Robert Denoël, éditeur

Eugène Dabit

 

Né à Mers-les-Bains le 21 septembre 1898, fils d'Emile, vingt-cinq ans, bandagiste, et de Louise Hildenfinger, vingt-deux ans, éventailleuse, elle-même fille d'Isaac Hildenfinger et de Hanna Cahn. Habitant rue du Mont-Cenis, à Montmartre, le couple avait tenu à ce que leur enfant vît le jour au bord de la mer.

De 1904 à 1912, Eugène fait ses études primaires à l’école communale, rue Championnet, puis entre en apprentissage dans l'atelier de serrurerie des « Compagnons du Devoir ». En 1914 l'atelier est fermé, Emile Dabit est mobilisé, et son fils pourvoit aux revenus du ménage en s'engageant au Métropolitain : laveur de vitres des voitures Nord-Sud, le jour, garçon d’ascenseur à la station Lamarck-Caulaincourt, le soir.

En décembre 1916 il devance l’appel [son livret militaire indique qu'il est de la classe 1918] et est versé au 109e régiment d’Artillerie lourde à Poitiers. Il est démobilisé le 18 décembre 1919. Refusant les contraintes d'une condition ouvrière qu'il avait pu découvrir adolescent, il choisit d'apprendre le métier de peintre, pour lequel il a quelques dispositions, et s'inscrit aux cours de Louis-François Biloul, à Montmartre, où il rencontre Christian Caillard, et à l'Académie de la Grande Chaumière, à Montparnasse, où il fait, deux ans plus tard, la connaissance de Béatrice Appia.

En 1923 les parents de Dabit deviennent co-propriétaires de l’Hôtel du Nord, 102 quai de Jemmapes, en bordure du canal Saint-Martin, grâce à un prêt du frère de Mme Dabit, Emile Hildenfinger, qui était alors patron de bordel rue Montyon, dans le IXe arrondissement. Ils l'occuperont jusqu'en 1942.

La même année, Eugène Dabit et Christian Caillard, suivant un mouvement de mode initié en France en 1921, se lancent dans la fabrication d'étoffes décorées par le procédé « batik », qui fera fureur jusqu'en 1927. La cheville ouvrière de l'entreprise est Irène Champigny, la maîtresse de Caillard, qui leur ouvre l'accès à la Grande Maison de Blanc, place de l'Opéra, où elle obtiendra qu'on leur aménage une galerie - galerie où elle exposera ensuite ses amis peintres.

C'est Christian Caillard [Clichy 26 juillet 1899 - Paris septembre 1985], petit-fils de Catulle Mendès et neveu d'Henri Barbusse, excellent artiste et fin lettré, qui amène les trois autres chez Maurice Loutreuil, un peintre au parcours chaotique, né à Montmirail le 16 mars 1885, qui, en 1922, avait acheté une maison à Belleville, face au Pré-Saint-Gervais. Ne vivant que de son art et vendant peu, Loutreuil a préféré louer sa maison, et habiter une sorte d'abri en planches qu'il a construit au fond de son jardin, où il demeure et travaille, désormais.

Le 8 juillet 1924 Eugène Dabit épouse Béatrice Appia, fille cadette d'un pasteur de l'Eglise Réformée, née le 3 décembre 1899 à Eaux-Vives, près de Genève, et qui a déjà accompli un parcours étonnant : placée en France chez un oncle qui lui trouvé du travail comme jeune fille au pair en Hollande, elle s'est fait inscrire à l'Ecole des Beaux-Arts de La Haye, où elle a acquis une solide expérience de la technique de l'aquarelle, avant de rentrer à Paris.

Le 21 janvier 1925, Maurice Loutreuil est mort, terrassé par une hépatite virale qu'il a contractée au Sénégal, où il avait séjourné entre janvier et mars 1924. Il a fait de Christian Caillard son légataire universel. Son atelier n'a fait l'objet d'un inventaire que tardivement mais Champigny estimait qu'il contenait près de 200 toiles au moment de sa mort. Très vite, Caillard et Champigny envisagent de les exposer dans leur propre galerie, et non plus à la Grande Maison de Blanc. A partir d'octobre ils aménagent une ancienne lingerie, rue Sainte-Anne. Le bail est établi au nom de Caillard mais c'est le seul nom de Champigny qui figurera sur la devanture.

La première exposition de la galerie Champigny, du 5 février au 15 mars 1926, est une « Rétrospective Loutreuil 1885-1925 » dont Eugène Dabit rend compte dans Europe du 15 mars. C'est son premier texte publié, grâce à la recommandation de Champigny auprès de Léon Bazalgette, le directeur de la revue. Déjà il mentionne l'importance correspondance de Loutreuil, que ses amis ont entrepris d'inventorier avant publication.

Le 15 octobre, Robert Denoël, arrivé récemment de Liège et employé dans la librairie de son compatriote George Houyoux, 34 rue Sainte-Anne, est engagé par Champigny pour garder sa galerie, pendant qu'elle écrira à Tavaux une vie de Loutreuil à placer en tête de sa correspondance.

Le 3 décembre 1926 il mentionne pour la première fois Dabit, qu’il a rencontré à la galerie mais qu’il a « à peine vu ». Quelques jours plus tard il écrit à Champigny : « J’ai revu Dabit assez longuement le soir où l’on a parlé des pages de votre travail. Et j’ai été tout surpris de lui découvrir des goûts littéraires, presque semblables aux miens. » Il ne s’en explique pas davantage mais on sait que Dabit, qui rédigeait alors L’Hôtel du Nord, ne jurait que par Jules Vallès et Charles-Louis Philippe.

En octobre 1927 Dabit et Béatrice Appia s'installent au n° 7 de la rue Paul de Kock (XIXe arrondissement), dans une villa toute neuve construite par un ami hollandais, le docteur Hermanus Van Charente. Ce mois-là, Dabit soumet le manuscrit de « L’Hôtel du Nord ou la détresse parisienne » à André Gide qui, le 15 décembre, le communique, en le recommandant chaudement, à son ami Roger Martin du Gard. Entretemps Champigny a fermé définitivement sa galerie et est allée vivre à Mézels, dans le Lot.

1928

Début janvier, Martin du Gard rencontre Dabit chez lui, rue Paul de Kock, et lui donne d'utiles conseils pour son roman, que l'apprenti romancier va réécrire entièrement, du 4 janvier au 21 février.

A partir du 21 février, Dabit et sa compagne séjournent à Marrakech, chez Caillard et Champigny, qui y ont loué une grande maison. Les trois peintres y travaillent jusqu'au 5 mai. « Nous sommes tous assez pauvres », écrit Dabit à RMG, le 9 mars 1928.

Le 3 mars, Robert Denoël inaugure « Les Trois Magots », une librairie-galerie située au 60 avenue de La Bourdonnais, près du Champ de Mars.

     La Semaine à Paris,  9 mars 1928

Le 6 mai, les Dabit sont de retour à Paris et Eugène fait, à l'intention de RMG, un bilan morose de son activité artistique : « Mes toiles vont rejoindre d’autres toiles ; leur stérilité fait que je les détruis les unes après les autres. Personne ne s’y arrête. Et ce travail du Maroc sera sans doute appelé à un destin semblable. Dans une année j’expose deux toiles aux " Indépendants " et c’est fini. Au " Salon d’Automne ", je suis refusé régulièrement, au "Salon des Tuileries ", je ne suis pas invité. Quant à exposer dans des galeries, c’est chose impossible. Je vends quatre à cinq toiles dans une année ; en tout pour 2.000 F (pas toujours) [...] Je travaille depuis huit ans déjà sans le plus petit résultat. »

Cet état d'esprit lui était familier, selon Caillard, qui ajoutait qu'aucun des artistes du groupe du Pré Saint-Gervais n’était, à cette époque, remarqué par la critique. Durant son séjour marocain, Dabit a peint une quinzaine de toiles, qu'il espère, sans beaucoup de conviction, exposer à la galerie de Mme Charles Vildrac, rue de Seine.

Il se préoccupe alors de son manuscrit confié à RMG, lequel lui écrit, le 8 mai : « je vous promets de faire l’impossible pour qu’il vous soit édité ; j’espère bien y réussir, soit ici, soit là (Et pour le mérite du livre ; pas du tout par amitié, ni relations.) »

En juin Dabit rend visite à RMG dans son château du Tertre, à Bellême, où il rencontre le docteur Léopold Chauveau [1870-1940]. Par leurs conseils, les deux hommes vont, au cours des mois suivants, l'aider à rédiger une nouvelle version de « L’Hôtel du Nord ». En décembre Dabit en recopie soigneusement la version définitive.

1929

A partir du 14 février, Béatrice Appia expose « Aux Trois Magots », jusqu'au 28, soixante gouaches et dessins sur le thème : « Marrakech - Medina ».

 

Béatrice Appia en 1929, rue Paul de Kock                                                                                        

Du 7 mars au 28 mai, les Dabit séjournent à nouveau à Marrakech. Avant son départ Dabit a, sur le conseil de RMG, confié à Jean-Richard Bloch, qui dirige une collection chez Rieder, le manuscrit de son roman. Bloch juge qu'il manque d'unité ; Jean Guéhenno, conseiller littéraire dans la même maison, le trouve monotone, et laisse à Marcel Martinet, le nouveau directeur, le soin de décider s'il faut, ou non, l'éditer.

Début juillet Dabit est de retour à Paris, avec 22 toiles et 30 gouaches, qu'il tente vainement de proposer dans les galeries parisiennes. La plupart du temps, écrit-il à RMG, on lui répond : « Nous n’achetons pas, nous avons nos peintres » ; parfois on lui propose une sorte de contrat non écrit qui stipule que le galeriste exige un minimum de 2000 F sur les ventes, somme au-delà de laquelle le peintre doit lui verser un pourcentage de 20 à 30 %.

« Exposer dans un sous-sol où personne presque ne descend ? », se demande-t-il. La salle d’exposition des Trois Magots est au sous-sol, en effet, mais ce n'est sans doute pas à la galerie de Denoël qu'il pense puisqu'il ajoute : « Vous pensiez à cette petite galerie où Biche avait exposé cet hiver. Notre camarade l’abandonne », écrit-il à RMG.

On ne trouve, dans la correspondance de Denoël, aucune allusion à un départ de l'avenue de La Bourdonnais, mais il y est beaucoup question des deux livres de Vitrac et d'Artaud qu'il a publiés en avril. Sans doute le nouvel éditeur est-il à ce moment-là plus préoccupé de vendre ces ouvrages que de faire les frais d'une nouvelle exposition. D'autre part il n'ignore pas que la peinture de Dabit ne se vend pas, puisqu'il l'a exposée naguère chez Champigny, rue Sainte-Anne.

Pourtant Dabit a dû rencontrer Denoël à cette occasion, mais les deux hommes ont, à mon avis, dû parler d'autre chose car, dans cette lettre du 3 juillet, Dabit écrit : « je reviens à cette idée d’éditer moi-même L’Hôtel du Nord. » C'est une idée qu'il caresse depuis plusieurs mois, en raison des lenteurs de l'éditeur Rieder qui, depuis quatre mois, a en lecture son manuscrit et ne se manifeste pas.

D'autre part il a revu Christian Caillard, qui cherche alors à faire éditer à ses frais la correspondance de Maurice Loutreuil annotée par Champigny chez Firmin-Didot, et qui a demandé à cet éditeur combien il en coûterait d’éditer un ouvrage comme L’Hôtel du Nord : « On lui a répondu (pour environ 500 exemplaires) entre 3.000 et 4.000 francs. »

Dabit a poussé plus loin la réflexion et prévu un tirage de luxe : 10 exemplaires sur japon avec une gouache originale, qu’il vendrait 175 F ; 30 hollande avec un dessin original, à 100 F, soit en tout : 4 750 F. Les exemplaires de luxe couvriraient donc l’investissement de tout le tirage. Quant aux exemplaires sur papier ordinaire, ils seraient vendus 15 ou 18 F.

Il demande ensuite à RMG d’écrire à Rieder pour connaître sa réponse : « Négative sans aucune doute », pense-t-il. Il voudrait le reprendre et aller la semaine suivante avec Caillard voir l’imprimeur, ou l’éditeur, qui réalise le livre sur Loutreuil. Mais, depuis deux mois, Caillard sait aussi que Denoël a décidé d'éditer un livre de chansons de marins recueillies par Champigny.

Le 6 juillet RMG lui fait une réponse curieuse. Il laisse Dabit seul juge de réaliser cette « publication d’amateur - c’est un vilain mot, mais c’est tout de même cela », mais il lui montre le « léger discrédit que jette toujours sur l’auteur cette manière de tourner la loi et de publier un livre à compte d’auteur ».

« Quelle loi ? », se demande Pierre Bardel, qui publie cette lettre. « Il ne peut s’agir, naturellement, que de la loi non écrite du monde des lettres selon laquelle seuls ont vraiment le droit d’être édités les écrivains dont la valeur littéraire est reconnue par un " comité de lecture ". »

Singulière myopie d'un écrivain qui, il est vrai, publie depuis 1913 à la NRF, et qui propose aussi à Dabit de publier quelques pages de son roman dans une revue, comme Europe, où son ami Jean Guéhenno serait peut-être disposé à les accueillir.

En août les Dabit passent leurs vacances à la Forêt-Fouesnant, dans le Finistère, pour y peindre, ce qui exaspère un peu RMG, qui écrit, le 14 : « Mais pourquoi tant de peinture, bon Dieu ! Il est si évident que ça ne vous mènera jamais à rien !... » Martin du Gard estime qu'il doit cesser cette démarche indécise qui le porte, tantôt vers la peinture, tantôt vers la littérature. Il craint, avec raison, que Dabit soit velléitaire dans tout ce qu'il entreprend.

Le 29 août Dabit a pris, à sa manière, une décision : « En octobre, j’irai chez Rieder, reprendre mon manuscrit. M’en occuperai-je alors ? Je ne sais ». C'est le type de réponse qui doit hérisser son ami mais, en réalité, Dabit a, durant ses vacances, réfléchi sereinement à une proposition que lui a faite Denoël, auquel il a confié, avant de partir, une copie dactylographiée de son manuscrit.

Le 19 septembre il est de retour à Paris. Dès le lendemain il écrit à RMG : « Les affaires du monsieur chez qui Biche avait exposé marchent mieux. Je dis " le monsieur " mais c’est un camarade déjà ancien. Il a édité dernièrement un livre de Roger Vitrac et un livre d’Antonin Artaud. Il m’a parlé de mon livre, moi de mon projet de m’en occuper. Il semble qu’à nous deux, il serait possible de le faire paraître. Nous en partagerions les frais. Il doit me donner bientôt des précisions à ce sujet, prix, etc. Je vous tiendrai au courant. Ce projet m’intéresse toujours plus. »

Le 21 septembre, il est passé chez Rieder pour reprendre son manuscrit, et n’a pu l’obtenir, Martinet étant absent jusqu’au 1er octobre. Entretemps Martin du Gard a quitté Paris pour un voyage d'agrément de deux mois en Tunisie.

Le 24 septembre Jean Guéhenno, après une absence de plusieurs mois, écrit à Dabit pour s’excuser de ne pas lui avoir donné plus tôt son impression à propos de son roman, qu'il dit avoir apprécié, et qu'il a recommandé à Martinet. La réponse de Martinet, datée du 4 octobre, est, comme Dabit s'y attendait, négative. Le directeur de chez Rieder lui conseille un peu vaguement de voir Henry Poulaille, qui pourrait le faire accepter chez Grasset, où il travaille.

Le 10 octobre, le contrat pour L'Hôtel du Nord est signé avec Robert Denoël qui, en somme, a bénéficié des atermoiements des correspondants d'Eugène Dabit. Roger Martin du Gard, qui avait eu le mérite de relire toutes les corrections qu'il avait proposées à Dabit, avait fini par se lasser du livre, comme d'ailleurs Léopold Chauveau.

Le 13 octobre, Dabit écrit à RMG : « Monsieur Denoël et moi avons passé le contrat suivant (je résume) : ouvrage tiré à 3 000 exemplaires dont 25 madagascar, 200 alfa. Je m’engage à payer une somme de 5 000 F qui couvre une partie des frais (un tiers, un peu plus du tiers). Je touche, comme droits d’auteur, une somme égale à 50 % du prix net de la vente, qui est elle-même fixée à la moitié du prix fort de chaque volume (c’est-à-dire 3 F si nous vendons le livre 12 F). Les 25 exemplaires sur Madagascar m’apppartiennent (je ferai pour chacun une gouache et un dessin, j’espère pouvoir vendre chaque livre 200 ou 225 F - ce ne sera pas un vol - et ainsi retrouver mes 5 000 F. Je ne toucherai de droits d’auteur que lorsque l’éditeur sera remboursé de sa mise de fonds. En cas de réimpression, l’éditeur prend tous les frais à sa charge et je toucherai 10 % du prix fort de l’ouvrage. En cas de traduction, etc., je touche 50 %. [...] Le frère de Biche m’a avancé l’argent. »

Dabit explique encore que « Les affaires de M. Denoël se sont arrangées. Il va éditer un livre de chansons [Le Grand Vent] en même temps que L’Hôtel du Nord. Ce livre, Biche l’illustrera et touchera 3 000 F. Evidemment, M. Denoël n’a pas de grandes possibilités comme éditeur, pas celle de la N.R.F., de Rieder, etc... mais il faut lui faire confiance. Il y va de son avenir et il fera l’impossible pour s’occuper de mon livre. C’est un homme qui ne manque pas de goût, de courage et d’adresse ; jusqu’ici les trois livres qu’il a édités sont très honorables. [...] La chose est donc en train. Je m’attends à bien des déboires, mais ne regrette rien de ma décision. [...] En y réfléchissant, vous trouverez comme moi que la publication de L'Hôtel du Nord n’est pas une sottise, ni une indignité ».

Il en arrive ensuite à une question délicate, qui lui a été soufflée par son éditeur : « il faut donc que je vous demande si, lorsque le livre paraîtra, je ne pourrais pas être aidé un peu. » Dabit lui demande un article, de lui ou d’un de ses amis : « Denoël et moi avons peu de moyens, vous le savez, et une aide nous sera bien utile. »

L'éditeur, qui est au courant du parrainage de RMG, et qui sait le prix d'une telle recommandation, a engagé Dabit à demander plus : « M. Denoël me dit que, sur la bande entourant le livre, il faut mettre quelque chose. Il dit que deux mots de vous seraient d’un gros appui pour présenter le livre aux libraires. Deux mots, je ne sais quoi : "Un livre humain... Un livre émouvant " . Enfin rien qui dépasse votre pensée ».

Pressentant un refus de son mentor, Dabit écrit : « Dites-moi non, simplement. Je comprendrai très bien pourquoi. [...] Songez comme nous avons, nous, peu de moyens, peu de secours à attendre et que, en fin de compte, l’effort que nous tentons est vraiment désintéressé et, au milieu de tant d’autres hommes qui n’hésitent en rien, très difficile. Je vous écrirai au fur et à mesure que l’affaire se réalisera. M. Denoël compte que le livre paraîtra vers la fin de novembre. »

Le 23 octobre RMG, fort embarrassé, répond qu’il a toujours refusé ce genre de services, même à son ami Chauveau (celui-là même qui a aidé Dabit à corriger L'Hôtel du Nord). Il a bien une idée, encore très vague, qui consisterait à donner, en guise de préface, des extraits des lettres de travail qu’il lui a envoyées depuis deux ans - mais pour un autre roman que L'Hôtel car « je n’aime plus assez ce livre pour faire pour lui un geste aussi exceptionnel et opposé à toutes mes habitudes ».

Il lui suggère alors de demander une préface à Guéhenno : « Il a de l’estime pour vous, il en a pour ce livre, et cela irait tellement dans son sens de prêter son concours à un homme comme vous, qui correspond si bien à ce que Guéhenno aime dans le peuple et espère de lui. [...] Le nom de Guéhenno, en tête d’un livre comme L'Hôtel serait si parfaitement significatif ! »

Comme Gide qui, trop occupé, lui avait « repassé » le manuscrit deux ans plus tôt, Roger Martin du Gard le repasse à Guéhenno, qui lui-même l'avait repassé à Martinet... Si Guéhenno ne préfaça pas le livre, au moins permit-il à Dabit de placer en exergue du roman quelques lignes extraites d’un de ses ouvrages paru en 1928 : Caliban parle.

Le 31 octobre, Dabit écrit à RMG qu’il a bien compris ses raisons (« sans l’insistance de mon éditeur je ne vous aurais pas parlé de tout ceci ») et qu’il ne lui demandait, en fait, pas une préface mais une épigraphe - qu’il a finalement trouvée chez Guéhenno.

En conclusion, il se dit « pleinement heureux de cette entreprise. J’en fais les frais dans la proportion d’un tiers, en définitive ; mais je suis presque certain de retrouver mon argent. » Ce qui lui cause « un peu de peine, je l’avoue, c’est que j’ai la sensation - chez Chauveau aussi - que vous jugez mon livre raté et que je me paie la fantaisie de le voir imprimé. »

Le 6 décembre RMG, qui rentre de voyage, trouve chez lui le roman de Dabit, un des 200 exemplaires de luxe sur alfa : « Quoi, déjà ? J’en suis tout ému. Je ne l’ai même pas coupé, je l’ai seulement entrebaîllé de-ci de-là, ravi. L’impression est excellente. " L’imprimé " donne du " corps " à tout, et souligne les nuances. Je vais le relire. Ça doit être très bon, vous savez... Mais comme tout ça s’est réalisé vite ! Je n’en reviens pas ! Je n’ai même pas eu encore le temps de souscrire, et je ne me rappelle même plus les conditions : je dois être bon dernier. Faites-moi envoyer le " prospectus ", que je me paye un exemplaire de " haut luxe ", l’extra-fin du surfin ! [...] Mais je voulais vous dire tout de suite ma joie de voir ce beau... filleul, si bien venu, si simplement et joliment présenté, et votre nom - enfin ! - sur une couverture ! »

Le 7 décembre Dabit écrit à RMG : « Vous aurez reçu mon livre sans doute. Il doit paraître le 10 décembre ; l’édition ordinaire, à 12 F, est assez soignée comme présentation et je ne pense pas qu’un autre éditeur eût mieux réalisé ce petit livre (le livre est tiré à 3 000 exemplaires ). J’ai vendu 25 exemplaires sur papier de Madagascar, à 200 F, pour lesquels j’avais fait 2 dessins à la plume et une gouache (par exemplaire). Il y a aussi 200 ex. à 25 F dont on a vendu une cinquantaine. En résumé, cette histoire avec laquelle je craignais de dépenser de l’argent m’en rapportera, m’en rapporte déjà. Mais ce n’est qu’un petit à côté. Mon éditeur a fait paraître ces temps-ci plusieurs chapitres, dans trois journaux. J’envoie maintenant mon livre à des critiques et des personnes dont il m’indique les noms (ce " service de presse " est une bien sale corvée souvent) [...] peu de personnes l’ont lu encore, puisqu’il n’est pas en librairie. »

Denoël avait en effet envoyé des « bonnes feuilles » du livre à plusieurs journaux de gauche, dont L'Ami du peuple et L’Œuvre qui, le 29 novembre, avaient publié un chapitre du roman. Dans les deux cas, les quelques lignes d'introduction présentaient le livre comme un roman « populiste », une expression que, ni l'auteur, ni l'éditeur, n'avaient utilisée. La bande du livre indiquait seulement : « La vie d'un petit hôtel des faubourgs… Une œuvre simple, émouvante, d'un accent humain ».

Depuis un an, il n'était question, dans la presse, que de littérature prolétarienne ou populiste. Henry Poulaille se réclamait de la première, André Thérive, Frédéric Lefèvre et Léon Lemonnier de la seconde, mais personne, en réalité, ne savait exactement ce qu'était un roman populiste. Le roman d'Eugène Dabit tombait à point.

Il est intéressant de relever que, deux semaines avant sa mise en vente dans les librairies, le livre est, dans sa présentation de luxe, déjà épuisé. Pour un artiste qui prétendait ne rien vendre, les 25 madagascar à 200 F, soit quinze fois le prix du volume ordinaire, se sont enlevés comme petits pains, et en un temps record - sans doute grâce à la clientèle de bibliophiles des Trois Magots qui, dans les mêmes délais, ont souscrit à une cinquantaine d'exemplaires de demi-luxe sur alfa.

Le 9 décembre : « L’Hôtel du Nord doit être mis dans le commerce à partir de demain. Mais mon éditeur a vendu chez lui une centaine d’exemplaires. [...] Il me reste 2 exemplaires à 200 F. Je vous en garde un et je vous ferai de belles choses. [...] Il faudra que je vous envoie un exemplaire ordinaire à 12 F pour vous montrer comment c’est édité. Mais je suis bien heureux que vous trouviez le livre présenté avec goût. C’est l’avis de mon éditeur, bien sûr, qui trouve qu’on ne fait pas mieux chez les autres, mais je préfère entendre un autre son de cloche. », écrit Dabit à RMG.

Le 10 décembre : Parution de L’Hôtel du Nord. RMG, qui s’était montré réservé quant à cette édition à compte d’auteur, en recommande la lecture à plusieurs bénéficiaires du service de presse. Très vite, le monde littéraire sait que le livre de Dabit est chaperonné par Roger Martin du Gard.

En commerçant avisé, Denoël expose au même moment les toiles et gouaches récentes de Dabit, au sous-sol de sa librairie. Un chroniqueur écrit : « Nombreuses sont les librairies qui ont complété leurs rayons par des peintures ; quelques unes ont fait mieux : elles se sont adjoint une galerie d’art. Ainsi la librairie des Trois-Magots, 60 avenue de La Bourdonnais, qui expose en ce moment les peintures d’Eugène Dabit dont elle vient d’éditer le premier roman : L’Hôtel du Nord. La peinture de ce peintre-écrivain paraît aussi dépourvue de " littérature " que son style. Les personnages peints sont d’une couleur agréable certes mais manquent de cette atmosphère poétique [...] Ils manquent également de vigueur autant que d’expression [...] Ses paysages ont des tons si fondus qu’il en paraissent un peu pâles [...] En un mot son Maroc manque de chaleur. Mais nous reviendrons avec plaisir à cette librairie où l’atmosphère est cordiale. »

En novembre 1937, après la mort du peintre-écrivain, ces mêmes toiles marocaines exposées chez Bernheim recueillirent un grand succès, surtout dans la presse.

Le 13 décembre, Dabit prévient RMG qu'il a reçu une lettre de Gaston Gallimard, qu'il recopie à  son intention : « Je vous remercie de l’envoi de votre livre dont RMG m’a recommandé la lecture. Je l’ai donc lu aussitôt avec le plus vif intérêt. C’est vous dire que je souhaiterais vous connaître et connaître l’ouvrage que vous avez actuellement en préparation, et sans doute l’éditer ».

Cette proposition ravit l’écrivain débutant : « il faut que, d’ici quelques mois, je dise à mon éditeur que je ne pense pas lui donner mon prochain livre. Conseillez-moi, ferai-je bien en le quittant ? Je n’ai avec lui aucun engagement précis. Je lui dois un droit de " première vue " sur mes trois prochains ouvrages, mais libre à moi de ne pas accepter ses conditions. Et d’ailleurs il ne peut pas m’offrir grand-chose. Je l’ai aidé à publier ce livre (matériellement, cela m’avantage puisque je touche 50 % sur la vente plus les 4/5 sur les exemplaires à 200 F. Il ne peut donc pas dire que je luis dois tout et, sans cet argent, comme les autres, il ne m’aurait pas édité. Ensuite (je ne lui en fais pas reproche, et trouve parfaite la parution de mon livre), il a peu de moyens pour le répandre, le soutenir, le distribuer un peu partout. Evidemment, rien de tout cela ne peut se comparer aux possibilités que donne la N.R.F. à l’ouvrage le plus ordinaire. De plus, être édité à la N.R.F. avec vous et quelques autres, c’est pour moi d’un attrait sentimental et spirituel de première importance... [...] Que faudra-t-il faire ? »

Pierre Bardel écrit : « On comprend que Dabit demande conseil : si tentante que fût pour lui la perspective de faire carrière chez Gallimard, abandonner Denoël en qui il affirmait naguère avoir une entière confiance, et qui n’avait nullement démérité, ne laissait pas d’être un peu gênant... »

Le 30 décembre Dabit écrit à RMG : « Trois semaines à peine que le livre est sorti ! Quant à la vente, eh bien, ça se vend un peu, mais, bien sûr, cela ne commencera, je crois, à aller, que lorsqu’on aura lu quelques articles. Monsieur G. Gallimard m’a écrit qu’il s’absenterait de Paris, qu’il ne pourrait me fixer un rendez-vous que vers le 10 janvier. »

Le même jour Denoël écrit à Champigny : « Deux articles ont paru sur L’Hôtel (N.R.F. et Chantecler). L’accueil que l’on fait à ce livre est surprenant. La vente n’existe pas encore, mais elle se dessine. » L'article paru dans la NRF du 1er janvier 1930 est dû à Jean Prévost. L'écho dans Chantecler n'est pas signé.

1930

Au cours du mois de janvier Dabit reçoit quantité de lettres de critiques et d'écrivains auxquels il a fait le service de son livre - dont une de Jean Paulhan. Quoiqu'il occupe chez Gallimard une position dominante, ce n'est pas lui qui a signalé le roman de Dabit à Gaston Gallimard, mais sans doute l'a-t-il appuyé, à la suite de RMG.

Le 17 janvier, Dabit écrit à Léon Lemonnier, qui l'a félicité pour son livre : « Il ne s'agissait point de populisme. Je n'y songeais guère lorsque j'ai écrit cet ouvrage. » En effet l'exemplaire de presse qu'il lui avait envoyé début décembre contenait ce petit mot : « Je me défends d'avoir écrit ce livre pour répondre à certain mouvement littéraire. »

Le 27 janvier : Eugène Dabit écrit à sa femme : « Denoël veut me faire signer un nouveau contrat, " un vrai ", car le nôtre, dit-il, n'est pas assez " officiel " et il n'ose, ne le peut montrer à personne. »

Le 30 janvier : Denoël écrit à Champigny qu’il doit trouver sans délai 15 000 F, et que cette somme doit servir à conserver le contrat de L'Hôtel du Nord.

Février

Le 3 : RMG écrit à Dabit qu’il espérait lui faire une bonne surprise en lui « applanissant » le chemin de la NRF et en lui obtenant immédiatement une mensualité régulière : « C’était chose faite. Et votre éditeur me semble avoir tout compromis ».

Quand eut lieu, exactement, cette première rencontre entre Gaston Gallimard et Robert Denoël, dans la librairie des Trois Magots ? Une lettre de Dabit à RMG datée du 21 janvier ne la mentionnait pas mais, le 27, Dabit parle d'un nouveau contrat que veut lui faire signer Denoël. Il est clair que c'est à la suite de cet entretien que Denoël veut, dans la hâte, modifier les termes du contrat qui les lie.

La visite de Gaston Gallimard a donc vraisemblablement eu lieu entre le 22 et le 25 janvier. Que s’est-il passé au cours de cette entrevue inattendue ? La correspondance de Denoël est muette à ce sujet mais les lettres de RMG permettent de reconstituer les tractations qui se déroulèrent ce jour-là.

Dans sa lettre du 3, Martin du Gard poursuit : « Peut-être avez-vous su par Denoël que Gallimard avait tenté une démarche auprès de lui, sur mon instigation. Mais peut-être aussi ne vous a-t-il pas tout dit. Denoël a reçu Gallimard, et lui a lu votre contrat. Selon Gallimard, ses droits sur vous n’ont pas de valeur juridique. [...] Denoël, paraît-il, aurait reconnu qu’il n’avait pas de droits réels sur vous, au regard d’un procès possible. Il a reconnu aussi qu’il n’était pas outillé pour vendre votre livre [...] Malgré cela il a refusé les propositions de Gallimard. Et pourtant celui-ci, qui s’était dérangé exprès et qui aime réussir dans ce qu’il entreprend, avait, je trouve, été fort large ».

L'offre de Gaston Gallimard était, en effet, très généreuse : il offrait 10 000 F pour le contrat de L'Hôtel du Nord, dont il rachetait tous les exemplaires restants. Dans la nouvelle édition qu'il prévoyait, il offrait à Denoël l'annonce de son nom sur la page de garde, et une réclame pour ses éditions en 4e de couverture. Il ajoutait encore six pages de publicité gratuite pour ses futures éditions dans la NRF, et lui laissait les droits de traduction du livre.

RMG commentait ainsi le refus du jeune éditeur : « Denoël a dû croire que la démarche de Gallimard était spontanée et il a dû se dire : " Pour que Gallimard se dérange, il faut qu’il ait envie de Dabit, à tout prix ; je vais lui tenir la dragée haute ". Résultat : tout mon projet va tomber à l’eau. » Martin du Gard sous-estime Denoël, qui n'ignore pas que Dabit est son protégé et qui connaît ses liens privilégiés avec la NRF : il est peu probable qu’il ait pu croire que la démarche de Gaston était spontanée.

RMG conseillait à Dabit de demander à Gallimard un rendez-vous et d’examiner la question avec lui : « Je crois aussi, sans me vanter, que mon appui en sus de celui de Gide, peut vous être utile à la NRF, tout le long de votre carrière. Gallimard vous traite, non seulement comme un jeune écrivain d’avenir, mais comme un ami de RMG ; et vous serez bientôt " un ami de la maison " ». Comment résister à de tels arguments ?

Le 4, Dabit commente le refus de Denoël dans une lettre à RMG : « Gaston Gallimard a été voir Denoël qui, bien entendu, a refusé de lui céder L'Hôtel. Il a une histoire de traduction allemande en cours qui, peut-être (je n’y crois pas, moi), pourrait réussir. Votre ami Félix Bertaux est à l’origine de cette affaire. C’est lui qui a parlé de mon livre à un éditeur allemand. On reçoit des articles, on vend des livres et Denoël va faire un nouveau tirage de 3.000 exemplaires. Aussi il tient à moi. »

En effet, dès le 30 janvier, Denoël avait écrit à Champigny : « L’Hôtel du Nord est vendu pour les deux tiers et la vente ne fait que commencer ; je suis à peu près certain d’en vendre 4.000 rapidement. » Les comptes rendus favorables qui se multipliaient dans la presse étaient de nature à le conforter dans l'idée qu'il tenait un véritable succès de librairie.

Les deux hommes se sont rencontrés, avenue de La Bourdonnais : « Je lui ai dit que je ne voulais pas lier mon avenir au sien, qui est par trop incertain. Il m’a dit que, le mois prochain, sa situation s’arrangerait car il doit trouver un gros commanditaire, qu’il pourrait me payer, me faire des propositions intéressantes pour de prochains livres. »

Dabit ne paraît pas plus croire à ce commanditaire qu’à la traduction allemande en cours : il a tort car, trois semaines plus tard, Bernard Steele va accepter l’association proposée par Denoël. L’éditeur lui a rappelé qu’il avait pris des risques pour l’édition de ce premier livre, auquel il a cru, ce qui méritait un peu de reconnaissance. Néanmoins si, dans un mois, il ne lui donnait aucune garantie, Dabit serait libre d’aller se faire éditer ailleurs.

Dabit est aussi passé rue Sébastien-Bottin, où on lui a proposé un contrat dont les termes sont alléchants : Gaston Gallimard s'engage à publier ses cinq prochains livres, et lui fait l'avance, sur ses droits d’auteur, de 24.000 F à toucher par mensualités : « Je ne pouvais désirer mieux », écrit-il. « Denoël me dit : " Chez moi vous serez tout. On vous suivra, etc. " Evidemment, mais si je suis à peu près son seul auteur, quelle situation ! Et enfin il me promettra des avantages, mais comment, quand tiendra-t-il ses promesses ? Tandis qu’à la NRF, c’est fini, une fois pour toutes, nul souci. »

Pour tout dire, il a cédé la veille aux instances de Gaston Gallimard et accepté ses conditions, avec cette assurance supplémentaire accordée par Gaston : si Denoël lui fait de nouvelles propositions, Dabit peut les accepter provisoirement, mais il doit en prévenir Gaston, qui lui en fera de meilleures encore. Le pauvre Dabit ne sait plus comment gérer toutes ces bonnes fortunes : « j’ai la tête brisée de ces histoires. Qu’elles finissent. »

« Et d’ailleurs », poursuit-il, un peu gêné par sa propre irrésolution, « je sais trop ce que valent les propositions de Denoël et la façon dont il tient ses promesses. » Qu’a pu promettre jusque-là Denoël, qu’il n’ait tenu ? Comme le rappelle Pierre Bardel, Eugène Dabit est un perpétuel indécis, et son journal en témoigne : « Choisir entre deux êtres, deux vies, me rend malade », ou encore : « peur, faiblesse, lâcheté ; impossible de choisir ». Dans une interview accordée en juillet 1989 à La Quinzaine littéraire, Béatrice Appia déclarait : « Eugène, c'était un petit garçon ; il fallait tout le temps le rassurer. Il était très ému si on s'occupait de lui. Cela explique bien des choses, en particulier ses rapports avec les femmes. »

Le 5, Dabit revient encore sur cette affaire de contrat qui, visiblement, l’empêche de dormir : « Denoël promet des merveilles, mais il ne tient, ne peut tenir ses promesses. » Tandis que chez Gallimard : « on m’offre une fois pour toutes quelque chose de solide et je sais bien qu’on s’intéressera à moi amicalement. »

Dabit fait à nouveau aveu de faiblesse : chez Denoël aussi, l’amitié jouait pleinement, à défaut d’argent. Mais à la NRF, cette grande maison prestigieuse, Gaston lui parle « avec bienveillance », à cause de ses relations avec Martin du Gard et Gide. Tout de même, il admet lucidement : « je préfère porter des chaînes (et elles ne seront pas lourdes à porter). [...] J’obtiens tout ce que jamais je n’ai obtenu en peinture. Me voici, sans nul doute, peintre du dimanche ».

Malheureusement pour Gaston Gallimard, qui a misé sur le succès prometteur de L'Hôtel du Nord, Dabit sera aussi un écrivain du dimanche et aucun de ses livres à la NRF n’atteindra de gros tirages : au jeu des à-valoir, le compte de Dabit ne tardera pas à devenir débiteur et il le restera jusqu’à la fin. Il est juste d'ajouter que Robert Denoël a commis la même erreur d'appréciation et que, s'il avait pu garder Dabit dans sa maison, il aurait fort probablement grevé lourdement le budget de sa fragile société d'édition.

Le 23, Dabit écrit à RMG qu’il a déjeuné, deux jours plus tôt, avec Gaston Gallimard, qui lui témoigne toujours autant de sympathie : « le contrat doit être signé définitivement le 2 mars. » Il revient à nouveau sur son premier éditeur, qui le hante : « Denoël me laissera tranquille. Je sais qu’il va me faire des propositions magnifiques. Qu’il ne tiendra pas, ou si mal. Il a vendu environ 3 000 exemplaires de L’Hôtel du Nord et ne m’a pas donné un sou. Il n’a pas payé Biche non plus pour les illustrations qu’elle lui a données. Ce n’est pas de sa faute, il a tant de difficultés. Me payera-t-il jamais ? Et surtout lorsqu’il m’aura perdu ? »

Le livre illustré par Béatrice Appia est Le Grand Vent de Champigny, dont on ne connaît pas les termes du contrat, pas plus que pour L'Hôtel du Nord, d'ailleurs. Mais il n'est pas douteux que Denoël se trouve alors dans les embarras financiers puisque, pour éditer le roman de Dabit, il a dû accepter, le 23 octobre et le 11 décembre 1929, deux nantissements sur son fonds de commerce.

 

Cela ne l'a pas empêché de faire son travail d'éditeur en envoyant les deux livres à son ami bruxellois Paul-Gustave Van Hecke, directeur de la galerie « Le Centaure » et de la revue Variétés, qui a consacré un article au premier et publié une photo de Dabit due à Yvonne Chevalier dans son numéro du 15 février.

Mars

Le 3, Eugène Dabit a passé une journée qui l’a « abruti par toutes les pensées qui ont roulé dans [s]a tête » ; il devait, ce lundi-là, signer définitivement avec Gaston Gallimard. Or, le samedi précédent, Denoël, « qui a trouvé un commanditaire », lui a fait de nouvelles propositions :

« Tirage à 10 000 exemplaires de mon prochain livre, plus 600 exemplaires pour l’édition originale. Et il offrait de me régler d’avance mes droits d’auteur : 10 000 F à la signature du contrat, 5 000 F à la remise du manuscrit, 6 000 F lors de la parution. En tout, 21 000 F qui m’étaient acquis. », écrit-il à Martin du Gard.

Que lui offrait-on, rue Sébastien-Bottin ? Une avance de 24 000 F ; de sorte que, si le livre se vendait mal, c’est l’auteur qui se trouverait débiteur de son éditeur : « Aussi la proposition de Denoël me donnait-elle plus de sécurité (aurait-il tenu tous ses engagements, je ne sais). » Dabit, au lieu de prendre conseil, a demandé l’avis de Gaston, qui « comprit aussitôt mes inquiétudes, me témoigna vraiment la plus affectueuse sympathie et me fit un nouveau contrat. »

Ce contrat stipulait que Dabit donnait à Gallimard l’exclusivité de sa production pendant trois ans. L’éditeur lui versait à titre d’avance 54 000 F payables par mensualités et cette somme lui resterait acquise, même si, après trois ans, son compte était débiteur : « Je crois vraiment que ce sont là des propositions sûres et très belles, n’est-ce pas. Et Gaston Gallimard est vraiment avec moi simple, cordial, confiant. »

Gaston Gallimard connaît son métier et sait comment manœuvrer les écrivains fragiles. Certes, Dabit éprouve encore quelques réticences : « J’éprouve beaucoup de peine à quitter Denoël. Mais j’en ai assez de cette situation indécise. J’en souffrais trop. Et c’est fini. Gaston Gallimard m’avait dit : " Retournez chez Denoël avec mes propositions. Et s’il vous en fait de nouvelles, les miennes seront encore supérieures. " »

Dabit ne pouvait se prêter à une telle surenchère, dont l’idée lui eût sans doute ôté définitivement le sommeil : « J’ai signé et c’est fini. Et je suis, en vérité, très libre. Ecrivez-moi un mot bien vite pour me dire que vous êtes content de cette histoire. Oui, n’est-ce pas ? »

Dabit avait-il bien lu et compris le contrat des deux éditeurs ? Dans une lettre du début mars à Champigny, Denoël écrit : « Dabit m’a quitté, bien que je lui eusse fait les mêmes propositions que Gallimard. En confidence je vous dirai qu’avec mon associé, nous lui avions offert 22.000 frs pour un prochain livre, à titre d’avance. Gallimard lui a offert la même chose, après nous : il a préféré le dit Gallimard. »

Ce jour-là Gaston Gallimard a rendu à Robert Denoël un fier service en annexant Eugène Dabit, dont la carrière allait rapidement se révéler décevante.

Le 5, RMG lui répond : « Je suis content pour vous. Je voudrais que Denoël soit content aussi, et ne vous accuse pas d’être ingrat... Ne pensez plus à tout cela. Dans votre situation, vous aviez le droit d’assurer l’avenir le mieux possible. Personne ne peut vous jeter le plus petit gravier. »

Il y avait peu de chances pour qu’on reprochât à Dabit de changer d’éditeur puisque, par définition, de tels accords sont tenus secrets, mais il lui fallait tout de même s’expliquer avec le premier, qui n’était pas aussi content que l’aurait voulu Roger Martin du Gard.

Le 7 : « Que j’ai passé un pénible moment ! » écrit Dabit à RMG. « Bien entendu, Denoël n’a pas trop bien pris la chose. Il comptait tant sur moi. J’étais la " pierre angulaire " de sa future maison, etc. Pourquoi ne se trouve-t-il pas heureux de ce qui nous est arrivé ? L’Hôtel du Nord l’a fait connaître en même temps que moi. Mais justement il espérait encore davantage. On va dire que je suis un ingrat, etc. Et pourtant, à l’origine, Denoël ne se serait point décidé si je n’avais offert de l’aider matériellement ; mais cela, il est inutile qu’on le sache. Denoël m’a dit que je désertais, que je me devais de rester dans une maison jeune, que la NRF... Et pourtant, intérieurement, quoi qu’il arrive, je suis plus heureux de paraître à la NRF. Denoël dit que j’y serai étouffé, enseveli. Mais je ne souhaite point de succès populaire. Et mes livres seront bons ou mauvais et auront le sort qu’ils méritent. Il ajoute que je serai isolé, que je n’aurai là aucun ami. Ce n’est pas sûr. Gaston Gallimard m’a écrit hier, et vraiment avec beaucoup de sympathie. »

A partir de ce moment, les relations entre Dabit et Denoël vont se relâcher, puisque la carrière du romancier appartient désormais à Gaston Gallimard, mais Denoël, qui tient un succès éditorial avec son premier roman, et qui crée peu après sa société d’édition avec Bernard Steele, va suivre la carrière du livre de bout en bout.

Le 22 : Dabit écrit à RMG à propos d’un prix littéraire pour lequel Denoël aurait proposé L'Hôtel du Nord, avec l’aide de Lucien Maury, et qui n’aura pas de suite, à cause, semble-t-il, du refus de l’auteur. Il peut s’agir du prix de la Renaissance, un prix fortement doté, auquel, l’année suivante, Denoël dissuadera Dabit de participer, au profit du prix Populiste, qu’il remportera. Il peut aussi s’agir d’une candidature à une bourse Blumenthal, pour laquelle Roland Dorgelès avait proposé à l’auteur de l’inscrire ; Dabit avait refusé en raison de l’engagement qu’il venait de prendre avec Gaston Gallimard.

L'écrivain est entièrement pris par l’écriture de son deuxième roman, Petit-Louis, sévèrement critiqué par RMG qui trouve le héros « trop geignard, trop mou, trop velléitaire, bref trop semblable à Dabit », écrit Pierre Bardel. Les articles qu’il reçoit pour le premier l’excèdent : « Il ne savent pas à quel point je suis loin de cet Hôtel du Nord, maintenant. »

Dabit parle alors du roman, et non de l’hôtel populaire où il prendra vite l’habitude d’inviter les journalistes, pour soigner son personnage d’ « écrivain du peuple », plus à sa place dans ce cadre que dans celui de sa maison bourgeoise de la rue Paul de Kock. Dabit « prend la pose » et RMG ne manque pas de lui écrire, ironiquement, le 15 mai : « Je dispose de vous comme si vous n’étiez pas un homme occupé, demi-célèbre, et qui a un agenda bourré de rendez-vous. Je tremble que vous ne soyez pas disponible et que vous refusiez de venir. »

Le 15 avril : Jean Guéhenno rend compte, dans Europe, d'une visite qu'il a faite en compagnie d'Eugène Dabit à la galerie Bing, où des œuvres de Loutreuil sont exposées : « C’est un peintre, mort à présent, mon maître », lui déclare Dabit.

Guéhenno évoque la correspondance du peintre récemment publiée chez Firmin-Didot : « Mme Champigny a écrit pour elle une préface qui doit à la simplicité et à la dignité du ton d'être toujours très émouvante. Le tout compose un admirable ouvrage et  l'un des plus beaux documents humains que je connaisse. Il faut souhaiter seulement à Mme Champigny, à cause de cela même, qu'elle trouve un éditeur prêt à en faire une édition courante. [...] Une centaine de lettres. Quinze années de travail. »

Le 25 avril : Denoël fait procéder à un nouveau tirage de 3 000 exemplaires de L'Hôtel du Nord, ce dont il prévient l’auteur, le 6 mai, en ajoutant qu’il lui réglera trimestriellement ses droits d’auteur, plus les droits de traduction.

Le 5 juin : « Denoel m’a annoncé que les contrats des deux traductions de L'Hôtel du Nord , anglais et allemand, étaient signés ; il m’a dit aussi qu’il me payerait bientôt. Avec les traductions, cela va me faire au moins 10 000 F, une petite fortune !», écrit Dabit à Martin du Gard. Malheureusement, dix jours plus tard, Denoël lui écrit : « Pour ce que je vous dois, Mon Cher, j’ai eu une fin de mois si douloureuse que je suis bien obligé de reporter au 15 ».

La traduction anglaise, par Homer P. Earle, sera publiée à New York l’année suivante par l’éditeur Knopf, comme la traduction allemande due à Bernhard Jolles, chez Kaden et C° à Dresde.

Le 16 août, Dabit accepte, à la demande d'Henry Poulaille, de faire partie, avec Jean Giono et Edouard Peisson, d'une équipe de jeunes écrivains prolétariens pour fonder une revue littéraire, Nouvel Age.

Le 4 octobre, l'hebdomadaire L'Œil de Paris se fait l'écho du choix de Lucien Descaves pour le prix Goncourt qui se décernera le 9 décembre : « C'est un jeune romancier, auteur d'un livre populiste qui a fait sensation le printemps dernier. » L'échotier parle de Petit-Louis, le nouveau roman d'Eugène Dabit qui va paraître chez Gallimard, non sans rappeler son premier livre, qui aurait pu concourir s'il n'était paru un an plus tôt : « Sans doute, Eugène Dabit, par son excellent Hôtel du Nord, avait de nombreuses chances. Mais il semble que son livre ait été publié trop tôt. Sa réputation est aujourd'hui faite ».

Le 15 novembre : parution chez Gallimard, de Petit-Louis, dédié à Roger Martin du Gard. Gaston Gallimard le fait envoyer aux jurés des prix Goncourt et Femina.

Le 7 décembre, Denoël et Steele se sont réunis avec quelques amis chez Dabit pour y écouter Denise Séverin-Mars interpréter quelques chansons tirées du livre de Champigny, Au Grand Vent. Bernard Steele en rend compte à l'auteur, qui a subi une opération et n'a pu y assister : « Elle a une voix magnifique et imprime exactement le cachet qu'il convient à ces complaintes. Nous avons, du reste, l'intention de lui demander d'en chanter quelques unes à l'occasion de l'inauguration de nos nouveaux locaux. » [9 décembre 1930].

Il est forcé d'ajouter : « En passant, je dois vous dire que Dabit a eu le suprême mauvais goût d'être absent de cette réunion qui eut lieu chez lui, et dont les invitations étaient signées de lui. C'est du Dabitieux intégral, sans commentaires. »

Une petite vengeance envers Denoël, avec qui les rapports sont désormais tendus ? A coup sûr, une muflerie pour son amie Champigny, qui a exposé ses toiles et celles de Béatrice Appia pendant des années.

Le 19 novembre, Dabit écrit à Martin du Gard : « J’ai chaque jour l’impression que je vole de l’argent, c’est assez pénible, je vous assure. Il est impossible de gagner de l’argent avec un livre. 50 F par jour. Jamais la NRF ne les retrouvera avec moi. D’autres fois, en y songeant, je me dis que je ne suis pas plus indigne que d’autres d’un tel contrat. »

Le 13 décembre : Petit-Louis est éreinté dans Les Nouvelles Littéraires par Edmond Jaloux, qui estime que Dabit a trop soigné sa « légende » et trop joué de la corde « petit apprenti serrurier ». Le 16, Martin du Gard va dans le même sens dans une lettre à Dabit : « Vous avez créé autour de vous [...] une " légende " touchante, mais qui tape sur les nerfs à quelques uns ».

Le 17 décembre, Dabit s'en défend auprès de RMG : « A l’origine, Denoël et moi avons fourni les éléments d’une légende touchante. Maintenant, elle est connue de tous ; avec le " populisme ", ce sera un poids qu’il me faudra traîner. »

Comme le remarque bien Pierre Bardel, Denoël n’avait, à l'origine, pas du tout joué la carte de l’auteur de modeste extraction, moins encore celle du populisme : ce n’est qu’après les comptes rendus du début de l’année 1930 où le livre fut qualifié de populiste, que l’éditeur, et surtout l’auteur, ont gommé de sa biographie le métier de peintre et sa maison cossue de la rue Paul de Kock, pour insister sur son côté authentiquement ouvrier, habitant un hôtel pisseux du quai de Jemmapes, où se presse une humanité désespérante.

Dans la même lettre Dabit annonce qu’il va divorcer de Béatrice Appia, avec laquelle il vit depuis deux ans « à peu près séparé ». En novembre il a rencontré Yvonne Vander, une jeune fille d'origine bourgeoise qu'il compte épouser. Il a quitté la rue Paul de Kock et s'est installé, seul, dans une chambre meublée, puis chez ses parents, à l'Hôtel du Nord. Sa résolution ne tint pas : quelques mois plus tard il rompit avec Yvonne et retourna près de Béatrice.

Le 7 décembre, le prix Goncourt est décerné à Henri Fauconnier pour Malaisie, avec six voix contre quatre à Petit-Louis. Peu après, Jean Oberlé [1900-1961] écrit à Dabit : « Je trouve ces Goncourt stupides d'avoir couronné ce Malais lointain à vos dépens. Je suis furieux que vous n'ayez pas eu ce prix. Envoyez-moi Petit-Louis que je n'ai pas lu et que j'ai hâte de lire. Si Denoël ne demande pas des droits trop chers, il y aurait peut-être un arrangement pour illustrer L'Hôtel du Nord. »

Le 27 décembre : Frédéric Lefèvre consacre « Une heure avec... Eugène Dabit » dans Les Nouvelles Littéraires.

1931

Le 6 mars : Denoël et Steele publient une édition de luxe, dite « de bibliothèque », de L'Hôtel du Nord, avec une préface de Frédéric Lefèvre, l'un des jurés les plus influents du prix Populiste. Le texte de cette préface n’est autre que celui de l'interview publiée par le critique dans Les Nouvelles Littéraires du 27 décembre 1930.

    

                                                                                                         Mercure de France,  15 juin 1931

Le 18 mai : L'Hôtel du Nord reçoit le premier prix Populiste. Poulaille avait exhorté l’auteur à ne pas accepter ce prix doté de 5 000 francs, décerné par un jury de « littérateurs bourgeois ».

Gaston Gallimard présentait Petit-Louis, récemment paru, et Denoël L’Hôtel du Nord, à propos duquel il avait écrit, le 26 janvier, à l’un des jurés, Antonine Coullet-Tessier, pour rappeler que le roman qu'il avait publié en décembre 1929 était « le premier livre à répondre de façon presque parfaite à la signification du populisme ».

Le 22 mai, Le Charivari se fait l'écho d'une grosse colère de Gaston Gallimard « dont tremblèrent les murs rue Sébastien-Bottin ! ».

Le 23 mai, Roger Martin du Gard écrit à Dabit : « C’est un peu embêtant qu’on vous colle ainsi une étiquette au dos, et puisse-t-elle ne pas être trop indélébile... A vous de vous en débarrasser par la suite ».

Du 15 juin au 19 juillet, L'Hôtel du Nord paraît en feuilleton dans Le Peuple.

En juillet : Vacances à Cassis avec Béatrice Appia, au cours desquelles ils décident de reprendre la vie commune. C’est pourtant durant ces mêmes vacances que Dabit rencontre Vera Braun [Budapest 1902 - Paris 1997], une jeune artiste hongroise de vingt-huit ans qui deviendra sa maîtresse, et le restera jusqu’à sa mort.

      Eugène Dabit par Vera Braun, 1935 [© Artpulsion]

Le 22 septembre : Dabit annonce à Roger Martin du Gard qu’il a reçu un exemplaire des traductions allemande et anglaise de L’Hôtel du Nord. Il mentionne aussi un dramaturge américain qui veut adapter le roman au cinéma et une traduction norvégienne dont il sera à nouveau question en 1934.

Du 23 septembre au 9 novembre, L'Hôtel du Nord paraît en feuilleton dans Die Welt am Abend à Berlin.

1932

Février : Alors que Villa Oasis est sur le point de paraître, Eugène Dabit manifeste auprès de RMG la même inquiétude que pour Petit-Louis : « L’histoire de L’Hôtel du Nord (auquel, à l’origine, personne ne croyait beaucoup puisque j’ai dû faire avec Denoël l’arrangement que vous savez) ne recommencera plus. Je crains qu’on ne me ramène sans cesse à ce premier livre. Evidemment, ce que je fais manque de génie. »

Avril : Dabit préface le catalogue de l’exposition Christian Caillard à la galerie « Au Portique », boulevard Raspail : 33 toiles et sculptures rapportées d’un voyage de deux ans au Maroc, en Indochine et à la Martinique.

Mai : Le 11, Dabit rencontre Robert Denoël, rue Amélie, qui lui parle de Villa Oasis : « calé dans son fauteuil d’éditeur, d’un air grave il m’a annoncé qu’il " n’aimait pas beaucoup ". Que ne peut-on dire avec les mots. Lui ne s’en prive pas. La malveillance le guide ; au surplus, tel que je le connais, il n’a fait que parcourir mon livre. », écrit-il dans son Journal.

Juin : Dabit obtient une bourse Blumenthal (20 000 F), dont il touchera la première mensualité de 830 F en janvier 1933 : « Et comme finiront alors les mensualités de la NRF... », écrit-il à RMG. Son contrat s’achève en effet en mars 1933. Gaston le lui renouvellera mais à d’autres conditions. Considérant les ventes de ses livres, ses mensualités seront réduites de 1500 F à 800 F.

Juillet : Tandis que Béatrice Appia est à Genève, dans sa famille, Dabit passe ses vacances à Ibiza en compagnie de Vera Braun.

Le 18 octobre, Eugène Dabit écrit à Henri Jeanson : « Je suis en pourparlers avec Jean Renoir pour une réalisation cinématographique de L’Hôtel du Nord. A mon retour, en novembre, je serai fixé sur ce projet. S’il n’aboutit pas, alors, nous verrons. Je vous écrirai pour que nous puissions parler de votre intention de scénario ». Jeanson écrira bien le scénario mais c’est Marcel Carné qui réalisera le film en 1938.

Le 14 novembre, Dabit écrit à RMG : « Je viens de lire un livre assez étonnant : Voyage au bout de la nuit. » Le roman de Céline l’a tellement marqué qu’il en rédige le compte rendu pour la NRF de décembre, et envoie à son auteur, début février, Villa Oasis et Faubourgs de Paris, qui vient de paraître. S'il ne lui envoie pas L'Hôtel du Nord, c'est qu'il sait - par Denoël - que Céline l'a déjà reçu. C'est vraisemblablement l'exemplaire de presse ci-dessous, mis en vente le 16 mai 2012 à Paris par la salle Artcurial, que reçut Dabit :

Le 15 novembre : Dabit adhère à l'A.E.A.R., l'Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires, fondée par Henri Barbusse.

1933

Le 10 avril, Céline remercie Dabit pour son dernier roman, qu'il a aimé « autant que les autres » et lui dit qu'il a relu Villa Oasis : « C'est un livre de travail, je veux dire un livre dont le ton force au travail - il catalyse tous les sentiments troubles d'un certain milieu - Il représente un ton qu'il est indispensable de ne pas oublier pour aller, si possible, plus loin. Tout ceci pour vous faire comprendre que ma grande estime pour votre production n'est pas simulée mais réelle et exceptionnelle et profonde ».

Dans Bagatelles pour un massacre, Céline cite, parmi les écrivains et les œuvres qu'il apprécie : « Dabit de la Villa Oasis si peu remarquée... ». En juin 1947, il écrit à Milton Hindus : « Je vous recommande le roman peu connu, l'âme française à l'état pur la Villa Oasis. » C'est toujours ce livre, qui décrit la vie d'un couple de tenanciers de bordel embourgeoisés, qu'il mentionne - jamais L'Hôtel du Nord. Lorsqu'il fait envoyer à Dabit, en octobre 1932, un exemplaire de presse de Voyage au bout de la nuit, c'est à l'auteur de « l'admirable Petit Louis » que Céline dédicace le volume.

Il ne fait pourtant aucun doute qu'il a lu L'Hôtel du Nord. En mai 1933 il écrit à l'auteur : « Tout ce que vous avez fait tient déjà dans une autre époque. [...] C'est un bateau qui s'éloigne. Les gens de l'Hôtel du Nord ne sont plus ceux-là [...] Je crois que c'est leur douceur relative qui est en train de finir, leur résignation - Nous allons vers la violence. »

En 1957, au cours d'une interview avec Madeleine Chapsal pour L'Express, Céline déclare, à propos de ses débuts littéraires : « Je me suis dit : c'est le moment du populisme. Dabit, tous ces gens-là, produisaient des livres. Et j'ai dit : moi, je peux en faire autant ! »

L'année suivante il déclare à Robert Poulet : « Je voulais gagner un peu de fric pour payer ma maison. Le gars Eugène Dabit avait récolté un gros succès avec son Hôtel du Nord, où il avait fourré ses souvenirs d'enfance. Je me suis dit : J'en ferais bien autant. Allons-y !... » [Entretiens familiers avec L.-F. Céline].

Dans Le Grenier d'Arlequin [1981] Carlo Rim rapporte une conversation qui s'est déroulée en 1933 chez Denoël, en présence de Dabit, au cours de laquelle Céline aurait déclaré : « J'ai lu L'Hôtel du Nord, un sacré succès, et je me suis dit : Eugène de la Vilette et Ferdinand de Courbevoie, ça se vaut, tous les deux enfants de la rue. Pourquoi j'en ferais pas autant ? »

Ces témoignages sont certes tardifs mais ils sont confortés par Elisabeth Porquerol, une jeune journaliste qui a rencontré Céline le 16 février 1933 et qui a publié cet article dans Allo Paris en janvier 1934 : « Ce qui lui a donné l'idée d'écrire : le succès des populistes, surtout de Dabit. Il en avait autrement plus à raconter ; et puis, bien compris que Dabit n'avait pas osé aller jusqu'au bout, pas jusqu'à la révolte, qu'il était resté " plaintif ", et, son tort, dès la réussite, de passer de l'autre côté, d'être devenu écrivain. » [repris dans « Céline, il y a trente ans », La NRF, 1er septembre 1961].

Relevons encore la manière dont Céline, en avril 1932, qualifie son roman qu'il vient de déposer chez Gallimard : « C'est de la grande fresque, du populisme lyrique, du communisme avec une âme, coquin donc, vivant. »

La question de l'influence de L'Hôtel du Nord sur l'écriture de Voyage au bout de la nuit est débattue depuis longtemps et n'a pas reçu de réponse décisive, mais la lecture de ce roman peut avoir incité Céline à proposer le manuscrit de Voyage à son éditeur.

Le 2 décembre, Dabit écrit à RMG : « On va sans doute faire un film de L'Hôtel du Nord. On me chargerait de l’adaptation et des dialogues. Il serait question, pour l’instant, de me donner (pour moi et mon éditeur) un minimum de 30 000 F garantis, et 5 % de la recette du producteur (la société Tobis). L’affaire doit se faire, ou non, dans le courant du mois. Que pensez-vous de ces propositions ? Pas fameuses ; mais par le temps qui court ? [...] Une chose certaine, c’est que L'Hôtel du Nord paraîtra dans le courant de l’année prochaine en édition populaire à 3 F 50. »

Le 5 décembre, Martin du Gard lui répond : « Pour être franc, je commence par dire que je ne crois pas qu’il soit possible de tirer un film " pour le public " de L'Hôtel du Nord. A moins d’y ajouter une intrigue centrale [...] Donc, pour moi, les 5 % ne représentent à peu près rien. D’autant qu’on m’a dit qu’il est impossible de contrôler le rendement d’un film et que l’auteur est toujours roulé dans ces pourcentages. »

Quant aux 30 000 F, c’est une aumône : « Et encore vous la partageriez avec l’éditeur ? Je vous engage à demander, à exiger, au minimum le double, et davantage si c’est c’est vous qui faites l’adaptation et les dialogues. [...] Il est courant qu’on paye 100 ou 150 000 francs de droits à un auteur de pièce ou de roman, pour lui acheter son sujet et son titre, quand le livre a quelque notoriété. Or c’est le cas du vôtre. Je ne saurais trop vous engager à montrer les crocs. »

RMG a raison, les conditions proposées sont dérisoires. Pour comparaison, Robert Denoël a cédé à Abel Gance, le 4 mars 1933, les droits cinématographiques de Voyage au bout de la nuit pour 300 000 francs. Tobis Films n'est pourtant pas une petite société puisqu'elle a produit ou distribué des films tels que Sous les toits de Paris de René Clair en 1930 ou La Kermesse héroïque de Jacques Feyder en 1935. Le projet n’était sans doute pas sérieux : dès le 31, Dabit déclare qu’il est tombé à l’eau.

L'édition populaire mentionnée a paru en mai 1934 chez Fayard, dans la collection « Le Livre de demain », illustrée de 36 bois gravés par Paul Baudier.

1934

En août : A Eugène Dabit qui lui réclame ses droits d’auteur pour L’Hôtel du Nord, Denoël propose de s’en acquitter « en six ou dix mensualités de 1 000 francs, à dater du 31 octobre », et lui demande aussi de patienter pour les droits de traduction norvégiens et polonais.

Dabit avait bien mentionné, dans une lettre à Roger Martin du Gard du 22 septembre 1931, une traduction norvégienne en cours, mais on ne sait rien de cette traduction polonaise. A cette date on ne connaît que deux traductions - allemande et anglaise - de L'Hôtel du Nord, parues en 1931. En revanche, une traduction hongroise du roman par Gyula Illyes est sur le point de paraître à Budapest et celle-là sera la cause d'un incident violent entre l'écrivain et son premier éditeur.

1935

En janvier, Dabit a été averti par son traducteur que Franklin-Tarsulat Kiadasa, l'éditeur de Szalloda a Kulvarosban, la traduction hongroise de L'Hôtel du Nord, avait versé 1 500 francs de droits d'auteur sur le compte de Denoël. L’écrivain se rend rue Amélie pour les toucher, l’éditeur affirme qu’il n’a rien reçu.

Furieux parce que Dabit doute de sa parole, Denoël se jette sur lui, et les deux hommes en viennent aux mains. Dabit recevra son chèque le 15 janvier, mais leurs relations sont durablement altérées.

Le 12 novembre, Dabit écrit à Martin du Gard : « Mon contrat avec Gaston Gallimard se termine en février. Je doute fort que Gaston Gallimard m’en refasse un aussi avantageux (encore que je ne connaisse nullement ses intentions). Il me donne 800 F par mois, mais mes livres se vendent à 2 000 ou 2 500 exemplaires, jamais plus. Et je ne pense pas que ça ira mieux dans les années à venir. En six ans, Gaston Gallimard m’aura donné environ 40.000 F de plus que ce que pouvaient me donner mes droits d’auteur. Il m’a fait, du reste, un contrat très amical. Mes livres lui restent acquis ; et moi je ne lui dois aucune somme. On ne peut être plus gentil. Aussi viendrait-il à ne pas renouveler ce contrat que je trouverais cela très naturel et ne cesserais pas de lui être reconnaissant de sa longue attention. »

1936

Le 27 mai Dabit annonce à Roger Martin du Gard : « Je pars avec Gide pour l’U.R.S.S. Il m’a invité à l’accompagner ; j’ai accepté, naturellement. Que sera ce voyage ? »

Le 27 juin Dabit, Louis Guilloux, Jef Last et Jacques Schiffrin embarquent pour Léningrad, où Gide, qui a pris l'avion, les a précédés. Au cours des mois de juillet et août ils visitent successivement Moscou, Tiflis, Batoum, Sokoum et Sotchi. C'est à Sotchi que, le 12 août, Dabit est pris de coliques et de fièvres. Le 17, ils sont à Sébastopol. Le 19, un médecin parle d'angine grave. Le lendemain, c'est la scarlatine qui est diagnostiquée.

Le 21 août : Eugène Dabit est transporté d'urgence à l'hôpital de Sébastopol, où il meurt, à 22 heures.

Le 29 août, André Warnod lui consacre un article nécrologique dans Le Figaro. Le journaliste y évoque le Dabit d'avant L'Hôtel du Nord, quand il faisait partie des peintres groupés autour de Maurice Loutreuil, au Pré-Saint-Gervais, et leur égérie, qui « resta l'animatrice du groupe. Et voilà où tout s'enchaîne. Mme Champigny avait une boutique pour vendre et surtout pour montrer les œuvres de Loutreuil et des peintres de son groupe. Elle avait pour collaborateur, dans cette boutique, un grand garçon, un jeune écrivain, c'était Robert Denoël. Il se fit éditeur pour faire paraître le premier livre de son ami Eugène Dabit. » [« Au temps où E. Dabit était peintre »].

Fin août, le corps de Dabit est autopsié, puis envoyé à Moscou, où il est incinéré. Des médecins parisiens parleront ensuite de typhus exanthématique. Béatrice Appia ne croyait pas à cette histoire de scarlatine, que Dabit avait déjà eue, adolescent : « On lui a fait le même coup qu'à Barbusse, oncle de Christian Caillard, qui allait reprendre sa liberté : empoisonnement, puis incinération. » [interview à La Quinzaine littéraire, 16-31 juillet 1989].

Vingt ans plus tard, elle n'avait pas changé d'avis : « Je crois qu'on l'a tué là-bas. Il allait dire ce qu'il allait vu. J'ai ses lettres, les dernières. Pas un mot sur la Russie. Par prudence ? Sur sa tombe, Aragon a fait un discours. De quel droit ? On l'a condamné parce que c'était un type avec un point d'interrogation. Ses " amis " ont eu honte de l'avoir abandonné. Il est mort seul, entouré de gens dont il ne parlait pas la langue. » [dans : Raphaël Sorin. 21 irréductibles, 2009].

    Les caciques du parti : Moussinac, Vaillant-Couturier, Nizan, Cassou

Le 7 septembre : Inhumation des cendres d'Eugène Dabit au cimetière du Père-Lachaise, en présence d'une foule évaluée à plus de 5 000 personnes. André Gide note dans son Journal : « L'assistance était nombreuse ; gens du peuple surtout et en fait de littérateurs, rien que des amis dont le chagrin était réel. [...] Les discours de Vaillant-Couturier et d'Aragon ont présenté Dabit comme un partisan actif et convaincu. Aragon, en particulier, a insisté sur la parfaite satisfaction morale de Dabit en U.R.S.S…. Hélas !… »

Cette annexion, par les communistes, de l'écrivain populiste a aussi choqué Jean Paulhan, qui écrit à Marcel Jouhandeau : « T'ai-je parlé des obsèques ? Dabit n'aurait pas voulu, ou je le connaissais mal, ces poings fermés, ces discours d'Aragon et de Vaillant-Couturier, (V-C allant jusqu'à dire, le sot, que le grand regret de Dabit avait été de ne pas tomber les armes à la main, en combattant pour l'Espagne) ce cortège concentré, haineux, en savates et en espadrilles. »

Le 8 septembre, Gide y revient dans son Journal, à propos de la mère de Dabit : « Au bras d'une parente, la pauvre femme se traîne péniblement jusqu'au caveau de famille, tout en haut de l'énorme cimetière. Devant la fosse elle perd contenance ; on entend de loin des cris affreux. Puis elle s'échappe d'entre les bras qui la soutiennent, comme une folle : “ Allez-vous en tous. Laissez-moi… Mais laissez-moi donc. Je veux partir. Je veux partir…” »

1937

Le 29 janvier, Denoël donne à Champigny, qui séjourne alors en Nouvelle-Calédonie, des nouvelles de ses connaissances parisiennes : « Béatrice Appia, ravagée par la mort de Dabit, est partie cacher son étrange douleur à Dakar. »

Le 11 mai, la presse parisienne annonce que Véra Braun, « une jeune femme neurasthénique d'origine russe » a tenté de se suicider chez elle, rue de la Sablière, en absorbant une dose massive de véronal. Elle est morte le lendemain à l'hôpital municipal de Courbevoie.

Cette jeune artiste-peintre de 27 ans avait été la compagne de Dabit en 1934 et 1935, mais on ignore quand ils ont cessé de se voir.

     L'Humanité,  20 novembre 1937

Du 18 novembre au 3 décembre : Rétrospective des œuvres d'Eugène Dabit à la galerie Bernheim Jeune, 83 faubourg Saint-Honoré. Il s'agit, pour l'essentiel, des toiles et gouaches ramenées du Maroc en juillet 1929, que Robert Denoël avait exposées, sans succès, dans sa librairie des Trois Magots. Jacques Lassaigne, qui lui consacre un article dans La Revue Hebdomadaire, souligne la sincérité de cette œuvre peu connue, à défaut de pouvoir lui trouver du talent :

La Revue Hebdomadaire,  1er janvier 1938

Le 25 novembre, le Journal des débats politiques et littéraires annonce que Francis Bernier et Louis Virenque, qui ont publié récemment chez Denoël une comédie dans sa « Collection des Trois masques », viennent de terminer « L'Hôtel du Nord », une pièce en neuf tableaux tirée du roman d'Eugène Dabit. Il n'en sera plus question par la suite.

Fin décembre : Parution de Bagatelles pour un massacre, dédié, comme le Retour d'U.R.S.S. de Gide, l'année précédente, à Eugène Dabit.

1938

Janvier : La Critique cinématographique publie un article non signé intitulé « Denoël l’audace », à propos du film « Hôtel du Nord », que Marcel Carné a tiré du roman de Dabit, sur un scénario d’Henri Jeanson, et qui sortira dans les salles en fin d’année : « Donner la publicité de l’écran à mes meilleurs livres, faire aimer et connaître les auteurs du grand public qui évoquera en images ce qu’il a lu, ou revivra par la lecture ce qu’il a vu, je l’ai toujours souhaité. Mais je demeure dans l’attente : après sept ans d’édition, de nombreux prix littéraires, pas un des soixante-quinze romans que j’ai publiés n’est parvenu à l’écran », déclare-t-il.

De juillet à octobre, Marcel Carné tourne en studio la plupart des scènes d' « Hôtel du Nord ».

 

                            Cinémonde,  25 août 1938

Le 18 décembre : Présentation du film au cinéma « Marivaux ». Malgré l'infidélité du scénario pour le roman, il recueille un grand succès populaire. Les critiques enthousiastes, comme celle de Marcel Achard, sont rares. Lucien Rebatet se livre à un éreintement en règle ; seule Arletty, « unique rayon de vie de tout le film », a trouvé grâce à ses yeux. Jean Fayard estime que « le populisme est un genre faux et qui convient encore moins au théâtre et au cinéma parlant qu'au roman ».

 

Il n'importe : « L'Hôtel du Nord » est le film dont on parle. Denoël fait réimprimer le volume, et Fayard retire plusieurs milliers d'exemplaires de l'édition populaire illustrée par Paul Baudier, qu'il a publiée en 1934, dans sa collection « Le Livre de demain ».

1939

Le 21 avril 1939, Roger Martin du Gard écrit à Béatrice Appia : « J'ai vu le film Hôtel du Nord. J'ai passablement souffert. Cela, était-ce utile ? (Le nom de Dabit n'était même pas sur le programme !) »

Le 16 juin : Parution, sous les auspices de l'Association Blumenthal, d'un Hommage à Eugène Dabit chez Gallimard, auquel ont participé dix-sept écrivains et artistes. Curieusement, on n'y trouve aucun de ses amis de la « première époque », celle du Pré Saint-Gervais.

Le 8 août : Naissance à Paris d'Yves Blacher, fils de Louis Blacher [5 octobre 1883 - 25 octobre 1960] et de Béatrice Appia. L'avocat Louis Blacher, gouverneur de la Guinée française, avait épousé la veuve d'Eugène Dabit à Conakry en octobre 1938.

     Béatrice Appia, Yves Blacher, Louis Blacher, Emile Dabit, chez des amis à Sablé-sur-Sarthe en 1941 (coll. Yves Blacher)

1941

Juin : Parution chez Denoël de Poèmes populistes, un recueil collectif préfacé par Léon Lemonnier qui contient trois poèmes inédits d'Eugène Dabit : « Rue Calmels », « Marché aux puces » et « Je t’offre des images » datant de 1924 et 1925.

1944

Le 28 avril : Premier numéro de l'hebdomadaire Germinal, dirigé par André Chaumet. Robert Denoël y publie en feuilleton le premier chapitre de L'Hôtel du Nord.

Début mai, Béatrice Appia se pourvoit en référé pour faire interrompre la parution en feuilleton de L'Hôtel du Nord dans Germinal : « J’avais convoqué la NRF, Paulhan, et bien d’autres amis de Dabit pour assister au palais de Justice à la décision, pour prouver que moi, veuve, je n’avais pas vendu Dabit aux Allemands. Bref, le référé a ordonné la cessation immédiate de publier Dabit en feuilleton dès le prochain numéro », m'écrivait-elle en 1980.

Germinal aura publié, en pleine page, plusieurs chapitres du roman dans ses numéros des 28 avril, 5, 12, 19, 26 mai, et 2 juin 1944, avant que le jugement du tribunal de la Seine soit appliqué. Le 26 juin 1945, Maximilien Vox établira un nouveau contrat pour le livre et, le 11 novembre suivant, les Editions Denoël paieront à la mère et à la veuve de l'écrivain 25 000 francs de dommages et intérêts.

Le 20 mai : Parution d'une édition illustrée par Rémy Hétreau de L'Hôtel du Nord. Entreprise en mars 1943, cette édition pour bibliophiles est appréciée par Béatrice Appia, qui en félicite le graveur, le 8 novembre 1945.

Elle ne constitue cependant pas la première édition de luxe du roman. Dès 1939 Robert Jeannisson avait entrepris une édition illustrée de 38 cuivres originaux pour le compte de la Société des Amis du Livre Moderne, qui fut sans doute abandonnée à cause de la déclaration de guerre et qui ne vit le jour qu'en 1944, tirée à 120 exemplaires.

1945

Le 28 octobre, Céline, qui en veut alors à son éditeur, écrit à Marie Canavaggia : « C’est un Belge - c’est un jésuite, c’est un homosexuel, c’est un éditeur. Cela fait beaucoup. Comme " refoulé " lui alors est servi. Ses démêlés avec Dabit sont fameux. Brouille d’amants, brouille d’argent, brouille littéraire - aussi quelle haine pour finir. »

Les démêlés de l'éditeur avec Dabit, qui remontent à janvier 1935, n'ont jamais été évoqués dans la presse mais, dans le petit monde de l'édition parisienne, tout se sait, et il est à peu près sûr que c'est à cette altercation que fait référence un article paru le 13 janvier 1950 dans L'Aurore : « N’y eut-il pas discussion entre l'un d'eux et l'éditeur, connu pour sa violence et sa force redoutable ? »

Quant aux motifs de la dispute, on sait qu'ils concernaient des droits d'auteur impayés, mais Céline veut absolument qu'ils aient été d'ordre sexuel. Il y reviendra deux fois, dans sa correspondance du Danemark avec sa secrétaire : « Bobby était un fameux voyou - D’ailleurs homosexuel endiablé. Dabit était sa maîtresse. » [19 octobre 1947]. « Denoël était un notoire enculeur - l’amant de Dabit ! et de Steel ! et de 20 autres ! » [10 mai 1948].

1946

Le 7 septembre, L’Humanité commémore le dixième anniversaire de la mort d’Eugène Dabit, «ouvrier d’origine», non sans rappeler que son éditeur Denoël avait, en 1944, « osé céder, sans l’autorisation de sa famille, les droits de reproduction de L’Hôtel du Nord à l’hebdomadaire pro-nazi Germinal ».

1949

Le 23 septembre Céline, à propos de Jeanne Loviton qui le presse de signer un contrat pour son prochain roman, écrit à sa secrétaire : « Ce que la morue avait envie : c'est d'un nouveau contrat d'elle à moi - pour embarquer mes livres ! (comme a fait Vox avec les Dabit !) »

      Jaquette illustrée du volume

Céline fait allusion à une édition de L'Hôtel du Nord publiée en 1946 par l'Union Bibliophile de France, maison appartenant à Maximilien Vox, mais il n'en connaît pas les modalités de publication. C'est Béatrice Appia qui a négocié avec Vox (administrateur provisoire des Editions Denoël, à cette époque) les droits du livre pour une édition de demi-luxe, en y joignant sa version théâtrale inédite [« Au Pont tournant »] et une préface de son cru. Ce petit volume, paru dans la « Collection Vox », est illustré en frontispice de la reproduction d'une gravure de Robert Jeannisson. Les Editions Denoël ont gardé le copyright de L'Hôtel du Nord jusqu'à nos jours.

1977

Au cours de l'automne, rétrospective des peintres de l'école du Pré Saint-Gervais à la Galerie de Nevers, à Paris ; toiles de Loutreuil, Caillard, Dabit, Appia.

1985

Du 17 mai au 7 juin : Exposition « Eugène Dabit, peintre, poète et romancier » au Centre culturel de Bondy.

1990

Le 26 mars : La Poste française émet un timbre à l'effigie de Jean Guéhenno, mis en page et gravé par Pierre Forget, d'après un dessin d'Eugène Dabit datant de 1930. Il est retiré de la vente le 14 décembre.

  

1998

Le 21 septembre, la ville de Mers-les-Bains célèbre le centenaire de la naissance d'Eugène Dabit, et appose sur la façade de sa maison natale, rue Jules-Barni, une plaque commémorative. La municipalité décide de créer une place Eugène Dabit sur l'esplanade, non loin du pied de la falaise.

Maison natale d'Eugène Dabit à Mers-les-Bains (photo Mirjam de Veth,  2007)

 

Le 30 septembre, Béatrice Appia meurt dans une maison de retraite à Versailles.

2012

Octobre : le Prix du roman populiste prend le nom de « Prix Eugène Dabit du roman populiste », officiellement en hommage à son premier lauréat, en réalité pour se démarquer de la dérive sémantique du mot « populisme » en politique.

2013

Mai : la municipalité de Mers-les-Bains fait apposer une nouvelle plaque commémorative sur la façade de la maison natale de l'écrivain :

 

 

*

 

La bande-annonce imaginée en 1929 par Robert Denoël pour le livre d'Eugène Dabit [ « La vie d'un petit hôtel des faubourgs »] montre qu'il destinait ce roman à un public français. Le contrat qu'il avait fait signer à l'auteur prévoyait qu'en cas de réimpression, Eugène Dabit toucherait 10 % sur les ventes, mais il lui accordait 50 % sur d'éventuelles traductions. Quand, deux mois après sa publication, il fut question d'une traduction allemande, on voit que Dabit n'y croyait pas. A la même époque, Gaston Gallimard offrait à Denoël une grosse somme d'argent pour le rachat du contrat mais lui abandonnait tous les droits de traduction. Pour l'auteur comme pour ses deux éditeurs, L'Hôtel du Nord est un roman parisien qui s'adresse exclusivement à un public français.

De nos jours, au contraire, il caractérise à l'étranger le Paris des petites gens au cours des années trente. Le roman a, indéniablement, bénéficié de son adaptation infidèle à l'écran mais, dès sa parution en librairie, il a attiré les éditeurs d'autres pays. Voici une liste non exhaustive de ses traductions. Le plus souvent, les traducteurs lui ont conservé son titre français.

1931 : traduction allemande par Bernhard Jolles [Dresde, Buchverlag Kaden & C°]

1931 : traduction anglaise par Homer Price Earle [New York, Alfred Knopf & C°]

1934 : traduction norvégienne non signée [Oslo, Ekko Forlag]

1934 : traduction polonaise non retrouvée

1935 : traduction hongroise [Szalloda a Kulvarosban] par Gyula Illyes [Budapest, Franklin-Tarsulat Kiadasa]

1936 : traduction tchèque [Hotel Sever] par Vaclava Nedomy [Prague, Julius Albert, collection « Knihy Stoleti »]

1938 : traduction néerlandaise par Bas van Deilen [Hilversum, Het Nederlandsche Boekengilde]

1938 : autre traduction néerlandaise non signée attestée [Laren, Nieuwe Tijd]

1938 : traduction japonaise [Kita Hoteru] par Iwata Toyoo [Tokyo, Hakusuisha]

1941 : traduction italienne [L'Albergo del Nord] par Ezio d'Errico [Modène, Guanda]

1942 : traduction danoise par Preben Dahlstrøm [Copenhague, Det Schønbergske Forlag]

1944 : traduction espagnole [Hotel del norte] non signée [Buenos Aires, Siglo Veinte]

1950 : traduction suédoise non signée [Stockholm, Folket i bild, collection « FIB:s världsbibliotek »]

1967 : traduction italienne par Ezio d'Errico [Rome, G. Casini]

1969 : traduction portugaise [Hotel do Norte] par Rogerio Fernandes [Lisbonne, Livros do Brasil]

1975 : traduction coréenne [Puk Hot'el] par Oejen Tabr [Séoul, Samjungdang]

1984 : traduction polonaise par Danuta Knysz-Rudzka [Varsovie, Ksiazka i Wiedza]

1998 : traduction allemande par Dirk Hemjeoltmanns [Brême, Manholt Verlag]

2001 : traduction allemande non signée [Munich, Deutscher Taschenbuch Verlag]

2002 : traduction italienne par Idolina Landolfi et Roberto Rossi [Milan, Garzanti]