration de M. Maximilien Vox, lequel, flanqué de son alter ego, M. Pouvreau, prélevait dans cette maison une centaine de mille francs par mois au minimum. Deux visites identiques suivirent, celles de M. Barjavel et de M. Paul Vialar.


    Percheron et les autres expliquaient que Mme Loviton, qui connaissait admirablement les affaires d’édition puisqu’elle était elle-même gérante de la maison d’édition dénommée Société d’Editions Domat-Monchrestien, accepterait de racheter à la succession les parts de la société à responsabilité limitée des Editions Denoël, qu’elle s’engageait à faire une rente à l’enfant et qu’elle s’engagerait par contrat à lui revendre, dès sa majorité, les parts en totalité ou en partie. »


    Le 20 septembre 1946, Albert Morys a, lui aussi, évoqué Percheron devant le commissaire Pinault. Après avoir rappelé qu’en mai 1944, Denoël lui avait cédé ses parts dans la Société des Nouvelles Editions Françaises, tandis qu’Auguste Picq cédait les siennes au docteur Percheron, Morys expliquait que, « le jour de cette cession, M. Denoël, s’entourant de garanties, nous fit signer, au docteur Percheron et à moi, une rétrocession de ces parts par blanc seing, non daté, et sur lequel ne figurait pas également le nom de l’acquéreur. M. Denoël avait remis ces blancs-seings à son homme d’affaires, M. Hagopian, 24 rue de Bondy ».

Aux Editions de la Tour, dont Morys avait été nommé seul gérant, avec un salaire de 4 000 francs par mois, plus 3 % sur le chiffre d’affaires, « le docteur Percheron n’était pas appointé. Il ne venait d’ailleurs jamais au siège des Editions. »

Morys affirme ensuite que, « Dans la semaine qui a suivi sa mort, j’ai reçu la visite du docteur Percheron qui, à ma grande stupéfaction, me proposa de reconnaître avec lui que les parts fictives qui nous avaient été attribuées, nous appartenaient réellement. N’ayant pas accepté cette proposition malhonnête, il chercha alors à faire valoir qu’il avait avancé 200 000 francs à M. Denoël, lequel lui avait donné ses parts en contrepartie, le tout verbalement, bien entendu.


    Par la suite, le docteur Percheron me réclama aussi des droits d’auteurs, qu’il disait ne pas avoir reçus. Je les lui payai en chèque de 40 000 francs et plus tard, je fus également stupéfait d’apprendre, en compulsant des notes, que ces droits lui avaient déjà été payés. »

Percheron fut entendu par la police le 8 octobre 1946 : « A plusieurs reprises Monsieur Denoël a eu à faire face à des échéances et se trouvant gêné, ma femme et moi-même lui avons avancé des sommes variant entre 10 et 40 000 frs, sommes prêtées sans reçu et toujours strictement remboursées. M. Robert Denoël m’a fait ces emprunts depuis la Libération.


    M. Denoël m’avait demandé d’être co-actionnaire des Editions de la Tour et il était entendu que je lui signai
[sic pour signerais] en même temps une rétrocession en blanc. En mars 1945, après avoir demandé à mon confrère le Dr Marette, une somme de l’ordre de 200 à 250 000 frs, et celui-ci n’ayant pu le satisfaire dans le délai demandé, Robert Denoël a donc eu recours une fois encore à moi pour lui consentir ce prêt.


    Il me donnait en garantie les actions dont je devais alors toucher le rapport, avec néanmoins la promesse de lui recéder ses actions lorsqu’il pourrait me rendre les 200 000 frs, ce qu’il prévoyait dans un délai d’environ 18 mois. Nous avons omis tous deux d’annuler la rétrocession en blanc. »

Le commissaire Pinault lui apprend que Morys l’a mis en cause à propos des parts dont il était fictivement détenteur dans la Société des Editions de la Tour, parts qu’il aurait cherché à s’approprier.

Percheron répond : « Ayant eu en mains mois par mois, en tant qu’actionnaire de la société depuis avril 1945, les comptes des Editions de la Tour, je suis allé voir M. Bruyneel pour examiner avec lui les rentrées de fin d’année et la situation de la société. Je n’ai eu aucunement à traiter de la question des parts, ni de moi ni de lui-même, me considérant comme actionnaire de la société en raison de mon prêt à Denoël. Le Dr Marette se tient à la disposition de la Justice pour donner son témoignage sur cette opération. »

Quant aux droits d’auteur qu’il aurait, selon Morys, perçus deux fois : « J’ai en effet touché 40 000 frs payables par chèque, montant des dernières publications faites par moi aux Editions de la Tour, les précédentes m’ayant été réglées directement par Denoël. Je n’ai jamais tenté de toucher deux fois cette somme et je proteste contre les déclarations de Bruyneel ».

    Puisque Morys l’a attaqué, Percheron ne se prive pas d’en faire autant, et sa charge aura plus de poids que celle de son associé : « Une quinzaine de jours avant sa mort, Robert Denoël m’avait mis au courant d’un grave différend qu’il avait eu avec M. Bruyneel qui, selon Denoël, avait commis des malversations et avait exercé envers lui une tentative de chantage. Denoël avait rétabli la situation en faisant signer à Bruyneel un accord par lequel celui-ci résiliait sa fonction de gérant et liquidait ses comptes. »

    Il est ensuite invité à s’expliquer sur les paroles qu’il a prononcées lors de ses visites chez Mme Denoël, peu après la mort de son mari.

Percheron raconte que, le 3 décembre, alors qu’il accompagnait Jeanne Loviton et Yvonne Dornès à l’hôpital Necker, Cécile Denoël « me demanda d’accepter la subrogée tutelle de l’enfant, ce que j’acceptai aussitôt, cette demande m’ayant d’ailleurs été faite par Denoël quelques années avant, quand il envisageait sa mort au cours des bombardements de Paris. J’allai donc une huitaine de jours après l’enterrement, rendre visite à Mme Denoël, chez laquelle je retournais pour la première fois, depuis quelque temps après la Libération. Je lui déclarai que je prendrais mon rôle de subrogé tuteur au sérieux et je la mis en garde contre la gestion que son mari m’avait signalée défectueuse de M. Maximilien Vox et son adjoint M. Pouvrot [Pouvreau].


    Je ne connais ni l’un ni l’autre de ces messieurs mais les renseignements que m’avait donnés Denoël, et que sa femme avec laquelle il était en instance de divorce devait ignorer, me paraissaient suffisamment graves pour que je la mis
[sic] au courant. Robert Denoël m’avait effectivement dit qu’ils menaient sa maison à la ruine et qu’ils "coûtaient 100 000 frs par mois à la maison ".


    Je n’avais aucun intérêt matériel en jeu et je n’avais comme intérêt moral que celui de répondre à la proposition d’être subrogé tuteur, rôle dont je n’ai d’ailleurs plus entendu parler. »


    Peu après, « Mme Denoël m’a téléphoné pour que j’intervienne auprès de Mme Loviton pour qu’elle lui fasse parvenir une robe de chambre pour l’enterrement. Elle me dit ensuite qu’elle désirait faire un très bel enterrement mais qu’elle se trouvait cependant un peu gênée.

Ayant à mon tour téléphoné à Mme Loviton et lui ayant fait part des conversations que j’avais eues avec Mme Denoël, Mme Loviton me dit qu’elle prenait à sa charge tous les frais d’enterrement, désirant que cela fût " bien ". Je téléphonai donc à Mme Denoël, qui me remercia de mon intervention et me dit textuellement : " Dites à Jeanne que je l’embrasse "...


    Le lendemain Mme Denoël m’avertit que les frais s’élèveraient à 120 000 frs et me chargea de demander un chèque à Mme Loviton. Celle-ci, trouvant la somme considérable, envoya Mme Dornès à la Maison de Borniol qui, justement, fournissait à une maison secondaire et qui donna un devis d’une soixantaine de mille francs.


    Je téléphonai donc à Mme Denoël qu’elle aurait intérêt à s’adresser à la Maison Borniol, au lieu d’un sous-traitant de celle-ci et, qu’en tout cas les factures n’avaient qu’à être envoyées à Mme Loviton, qui réglerait sur le champ. Il n’y eut jamais de suite à cette tractation. »


    Percheron nie avoir effectué auprès de Cécile la moindre démarche de la part de Jeanne Loviton concernant le rachat des parts de son mari dans la société des Editions Denoël : « Lorsque j’allai voir Mme Denoël une seconde fois avec ma femme, il ne fut aucunement question de rachat de parts par qui que ce soit. Je lui signalai simplement l’intérêt qu’il y aurait, lorsque les parts allemandes détenues par les Domaines seraient vendues, à ce qu’elles n’allassent point dans n’importe quelles mains et je suggérai que, peut-être, on pourrait porter comme acheteur auprès des Domaines un groupe d’auteurs de la maison qui recéderaient ensuite les parts à l’enfant.


    Je fis d’ailleurs part à Me Rozelaar, à qui j’allai rendre visite, de cette idée qu’il trouva fort pertinente. Les parts resteraient ainsi dans les mains d’abord des auteurs de la maison puis ensuite de l’héritier, au lieu d’être rachetées par un concurrent ou par un capitaliste quelconque.


    Il ne fut jamais question des parts possédées par Mme Loviton. Robert Denoël m’avait, plusieurs mois avant, confirmé la cession de ces parts. »

En janvier 1950, il dira aux nouveaux enquêteurs : « Je n’ai pu, ce jour-là ou à tout autre moment, faire part à Mme Denoël de l’intérêt qu’elle aurait à céder les parts que son mari possédait aux Editions Denoël à Mme Loviton, puisque je savais que cette dernière les avait déjà acquises. Je n’ai pu lui parler que du rachat des parts détenues par les Domaines, pour qu’elles ne tombent pas ultérieurement dans les mains d’un concurrent. »

Concernant les Editions de la Tour : « Il est inexact que j’aie fait une démarche de la part de Mme Loviton auprès de Mme Denoël ou à qui que ce soit en vue de lui proposer le rachat des parts des Editions de la Tour pour la somme de 2.000.000 de frs ou de toute autre somme.


    Je ne me rappelle pas m’être opposé à ce que les cessions en blanc concernant mes parts soient remises à la succession. Cette opposition est cependant vraisemblable, parce que j’estimais que cette rétrocession n’avait plus à jouer du fait de la mort de M. Denoël. »

Le 9 octobre 1946, René Barjavel est entendu par le commissaire Pinault. Il nie avoir proposé à Mme Denoël de vendre les parts de son mari à Mme Loviton : « Ce n’est du reste qu’une huitaine de jours après la mort de Denoël que j’eus l’occasion de rencontrer Mme Loviton ».

Il reconnaît avoir rencontré entre-temps Percheron : « nous nous sommes entretenus de la situation dans laquelle se trouvaient les Editions Denoël à la suite du décès de Robert, nous avions envisagé qui pourrait reprendre en main cette affaire et avions convenu que seule Mme Loviton était capable de sauver la maison.

Il s’agissait là toutefois de projets pour la réalisation desquels Mme Loviton n’avait même pas été consultée.
Par le Dr Percheron, j’avais d’autre part appris que Mme Loviton avait offert à Mme Denoël de payer une partie des frais de l’enterrement et, au cours de nos conversations avec Mme Denoël, cette dernière m’a parlé de Mme Loviton avec sympathie.


    C’est dans cet état d’esprit que j’ai pu dire à Mme Denoël, émettant une opinion toute personnelle, que si Mme Loviton prenait l’affaire en main elle sauvegarderait les intérêts de l’enfant. »

Dans la déposition qu’il a faite en janvier 1950 devant les nouveaux enquêteurs, Barjavel confirmera sa première déclaration : « Il est absolument faux que j’aie demandé à une certaine époque à Mme Denoël qu’elle veuille bien céder à Mme Loviton certaines parts appartenant à M. Denoël dans la Société des Editions Denoël. A l’époque où j’aurais fait ces soi-disant demandes, je ne connaissais qu’à peine Mme Loviton (je ne l’avais vue que trois ou quatre fois) et d’autre part, je ne l’avais pas revue depuis la mort de M. Denoël. »

Ce n’est qu’en janvier 1950 que Paul Vialar sera entendu à son tour. A propos des démarches effectuées auprès de Mme Denoël, il déclare : « Il est exact que quelques jours après la mort de M. Denoël, j’ai rendu visite à sa femme en compagnie de MM. Barjavel et Percheron, mais à aucun moment il n’a été question tant au cours de cette visite qu’à toute autre époque, d’une démarche pour l’amener à céder les parts de son mari dans la société Denoël à Mme Loviton, cette cession ayant déjà été faite, tout au moins d’après les propres déclarations de M. Denoël.


    En effet M. Denoël, au mois de mars 1945, m’avait fait part de son désir de céder les parts qu’il détenait à la société Denoël à Mme Loviton. Puis peu de temps avant sa mort, il m’avait confirmé que cette cession avait été réalisée.


    En réalité la visite faite à Mme Denoël avec MM. Barjavel et Percheron avait pour but de la mettre ou courant des intentions de Mme Loviton vis-à-vis du mineur en vue d’assurer son avenir et son entrée dans la maison lorsqu’il en aurait l’âge. »

Interrogé à ce propos en janvier 1950, Robert Beckers déclare : « A aucun moment Mme Denoël ne m’a parlé d’une démarche qui aurait été faite auprès d’elle par certaines personnes pour l’inviter à céder les parts de son mari dans les Editions Denoël à Mme Loviton. Je n’ai entendu parler de cette soi-disant démarche que dernièrement, mais je suis incapable d’indiquer par qui, probablement par M. Barjavel.


    Très peu de temps après le décès de M. Denoël, probablement dans la semaine qui a suivi le décès, en tout cas avant l’enterrement, j’ai appris soit par M. Barjavel, soit par M. Vialar, soir par M. Percheron, et certainement pas par personne d’autre, que Mme Loviton avait proposé à Mme Denoël par personne interposée, de lui verser des mensualités qui lui auraient permis d’élever le fils de Robert Denoël, et qu’elle lui aurait fait proposer en même temps de faire entrer le jeune Robert Denoël dans la maison d’édition de son père, quand il aurait été assez âgé pour se familiariser avec le métier d’éditeur, s’il en manifestait le goût.


    En agissant ainsi, Mme Loviton agissait comme propriétaire des parts de Robert Denoël dans la société d’édition, ainsi du reste que nous en étions tous convaincus ».

Le 10 octobre 1946, Jeanne Loviton fait une déposition devant le même commissaire de police. Quand elle évoque les créanciers de Denoël, elle n’oublie pas de préciser, en ce qui concerne Percheron, que les 200 000 francs lui avaient été empruntés « en convenant que les parts des Editions de la Tour qui lui étaient cédées fictivement devenaient après ce prêt sa propriété ».

Interrogée à propos des démarches de ses amis auprès de Cécile Denoël, elle déclare : « J’ai supposé que Mme Denoël aurait besoin d’argent le 3 décembre et j’ai pensé lui être agréable en payant les frais de l’enterrement de son mari. Il me plaisait d’ailleurs personnellement de faire pour lui ce dernier sacrifice.


    Je n’ai jamais parlé de racheter les parts puisque j’étais propriétaire des parts des Editions Denoël ; les amis de Robert Denoël m’ont dit qu’il me faudrait aussi diriger les Editions de la Tour ; de ma part rien de ce genre n’a été proféré.


    Je n’ai jamais parlé d’une rente pour le fils de Robert Denoël, croyant que des relations décentes pouvaient exister entre la veuve et moi et sachant tout ce que Robert m’avait dit et ses craintes au sujet de son fils, j’ai dit en effet à cette époque que je ferais quelque chose pour l’enfant. »


    Comme Percheron deux jours plus tôt, elle ne manque pas de mettre Morys en difficulté : « Je précise également qu’au moment de sa mort M. Denoël s’était séparé de M. Bruyneel en tant que gérant des Editions de la Tour. [...] Comme il désirait, en raison des avances que je lui avais faites pour cette société, que j’en devienne propriétaire par personne interposée, il m’avait remis l’abandon de gérance de M. Bruyneel et avait sollicité une de mes amies, Mlle Pagès du Port, 22 Rue Ravignan, pour qu’elle acceptât la succession de Bruyneel en ce qui concerne les parts fictives qu’il détenait. La gérance devait être confiée à Mme George Day, que je ne connais pas. Celle-ci était une relation de M. Denoël. Je vous remets d’ailleurs une photocopie de l’engagement signé entre M. Bruyneel et Denoël le 31 octobre. M. Bruyneel devait quitter définitivement les Editions de la Tour le 31 décembre 1945 ».

Le 14 octobre 1946, c’est au tour du docteur Philippe Marette d’être entendu par la police. Il déclare qu’au début de l’année 1945, Denoël est venu déjeuner chez lui : « Au cours de la conversation il m’a déclaré qu’il avait besoin d’une somme de 200 000 frs pour la bonne marche des Editions de la Tour. Il me demandait de lui prêter cette somme mais je lui ai demandé en garantie des actions de cette société. Il m’a déclaré que c’était d’accord et qu’il m’en reparlerait.


    J’ai été mis ensuite au courant par le Dr Percheron que cette affaire avait été réalisée avec lui, c’est-à-dire qu’il devenait réellement propriétaire des parts que Denoël lui avait remises fictivement dans la Société des Editions de la Tour. »

Le 18 octobre 1946, Françoise Pagès déclare au commissaire Pinault : « En octobre ou novembre 1945, au cours d’un dîner chez Mme Jean Voilier, M. Denoël m’a dit qu’il était décidé à se séparer de M. Bruyneel et qu’il cherchait une personne qui puisse accepter la cession des parts possédées par Bruyneel dans les Editions de la Tour. [...] Je devais mettre les choses au point avec M. Denoël le 3 décembre.

Je savais d’autre part qu’une dame que je ne connais pas, avait été pressentie pour prendre la gérance des Editions de la Tour, et qu’avec moi, dans la société, le docteur Percheron était porteur de parts. M. Percheron avait en effet avancé de l’argent à M. Denoël, mais j’ignore dans quelles conditions il était devenu porteur de parts. »

En janvier 1950, elle confirmera sa déclaration : Denoël l’a pressentie pour reprendre les parts fictives détenues par Morys, tandis que « Mme George Day (Debeauvais) devait également recevoir l’autre moitié des parts et devait assurer les fonctions de gérante de cette affaire. »

Cette précision supplémentaire a son importance : selon Françoise Pagès, la nouvelle gérante devait aussi reprendre les parts de Maurice Percheron. Ne lui appartenaient-elles pas en raison du prêt consenti à Denoël ?

Interrogée le 24 octobre 1946, George Day confirme que Denoël est venue la voir chez elle début novembre 1945 à propos de la gérance des Editions de la Tour : « Aucune proposition ferme ne m’a été faite ce-jour-là, mais toutefois, dans mon esprit, j’ai pensé que M. Denoël pourrait peut-être avoir besoin de mes services ». A aucun moment elle n’évoque une participation dans la société.

Convoqué au commissariat le 18 octobre 1946, Morys est prié de s’expliquer à propos du différend survenu fin 1945 entre Denoël et lui : « J’ai déclaré au cours de l’enquête que j’étais en bons termes avec M. Denoël, mais j’avoue avoir totalement oublié de parler de la convention intervenue entre nous. Je crois, toutefois, sans l’avoir déclaré par écrit, en avoir parlé à l’Inspecteur principal adjoint Ducourthial. »

Il dit qu’en août 1945, une discussion est survenue à propos de son salaire qui ne correspondait pas aux engagements verbaux passés entre eux. La question s’est à nouveau posée en octobre : « A l’époque, il me devait déjà une somme qu’il m’est difficile de préciser aujourd’hui, mais qui a été fixée entre nous à la date du 31 décembre 1945, à 191 190 francs. Je lui ai à nouveau présenté mes griefs et nous avons établi un accord aux termes duquel M. Denoël reconnaissait me devoir la somme précitée et s’engageait à me régler cette somme. De mon côté, je prenais l’engagement de quitter la maison à l’époque fixée, c’est-à-dire le 31 décembre. »

Le commissaire Pinault lui présente une copie de l’engagement qu’il a signé le 31 octobre 1945 : « En ce qui concerne la mention concernant la cession à titre gracieux à toute personne que m’indiquera M. Denoël, des 32 parts que je possède dans la Société Les Editions de la Tour, elle s’explique facilement par le fait que je n’étais que propriétaire fictif de ces parts et que cette nouvelle cession ne pouvait se faire que fictivement à un homme de paille de M. Denoël. J’ignore totalement à qui M. Denoël voulait céder ses parts. Mon impression toutefois est que M. Denoël voulait, sous la pression de Mme Loviton, céder ses parts à l’une de ses amies ».

Le document indique encore que cette cession « s’accomplira dès que M. Bruyneel sera en possession de la somme qui lui est due. Aussitôt le règlement fait et la cession des parts accomplie, M. Bruyneel enverra sa démission de gérant de la Société, et la Société lui donnera décharge et quitus complet de sa gestion. M. Bruyneel s’engage à ne réclamer aucune indemnité du fait de la cessation de ses fonctions. »

Le commissaire ne demande pas à Morys de s’expliquer à propos des « malversations » et de la « tentative de chantage » dont Percheron dit que Denoël lui a parlé, quinze jours avant sa mort, mais il n’est pas douteux que, dans l’esprit des policiers, Morys a perdu tout crédit, d’autant que Percheron leur a fait parvenir une lettre qu’il lui adressait le 22 décembre 1945, dans laquelle Morys lui donne du « Cher Ami » et lui souhaite de « joyeuses fêtes de fin d’année », leur apportant la preuve « qu’à cette époque M. Bruyneel était loin de l’indignation causée par ses propositions " malhonnêtes " » [Rapport de l’inspecteur Ducourthial, 15 novembre 1946].

Armand Rozelaar en était bien conscient et c’est pourquoi, sans doute, il crut devoir éclaircir la situation dans un courrier adressé au procureur de la République, le 21 décembre 1949 : « Au mois d’octobre ou de novembre 1945, R. Denoël travaillait beaucoup sous le couvert des Editions de la Tour. Il passait tous les soirs prendre l’argent qui se trouvait dans la caisse et, comme son ami M. Bruyneel lui faisait un jour observer qu’il ne tenait pas les engagements qu’il avait pris vis-à-vis de lui, R. Denoël se contenta de hausser les épaules.


    M. Bruyneel consulta un avocat et ce dernier lui expliqua que, dans la mesure où R. Denoël, dont il n’était que l’homme de paille, lui avait promis de lui verser un fixe et des commissions atteignant un certain taux, il lui suffisait, à lui, Bruyneel, d’user de ses fonctions et de ses pouvoirs de gérant dans la société d’Edition de la Tour et de ne remettre, en définitive, à R. Denoël que l’argent se trouvant dans la caisse, défalcation faite de ce qui lui était dû à lui, Bruyneel.


    Ceci fut fait. Mais Denoël en conçut aussitôt un vif dépit. Il s’en ouvrit à Mme Loviton et l’on décida de mettre à la porte M. Bruyneel, d’utiliser les cessions de parts signées en blanc et de réunir un certain nombre de personnes intéressées aux affaires Denoël, le 3 décembre 1945 »
.

Me Rozelaar ne devait pas s’en tenir là. Les cessions de parts en blanc avaient été réclamées par Jean Brunel, le notaire chargé de la liquidation de la succession de Robert Denoël. Morys avait accepté qu’elles lui fussent restituées, mais pas Percheron, qui « s’opposa à ce que M. Hagopian, contentieux, demeurant à Paris, 24 rue Boulanger, les remît au notaire et ces parts firent l’objet d’un accord aux termes duquel Me Roger Danet, avoué, en fut nommé séquestre amiable. »


    D’autre part, les policiers n’étaient pas convaincus par les arguments de Percheron : « En somme, le témoignage du Docteur Marette ne nous apporte pas la preuve que M. Denoël avait remis réellement au Docteur Percheron les parts fictives qu’il possédait dans les Editions de la Tour, comme contrepartie d’une somme de 200.000 francs que celui-ci lui aurait avancée en mars 1945. Il indique seulement que M. Denoël, ayant besoin d’argent au début de l’année 1945, avait fait des propositions semblables à une autre personne qu’au Docteur Percheron ; ce qui détermine néanmoins qu’il a pu agir de la sorte puisqu’il n’avait pas repoussé la proposition du Docteur Marette. »

L’avocat rappela les démarches tentées par Percheron auprès de Cécile Denoël pour l’inciter à céder les parts de son mari à Jeanne Loviton : « Il est assez troublant de constater ce fait alors que quelques jours auparavant, le Docteur Percheron était venu proposer à M. Maurice Bruyneel un marché analogue pour le rachat des parts appartenant en fait, à feu R. Denoël, mais en droit, à M. Maurice Bruyneel dans la Société des Editions de la Tour. »

    Armand Rozelaar n’avait pas tort de souligner le rôle ambigu de Maurice Percheron dans cette affaire car, lorsque les nouveaux enquêteurs perquisitionnent, le 21 janvier 1950, le cabinet de Georges Hagopian, l’homme de confiance de Robert Denoël, il apparaît qu’il a tenté, là aussi, d’inquiétantes démarches.

Hagopian rappelle qu’après la mort de son client, il a reçu la visite de Cécile Denoël, « qui n’ignorait pas les rapports que j’avais avec son mari. Je lui ai fait part des actes que je détenais dans mon cabinet et de mon intention de les remettre au notaire chargé de la succession.


    Quelque temps après la visite de Mme Denoël, j’ai déposé ces actes dans l’étude d’un notaire dont je ne me rappelle plus le nom
[Jean Brunel], dont l’étude est située rue de la Paix, en présence de Mme Denoël, de l’avoué de cette dernière Maître Danet, rue de Richelieu, et de son avocat [Armand Rozelaar]. »

Il relate les événements survenus par la suite : « Deux mois après le décès de M. Denoël, j’ai reçu, un certain jour, la visite d’un monsieur qui s’est dit être docteur en médecine. Il m’a dit savoir que je détenais à mon cabinet, des actes de cession de parts et m’a demandé que je les lui remette. Il a précisé que je n’aurais pas à m’en repentir, que je " serais largement satisfait ".

Je lui ai demandé comment il avait pu savoir que j’étais en possession de ces actes et il m’a répondu l’avoir appris de M. Denoël dont il disait être très au courant de ses affaires. Bien entendu, je n’ai pas accepté la proposition qui m’était faite et je lui ai fait connaître mon indignation.


    Je n’ai plus jamais revu ce monsieur. Il s’agit d’un homme paraissant âgé, à l’époque, de 45 à 50 ans, de taille moyenne, portant des lunettes. Je pourrais peut-être le reconnaître si je suis mis en sa présence.


    Par la suite j’ai reçu 2 ou 3 coups de téléphone anonymes, d’un homme et d’une femme qui ont insisté auprès de moi pour la remise des actes, ajoutant que je serais rémunéré mais sans qu’aucune somme soit fixée. »

Deux jours plus tard, Hagopian, qui donne des informations avec bien des réticences, est à nouveau perquisitionné. Il finit par déclarer : « Maintenant je suis certain que c’est bien le docteur Percheron qui s’est présenté à mon cabinet quelques mois après le décès de M. Denoël, pour me demander que lui soient remis les actes de cession de parts signés par lui.


    Ainsi que je l’ai précédemment déclaré, j’ai refusé de les lui remettre malgré les offres qu’il me faisait. D’autre part les coups de téléphone anonymes concernaient uniquement les actes de cession de parts du docteur Percheron. »

Quelques jours plus tard, c’est au tour de Maurice Percheron de répondre aux questions des enquêteurs concernant l’homme d’affaires de la rue de Bondy : « Je ne le connaissais pas avant la mort de M. Denoël. J’avais appris par M. Denoël que nous devions avoir un rendez-vous chez ce M. Hagopian, le mercredi 5 décembre, pour nommer une nouvelle gérante des Editions de la Tour. J’allai donc le voir à peu près à cette époque pour qu’il me remette les rétrocessions en blanc des Editions de la Tour.


    Je le revis une seconde fois. Les parts représentaient la garantie de l’argent prêté à Denoël et les rétrocessions n’avaient plus lieu de jouer du fait de la mort de Robert Denoël, éditeur. La cession des 18 parts était réelle et temporaire »
.

Demande : « Quelle a été la réponse de M. Hagopian ? »
    Réponse : « La première fois qu’il ne pouvait pas et la seconde fois qu’il était obligé de remettre les actes à la succession. »
    Demande : « Avez-vous offert à M. Hagopian de le rémunérer ? »
    Réponse : « Non. »
    Demande : « M. Hagopian a déclaré en outre qu’il avait reçu deux ou trois coups de téléphone d’un homme et d’une femme qui ont insisté auprès de lui pour la remise de ces actes, ajoutant qu’il serait rémunéré. Ces coups de téléphone concernaient seulement les actes de cession de parts signés par vous ? »
    Réponse : « Je ne suis pas au courant. »

Le 25 mai 1950, les inspecteurs du commissaire Henri Mathieu émirent, dans leur rapport, autant de réserves à l’égard du docteur Percheron que ceux de la Brigade Criminelle en avaient eues pour Albert Morys : « Quant au docteur Percheron, il semblerait qu’il y ait lieu de faire quelques réserves sur la sincérité de ses déclarations. En tout cas les démarches qu’il semble avoir entreprises auprès d’Hagopian après le crime, en vue de s’emparer de cessions de parts dans les Editions de la Tour le laisse supposer. »

Dans son réquisitoire du 1er juillet 1950, le procureur de la République Antonin Besson situa Maurice Percheron à sa juste place en évoquant les entreprises de Robert Denoël, dont les « Editions de la Tour 162 Boulevard Magenta - qu’il faisait diriger par des prête-noms (Bruyneel et Percheron) ».

Toutes les manœuvres de Percheron avaient échoué : « Quant à la Société des Editions de la Tour, dans laquelle M. le Docteur Percheron n’a même pas réclamé les sommes dont il se prétendait jadis créancier, elle a fait faillite [le 20 janvier 1948] », déclara Armand Rozelaar.

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Bibliographie sommaire de Maurice Percheron

 

Formulaire du candidat-ingénieur. Dunod et Pinat, 1913 [réimpressions en 1914 et 1920]

Guide du mécanicien d'aviation. Librairie Aéronautique, 1913 [réimpression en 1918]

Nos avions. L'essor et l'atterrissage. Dunod et Pinat, 1914

Les Aéroplanes Maurice Farman. Librairie Aéronautique, 1916

Le Biplan Voisin. Librairie Aéronautique, 1916

Agenda de l'aviateur. Berger-Levrault, 1917

Les Biplans Nieuport. Librairie Aéronautique, 1917

Utilisation de la carte et de la boussole en aviation. Librairie Aéronautique, 1917

Les Aéroplanes de la guerre. Les aéroplanes de 1916 à 1920. Chiron, 1920

Aide-mémoire pour la recherche des pannes des moteurs à explosion. Chiron, 1921

L'Aviation de demain. Télémécanique. La Direction des avions par T. S. F. Leroux, 1921

Manuel pratique pour la conduite et l'entretien des moteurs à explosion dans toutes leurs applications. Chiron, 1922

Les Derniers progrès de l'automobile. Chiron, 1923

La Magnéto d'automobile. Chiron, 1926

Cours d'aviation maritime et militaire. Première partie : avions. Édition de l'enseignement technique supérieur, 1928

L'Indochine moderne. Librairie de France, 1931 (en collaboration avec Eugène Teston) [réimpression en 1932]

La Magnéto et les appareils d'allumage des moteurs à explosion. Chiron, 1933

Typhons. Société d'éditions géographiques, maritimes et coloniales, 1933

Un tel... pilote de ligne. Flammarion, 1933

La Tragédie du Pacifique. Japon... Amérique... URSS ? Bossuet, 1934

« U.R.S.S. puissance d’Asie ». Denoël et Steele, « Le Document » n° 1, octobre 1934

La Chine. Nathan, 1935 [réimpressions en 1936, 1937, 1941, 1946, 1952]

Contes et légendes d'Indochine. Nathan, 1935 [réimpressions en 1950, 1955]

L'Inde. Nathan, 1936 (en collaboration avec M.-R. Percheron-Teston) [réimpressions en 1938, 1941, 1947, 1951]

Moscou. Nathan, 1936 [réimpressions en 1937 et 1947]

Tour d'Asie. Denoël et Steele, 1936

« La Guerre viendra-t-elle du Japon ? ». Denoël et Steele, « Le Document » n° 10, 1936 [avec Marc Chadourne]

L'Aviation française. Nathan, 1937 [réimpressions en 1938, 1939, 1948]

La Légende héroïque du Japon. Editions de l'Ecureuil, 1938 [réimpression en 1940]

L'Indochine. Nathan, 1939 (en collaboration avec M.-R. Percheron-Teston) [réimpressions en 1946, 1948]

Gamelin. Les Editions Documentaires, 1939

Récits mythologiques de l'Inde. Editions de l'Ecureuil, 1942  [réimpression en 1955]

Sur le chemin des dieux. Denoël, 1942

Intermèdes chinois. Denoël, 1944

Dans les nuages et les vents. Denoël, 1947

De la poupe à la proue. Denoël, 1947

Les Conquérants d'Asie. Payot, 1950 [réimpression en 1951]

La Psychologie de l'enfant. Payot, 1951 (en collaboration avec Madeleine Le Roux)

Mon fils, ma fille et moi. Hachette, 1952 (en collaboration avec Madeleine Le Roux)

Dieux et démons, lamas et sorciers de Mongolie. Denoël, 1953 [« Le Tryptique mongol », 1]

Le Bouddha et le bouddhisme. Editions du Seuil, 1954

Petite histoire de la pharmacie française. Aubanel, 1955 [en collaboration avec Madeleine Le Roux]

Sur les pas de Gengis Khan. Del Duca, 1956

La Vie merveilleuse du Bouddha. Del Duca, 1956

La Belle-de-Mai. Del Duca, 1957

Le Sortilège indonésien. Imprimerie Hénon, 1959

Légendes épiques de l'Inde. Editions de l'Ecureuil, 1960

Temples, hommes et dieux de l'Inde. Del Duca, 1960 [« L'Invisible Asie », 1]

Temples, fleurs et héros du Nippon. Del Duca, 1960 [« L'Invisible Asie », 2]

Temples, volcans et esprits de l'Indonésie. Del Duca, 1960 [« L'Invisible Asie », 3]

La Vie légendaire de Bouddha. Ides et Calendes, 1961 [extrait de Le Bouddha et le bouddhisme, 1956]

Les Grandes Epoques de l'Inde. Editions de l'Ecureuil, 1962

Gengis Khan. Editions du Seuil, 1962

Magie, rites et mystères d'Asie. Del Duca, 1962

Sur les pas d'Attila. Del Duca, 1962

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Certaines œuvres de la maturité ont été traduites en quelque huit langues : allemand, anglais, danois, espagnol, italien, japonais, néerlandais, portugais. Une dizaine de titres ont été réédités à plusieurs reprises.

Le Bouddha et le bouddhisme, par exemple, paru pour la première fois en 1954, a été réimprimé douze fois par les Editions du Seuil entre 1956 et 1995. Il a été traduit en anglais dès 1957 et jusqu'en 1982 par trois éditeurs anglais ou américains ; en allemand chez Rowohlt qui l'a imprimé six fois entre 1967 et 1988 ; en portugais en 1958 ; en danois en 1962 ; en espagnol en 1985. Percheron reçut en 1951 le prix Montyon décerné par l'Académie Française pour Les Conquérants d'Asie.