Robert Denoël, éditeur

 

« Extrait du catalogue des Editions Denoël » 

juin 1947

 

Le catalogue qui suit est probablement le plus complet qu'on trouve à cette époque mais il s'agit, hélas, d'un catalogue de soldes.

Après d'interminables procès avec la veuve de l'éditeur, Jeanne Loviton a obtenu, le 30 décembre 1946, la levée du séquestre sur ses parts litigieuses dans la Société des Editions Denoël.

Elle a aussi obtenu, le 15 mai 1947, la levée de l'administration provisoire de Maximilien Vox et de son second, Raymont Pouvreau. Robert Denoël écrivait déjà, en juillet 1945, combien la gestion de ces deux fonctionnaires s'était révélée calamiteuse, mais il n'était pas en mesure de les évincer. Jeanne Loviton, elle, a désormais tous les pouvoirs, tous les appuis nécessaires, et elle va le montrer rapidement.

Certes la Société des Editions Denoël doit encore être jugée devant la Cour de justice mais elle n'a aucune appréhension : « Reste le procès de l'Etat, les profits illicites, des bagatelles pour une boxeuse... », écrit-elle, le 24 juillet 1947 à Paul Vialar. Cette « boxeuse » a tous les culots et, en effet, sa société sera purement et simplement acquittée, le 30 avril 1948.

Dès son arrivée rue Amélie, elle s'emploie à assainir les finances de la société et elle s'y prend de deux manières : en diminuant le pourcentage accordé aux auteurs, et en soldant les stocks d'invendus.

Elle s'en explique encore à Vialar : « Pour l'instant je m'attelle au redressement financier de la maison, ce qui n'est pas une mince besogne. Dans un mois nous serions obligés de déposer le bilan de ce que ces Messieurs [Vox et Pouvreau] m'ont laissé si je n'arrivais à trouver les millions nécessaires au redémarrage. »

Dans la plupart des cas, les ouvrages seront soldés au tiers de leur prix catalogue. On se dit que certains titres, certains auteurs, auraient mérité un traitement moins brutal mais Mme Loviton n'en a cure : elle ne voit que les chiffres.

C'est bien ce que lui reprocheront plusieurs écrivains : ce manque d'égards pour la littérature. Jeanne Loviton a entrevu ce qu'était une maison d'édition chez son père, qui ne publiait que des ouvrages de droit. La littérature, à laquelle elle s'est elle-même essayée sans grand succès, méritait sans doute plus de ménagement.

 

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Le catalogue compte 234 titres provenant de différents fonds : 72 des Editions Denoël et Steele, 142 des Editions Denoël, 14 des Editions des Cahiers Libres, 6 rachetés à de petits éditeurs. La dévaluation du franc du 26 décembre 1945 est de 60 % par rapport au cours de 1940.

Quel fut le résultat de ce grand déstockage ? Sans les chiffres de l'éditeur, il serait hasardeux de se risquer à la moindre appréciation, mais voyons tout de même le cas de Pierre Albert-Birot dont deux titres se retrouvent sur la liste.

Rémy Floche employé, publié en avril 1934 à 1 000 exemplaires, fut une « panne » complète. Le 1er septembre 1938 Denoël écrivait à l'auteur : « J’ai fait examiner la situation de Rémy Floche : elle est tout bonnement désastreuse. Je savais que le succès n’avait pas été fort vif, mais je ne croyais pas que nous avions des résultats aussi faibles. » L'ouvrage figurait au catalogue 1941 à 18 F, il est soldé 65 F.

Le cas des Amusements naturels est différent. Le contrat d'édition a été signé le 9 février 1943 mais l'ouvrage n'est sorti de presse qu'en juillet 1945, dans de mauvaises conditions : l'auteur ne se rappelait pas l'avoir vu dans le commerce et croyait qu'on l'avait pilonné.

Il réapparaît ici à son prix d'émission. Le 1er décembre 1948 Guy Tosi écrit à Pierre Albert-Birot qu'il reste quelque 600 exemplaires dans son dépôt et il lui propose de les racheter aux conditions prévues à son contrat, soit à 30 % du prix fort de vente, faute de quoi le stock sera mis au pilon.

Voilà un livre inconnu du public dont la carrière a été entravée et qui, plus d'un an après sa remise en vente sur une liste de soldes, n'a pas trouvé preneur. Il finit donc au pilon, comme d'autres titres proposés, sans doute.

Ce catalogue de soldes contient aussi plusieurs titres qui figuraient sur les listes Otto : Les Dictateurs de Jacques Bainville (1935), A la recherche de Torquemada de Robert Loewel (1938), L'Eglise catholique et la question juive d'Arnold Mendel (1938). Il s'agit d'ouvrages que l'éditeur avait pu soustraire aux réquisitions de l'occupant.