Robert Denoël, éditeur

 

1921

 

Mai

 

Dans la Gazette de Liége, où Simenon rédige depuis deux ans des billets journaliers sous le pseudonyme de Georges Sim, Robert Denoël publie sa première nouvelle, « La Partie d’échecs ». Il y en aura deux autres, en juin et novembre, signées de son patronyme.

 

Ce quotidien catholique et conservateur dirigé par Joseph Demarteau était le havre tout désigné pour les jeunes intellectuels liégeois de bonne famille. Robert y rencontre Victor Moremans [1890-1973], qui est chroniqueur littéraire.

         Victor Moremans près des locaux du journal en 1921

Sur son travail dans ce quotidien, Georges Poulet écrit : « Il entra à la Gazette de Liége, non, bien sûr, pour y faire une carrière de journaliste, mais vulgairement parlant, pour se procurer un peu d’argent. » Cécile Denoël ajoute qu’il se procurait quelques revenus en donnant des cours de grec, de latin, de français et d'histoire dans une institution privée. Billy Fallon, le frère de Cécile, sera l'un de ses élèves.

Erasme Gillard, journaliste longtemps attaché à ce journal, précise : « Denoël n’a jamais été rédacteur à la ‘Gazette’. Il était pigiste. A ce titre il rendait compte des manifestations estudiantines et de conférences de divers genres. Ces papiers n’étaient pas signés. »

Ceci est confirmé par le fait que Robert réclamera, en 1926, au directeur du journal, un « faux certificat de correspondant en France » à l’intention du fisc français.

Denoël donne ainsi à la « Sainte Gazette », comme il l’appelle, les mêmes petits « papiers » anonymes que Georges Simenon, deux ans plus tôt, avant que le petit Sim soit promu « billettiste ».

       

Georges Simenon, Joseph Demarteau et Luc Lafnet vers 1920

Robert, son aîné de trois mois, est devancé par un jeune homme issu d’un milieu modeste, qui a quitté le même collège que lui pour le journalisme, où il s’est vite taillé une réputation d’arriviste. Benoît Denis le décrit comme «encombrant et sûr de lui, peu embarrassé des convenances et des usages, décidé à obtenir ce qu’il veut malgré les obstacles et sachant comment s’y prendre pour les contourner » [Simenon. Romans. Ed. de la Pléiade].

Depuis décembre 1919 Simenon possède à la Gazette une rubrique bien à lui : « Hors du poulailler ». A partir du 13 juin et jusqu'au 13 octobre 1921 il entreprend de rédiger dix-sept billets de 200 lignes-journal signés Georges Sim et portant le titre : « Le Péril juif ! » : c'est une dénonciation sans nuance de l'omniprésence juive dans les sphères dirigeantes, chez les bolchéviks comme chez les capitalistes.

C'était, dira plus tard le romancier, « une commande et je devais l'accomplir ». Il n'a jamais nommé le commanditaire mais on peut croire qu'il s'agissait de Joseph Demarteau, qui avait mis à sa disposition un exemplaire des Protocoles des Sages de Sion dont une édition venait de paraître chez Bernard Grasset.

Annuaire général des Lettres,  1933-1934

Le petit Sim a aussi publié six mois plus tôt un petit roman : Au Pont des Arches, et il fréquente, outre les bordels, un milieu de rapins qui se réunissent dans un grenier proche de l’église Saint-Pholien pour y boire et y philosopher : on l’appelle « La Caque ».

Ces joyeux fêtards désargentés avaient comme chef de file un peintre à la fois paillard et mystique appelé Luc Lafnet, qui, après avoir fondé en 1918 le groupe des « Hiboux », y emmena des artistes comme Auguste Mambour et Edgard Scauflaire, deux peintres avec lesquels Denoël avait quelques affinités. Mambour fit partie, dès juin 1920, d’un cercle artistique nommé « L’Envol » dont le mot d’ordre était : « Sortir de Liège », mais il fut l’un des seuls à y rester.

     

      Grenier de « La Caque », impasse de Houpe

Est-ce que ces artistes ont amené Denoël dans cet antre si bien décrit plus tard dans Les Trois crimes de mes amis et Le Pendu de Saint-Pholien ? C’est Léon Thoorens qui, en 1959, l’a affirmé dans son petit livre Qui êtes-vous Georges Simenon ? La plupart des biographes et chroniqueurs ont repris, depuis, cette information, jusqu’à Benoît Denis dans la « Chronologie » qu’il a établie en 2003 pour l’édition des romans de Simenon dans la Bibliothèque de la Pléiade.

      

Pour ma part, je n’ai jamais trouvé la moindre mention de Simenon dans la correspondance de Denoël, mais il est indubitable que ces jeunes gens se sont rencontrés à Liège, considérant leur itinéraire commun. On peut tenir pour certain que Denoël a, comme Simenon, fréquenté la bouquinerie de Hyacinthe Dans, le libraire libidineux de la rue Féronstrée qui fournissait tous les étudiants de la ville en livres d'occasion.

Albert Morys m’écrivait, à propos du romancier liégeois, que Robert « admirait (et jalousait) ses astuces pour aborder les personnalités, son culot aussi, auquel il trouvait un manque de délicatesse évident qui le choquait beaucoup. »

 

De son côté Simenon m’avait écrit en 1979 qu’il avait rencontré Robert Denoël « deux fois, je pense, incidemment, lors de mon arrivée à Paris », ce qui indique qu’il n’avait aucun souvenir de bamboche avec lui, et que leurs rencontres parisiennes étaient restées sans lendemain.

Après plus de trente années de recherches, j'ai finalement trouvé un lien littéraire entre Georges Simenon et Robert Denoël : il date de 1941 et aucun des deux ne l'a mentionné. Il s'agit de la publication en feuilleton de La Vérité sur Bébé Donge dans Lecture 40, un hebdomadaire littéraire dont Denoël avait obtenu la direction en juin 1941.

Et une rencontre a eu lieu le lundi 11 juin 1934 dans un restaurant montmartrois, en compagnie de Carlo Rim, dont l'éditeur fêtait la publication de son livre Ma Belle Marseille. Il reste à situer la seconde rencontre.

 

Juillet

 

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