Robert Denoël, éditeur

Yves Testud

Gardien de la paix stagiaire, n° de collet 17.950 du 7ème arrondissement.


    Dans son premier rapport du 25 janvier 1946, l’inspecteur Ducourthial écrit que Testud, « qui avait été le premier à intervenir immédiatement après avoir entendu la détonation d’un coup de feu, avait trouvé le corps étendu sur le dos, les bras en croix, la tête en direction de la station du métropolitain " Varennes ".

A côté de l’une des mains de la victime, se trouvait un cric d’automobile et à proximité de l’autre, une manivelle, non déployée, servant à manœuvrer le cric.

Les déclarations du gardien Testud ont été consignées par procès-verbal, en date du 3 décembre. Nous les relatons ici en raison de leur importance. Il dit :

" Hier soir, je suis parti du poste de la rue de Grenelle, vers 21 h. 15, afin d’aller prendre mon service au ministère du Travail, situé au 127 de cette rue.
A une vingtaine de mètres du poste, face à l’ancien ministère des P.T.T., j’ai rencontré une femme qui m’a demandé l’adresse du commissariat de police.

Pensant qu’elle pouvait chercher un stationnement de taxis, je lui ai demandé ce qu’elle désirait. Elle m’a déclaré qu’effectivement, elle désirait avoir un taxi. Je lui ai alors indiqué le poste central, et l’ai vu partir dans cette direction.


    Continuant mon chemin pour me rendre à mon point de service, j’ai rencontré mon collègue qui venait au devant de moi, à l’angle de la rue de Bourgogne et de la rue de Grenelle. Il m’a passé les consignes, puis s’est éloigné en direction du poste, tandis que je poursuivais mon chemin.


    En arrivant devant le 123 de la rue de Grenelle, j’ai entendu une détonation et aperçu au même moment deux hommes qui, sortant du ministère du Travail, se dirigeaient vers le boulevard des Invalides. Je me suis moi-même porté dans cette direction d’où paraissait avoir été tiré le coup de feu.


    Comme j’arrivais devant la porte du ministère du Travail, les deux hommes que j’avais vus en sortir sont revenus vers moi, me déclarant qu’un homme venait d’être blessé à l’angle du boulevard des Invalides et de la rue de Grenelle.


    En leur compagnie, je me rendis à cet endroit où j’ai vu un homme étendu à terre, sur le trottoir longeant le ministère du Travail, boulevard des Invalides.


    Cet homme, étendu sur le dos, parallèlement à la bordure du trottoir, avait la tête en direction de la station de métro " Varenne ". A côté de sa main gauche, il y avait une manivelle et à côté de sa main droite, un cric.

Je suis allé prévenir " Police-Secours " à l’avertisseur situé à l’angle de la rue de Varenne et du boulevard des Invalides, tandis que les deux hommes qui m’avaient appelé gardaient le corps. Lorsque je suis revenu sur les lieux, plusieurs personnes entouraient la victime.


    Je puis vous préciser qu’entre le moment où j’ai entendu le coup de feu et le moment où je suis arrivé près du corps, je n’ai vu personne s’enfuir dans la rue de Grenelle ou traverser cette rue.

 Les deux seules personnes que j’ai vues à ce moment sur les lieux sont les deux hommes qui m’ont prévenu qu’un homme était blessé. Je ne peux vous fournir aucune autre précision. "

Si les déclarations du gardien Testud nous permettent d’établir d’une façon certaine que Mme Loviton ne se trouvait pas sur les lieux de l’attentat au moment où celui-ci s’est produit, et par conséquent d’écarter l’hypothèse d’un drame passionnel, car c’est bien elle que le gardien a rencontrée lorsqu’elle était à la recherche d’un taxi, on peut dire qu’elles auraient pu nous apporter davantage de précisions s’il s’était montré un peu plus alerte devant un cas semblable.


    On conçoit, en effet, assez mal qu’ayant entendu la détonation au moment où il se trouvait devant le n° 123 de la rue de Grenelle, il ne se soit pas porté plus rapidement sur les lieux.

En effet, d’après lui, les deux personnes sortant du ministère du Travail situé au 127 de cette rue, eurent le temps d’aller jusqu’à l’angle du boulevard des Invalides et de revenir pour le prévenir que quelqu’un avait été blessé.

Il est également regrettable que le gardien Testud n’ait pas entendu et relevé l’état-civil du témoin qui a entendu crier " Au voleur " dont parle M. Roland Lévy, et d’une façon générale, celui de toutes les personnes, probablement des passants, qui entouraient la victime, immédiatement après l’attentat. »

Dans son second rapport du 15 novembre 1946, l’inspecteur Ducourthial écrit :

« Il s’est bien écoulé de 5 à 10 minutes entre le coup de feu et la sortie du car de police-secours alerté par le gardien Testud, lequel se trouvait devant le 123 de la rue de Grenelle lorsqu’il entendit la détonation. Il lui fallut donc le temps de se rendre jusqu’à l’angle du boulevard des Invalides, de parlementer avec M. Lévy et Me Hanoteau, de regarder le blessé, de se rendre à l’avertisseur de police, à l’angle de la rue de Varennes et du boulevard des Invalides, de faire son appel en téléphonant. »

Dans sa lettre du 26 avril 1950 au juge Gollety, Armand Rozelaar écrit :

« Eh bien, si regrettable que cela soit, M. Pierre Roland-Lévy n’a pas dit la vérité. En effet, ses premières déclarations se trouvaient corroborées par celles du Gardien de la paix Testud qui, lui aussi, avait dit qu’au moment où il avait vu deux personnes sortir du ministère du Travail, il avait entendu un coup de feu, et que ces deux personnes, après avoir tourné le coin de la rue de Grenelle, étaient revenues vers lui, pour lui demander d’alerter Police-Secours.

Mais ici, nous nous heurtions à la déclaration formelle du gardien de la paix Testud qui, lui, venait confirmer les dires de M. Roland-Lévy et précisait bien que c’était au moment où les deux hommes sortaient du ministère, que le coup de feu avait été tiré.

Les enquêteurs ont très bien compris ce qu’il pouvait y avoir de contradictoire dans ces déclarations, et ils ont entendu à nouveau, à deux reprises, M. Testud.

Entendu le 22 février 1950, le gardien de la paix Testud a, en effet, déclaré :

" Je me trouvais à ce moment (après avoir conversé deux ou trois minutes avec le collègue qui lui passait les consignes) sur le trottoir de gauche en direction du boulevard des Invalides. Je suis allé sur la chaussée pour tenter de voir ce qui se passait. J’avais cru, à ce moment, avoir entendu l’éclatement d’un pneu.

Je ne puis être affirmatif, mais il me semble bien que c’est au moment de la détonation que j’ai vu sortir deux hommes du ministère du Travail et se diriger vers le boulevard des Invalides. Je me trouvais à environ quarante mètres d’eux. Je suis remonté sur le trottoir et j’ai continué ma route normalement... "

Je ne sais si la suite de l’enquête établira autre chose, en ce qui concerne le gardien de la paix Testud, mais il est nettement établi par les conclusions mêmes des premiers enquêteurs, que ce gardien de la paix n’a pas fait son devoir.
 

C’est ce qu’ils expriment dans leur tout premier rapport en disant : " Si les déclarations du gardien Testud nous permettent d’établir d’une façon certaine que Mme Loviton ne se trouvait pas sur les lieux de l’attentat au moment où celui-ci s’est produit, et par conséquent, d’écarter l’hypothèse d’un drame passionnel, car c’est bien elle que le gardien a rencontrée lorsqu’elle était à la recherche d’un taxi, on peut dire qu’elles auraient pu nous apporter davantage de précisions, s’il s’était montré un peu plus alerté devant un cas semblable ".

On conçoit, en effet, assez mal, qu’ayant entendu la détonation au moment où il se trouvait devant le n° 123 de la rue de Grenelle, il ne se soit pas porté plus rapidement sur les lieux.

Le même Testud rapporte d’ailleurs que la détonation qu’il a entendue lui paraissait provenir de l’éclatement d’un pneu, ce qui expliquait dans une certaine mesure son manque d’empressement.
 

Dans l’hypothèque qui lui est la plus favorable, le gardien de la paix Testud a donc masqué sa négligence en déclarant qu’il avait entendu la détonation au moment où les deux hommes sortaient du ministère.
 

Puis ces messieurs sortent du ministère, tournent le coin, reviennent vers l’agent Testud et lui annoncent qu’un homme est là, râlant sur le trottoir.
 

Ont-ils suggéré à Testud que le coup de feu venait d’être tiré à l’instant, Testud croit-il l’avoir entendu, est-il de bonne foi, ou a-t-il menti pour essayer de couvrir la faute professionnelle qu’il avait personnellement commise ? Nous ne pouvons rien affirmer encore ».

Dans son rapport du 25 mai 1950, l’inspecteur principal Voges, qui a repris l’enquête, écrit :

« Le gardien Testud, dans la nuit même du drame, faisait son rapport sur l’attentat dont il confirmait les termes dès le lendemain par procès-verbal.
 

Il a précisé notamment avoir quitté le poste central de la rue de Grenelle vers 21 h 15 pour se rendre sur son point de surveillance, qui était l’entrée du ministère du Travail, 127 rue de Grenelle. Que peu de temps après avoir quitté le poste, il avait rencontré une femme dans la rue qui lui avait demandé le commissariat de police et que, s’étant enquis du motif de cette demande, sur la réponse de celle-ci qui lui aurait dit qu’elle cherchait un taxi, il l’avait adressée au poste central situé à proximité, qu’il avait rencontré son collègue qu’il allait relever à l’angle de la rue de Bourgogne, et qu’après avoir échangé quelques paroles, il avait poursuivi son chemin dans la rue de Grenelle, qu’arrivé approximativement à la hauteur du 123 de cette voie, il avait entendu un coup sec et qu’au même moment, il avait aperçu deux hommes qui sortaient du ministère du Travail.

Que ceux-ci se portèrent dans la direction du coup de feu et, après avoir disparu à l’angle de la rue de Grenelle et du boulevard des Invalides, revinrent presque aussitôt sur leurs pas et le mirent au courant de la découverte qu’ils venaient de faire, qu’en leur compagnie il se rendit sur les lieux où il constata la présence d’un homme allongé sur le trottoir, autour duquel personne ne se trouvait et qu’aussitôt il se dirigea vers l’avertisseur de police, situé à une centaine de mètres du lieu de l’attentat, boulevard des Invalides, pour alerter police secours, tandis que les deux inconnus restaient auprès du corps de la victime. Qu’à son retour, plusieurs personnes s’étaient groupées autour de la victime.
 

Enfin qu’il n’avait vu personne s’enfuir par la rue de Grenelle ou la traverser en venant du boulevard des Invalides, et que les deux seules personnes qu’il avait vues sur les lieux à ce moment étaient les deux hommes qui sortaient du ministère du Travail, qui l’avaient prévenu. »

Dans son réquisitoire du 1er juillet 1950, le procureur de la République, Antonin Besson, écrit :

« Tout d’abord le coup de feu n’a pas été tiré à 21 heures 20, selon l’argumentation de la partie civile, mais plutôt vers 21 heures 10, ou même avant. Cette indication résulte nettement de la confrontation des dépositions des agents de police Sannier et Testud, chargés de la garde à la porte du ministère du Travail, et qui présentent l’avantage d’offrir un point de repère incontestable : l’heure de la relève de la garde de police du ministère - 21 heures.

Entendu le 24 février 1950, le gardien de la paix Sannier a déclaré que, de faction à la porte du ministère de 19 heures 30 à 21 heures, il avait cessé sa faction entre 20 heures 58 et 21 heures 02 pour aller à la rencontre du gardien Testud qui devait le relever. Ils s’étaient croisés à la hauteur de la rue de Bourgogne. De son côté, dans sa dernière déposition, le 29 avril 1950, le gardien de la paix Testud, qui a constamment confirmé cette rencontre à l’angle de la rue de Bourgogne, a indiqué qu’il était un peu en retard pour assurer la relève et qu’il avait quitté le poste 116 rue de Grenelle pour se rendre au ministère entre 21 heures 05 et 21 heures 10.

Comme il ne faut que deux minutes pour aller du poste à la rue de Bourgogne, comme la détonation a été entendue presque immédiatement après la rencontre des deux gardiens, il est vraisemblable que le coup de feu a été tiré vers 21 heures 10 plutôt que vers 21 heures 20. Cette indication : 21 heures 10 résulte également d’une note rédigée - après les faits - par le sieur Ré André, gardien de nuit au ministère du Travail, puisque c’est à cette heure qu’il a ouvert la porte du ministère à M. Roland Lévy, actuellement magistrat et alors chef du Cabinet du ministre du Travail.

Or, d’après M. Roland Lévy et d’après le gardien Testud, c’est alors que M. Roland Lévy et son ami Hanoteau Guillaume sortaient du ministère que retentit la détonation.

Police-Secours a été alerté par le gardien de la paix Testud, qui lui-même avait été informé de l’attentat par M. Roland Lévy. Il a fallu au gardien Testud parler à M. Roland Lévy, se rendre de l’endroit où il se trouvait (123 rue de Grenelle) au coin du boulevard des Invalides, de là à l’angle de la rue de Varennes et du boulevard, où est placé le poste d’appel téléphonique.

M. Roland Lévy, dans sa première déclaration, a indiqué qu’il sortait avec le sieur Hanoteau du ministère lorsqu’il perçut la détonation. Cette précision est corroborée par l’agent Testud qui, parvenu à la hauteur de la rue de Bourgogne, vit sortir du ministère MM. Lévy et Hanoteau lorsque lui-même entendit le coup de feu. »

Dans sa lettre du 10 juillet 1950 à la Chambre des Mises en accusation de la Cour d’Appel de Paris, Cécile Denoël écrit :

« En conséquence, lorsque M. Pierre Roland-Lévy est rentré à l’intérieur du ministère avec Hanoteau, le crime avait déjà été commis.
 

Ce fait se trouve en contradiction avec la déposition de l’agent Testud, mais n’oublions pas que l’agent Testud est un gardien de la paix, qu’il est lié par une stricte discipline et que ce soir-là, il a commis deux fautes : la première en arrivant en retard prendre son service devant la porte du ministère, la seconde, en n’intervenant pas immédiatement au moment où il prétend avoir entendu un coup de feu.
 

Ajoutons qu’il venait d’entrer en fonctions et qu’il était encore très jeune. Je me souviens parfaitement qu’il a déclaré devant M. Gollety que c’était la première fois qu’il se trouvait en présence d’un crime et que ceci l’avait complètement affolé.
 

En tout cas, qu’il s’agisse du départ de Pierre Roland-Lévy, qu’il s’agisse d’Hanoteau, qu’il s’agisse de l’agent Testud, ces trois témoins sont absolument d’accord pour déclarer que Police-Secours a été alertée par un coup de téléphone donné de la borne de Police-Secours par l’agent Testud. »