Robert Denoël, éditeur

2008

 

Février

 

Le 7 : Parution d'un numéro hors série de La Presse Littéraire consacré à Céline dans lequel figure le texte de Robert Denoël : « Comment j'ai connu et lancé Louis-Ferdinand Céline », qui date d'avril 1941.

Le 13 : Parution de la première biographie de Jeanne Loviton due à Célia Bertin : Portrait d'une femme romanesque : Jean Voilier, aux Editions de Fallois. La plupart des critiques ont salué poliment la sortie de ce volume que, pour ma part, j'ai jugé sévèrement dans un article paru dans le Bulletin célinien d'avril 2008.

 J'avais peut-être tort de reprocher à l'auteur son parcours en zig-zag, ses citations approximatives, ses révélations tronquées : Célia Bertin n'a pas écrit une biographie mais un portrait intimiste, assez réussi, d'une égérie qui reste largement à découvrir.

 

              

     Célia Bertin

 

Mars

 

Le 8 : Vente aux enchères à Bruxelles de la seconde partie de la collection d'autographes provenant de la succession de Mélot du Dy. Dans la première vacation, le 8 décembre 2007, se trouvaient trois poèmes inédits de Robert Denoël datant de 1922. Dans celle-ci figure la correspondance relative à l'édition de trois recueils de poèmes de Mélot du Dy, adressée par Denoël au poète entre 1934 et 1937.

Parution d'une monumentale biographie de Paul Valéry due à Michel Jarrety. La liaison du poète avec Jeanne Loviton y est magistralement analysée et étayée par des extraits de lettres dont l'accès avait, jusqu'à présent, été réservé à de rares initiés.

L’ouvrage montre le cruel vaudeville qui, dès 1943, se met en place dans le dos de Valéry, Denoël rendant parfois visite à Jeanne Loviton, rue de l’Assomption, au même moment que lui, et attendant dans une pièce voisine le départ du poète. Il indique du même coup que Denoël n’ignorait rien de l’aspect passionnel de leurs relations. Enfin il révèle le cynisme de cette sombre égérie, demandant à Valéry, un mois après lui avoir révélé son infortune, de prendre la défense de l’éditeur, inculpé en février 1945.

Le 27 : Nouveau petit dictionnaire des grands Belges paru aux Editions Couleur Livres, anciennement Editions Vie Ouvrière, à Charleroi, dû au Liégeois Robert Remouchamps. Plus de quatre cents personnalités  « qui ont donné de la grandeur à nos belges terroirs » y sont répertoriées. On y trouve, pour la première fois : « Robert Denoël, éditeur ».

 

Mai

 

L'AAARGH  [Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d'Holocauste], site Internet révisionniste français spécialisé depuis 1996 dans les rééditions non autorisées de textes antisémites, a mis en ligne, en avril, les quatre titres publiés par Robert Denoël entre novembre 1940 et mars 1941 dans sa collection « Les Juifs en France », assortis d'une « introduction circonstanciée sur l'histoire de cette édition due à la plume experte du bibliophile belge Henri Thyssens ».

Le fac-similé dû à LENCULUS [Librairie Excommuniée Numérique des CUrieux de Lire les USuels] est précédé d'un extrait de ma « Chronologie » de l'année 1941, « agrémenté » de documents qui n'y figuraient pas. Cet emprunt indélicat doublé d'un tripatouillage indigne, contre lequel j'ai protesté, sans doute inutilement, me vaut d'être associé à une démarche idéologique que je réprouve : un lien avec mon site figure sur la page d'accueil de cette réédition clandestine. Une malhonnêteté intellectuelle sans excuse, mais aussi sans risque, puisque ces pillards anonymes ont pris soin, depuis 2006, de se faire héberger à New York.

 

Le 2 : Mise en ligne d'une notice anonyme consacrée à Pierre Roland Lévy sur Wikipédia. L'intérêt de cette encyclopédie libre où le pire côtoie le meilleur, est d'archiver les versions successives de la notice retenue. Dans l'une d'elles on trouve cette singulière affirmation, supprimée par la suite : « Il fera l'objet d'une polémique dans l'assassinat de Robert Denoël, infondée et crapuleuse, orchestrée par Cécile Denoël et Louis-Ferdinand Céline, qui devront leur salut et le pardon miraculeux du grand public à la grande discrétion légendaire de Pierre Roland-Lévy. » La plupart des autres informations biographiques ont été prises sur mon site, avec un lien direct vers mon adresse Internet.

Le 20 : Parution d'un numéro spécial du magazine Lire consacré à Louis-Ferdinand Céline, réalisé par Jérôme Dupuis. Il ne contient pas d'informations nouvelles relatives à Robert Denoël, mais retrace, pour la première fois, l'itinéraire avéré du manuscrit de Voyage au bout de la nuit, vendu à Etienne Bignou le 29 mai 1943, revendu au libraire Pierre Berès le 17 mai 1974, et mis en vente par lui à l'Hôtel Drouot le 15 mai 2001, avec le succès que l'on sait.

 

Juin

 

 

Le 21 : Apposition d'une plaque commémorative sur la maison de Joë Bousquet, 53 rue de Verdun à Carcassonne, où l'écrivain a vécu entre 1924 et 1950. Denoël lui avait édité trois ouvrages en 1936 et 1939.

 

Juillet

 

Le 2 : Emission consacrée à Louis-Ferdinand Céline sur les ondes de Radio Courtoisie. Animée par Emmanuel Ratier et Marc Laudelout, les invités sont David Alliot, Alain de Benoist, François Gibault et Henri Thyssens. Robert Denoël a été longuement évoqué.

Le 12 : Décès, à l'âge de 103 ans, d'Elisabeth Porquerol à l'hôpital Broussais. Née Lucie Pourcherol à Nîmes, le 24 avril 1905, elle s'était lancée dans le journalisme dès l'âge de vingt-trois ans.

      Elisabeth Porquerol en 1934 (© Le Bulletin célinien)

En février 1933 elle avait publié un pénétrant article sur Louis-Ferdinand Céline, repris trente ans plus tard en revue : « jamais je n'ai rencontré quelqu'un d'aussi fatigant, se levant, s'asseyant, marchant, gesticulant, dansant, pendant trois heures et demie ! [...] Ce qui lui a donné l'idée d'écrire : le succès des populistes, surtout de Dabit. Il en avait autrement plus à raconter ; et puis, bien compris que Dabit n'avait pas osé aller jusqu'au bout, pas jusqu'à la révolte, qu'il était resté " plaintif ", et, son tort, dès la réussite, de passer de l'autre côté, d'être devenu écrivain. » [ « Céline, il y a trente ans », La NRF, 1er septembre 1961].

Le 28 : Décès, à l'âge de 95 ans, du libraire Pierre Berès dans sa villa de Saint-Tropez. La presse rapporte avec un bel ensemble que son passeport  indique qu'il était né Pierre Berestov le 18 juin 1913 à Stockholm, mais Roger Peyrefitte assurait en 1965 qu'il « avait fait raccourcir par le Conseil d'Etat son nom polonais de Berestovsky » [Les Juifs, p. 80].

Pierre-Marie Dioudonnat, auteur de l'ouvrage Demandes de changement de nom 1917-1943, confirme que Pierre Berestovski, naturalisé Français par décret du 3 décembre 1936, avait demandé officiellement à porter le nom de Berès, ce qui fut annoncé au Journal Officiel le 30 juillet 1937. L'autorisation lui fut accordée par décret du 17 mars 1953.

Il avait ouvert sa première librairie rue Laffitte en 1934, avant de s'installer, cinq ans plus tard, au 14 de l'avenue de Friedland.  En 1974 Pierre Berès avait racheté aux successeurs du galeriste Etienne Bignou, la plupart des livres et manuscrits de Céline, qu'il mettra en vente à l'Hôtel Drouot en plusieurs étapes :

Le 22 mai 1985, le manuscrit de la préface (7 feuillets) à Guignol's Band

Le 14 juin 1999, un manuscrit (1 376 feuillets) de Mort à Crédit

Le 14 juin 1999, le manuscrit (14 feuillets) d'un chapitre inédit de Voyage au bout de la nuit

Le 15 mai 2001, le manuscrit (876 feuillets) de Voyage au bout de la nuit.

 

Août

 

Le 21 : Dans son numéro 1875, Le Point annonce, sous le titre « L'Enigme Denoël » : « L'assassinat, boulevard des Invalides, en 1945, de l'éditeur Robert Denoël, n'a jamais été élucidé. Un téléfilm écrit par Jean-Claude Grumberg pour France 2 reviendra sur la mort mystérieuse d'un éditeur qui publia aussi bien le Céline antisémite des « Beaux draps » qu'Aragon et Triolet. « Ce qui nous intéresse, explique Denys Granier-Deferre, qui débutera le tournage début octobre, c'est la figure contradictoire de Denoël et l'étude d'une période aussi troublée que l'Epuration. »

L'article est signé Hervé Gattegno, Fabien Roland-Lévy et les services du « Point ». Fabien Roland-Lévy, journaliste politique et chef du service « Société » du magazine, est le fils de Pierre Roland Lévy, l'un des deux avocats, avec Guillaume Hanoteau, qui découvrirent le corps sans vie de Robert Denoël, le soir du 2 décembre 1945.

 

Septembre

 

Le 8 : Apparition sur Wikipedia d'une notice biographique consacrée à Jeanne Loviton, dont les derniers développements, qui concernent essentiellement l'assassinat de Robert Denoël, ont été mis en ligne le 26 octobre 2009. Une notice avait été attribuée le même jour à Yvonne Dornès par le même « biographe », qui avait dû lire le livre de Célia Bertin paru en février, car il intervient aussi, ce même 8 septembre, dans le groupe de discussion concernant l'assassinat de l'éditeur.

Le 10 : Parution aux Editions Sarbacane de Mes hommes de lettres, une histoire amusante de la littérature française en bande dessinée due à Catherine Meurisse, qui consacre deux pages fort bien venues à Gaston Gallimard et Robert Denoël alors que Céline vient de leur proposer le manuscrit de Voyage au bout de la nuit.

Mes hommes de lettres, Catherine Meurisse © 2008, Editions Sarbacane

 

Le 11 : Le jury du prix Renaudot annonce dans la presse sa sélection d'ouvrages en vue du prix qui doit être décerné le 10 novembre. Parmi les cinq essais retenus figure le livre de Célia Bertin : Portrait d'une femme romanesque : Jean Voilier, aux Editions de Fallois. Il ne fut pas couronné mais obtint la médaille de vermeil du prix d'Académie.

 

Octobre

 

Le 8 : Le Parisien annonce que Denys Granier-Deferre et ses techniciens se sont installés à l'hôtel de ville de Vincennes pour y tourner quelques scènes du téléfilm destiné à France 2, Les Livres qui tuent : « Le comédien Lorant Deutsch y tient le rôle d'un journaliste enquêtant, en 1947, sur la mort mystérieuse de Robert De Noël [sic], un éditeur belge installé en France. Assassiné en 1945, cet éditeur a publié beaucoup de livres antisémites.» Après Vincennes, l'équipe se rendra à l'hôpital psychiatrique de Ville-Evrard à Neuilly-sur-Marne.

     Denys Granier-Deferre et Lorant Deutsch sur le tournage,  25 septembre 2008 (© Hugo Mayer)

La veille, le même journal avait précisé que Deutsch y interprète « un inquiétant journaliste belge (sans accent) enquêtant sur la mort mystérieuse de Robert De Noël [sic], des éditions du même nom », et décrivait le comédien « en pantalon bouffant, veste de tweed et lunettes à grosse monture ».

Né Laszlo Matelovics à Alençon le 27 octobre 1975, ce comédien juif d'origine hongroise a interprété avec talent et conviction les personnages de Mozart, Sartre et La Fontaine au théâtre ou au cinéma. Le téléfilm repose tout entier sur son personnage de journaliste belge qui, deux ans après la mort de Robert Denoël, enquête sur les circonstances de son assassinat.

Dans la distribution figurent les comédiens Michaël Abiteboul, Urbain Cancelier, Nathalie Chéron, Sylvie Degryse, Blanche Gardin, Cédric Meusburger, Carole Moreau, Philippe Pillavoine, Eric Prat, Hubert Saint-Macary. La production est confiée à la société GMT Productions de Boulogne.

Le 24 : La Voix du Nord publie un article de Frédéric Vaillant : « Les dernières séquences d'un téléfilm sur la plage de Wimereux ». Aux trois quarts du film, les investigations du journaliste belge interprété par Lorent Deutsch [« Sa veste de tweed et son pantalon golf lui donnent un petit air de Tintin »] l'amènent dans un pensionnat en Belgique. Une trentaine d'enfants entourent Deutsch ; ces jeunes figurants sont des élèves du conservatoire de Saint-Omer : «  Ils ont été choisis car ils doivent interpréter des chansons en yiddish et en italien ».

Ce soir, l'équipe de GMT pourra faire ses valises, le téléfilm « Les livres qui tuent » sera terminé. « En tout, cela aura duré vingt-quatre jours », explique Claude Guymont, directeur de production, dont l'essentiel en région parisienne. Tout étant désormais en boîte, place au montage et à la postsynchronisation. Le téléfilm pourra ensuite être diffusé sur France 2. Quand ? Impossible à dire : « La chaîne décide en fonction de ses stratégies de programmation. On le sait quinze jours avant la diffusion », souligne Claude Guymont.

Le 24 : La Bibliothèque Maurice Mardelle de Perrusson a réalisé, à l'occasion du soixantième anniversaire de la mort de l'écrivain, une exposition : « Maurice Mardelle, le charpentier poète de Perrusson ». Robert Denoël avait publié, en 1930 et 1935, deux de ses ouvrages les plus attachants. L'accès en est gratuit, jusqu'au 10 novembre.

 

Novembre

Parution d'un recueil de poèmes inédits [1937-1945] de Paul Valéry à Jeanne Loviton, publiés par Bernard de Fallois.

     

Le 27 : La librairie L'Arbousier à Oraison propose une soirée de lectures et d'échanges autour de deux volumes proaliens récemment parus : une nouvelle édition des Arnaud publiée en septembre par les Editions du Sablier, et le deuxième Bulletin de l'Association des Amis de Jean Proal, consacré au roman et sorti en juillet.

 

Décembre

 

Le 11 : Vente aux enchères chez Christie's France, avenue Matignon, de la collection de livres et dessins de l'ingénieur Jean Lignel, décédé en 2002. Sous le n° 71 est proposé Corona, recueil de 24 poèmes manuscrits rédigés par Paul Valéry entre 1938 et 1942 à l'intention de sa muse, Jeanne Loviton, et publiés en novembre par Bernard de Fallois. Provenance : la princesse Catherine Aga Khan.

Ce beau volume [286 x 255] que Jeanne Loviton avait fait relier en maroquin par Pierre-Lucien Martin, comporte, outre les 24 poèmes dont 7 autographes : 3 photos, 3 dessins originaux et 2 eaux-fortes du poète. Il avait été mis en vente pour la première fois à l'Hôtel Drouot le 27 février 1979 par les commissaires-priseurs Laurin, Guilloux, Buffetaud et Tailleur [« Manuscrits de Paul Valéry (collection de Mme J.V.) »].

Le lot n° 71, estimé 5 000 à 7 000 euros, n'a pas trouvé preneur et a été retiré de la vente. Peut-être a-t-il été victime de la crise financière actuelle, ou d'un prix de réserve trop élevé, ou de sa publication en librairie, un mois plus tôt. Un collectionneur averti m'avait enseigné jadis qu'il fallait toujours vendre un autographe avant de le publier.

 

*

 

Au terme de cette année 2008, j'ai le sentiment qu'un fantôme qui m'est familier hante à nouveau la scène littéraire parisienne. Son nom reparaît à l'occasion de publications concernant Paul Valéry, Jeanne Loviton, ou Louis-Ferdinand Céline, mais mon impression est qu'une première « percée » avait été réalisée dès 2005 par le livre de mon amie américaine Louise Staman.

Sa biographie romancée n'avait obtenu aucun succès en Amérique lors de sa publication en 2002 mais la mise en vente de sa traduction française, bien orchestrée par une maison d'édition sans lendemain, fit quelque bruit à Paris, dont l'écho persiste encore.

Le livre de Jean Jour paru en juin 2006, distribué uniquement par Internet, n'eut pas plus de succès : c'était un ouvrage de commande rédigé à partir d'une documentation obsolète, publié par un éditeur fortement marqué à droite, dont la presse française ne rendit pas compte, et desservi par un prix de vente prohibitif.

Nous verrons comment le cinéma français traitera l'énigme de sa mort brutale : « Les Livres qui tuent », le téléfilm de Denys Granier-Deferre, est programmé pour 2009, sans autre précision.