Robert Denoël, éditeur

Gaston Lefèvre

Gardien de la paix âgé de 36 ans, demeurant 18 rue Augereau à Paris.

Gaston Lefèvre se trouvait au poste de police de la rue de Grenelle quand Jeanne Loviton y est entrée pour demander un taxi, où elle a entendu qu’un attentat venait d’être commis à l’angle du boulevard des Invalides et de la rue de Grenelle.

Dans sa déposition du 10 octobre 1946, Jeanne Loviton avait déclaré : « Je sursautai et les agents remarquèrent mon trouble. A ce moment-là, j’ai dû dire "Oh j’ai quitté un ami à cet endroit-là " ».

Ce n’est pas ce qu’elle avait déclaré à l’inspecteur Ducourthial, le soir du meurtre : « Je me trouvais à l’intérieur de ce local depuis cinq minutes environ, lorsque j’ai entendu les agents de police parler d’envoyer un car de police secours à l’angle de la rue de Grenelle et du boulevard des Invalides, où venait de se produire un attentat.

J’ai immédiatement fait un rapprochement entre les circonstances dans lesquelles j’avais laissé M. Denoël à l’endroit que je viens d’indiquer, et cette nouvelle. »

Lors d’une confrontation avec Cécile Denoël, le 25 mars 1950, Mme Loviton déclare : « Je crois avoir poussé un cri et dit que j’avais laissé un ami au coin de la rue des Invalides et de la rue de Grenelle. »

Armand Rozelaar a relevé ces divergences et interrogé les policiers qui se trouvaient au poste de police ce soir-là ; dans une lettre du 24 mars 1950 au juge Gollety, il écrit : « Lorsque la sirène de Police-Secours a retenti, Mme Loviton vous déclare : " Immédiatement, j’ai compris et je me suis dit que Robert Denoël était en train de se battre avec quelqu’un ". [...] Mme Loviton prétend qu’elle aurait dit, dans le commissariat, qu’elle venait de quitter un ami à cet endroit. Les gardiens de la paix, Pognant et Santerre, n’ont rien enregistré de semblable. »

Gaston Lefèvre, lui, a déclaré aux enquêteurs : « La dame, que j’ai su être par la suite Mme Loviton, a entendu la réflexion faite par le téléphoniste ayant reçu l’appel. Elle a eu une exclamation : " Ah... " J’ai attribué cette exclamation à un étonnement plutôt inquiet. »

Il a pris place dans le car de Police-Secours jusqu’au lieu de l’attentat et a accompagné le corps de l’éditeur jusqu’à l’hôpital Necker. Il était, apparemment, présent aussi quand l’interne de service a ausculté Denoël et découvert la balle meurtrière qui se trouvait « à fleur de peau ». Ce gardien de la paix s'est donc trouvé aux endroits-clés avant, pendant et après le drame.

Interrogé en 1946 par l’inspecteur Ducourthial, il déclare :

« Mme Loviton attendait son taxi au poste de police lorsque Police-Secours fut alerté. Elle est arrivée sur les lieux au moment où, aidé de mes collègues, je plaçais le brancard dans le car.

Elle dit : " Qu’est-ce que c’est, que se passe-t-il ? " Nous lui avons demandé si elle connaissait ce monsieur, elle répondit : " Oui, je le connais très bien ". Elle paraissait affolée. Elle nous a accompagnés à l’hôpital en nous demandant ce que nous pensions de l’état du blessé.

A l’hôpital, lorsque l’interne de service eût constaté le décès, elle parut " stupéfaite ", se trouvant presque mal. Puis elle s’agenouilla auprès du corps en regardant fixement le visage de M. Denoël. C’est à ce moment qu’elle a dit à voix basse : " Mon chéri, c’est de ma faute ".

Nous l’avons ramenée au poste de police avec nous, et dans le car elle nous dit encore : " Vous ne pouvez pas savoir comme nous étions heureux ". Une heure plus tard, elle m’a parue être complètement ressaisie.

Lorsqu’elle a dit : " Mon chéri, c’est de ma faute ", mon impression a été qu’elle regrettait d’avoir quitté M. Denoël, pensant que si elle était restée auprès de lui, cela ne se serait pas produit. »