Robert Denoël, éditeur

1934

Janvier

 

Le 5 : La XIIe Chambre Correctionnelle de Paris se prononce dans l'affaire qui oppose Roland Dorgelès et J.-H. Rosny aîné à Maurice-Yvan Sicard. La Cour n'a pas retenu la diffamation pour les articles publiés les 16 mars et 6 avril 1933 par le journaliste dans Le Huron, mais a tenu néanmoins à exprimer son sentiment littéraire et juridique. Parmi les attendus, on peut lire que

« les prévenus [le gérant du journal et Sicard] n'ont pas compris que cette Académie, consciente de ses responsabilités à l'égard de l'art de la langue et de toute la civilisation française, avait pu hésiter, puis refuser ses suffrages à l'ouvrage de Céline, qui pouvait se présenter comme un beau livre, mais dont l'esprit de tendance, et surtout le vocabulaire, rempli d'expressions outrageusement triviales, grossières et intolérables, devaient nuire dans l'esprit de ses juges à l'auteur ; qu'ils ont ensuite conclu à de lourdes machinations et à la vente au plus offrant des voix de l'Académie... »

Le troisième article de Sicard, paru le 22 novembre 1933 dans le Nouveau Soir, est, lui, considéré comme diffamatoire pour l'Académie Goncourt et la Société des Gens de Lettres. Sicard et le gérant du journal sont condamnés, chacun à 200 francs d'amende, et aux dommages et intérêts réclamés par l'académicien, soit 30 000 francs.

Le 17 : Sous le titre « La grande pitié des traductions », Emile Zavie rend compte dans L’Intransigeant de la traduction allemande de Voyage au bout de la nuit, publiée en décembre chez l'éditeur tchèque Julius Kittls. Le traducteur, Isak Grünberg, vient de s’apercevoir que sa traduction avait été profondément modifiée : « On n’a pas seulement changé le rythme en transformant presque toutes les phrases, on a remanié les idées et les formules, résumé un passage en une ligne et exprimé le contraire de l’original... »

Le journal prend en exemple l'avant-dernière ligne du roman : « Et cependant j’avais même pas été aussi loin que Robinson dans la vie !... J’avais pas réussi en définitive. » Une fois traduite en français, la version allemande donne : « Et pourtant j’ai même pas eu autant de succès dans la vie que Robinson. »

L'Intransigeant,  19 janvier 1934

Deux jours plus tard L'intran gratifie ses lecteurs d'une reproduction de la jaquette illustrée par Thomas-Theodor Heine [1867-1948], pittoresque elle aussi, de cette édition allemande.

Le 27 : Parution à Moscou de la traduction russe par Elsa Triolet de Voyage au bout de la nuit. Plus tard Céline écrira à propos de cette édition tronquée et édulcorée : « Nous sommes fâchés avec cet aigre pitre [Aragon] depuis que j'ai été l'engueuler chez lui vers 1934. Ils s'étaient emparés du Voyage avec sa femme Triolet  et me l'avaient traduit et tripatouillé dans le sens propagande soviétique sans absolument aucune permission, à ma grande surprise. Cette désinvolture ! cette arrogance ! [...] Denoël a trempé dans tout ceci et bien d'autres choses. Aussi l'a-t-on liquidé ! » [Lettre à Charles Bonabel, 6 mars 1947].

Aragon n'a pris aucune part à cette traduction, mais il est possible que ses récentes relations amicales avec Robert Denoël aient amené l'éditeur à confier à sa compagne la traduction du livre. D'autre part il était bien placé pour promouvoir sa traduction en russe, lui qui avait été, entre juin 1932 et avril 1933, rédacteur en chef à Moscou de la section française de Internacional' naja literatura.

Elsa Triolet a raconté ses conditions de travail : « on me " rédigeait " mon texte, comme c'est l'habitude en Union Soviétique, on coupait dedans sans consulter ni l'auteur ni le traducteur. »

Olga Chtcherbakova a, dans une thèse soutenue le 30 mai 2009 à l'université de Paris IV, examiné de près cette traduction : « nous avons inventorié 82 extraits mutilés par des suppressions », écrit-elle.

Avant tout Elsa raccourcit les passages où le narrateur se livre à de longues introspections : « Je traduis en condensant au passage », écrit-elle à sa sœur. Elle applique au roman de Céline sa propre vision de l'écriture : «Une certaine banalité dans l’expression ne me déplaît pas. Je continue à penser qu’une prose où chaque mot vaut son pesant d’or est illisible. »

« En ce qui concerne l’ensemble de l’œuvre, si l’on considère l’absence de pages entières comme une violation de la structure du texte original, la traduction de Triolet pèche assurément par des omissions substantielles. Ainsi, l’absence de traduction de l’épigraphe, la suppression de l’avertissement préliminaire et l’abandon d’images étroitement liées au fil conducteur du texte original, les réflexions sur le voyage et la nature humaine, sont autant de facteurs qui portent indiscutablement atteinte au plus profond de l’œuvre. Les métaphores compliquées ou celles dont la motivation est trop obscure disparaissent : furent-elles jugées excessivement longues pour la progression de la narration ou étaient-elles tout simplement difficiles à traduire ? », écrit Mme Chtcherbakova, qui estime que la version russe ne contient que 55 pourcent du texte original, le reste ayant été escamoté.

Elle pose enfin la question, qui restera sans réponse : « À qui finalement, de la censure soviétique ou de la traductrice, faut-il imputer la responsabilité de l’altération du texte original ? » [« Voyage au bout de la nuit de L.-F. Céline : traduction et réception en Russie »].

Commune publie la réponse de Céline à l'enquête menée auprès des écrivains par Louis Aragon : « Pour qui écrivez-vous? » :

Commune  n° 5-6,  janvier-février 1934

 

Le 31 : Notre Temps, qui commente une enquête entreprise par Toute l’Edition, « Lequel de vos livres vendez-vous le plus ? Petite enquête chez les éditeurs », révèle que chez Denoël et Steele, la réponse est « aussi claironnante qu’attendue : Le Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand Céline, continue à se vendre, paraît-il, à la cadence de 700 par semaine. En pleine affaire Stavisky et pour une maison jeune, il faut avouer que c’est un succès !... »

 

Février

 

Le 1er, lettre de Denoël à Jean Proal à propos de son roman A hauteur d'homme : « Votre livre a reçu, d’une manière générale, un accueil favorable, mais comme nous le craignions, il ne s’est pas imposé. Cela ne signifie pas du tout que nous vous oubliions ou que vous soyez écarté de nos préoccupations. Nous avons pensé à vous pour le ' Prix des Vickings ' et pour une bourse ' Blumenthal '. Nous nous proposons de nous occuper activement de ces deux affaires, sans que nous puissions vous donner un espoir bien net de réussite. La compétition est ici comme ailleurs fort vive ».

Le 6 : Manifestation des partis de droite, place de la Concorde, qui tourne à l'émeute.

Le 7, L'Intransigeant propose, à titre de curiosité, l'opinion d'une personnalité « parisienne » sur Voyage au bout de la nuit.

Le 11 : L'Intransigeant signale un curieux prospectus pour une revue de poésie qui vient de se créer. Le journal ne donne ni le nom de la revue, ni celui de l'éditeur, mais il s'agit de L'Année poétique, dont le premier numéro est paru en décembre à la Librairie des Trois Magots appartenant à Robert Denoël, et dirigée depuis trois ans par le poète suisse Aloys Bataillard.

 

L'Intransigeant,  11 février 1934

Dans son bulletin mensuel de février, Le Vieux Montmartre fait paraître l'avis suivant :

Le Vieux Montmartre, n° 126, février 1934

Le projet d'illustrer Voyage au bout de la nuit remonte à l'été 1933. Céline avait proposé Henri Mahé, Denoël Dunoyer de Segonzac. On ignore à quel moment le choix s'est porté sur Gen Paul mais il est avéré que l'artiste passa une bonne partie de l'année 1934 à dessiner quelque 40 lithographies pour le roman. Bibliographie de la France annonça l'ouvrage en mars 1935, tandis que Denoël faisait imprimer un bulletin de souscription.

 

Mars

 

Le 1er : René Schœller, directeur général des Messageries Hachette, embauche Henri Filipacchi, dont l’activité de libraire ambulant en camion « Bibliobus » irrite le trust vert. Il est aussi l'ancien secrétaire et l'obligé de Gaston Gallimard qui l'a présenté à Schœller. Dès 1936, il est nommé directeur du service Librairie aux Messageries : c’est avec lui que traiteront éditeurs, grossistes et libraires.

      Henri Filipacchi [1900-1961]

Le 7 : Lettre de Denoël à Jean Proal qui aimerait voir son roman adapté à l’écran : «Vous pourriez utilement vous mettre en rapport avec Benjamin Fondane - 6, rue Rollin, Paris - à qui nous écrivons aujourd’hui même à ce sujet. Benjamin Fondane est scénariste à la Paramount et, peut-être, pourra-t-il vous donner d’utiles indications.

A titre d’indication, nous vous signalons que nous avons dix fois essayé de mettre des romans au cinéma et que nous n’y avons jamais réussi. Les titres des films à succès pourront d’ailleurs vous renseigner sur le genre des bouquins que l’on adapte à l’écran. Mais, enfin, il ne faut rien négliger.»

Lorsque Robert Denoël parle de « mettre des romans au cinéma », il ne s'agit pas d'investir dans le cinéma. L'éditeur n'ignore pas les déboires de Gaston Gallimard qui a financé, deux mois plus tôt, « Madame Bovary », un film de Jean Renoir dans lequel il a imposé Valentine Tessier, et qui s'est soldé par un échec cuisant.

Le 12 : Parution d'un pamphlet de Gaston Chérau [1872-1937] : Concorde ! Le 6 février 1934, l'un des premiers essais sur l'actualité politique publiés par Denoël et Steele, muni d'une bande-annonce assez provocante : « Révolution ?... Non. Réveil ?... Oui ».

 

« Quand survint la crise de février 1934, Chérau voulut, à chaud, dresser le bilan des journées tragiques pendant lesquelles il avait arpenté Paris. En quelques jours il rassembla documents et interviews, prit contact avec les jeunes éditeurs Denoël et Steele et se fit introuvable afin de travailler à l'abri de toute pression. [...] Gaston Chérau s'enferma pendant dix jours, y travaillant, y dormant, ravitaillé en nourriture et en journaux. [...] Le livre valut à son auteur quelques rancunes tenaces de milieux politiques. » [Dictionnaire commenté de livres politiquement incorrects].

Le 14 : L'Intransigeant annonce une nouvelle collection chez Denoël et Steele. Elle ne porte pas de titre : ce qui la distingue des autres volumes publiés par l'éditeur est sa couverture blanche et verte.

L'Intransigeant,  14 mars 1934

Une collection sans titre, il fallait y penser. Je me suis mis en quête des « ouvrages curieux » à couverture blanche et verte publiés par l'éditeur. Il s'avère que Robert Denoël a bien publié, entre 1934 et 1943, une douzaine de volumes qui entrent dans cette catégorie mais, quant à la couverture, c'est une simple démarque de celle qui recouvre les volumes de poésie publiés entre 1926 et 1933 par les Editions des Cahiers Libres, dont il était sur le point de racheter le fonds. Son catalogue de 1935 fait une place à part à la « Collection Les Cahiers Libres », avant d'en redistribuer librement les titres dans celui de 1937. Seuls demeurent la couverture et l'esprit de la collection.

  

 

Le 20 : « Influence de la littérature voyou sur un ministre » : sous ce titre, la revue Les Marges d'Eugène Montfort, rapportant un terme un peu vif dont se serait servi un ministre, en tire cette conclusion :

L'Intransigeant,  20 mars 1934

Le 23 : Annonçant le prix de la Renaissance, qu'on appelle le « prix Goncourt du printemps », « Les Treize » publient dans L'Intransigeant une liste de candidats, parmi lesquels deux auteurs publiés chez Denoël et Steele : Jean Proal pour A hauteur d'homme, paru en novembre 1933, et Pierre Albert-Birot pour Rémy Floche, employé... qui n'est pas encore sorti de presse.

Le 31 : Auguste Picq envoie à Céline un relevé de comptes détaillé des ventes de Voyage et de L’Eglise, et lui propose : « Nous pourrions à votre gré reporter au mois de juillet prochain, selon nos accords primitifs, ou vous régler par quarts en traites acceptées ». Les droits seront payés par quatre traites, encaissables d’avril à juillet.

 

Avril

 

Parution de Ma Belle Marseille, dont l’auteur a dédicacé l’exemplaire de son éditeur : « Pour les Deux Noël Cécile et Robert, leur ami Carlo Rim ». Ce « reportage romancé » consacré à sa « ville natale d'adoption » avait paru tout d'abord dans un hebdomadaire avant d'être réuni en volume.

   

                                                                                      Chantecler,  14-17 juin 1934

Deux mois plus tard l'hebdomadaire Chantecler annonçait que les éditeurs Denoël et Steele avaient fêté la sortie du livre de Carlo Rim dans un restaurant montmartrois en compagnie de quelques amis dont... Georges Simenon. Si la mémoire du romancier liégeois était toujours fiable en 1979, cette rencontre avec Robert Denoël serait donc l'une des deux seules dont il avait gardé le souvenir.

Robert Poulet renoue avec le succès grâce à son nouveau roman Les Ténèbres que, dans un premier temps, Denoël avait mal accueilli [cf. sa lettre du 20 février 1933]. Brasillach, Carco, Mac Orlan, lui consacrent des articles très favorables. Bernanos va jusqu'à écrire dans Le Jour : « J'ai reconnu le génie, sa voix d'airain ». En Belgique la critique est plus réservée. Franz Hellens parle d'une élucubration extravagante. Dans L'Intransigeant, « Les Treize » parlent de cette nouvelle forme de roman que l'auteur appelle, dans son avertissement, « une tentative d'affolement public » : « Voilà un sous-titre qui ne manque pas de prétention. Ou qui fait preuve d'une forte dose d'illusion... »

    

Le nouveau livre d'Antonin Artaud paraît lui aussi dans une certaine confusion : les critiques cherchent dans Héliogabale des références historiques alors que c'est un ouvrage poétique très personnel, quoique l'auteur ait écrit à Denoël : « vous verrez qu'Héliogabale dépassera un cercle restreint et atteindra le gros public. » L'auteur s'est largement identifié à cet empereur romain, qui se prénommait aussi Antonin. La presse littéraire ne suit pas, et le livre figurera parmi les ouvrages soldés par l'éditeur en juin 1947.

Le 11, lettre de Denoël à Jean Proal : « J’ai vu hier M. Benjamin Fondane à qui j’avais parlé de vos deux volumes : Tempête de printemps et A hauteur d’homme pour une adaptation cinématographique. Il a lu vos deux livres et il trouve, en effet, qu’il y a la matière à un bon film, surtout dans le premier. Voulez-vous donc écrire à M. Benjamin Fondane pour lui dire que vous l’autorisez à faire le découpage du volume et à le présenter, le cas échéant, à une firme ? »

Le 12 : Emile Zavie rend compte, dans L'Intransigeant, de La Route aux embûches, un roman de Maurice Rué que vient de publier Gallimard, et qu'il qualifie de « Voyage au bout du pastiche célinien ». L'auteur, qui s'appelle en réalité Pierre Jalée [1909-1991], est comptable dans une banque briarde, et c'est son premier roman : « Vous commencez la lecture de ce roman sans penser au danger », écrit Zavie, mais, dès la page 18, « tournant dangereux. Les embûches vont se multiplier. »

Zavie cite alors une dizaine de phrases extraites du livre, de tournure célinienne, qui l'ont accablé : « Est-ce la peine de continuer ? Tous les mauvais clichés de Céline sont réunis là, depuis les faciles inversions jusqu'aux expressions les plus crues, le mot de Waterloo compris ! C'est ainsi. Il y a déjà des clichés Céline que se repassent des jeunes gens de la Brie, dans l'espoir d'être originaux... »

 

   

                                                                                       Louis Aragon par Man Ray, 1930

Le 16 : Parution de Hourra l’Oural, dédié aux contre-manifestants ouvriers « tombés les 9 et 12 février 1934 dans la lutte antifasciste ». Fils illégitime d'une liaison entre Marguerite Toucas et un homme politique, Louis Andrieux, Louis Aragon est né le 3 octobre 1897 à Paris. Il a publié son premier livre en 1920, fait un bout de chemin avec les surréalistes avant d'être excommunié en 1927. Dès 1921 il est entré à la NRF où il a publié cinq ouvrages. Gaston Gallimard lui intentera, le 26 juillet 1936, un procès pour avoir rompu son contrat en publiant ce recueil chez Denoël et Steele.

Le 30 : Sortie en librairie du 4e volume de la collection « Tableau du XXe Siècle ». Dans une interview accordée à Candide, l'un des deux auteurs explique que ce volume devait paraître sous le seul nom de René Groos, mais « Il fallait trouver quelqu'un qui consentît à se fâcher avec presque tout le monde. M. René Groos avait accepté ; il a abandonné en cours de route. »

C'est Gonzague Truc qui l'a achevé, et il recueille donc toutes les critiques. Elles sont nombreuses et émanent le plus souvent de confrères. René Lalou écrit que « trois armures de pédantisme ne valent point un épiderme sensible et un esprit libre de préjugés. »

 

Mai

 

Le 14 : Les jurés du prix Populiste décernent leur prix annuel à la romancière anversoise Marie Gevers [1883-1975], cousine d'Evelyne Pollet, pour Madame Orpha, publié chez Victor Attinger.

Le 19 : L'Intransigeant a, l'un des premiers, des précisions à apporter quant à l'édition américaine de Voyage au bout de la nuit, dont les tirages se succèdent. Le lendemain, Céline écrit à John Marks, son traducteur anglais, que son livre « est best-seller semble-t-il un peu partout en U.S.A... J'espère que ça continuera. » L'écrivain s'embarquera le 12 juin pour l'Amérique.

Le 19 : Prix littéraire des Vikings, attribué au troisième tour à un roman de Bernard Roy, Fanny ou l'esprit du large, publié deux ans plus tôt chez les Editeurs Associés. Odette Arnaud, qui concourait avec Mer Caraïbe, paru en février chez Denoël et Steele, a recueilli quatre voix.

Le 20 : L'Intransigeant annonce une anthologie de la poésie française contemporaine à paraître aux Editions La Bourdonnais. C'est Aloys Bataillard, lui-même poète et gérant de la Librairie Les Trois Magots, qui est chargé de réunir les textes. On ne sait jusqu'où il mena ce projet, qui ne vit pas le jour. On remarque que « Les Treize », qui mentionnent l'ouvrage de Truc et Groos paru chez Denoël et Steele, n'établissent pas de lien avec les Editions La Bourdonnais.

L'Intransigeant,  20 mai 1934

 

Juin

 

Le 8 : L'Intransigeant confirme que l'édition anglaise de Voyage au bout de la nuit continue d'obtenir un vif succès en Amérique : « Cela prouve que le public qui lit ne ratifie pas toujours les décisions des jurés littéraires ». En France il s'en vend cent exemplaires par jour.

Le 9 : L'Intransigeant annonce qu'une édition anglaise due à John Marks vient de paraître à Londres chez Chatto et Windus et que, déjà, le livre connaît une grande vogue en Angleterre.

Le 12 : Céline embarque sur le Champlain pour un séjour de deux mois aux Etats-Unis. Le Populaire en rend compte quelques jours plus tard :

Le Populaire,  22 juin 1934

Le 24 : Robert Denoël refuse le manuscrit d'un ouvrage consacré aux fous littéraires. Raymond Queneau modifiera complètement son projet et en fera un roman qui sera publié en 1938 chez Gallimard : Les Enfants du limon.

 

C'est, en réalité, le deuxième manuscrit de Queneau refusé par Denoël. En mai 1933 il lui avait déjà soumis celui du Chiendent, accepté ensuite et publié par Gallimard. Mais l'écrivain ne se découragera pas pour autant : en 1937 il lui envoie encore Chêne et chien, que Denoël publiera en juillet.

Gen Paul offre au musée du Vieux Montmartre un portrait de Céline gravé à la pointe sèche. Apparemment il ne s'agit pas d'une planche destinée à l'illustration de Voyage au bout de la nuit, entreprise quelques mois plus tôt, puisque le procédé choisi était la lithographie.

Le Vieux Montmartre,  juin 1934

 

Juillet

 

Le 4 : les Denoël prennent des vacances à Vouvant-Cézais, en Vendée, jusqu’au 5 août. Durant ses loisirs Robert rédige, à sa demande, un article sur son amie Irène Champigny, qui habite alors Vichy.

Ce petit texte signé « Bertrand Prioux », qui constitue le plus bel hommage qu'on ait rendu à cette femme hors du commun, pourrait avoir été publié dans un journal vendéen, à moins que Champigny l'ait fait paraître elle-même dans Le Progrès de l'Allier. En marge de l'article elle a noté qu'il fut lu « au poste de la Tour Eiffel ». En effet, le 23 septembre, Charles Guyard en lut des extraits à « Radio Paris P.T.T. »

Le 12 : Céline annonce à Denoël qu’il a négocié à Los Angeles les droits d’adaptation cinématographiques du Voyage avec Lester Yard, de l’Agence « Variety » : « De tous les agents, il m’a semblé le plus apte, le plus coquin. »

Le 16 : Céline a rencontré l’éditeur de Chicago qui a publié la traduction américaine de Voyage : « Je suis assez douteux en ce qui concerne la véracité des comptes Little Brown. Ce n’est pas une manie mais certains indices... », écrit-il à Denoël. Son livre est paru le 26 avril chez Little, Brown et C°, et remporte un joli succès, malgré quoi il émet, comme à son habitude, des doutes quant aux tirages. Cela ne l'empêche pas de poser pour les photographes de presse en compagnie de Herbert Jenkins, le vice-président de cette société d'édition dont le siège est à Boston.

The Saturday Review,  21 juillet 1934

D’autre part il a résolu d’éditer Mort à crédit mais à d’autres conditions que pour ses deux livres précédents : « 12 % dès le début, toutes traductions et adaptations pour mézigue. Sinon des clous. »

Le 23 : Céline annonce Mort à crédit pour « dans 8 mois environ, un an. Mais j’attends la lettre que vous savez de vous : 12 % de 1 à 20.000, 15 % de 20 à 40.000, 18 % au-dessus de 40.000. Toutes traductions, adaptations à moi seul. Sinon pas plus de Mort à crédit que de beurre au cul. »

Parution, aux Editions La Bourdonnais, de Prélude charnel, un roman « initiatique » signé Robert Sermaise. Ce livre galant, bien écrit, sera réimprimé en 1936 et 1937 par l’éditeur, puis quatre fois au moins après la guerre, chez différents éditeurs. L’édition de 1948 publiée par les Editions EDT fera, en 1950, l’objet d’une condamnation par le tribunal correctionnel de la Seine. Il fut aussi la cause d'un procès intenté en 1975 par les descendants de l'auteur à Cécile Denoël, qui tenait à ce que ce pseudonyme appartînt à son mari.

  

 

Quant aux Editions La Bourdonnais, Picq explique que Denoël y a édité des ouvrages à compte d’auteur « afin de pouvoir conserver la raison sociale et les attributions de papier ». Cette maison n’ayant plus rien publié après 1939, la question du papier ne paraît pas s’y être posée durant l’Occupation. Mais on retiendra que Denoël y publiait, aux frais des auteurs, des ouvrages qu'il ne pouvait faire figurer à son catalogue.

Relevons encore la notice consacrée à l'ouvrage par Jean-Jacques Pauvert dans son Anthologie des lectures érotiques : « Son livre fit le bonheur et la fortune de Robert Denoël, bien que le livre n'ait pas été publié officiellement par l'éditeur de Céline. Denoël en fit des tirages plus ou moins clandestins qui atteignirent semble-t-il des chiffres fabuleux. Sous l'Occupation, un grossiste de Lyon m'affirma en avoir vendu à lui seul plus de cent mille exemplaires de 1934 à 1942. »

 

Août

 

Le 5 : Sous le titre « Céline et les Anglais » L'Intransigeant tient son public au courant de l'impact de la traduction anglaise du roman, sorti de presse en juin :

 

A Eugène Dabit qui lui réclame ses droits d’auteur pour L’Hôtel du Nord, Denoël propose de s’en acquitter « en six ou dix mensualités de 1 000 francs, à dater du 31 octobre ». Il lui demande aussi de patienter pour les droits de traduction norvégiens et polonais.

Visite rue Amélie de Jeanne et Marguerite Denoël, les sœurs aînées de Robert. Pierre Denoël y travaille régulièrement à des traductions.

 

      Jeanne, Pierre, Marguerite et Robert Denoël, rue Amélie

 

Septembre

 

Le 3 : Denoël adresse à Céline le compte détaillé de ses deux ouvrages, qu’il propose de régler au moyen de «trois traites à fin octobre, fin novembre et fin décembre prochains. »

Le 18 : L'Intransigeant écrit que Louis Aragon corrige les épreuves de son premier roman, Les Cloches de Bâle, au Congrès des écrivains soviétiques, à Moscou.

Le 20 : L'Intransigeant annonce que les Editions Denoël et Steele vont, après d'autres confrères, lancer un hebdomadaire littéraire :

L'Intransigeant,  20 septembre 1934

Le 24 : La Gazette de Lausanne publie un écho relatif à une adaptation cinématographique de Voyage au bout de la nuit par Julien Duvivier. Le journal suisse reprend en fait un autre écho, paru la veille dans le Journal des débats politiques et littéraires, qui précise que c'est au retour de New York que les deux hommes ont sympathisé sur le « Champlain ». A Paris, L'Ordre avait déjà, le 13 septembre, parlé furtivement de ce projet sans lendemain.

 

    Gazette de Lausanne,  24 septembre 1934                             Journal des débats politiques et littéraires,  23 septembre 1934

Céline avait, le 11 juillet, négocié, en compagnie de Jacques Deval, les droits d'adaptation avec Lester Yard, le directeur de Variety à Los Angeles : « De tous les agents, il m'a semblé le plus apte, le plus coquin », écrivait-il le lendemain à Robert Denoël, en précisant que cette option était valable six mois.

Le 25 : L'un des « Treize » s'est rendu rue Amélie pour le compte de L'Intransigeant et il a obtenu une interview des éditeurs, pour une fois réunis, à propos de l'hebdomadaire qu'ils se préparent à lancer, le mois suivant :

  

L'Intransigeant,  25 septembre 1934

 

Octobre

 

Le 6 : L'Intransigeant annonce ques les Editions Denoël et Steele viennent d'acquérir le fonds des Editions des Cahiers Libres.

Cette maison d’édition fut créée en 1924 par René Laporte, dont Denoël publiera en 1936 un roman qui obtiendra le prix Interallié : Les Chasses de novembre.

  

       René Laporte [1905-1954]                           L'Archer,  décembre 1936

Les ouvrages ont été achetés « chez l’imprimeur Bellenand auquel l’éditeur devait de l’argent, et vendus dans leur état originel », écrit Auguste Picq. L'adjonction à son catalogue d'une cinquantaine de titres nouveaux, dont un certain nombre dus à des auteurs surréalistes, va amener à Denoël une clientèle nouvelle, et plusieurs de ces écrivains, comme Tristan Tzara, publieront ensuite chez lui.

Certains volumes feront l'objet d'une recouvrure, ou recevront un « papillon » destiné à masquer l'adresse de l'éditeur originel. Plusieurs titres seront envoyés aux critiques littéraires pour une « relance » commerciale, tel celui de Paul Morand paru en 1933 et dont Victor Moremans rend compte en novembre 1934 dans la Gazette de Liége :

 

Le 20, L'Intransigeant annonce qu'une traduction américaine du prix Goncourt 1932 vient de paraître chez Mac Millan à New York, dans une traduction due à Eric Sutton.

Le 22, lettre de Denoël à Marcel Sauvage : « Tout est actuellement si difficile et si compliqué que nous nous montrons peu aventureux dans le choix de nos publications actuelles. Les jeunes maisons d’édition disparaissent à une cadence accélérée (Cahiers Libres - Portiques - Catalogne - Emile-Paul, etc.) Nous avons l’intention de subsister, aussi nous voyons-nous contraints provisoirement de ne publier que des livres dont nous sommes assurés qu’il feront au moins leurs frais ».

Le 25, parution du premier numéro du Document, consacré à l’U.R.S.S. puissance d’Asie, par Maurice Percheron. L’éditeur annonce cette nouvelle revue en ces termes : « Le Document procède d'une formule originale. Un seul écrivain pour un seul sujet. Mais un sujet vraiment passionnant. Mais un écrivain vraiment éclairé ».

Dans une interview accordée en 1980, René Barjavel, qui fut engagé en novembre 1935 en tant que secrétaire de rédaction du Document, déclare : « C'était une sorte de Paris-Match mais mensuel et, chaque fois, un seul sujet y était traité : le Pape, le Front commun, etc. Une bonne formule pour le public, mais qui a été catastrophique pour Denoël. Je me suis alors occupé de la fabrication des livres. J'ai achevé d'apprendre mon métier d'imprimeur, la technique de l'offset, de l'héliogravure, puis, peu à peu, je suis devenu chef de fabrication. Je connaissais tous les papiers, tous les formats, tous les caractères ».

Dans une note autobiographique non datée, Barjavel écrit à propos du Document : « Cette revue déficitaire a vite été abandonnée par Denoël qui m'a tout de même gardé près de lui comme chef de fabrication, car je connaissais tout de la fabrication sur le bout des doigts. Et j'y suis resté dix ans ».

Si les trois premiers numéros comportent 98 pages illustrées et sont vendus 10 francs, les suivants n'en ont plus que 32 et le prix de vente tombe à 3 francs. On peut penser que Denoël éprouva, à partir de mai 1935, des difficultés de trésorerie dues à la commandite des Cenci.

En lançant cette revue, Denoël tente, comme d'autres maisons d'édition l'ont fait avant lui, de promouvoir les livres qu'il publie au moyen d'un média à gros tirage : ainsi Gallimard avec Marianne en 1932, Plon avec 1933, Fayard avec Candide en 1924, etc.

Le 28 : Vente aux enchères à Beauvais de la bibliothèque de Jean Ajalbert, conservateur de la manufacture, admis à la retraite. L'académicien en a préfacé le catalogue : « Je vends mes livres, ou plutôt ceux de mes amis, sans trop de mélancolie, d'ailleurs mitigée par la joie de rendre la liberté à des prisonniers de greniers et d'armoires que l'on ne visitait guère dans leurs geôles. Sans la nécessité de déménager, - ils étaient trop, - jamais je ne les aurais revus, encore moins relus... »

Le 31 : Les jurés Goncourt se réunissent en vue de désigner les candidats au prix qui sera décerné le 10 décembre. Il s'agit de Maxence Van der Meersch pour Le Péché du monde (Albin Michel), Jean Prévost pour Le Sel sur la plaie (Gallimard), André Rouveyre pour Singulier (Mercure de France), Ignace Legrand pour A sa lumière (Emile-Paul), Ludovic Massé pour Ombres sur les champs (Grasset), Yves Florenne pour Le Hameau de la solitude (Mercure de France), Hubert de Lagarde pour Le Soupçon (Gallimard). « Deux favoris, pourtant, se profilent sur l'horizon », écrit André Billy dans Le Figaro du 3 novembre, mais il ne les désigne pas.

                                                           Le Figaro, 5 novembre 1934

Fidèle à la règle qu'il s'est imposée en décembre 1932, Lucien Descaves, à l'heure où ses collègues se mettaient à table chez Drouant, est resté dans son cabinet de travail.

 

Parution d’un nouveau roman de Pierre Albert-Birot, Rémy Floche, employé, qui sera une « panne » éditoriale. Le 1er septembre 1938 Denoël écrira à l’auteur : « J’ai fait examiner la situation de Rémy Floche : elle est tout bonnement désastreuse. Je savais que le succès n’avait pas été fort vif, mais je ne croyais pas que nous avions des résultats aussi faibles. » Le livre figurera parmi les ouvrages soldés par l’éditeur en juin 1947.

 

Novembre

 

Robert et Cécile Denoël visitent le Vatican où ils sont reçus par le Pape en vue d’un numéro spécial du Document qui paraîtra en janvier. Impressions de l'éditeur : « J’ai vu le Pape, un petit vieux trapu, puissant et mal rasé. Il louche, semble bilieux et un peu sale dans sa soutane blanche. »

Le 15 : Parution du premier roman de Louis Aragon : Les Cloches de Bâle, que les éditeurs annoncent ainsi : « Le premier exemple dans le roman français de ce réalisme socialiste que l’on a défini au premier congrès des écrivains soviétiques ». Dans la presse, ils le désignent comme « Notre candidat au Goncourt ».

     

                                                                                                                            Mercure de France,  15 novembre 1934

Le 24 : André Billy, dans Le Figaro, annonce la réunion, le 28, des jurés Goncourt : « la dernière avant le déjeuner solennel et la plus importante, puisque, malgré le mémorable accident de Voyage au bout de la nuit, il est d'usage que les dernières positions y soient prises. » Jusqu'ici, Ignace Legrand avec A sa lumière (Emile-Paul) et Roger Vercel avec Capitaine Conan (Albin Michel) sont face à face, écrit Billy, qui ne citait pas le second dans son article du 31 octobre.

Un incident rare est survenu à propos du livre d'Ignace Legrand, publié par une maison d'édition « tombée dans de graves difficultés » : les frères Emile-Paul ont passé un accord avec Gaston Gallimard, et c'est l'éditeur de la rue Sébastien-Bottin qui parraine désormais l'ouvrage.

                                                                                            Le Figaro, 24 novembre 1934

Les dames du prix Femina n'ont pas encore annoncé la date de l'attribution du prix. Andrée Sikorski pourrait l'emporter avec Les Crapauds-buffles (Ferenczi), ou Ignace Legrand, « s'il plaisait à ces dames de voter avant les Goncourt et de leur " chiper " un favori ». On parle aussi de Constance Coline pour La Main passe (Flammarion) et de Robert Francis pour La Maison de verre (Gallimard).

Le 25 : Roger Martin du Gard écrit à Joseph Voisin [1882-1969], un écrivain angoumois qui cherche à faire publier Jean Veyre, roman proposé sans succès chez Fasquelle : « Il y a une jeune maison, que je ne connais pas directement, mais qui me paraît, en ce moment, prendre de l’essor et ‘risquer’ plus volontiers que les autres.

C’est Denoël et Steele. Renseignez-vous. Si Fasquelle vous déçoit, je pourrais peut-être écrire à Denoël pour leur recommander la lecture de votre manuscrit (Mais vous vous faites des illusions sur le crédit que je puis avoir !) [...] Donc, si vous faites une tentative chez Denoël, prévenez-moi. Je vous propose même de m’envoyer, à moi, votre manuscrit, et je me chargerais de l’envoyer à Denoël avec un mot. »

Le 30, Martin du Gard écrit à Joseph Voisin : « J’écris donc à Denoël, chaleureusement. Et je lui envoie le manuscrit. Mais, puisque vous avez bien voulu me confier ce soin, j’ai pris la liberté de supprimer la page des œuvres ‘du même auteur’. Je dis à Denoël que vous n’êtes pas ‘un jeune’. Sans plus.

Je crois inutile, voire imprudent, de leur en dire plus pour l’instant. Ils aiment ‘découvrir’ un auteur. Ils ne vous liront même pas, si vous vous présentez avec tous vos bagages... Et ce qui est, à vos yeux comme aux miens, un titre d’intérêt, ne serait, aux leurs, je le crains, qu’une raison de refus, sans examen... Patientons, maintenant, un peu. Je leur dis que je suis pressé d’avoir une réponse. Je les relancerai au besoin. »

 

Décembre

 

Parution de La Révolution est à droite, un pamphlet assez opaque qui prône un « fascisme occidental » et dont personne ne comprend les motivations. Denoël aura beau présenter l'ouvrage de Robert Poulet comme « le pamphlet politique que tout le monde avait alors dans la tête ou dans la plume », le succès ne suivra pas. L'auteur en conviendra, cinquante ans plus tard : « La tentative (loufoque, au fond) de jeter les fondements d'un fascisme occidental était mort-née ».

  

Ce livre insolite sera même jugé indésirable par les autorités allemandes : il figure sur la « Liste des ouvrages retirés de la circulation et interdits en Belgique » publiée à Bruxelles en 1941.

Le 1er : Dans Le Figaro, Maurice Noël livre son pronostic pour le prix Goncourt : Jean Prévost pourrait se révélier un outsider redoutable, surtout si le match Roger Vercel - Ignace Legrand était dérangé par des circonstances extérieures au goût des Goncourt. Propos pour initiés non décryptés.

Le 6 : André Wurmer, dans une amusante chronique de questions-réponses consacrée aux prix littéraires, parue dans L'Intransigeant, pose la question : « Lorsqu'un prix est fâcheusement attribué, le succès immérité de ce livre ne nuit-il pas à la vente des autres ? » Et il répond : « Allez, si d'ici quelques années vous vous avisez de demander qui fut prix Goncourt en 1932, chacun vous répondra : Louis-Ferdinand Céline. »

Le 7 : Le prix Femina est décerné au douzième tour de scrutin à Robert Francis pour La Maison de verre et Le Bateau-refuge publiés chez Gallimard. Le prix Interallié revient à Marc Bernard pour Anny publié, lui aussi, chez Gallimard.

Le 9 : La presse annonce la vente aux enchères du fonds des Editions Bossard, qui ont déposé leur bilan.

L'Intransigeant,  9 décembre 1934

Le 10 : Le prix Goncourt est attribué dès le premier tour à Roger Vercel pour Capitaine Conan. Le livre a eu une bonne presse et il a bénéficié d'une campagne efficace de Roland Dorgelès au sein de l'Académie Goncourt. On parle de solidarité entre anciens combattants mais aussi de service commandé pour l'académicien qui est un des piliers de la maison Albin Michel. Roger Cretin dit Vercel est professeur de lettres au collège de Dinan.

Le prix Renaudot est décerné à Louis Francis pour Blanc (Gallimard). Gaston Gallimard s'adjuge donc trois prix importants cette année-là.

Le 12, lettre de Martin du Gard à Joseph Voisin : « Tenez-vous bien... La réponse de Denoël est consternante. Vous n’êtes pas de ceux auxquels on se croit tenu de dorer les pilules : je vous communique celle-ci, sans précautions oratoires. La seule consolation est qu’il ne nous a pas fait attendre son verdict ».

Je n’ai pu retrouver la réponse « consternante » de Denoël mais son refus, quels qu'en aient été les termes, ne devait pas étonner Martin du Gard, qui avait déjà tenté, en octobre 1933, de faire accepter le roman de l'écrivain paysan chez Rieder. Jean Veyre et son ménage sera finalement publié en 1936 chez Albin Michel.

Le 29 : Fernand Vandérem publie dans Le Figaro un article relatif à un projet de loi du député Jean Zay qui concerne le contrôle des tirages des livres : « On se rappelle qu'après plus d'un demi-siècle de luttes pour obtenir la surveillance de leurs tirages, les écrivains s'étaient crus près du but avec la commission mixte créée, il y a trois ou quatre ans, par la Société des Gens de Lettres, en vue d'organiser ledit contrôle. »

Six auteurs et six éditeurs devaient en délibérer puis le réglementer de concert. On apprenait peu après que, d'un commun accord, les commissaires avaient décidé de s'en tenir au statu quo, considérant que les chiffres fournis par le Dépôt légal suffisaient largement au contrôle souhaité : « Assertion purement arbitraire, étant donné la pagaille qui régnait alors dans cet organisme et qui, depuis, n'a fait que s'accentuer. »

Pour suppléer à cette insuffisance, Jean Zay va soumettre aux Chambres le projet suivant : « L'imprimeur de tout ouvrage littéraire de plus de cinquante pages est tenu de numéroter chaque exemplaire. » Plusieurs éditeurs consultés se déclarent d'ores et déjà contre cette mesure.