Robert Denoël, éditeur

Maurice Percheron

 

Né le 22 juillet 1891 à Arcachon (Gironde), marié, deux enfants, docteur en médecine, biologiste, demeurant 15 rue Las-Cases.

Il a publié trois ouvrages chez Denoël entre 1936 et 1944, et donné plusieurs articles au Document, dès son premier numéro d’octobre 1934.

Au cours de sa déposition, le 10 octobre 1946, devant le commissaire Pinault, Jeanne Loviton a cité parmi les créanciers de Denoël «le Dr Percheron auquel il avait emprunté 200 000 frs en convenant que les parts des Editions de la Tour qui lui étaient cédées fictivement devenaient après ce prêt sa propriété».

Mais il a été interrogé par la police dès le 8 octobre, car il avait été mis en cause par Albert Morys, dans sa déposition du 20 septembre : «Dans la semaine qui a suivi sa mort, j’ai reçu la visite du docteur Percheron qui, à ma grande stupéfaction, me proposa de reconnaître avec lui que les parts fictives qui nous avaient été attribuées, nous appartenaient réellement. N’ayant pas accepté cette proposition malhonnête, il chercha alors à faire valoir qu’il avait avancé 200 000 francs à M. Denoël, lequel lui avait donné ses parts en contrepartie, le tout verbalement, bien entendu.»

Percheron déclare au commissaire Pinault : «J’ai connu Robert Denoël en 1934 comme auteur, ayant eu plusieurs ouvrages édités dans sa maison. Nos relations sont devenues amicales puis même affectueuses. Nous nous recevions mutuellement, jusqu’au départ de Robert Denoël du domicile conjugal.

Deux ou trois mois après son départ du domicile conjugal M. Denoël m’a mis au courant de sa liaison avec Mme Loviton, que je ne connaissais pas, et de son intention de l’épouser lorsqu’il serait divorcé. Je savais depuis 1935 que le ménage Denoël était désuni. Un seul lien subsistait : l’enfant.

Je n’ai jamais eu d’intérêts dans la maison Denoël et n’ai même jamais signé de contrat d’auteur avec cette maison. Monsieur Robert Denoël ne m’a jamais ni directement ni indirectement sollicité pour prendre ses affaires en main.

A plusieurs reprises Monsieur Denoël a eu à faire face à des échéances et se trouvant gêné, ma femme et moi-même lui avons avancé des sommes variant entre 10 et 40 000 frs, sommes prêtées sans reçu et toujours strictement remboursées. M. Robert Denoël m’a fait ces emprunts depuis la Libération.

M. Denoël m’avait demandé d’être co-actionnaire des Editions de la Tour et il était entendu que je lui signai [sic pour signerais] en même temps une rétrocession en blanc. En mars 1945, après avoir demandé à mon confrère le Dr Marette, une somme de l’ordre de 200 à 250 000 frs, et celui-ci n’ayant pu le satisfaire dans le délai demandé, Robert Denoël a donc eu recours une fois encore à moi pour lui consentir ce prêt. Il me donnait en garantie les actions dont je devais alors toucher le rapport, avec néanmoins la promesse de lui recéder ses actions lorsqu’il pourrait me rendre les 200 000 frs, ce qu’il prévoyait dans un délai d’environ 18 mois. Nous avons omis tous deux d’annuler la rétrocession en blanc.»

Le policier l’interroge à propos de sa démarche auprès de Morys, en décembre 1945 : «Une quinzaine de jours avant sa mort, Robert Denoël m’avait mis au courant d’un grave différend qu’il avait eu avec M. Bruyneel qui, selon Denoël, avait commis des malversations et avait exercé envers lui une tentative de chantage. Denoël avait rétabli la situation en faisant signer à Bruyneel un accord par lequel celui-ci résiliait sa fonction de gérant et liquidait ses comptes. Ayant eu en mains mois par mois, en tant qu’actionnaire de la société depuis avril 1945, les comptes des Editions de la Tour, je suis allé voir M. Bruyneel pour examiner avec lui les rentrées de fin d’année et la situation de la société. Je n’ai eu aucunement à traiter de la question des parts, ni de moi ni de lui-même, me considérant comme actionnaire de la société en raison de mon prêt à Denoël. Le Dr Marette se tient à la disposition de la Justice pour donner son témoignage sur cette opération.»

Réentendu en janvier 1950, Percheron déclare : «A cette époque [mars 1945] j’ai avancé à M. Denoël une somme de 200.000 francs. En contrepartie il m’a offert spontanément dix-huit parts dans la Société des Editions de la Tour, avec promesse de rétrocession lorsqu’il me rembourserait. Je lui ai alors signé un acte de rétrocession en blanc. [...] Il est inexact que j’aie fait une démarche de la part de Mme Loviton auprès de Mme Denoël ou à qui que ce soit en vue de lui proposer le rachat des parts des Editions de la Tour pour la somme de 2.000.000 de frs ou de toute autre somme.

Je ne me rappelle pas m’être opposé à ce que les cessions en blanc concernant mes parts soient remises à la succession. Cette opposition est cependant vraisemblable, parce que j’estimais que cette rétrocession n’avait plus à jouer du fait de la mort de M. Denoël.

Denoël m’a remis en novembre 1945 l’accord signé entre lui et Bruyneel se rapportant au renvoi de ce dernier. J’ai toujours ce document en ma possession ou plutôt il est actuellement entre les mains de Maître Penaud, avocat à la Cour, 62 rue François Ier à Paris. Je n’ai jamais remis ce document à la police. »

Il reconnaît avoir rendu visite à Georges Hagopian, début décembre 1945, «pour qu’il me remette les rétrocessions en blanc des Editions de la Tour. Je le revis une seconde fois. Les parts représentaient la garantie de l’argent prêté à Denoël et les rétrocessions n’avaient plus lieu de jouer du fait de la mort de Robert Denoël, éditeur. La cession des 18 parts était réelle et temporaire.»

Le policier lui demande quelle a été la réponse de l’homme d’affaires : «La première fois qu’il ne pouvait pas et la seconde fois qu’il était obligé de remettre les actes à la succession.»

Il nie lui avoir offert de l’argent pour obtenir ces documents, et lui avoir téléphoné anonymement.