Robert Denoël, éditeur

 

1922

 

Année littéraire par excellence pour Denoël qui prend des abonnements aux principales revues littéraires : Sélection, mensuel dirigé par P.G. Van Hecke et André De Ridder [premier numéro en août 1920], Le Disque vert, mensuel de Franz Hellens dont le premier numéro paraît en mai, la N.R.F., etc.

 

               

Max Jacob, Jacques Dyssord, André Salmon

 

« C'est à cette époque », écrit Cécile, « que débute la grande amitié qui le liera à Max Jacob, Jacques Dyssord et André Salmon ». Il se lie surtout avec le poète Mélot du Dy, avec qui il correspondra jusqu’en 1928, et grâce auquel il rencontrera plus tard Jean de Bosschère à Paris.

 

   

                                    Mélot du Dy [1891-1956]

Robert Mélot habitait au 73 de l'avenue Beau-Séjour à Uccle, en face de la maison où demeurera plus tard Evelyne Pollet. Il avait ajouté à son nom la « particule » du Dy en hommage à sa femme, Blanche Dudicourt, une actrice française qu'il avait rencontrée en 1913 alors qu'elle se produisait au Théâtre du Parc à Bruxelles.

Fils d'un directeur d'imprimerie [celle de L'Echo de la Bourse], bachelier à dix-sept ans, parlant couramment l'anglais, l'allemand, l'italien, Mélot était un fin lettré qui avait pour ami Jean de Bosschère, avec qui il échangea plus de deux cents lettres entre 1913 et 1950.

Poète mais aussi chroniqueur, nouvelliste, et journaliste quand il le fallait, il avait participé activement à la fondation du Disque Vert avec Franz Hellens, Odilon-Jean Périer et Paul Fierens, et il fut membre actif du comité de rédaction de la revue lorsqu'elle consacra des numéros spéciaux à Max Jacob, Charlie Chaplin ou Sigmund Freud.

C'est à lui que Denoël adressa au Disque Vert ses premiers poèmes rédigés sur bristol, accompagnés de ce billet troussé avec emphase, comme il sied à un poète de dix-neuf ans : « Je ne sais, Monsieur, comment vous fîtes publier vos premiers poêmes. Peut-être vous les avez envoyés au poête que vous lisiez avec le plus de plaisir, dans l'espoir d'une appréciation [...] Voulez-vous donc, s'il vous plaît, lire les trois petits poèmes ci-joints. Si malgré l'absence de rhythme [sic] et la pauvreté de forme ils allaient vous intéresser, aurez-vous la bonté de me le mander ? »

Denoël ne fut pas « mandé » pour ses poèmes, qui sont restés inédits, mais Mélot du Dy prit contact avec le jeune Liégeois et une correspondance s'établit durablement. Une amitié, aussi : Mélot fut l'un des seuls poètes belges publiés chez Denoël au cours des années trente.

 

Mai

 

Premier numéro de Créer, revue bimestrielle d’art et de littérature, dirigée par Arthur Petronio, Henri Goossens, Georges Poulet, Robert Denoël, et Gille Anthelme.

« La rédaction de Créer était quelque peu disparate », écrit Petronio [1897 - 1983] : « J’en menais le jeu en tant qu’animateur mais très souvent contesté par le groupe Poulet, Goossens et Anthelme, trop férus et obsédés par le sigle N.R.F. et l’état d’esprit qu’il représentait, mais accepté et épaulé par Denoël, Graindorge et Mambour qui étaient futuristisans et d’Esprit Nouveau. C’est pourquoi Denoël penchait souvent de mon côté, à cause de sa passion d’indépendance qui le faisait s’insurger contre toutes les tyrannies. »

        Arthur Petronio par Auguste Mambour, 1923

Petronio le décrit à cette époque : « C’était un caractère vif et emporté à l’ironie mordante soit par vocation ou par amusement. Turbulent et expansif, coléreux et cordial, toujours en gésine de vastes projets. Il y avait un fond de bonté caché sous son rire sardonique. Denoël avait un sang riche et était d’une nature furieusement indépendante. Il avait un don exceptionnel d’intuition et de ces à-coups de décisions foudroyantes qui nous surprenaient après ses moments d’hésitation, lors de nos réunions de comité de rédaction de Créer où, parfois, ses brusques reparties jetaient dans le désarroi nos conversations les plus soutenues. »

La revue Créer aura six numéros [4 numéros en 1922, 2 numéros en 1923]. Denoël y signe des notes critiques sur les livres nouveaux sous les pseudonymes de Jacques Marlande puis de Jacques Cormier.

On ignore où et pourquoi il a pris ces pseudonymes. Je n'ai pas trouvé de littérateurs marquants portant ces noms. Louise Staman rappelle que le cormier est un grand arbre rare au bois très dur, qui supporte mal la concurrence des autres espèces, et qui croît en Europe.

A propos de l’emploi de pseudonymes, Georges Poulet (qui, lui-même, utilise celui de Georges Thialet) écrit que Denoël « avait une peur affreuse que ses écrits fussent lus par ses parents, qui auraient été scandalisés ».

On ne voit pas trop pourquoi les parents de Robert eussent dû se scandaliser de ces écrits : ses premiers contes ont été publiés dans la Gazette de Liége sous son patronyme. Ce n’est qu’ensuite qu’il utilisera deux pseudonymes pour signer des critiques littéraires qui ne devraient déplaire, ni à sa famille, ni au journal conservateur qui l’emploie. Peut-être faut-il comprendre que ses parents, qui le destinent à la médecine, n’aimeraient pas qu’il continuât d’écrire ?

Il faut cependant reconnaître que le jeune Denoël a mis du sien dans les récits et nouvelles qu'il publie dans les revues. Ainsi, on trouve dans « Un Homme de circonstances », publié en 1926, les défauts d'un père - mort accidentellement dans le récit - qu'il n'a pas eu besoin d'inventer : « la foi aux médisances ; l'orgueil des succès scolaires ; le souci de la correction traduit par le vêtement, le son de la voix ; l'estime qu'il accordait aux gens, calculée au poids de leurs titres universitaires ; ce goût de vaincre si poussé qu'une défaite au whist... »

L'Intransigeant,  13 août 1922

 

Juin

 

Il est appelé sous les drapeaux pour la fin de l’année, sauf en cas de prolongation de ses études.

« Mes projets ? Stagnants. J’attends. Si je ne trouve rien je ferai mon service militaire en décembre. Je travaille : grammaire française, philosophie et langue anglaise. J’ai encore écrit de ces petites choses difficiles à qualifier et un conte de cinq ou six pages », écrit-il à Mélot du Dy.

 

Octobre

 

Le 10 : Il ajourne ses épreuves de fin de cession à l’université.

 

Novembre

 

Le 30, il est mobilisé au camp de Beverlo, près de Bourg-Léopold, dans le Limbourg, où René Magritte avait, l'année d'avant, accompli son service militaire. Avec ses 17 000 occupants, Beverlo était l'un des camps de l'armée terrestre les plus importants de Belgique.

 

Sa fiche militaire portant le matricule 198.18944 nous apprend que Denoël mesure 1 m. 79 : il a donc grandi de 9 cm depuis 1920.

 

 

 

Cécile Denoël écrit : « cet anti-militariste-né y fut un bien piètre soldat. Rapidement, il dut quitter le camp ; il fut envoyé dans un hôpital militaire à Anvers. » Le 2 juin, en effet, six mois après son instruction, il est désigné pour un service auxiliaire à l'hôpital militaire d'Anvers. On peut se demander pourquoi un garçon aussi bien bâti est affecté à l'intendance. Peut-être le rapport d’autopsie rédigé en 1945 par le docteur Piédelièvre en donne-t-il la clé : « Il avait des lésions pleurales anciennes. » D'autre part, Robert est myope et porte lorgnon.

 

C’est dès le début de son service militaire qu’il publie des articles de critique littéraire dans Liège-Universitaire, un périodique qui paraît depuis 1896 : son premier « papier » est daté du 24 novembre.