Robert Denoël, éditeur

 

1958

 

Janvier

 

Parution d'Entretiens familiers avec L.-F. Céline. Robert Poulet ayant connu Robert Denoël à la même époque que Céline, il est à plusieurs reprises question de lui dans ce volume.

 

Mars

 

Nouvelle édition de Mort à crédit dans « Le Livre de poche », sous une couverture illustrée par Lucien Fontanarosa [1912-1975], qui avait déjà illustré celle de Voyage dans la même collection, deux ans plus tôt. Régulièrement réimprimé sous cette forme jusqu'en 1971, ce titre a atteint un tirage total de plus de 240 000 exemplaires.

 

Juin

 

Le 25 : Céline écrit à Roger Nimier, à propos d’une édition illustrée de ses ballets : « j’ai pensé et ai alerté mon ex-épouse Mme Edith Lebon, 30 rue Vaneau, qui est professionnelle de l’illustration. Elle a illustré pour Robert Denoël ».

Le 9 août, il écrit au même : « Patratrac ! pour l'illustratrice ! plus question ! en trente ans, devenue trop riche, poivrote, et curée, fainéante totale, et maquisarde absolue ! en sus ! hostile doucereuse mais féroce ! et mandatée ! gourrance donc ! la gueule du loup ! n'en parlons plus ! »

Le 13 août, tout s'est arrangé : « La situation est en main ! Sauvée ! Je me suis assuré le talent de ma très ancienne petite cliente (de Clichy) Eliane Bonabelle elle est disposée et ravie d'illustrer mes quatre ballets et le film. Eliane est connue à la NRF et son talent est national et international ! »

Je n’ai pas trouvé d’ouvrage illustré par Edith Follet dans la production de l’éditeur. On peut se demander si, dès sa lettre du 25 juin, Céline ne confond pas Edith Follet avec Eliane Bonabel qui, elle, a illustré en 1945 un livre du comte de Gobineau pour Robert Denoël aux Editions de la Tour [Akrivie Phrangopoulo].

Mais si Céline ne se trompe pas, et on connaît sa mémoire de buveur d'eau, il faudrait alors rechercher, parmi les nombreux livres pour enfants publiés entre 1931 et 1945 par Robert Denoël, s'il ne se trouve pas d'ouvrage illustré anonymement ou sous pseudonyme qui serait dû au talent d'Edith Follet.

Entre 1931 et 1933, par exemple, Denoël a publié dans sa « Bibliothèque Merveilleuse » neuf volumes pour la jeunesse dont plusieurs cartonnages sont illustrés anonymement. Et on se souvient que c'est à cette époque que l'éditeur sollicite Céline pour financer un journal pour enfants [voir 1969].

Quant à Edith Follet, elle a illustré plusieurs dizaines d'ouvrages entre 1920 et 1960. Avant la guerre, elle dessinait des aquarelles pour des éditions de demi-luxe publiées par les Editions Nilsson. A partir de 1941 c'est à des volumes de la « Bibliothèque de Suzette » des Editions Gautier-Languereau qu'elle destinait ses dessins.

Je m'attacherai plus tard à commenter les livres illustrés publiés par Robert Denoël. Disons simplement que la période 1930-1942 n'était guère propice au livre de bibliophilie pour un éditeur de littérature, et qu'il n'a pas fait appel aux plus grands artistes pour illustrer ses quelques productions de demi-luxe.

Il s'agit souvent d'illustrateurs de second plan : Marianne Clouzot, Jean Sennep, Franz Pribyl, Eliane Bonabel, Jean-Denis Malclès, Gaston de Sainte-Croix, Maurice L'Hoir, Roger Wild, Laszlo Fircsa [qui signe « Dominique »], ou d'artistes débutants tels que Rémy Hétreau ou Dominique Rolin.

On doit pourtant signaler que les tirages de tête de certains livres comportent des frontispices originaux signés de noms prestigieux : une lithographie d'André Lhote pour La Peinture [1933] et Parlons peinture [1936], une eau-forte de Léopold Survage pour A l'amie dormante de Mélot du Dy [1935], une eau-forte de Salvador Dali pour Grains et issues de Tristan Tzara [1935], une pointe sèche d'Henri Matisse pour Midis gagnés du même Tzara [1939].

Quant au soin que Denoël apportait à la confection d'un livre de luxe, il n'est que de lire cette lettre qu'il adresse le 26 février 1943 au jeune Rémy Hétreau, chargé de l'illustration de L'Hôtel du Nord :

« Nous avions convenu d’une illustration comportant 35 bandeaux et 8 hors-texte. L’étude que je suis en train de faire sur l’architecture de ce livre ne me permet pas encore de vous dire quelles seront les dimensions exactes des hors-texte. Nous avons fait faire plusieurs épreuves de texte, afin de juger de l’importance de la typographie et de sa couleur avant de nous décider.

D’autre part, je crains que la répétition des bandeaux n’entraîne de la monotonie. Je pense à une nouvelle solution qui consisterait à faire suivre les chapitres sans aller à la page et à donner des illustrations dans le texte, chaque fois qu’il n’y en aurait pas hors texte. Cela nous permettrait des demi-pages en hauteur ou en largeur, des bandeaux étroits ou larges, selon les sujets à traiter. Pour que nous puissions décider du nombre et de la place de ces illustrations, il faut évidemment que la composition soit terminée et la maquette établie d’accord avec vous, d’une façon définitive.

Le plus simple, à mon avis, serait donc de procéder maintenant à toutes les études nécessaires à l’établissement des gravures, avant de procéder à la gravure proprement dite. Ce travail vous demandera quinze jours sinon davantage, et pendant ce temps, nous aurons pu achever toutes les études préliminaires.

J’insiste beaucoup pour que les figures soient dessinées avec beaucoup de soin. Depuis des années les illustrateurs se contentent trop souvent d’une improvisation heureuse et poussent rarement un dessin d’après nature. Le genre de L’Hôtel du Nord est menacé plus qu’un autre par la convention et quand je pense à la convention, je pense aussi bien aux poncifs de la Nationale qu’au poncif Dignimont, par exemple.

Il ne faudrait donc pas hésiter à faire un grand nombre de croquis d’après nature, de façon à exprimer dans votre style personnel toute l’atmosphère si curieuse et si attachante de ce milieu. La variété même des chapitres vous permet un choix très amusant de sujets. Il ne faut pas négliger le côté écuries, chiens, etc, qui vous permettra à côté des scènes d’hôtel, du quai de Jemappes et du bistro, de donner à cette illustration une abondance et un relief que d’autres livres ne vous permettraient peut-être pas.

Il ne serait peut-être pas mauvais non plus de situer discrètement l’époque. C’était, ne l’oubliez pas, l’époque des cheveux coupés courts, des chapeaux cloches, des jupes courtes et des guiches. Si cela pouvait vous être utile, je vous procurerais volontiers une dizaine de photographies de spectacles populaires : 14 juillet ou autres, des années 1927-28 ou 29. Il y aurait peut-être un petit rappel piquant à faire.

Nous voulons faire un beau livre et nous y consacrerons tout le temps qu’il faudra, mais je voudrais que vous vous y consacriez très particulièrement dès maintenant. Un détail encore : gardez vos projets, vos croquis, vos études préalables. Les meilleurs pourront servir à truffer des exemplaires d’un prix plus élevé. »

Rémy Hétreau a plus tard témoigné de la qualité des conseils prodigués par son éditeur :

« Cet homme souriant, grand, calme et puissant, savait faire confiance et donner confiance en soi. Il m’a conseillé de faire des études sur nature puisque l’hôtel du Nord existait toujours, encore dirigé par la mère d’Eugène Dabit. J’y ai dessiné pendant un mois avant de commencer à graver ; c’était mon premier travail d’illustrateur.

Robert Denoël a su encourager mes recherches pour trouver un style et voulait que je participe de très près à la mise en page du livre. Je lui soumettais au fur et à mesure les états de mes cuivres que je vois encore disposés sur son grand bureau couronné d’un magnifique encrier de porcelaine.

Quand mon travail a été fini, pendant que les gravures étaient tirées chez Roger Lacourière, Robert Denoël m’a fait connaître d’autres éditeurs et, grâce à lui, j’ai illustré plusieurs livres. Il voulait, me disait-il, en dehors de ses éditions brochées, refaire des collections dans l’esprit « Hetzel » et déjà il avait demandé des maquettes à de jeunes artistes pour créer une équipe. » [Lettre à l'auteur, 13 octobre 1979].

 

Novembre

 

Le 3 : Mort à Paris de Pierre-Henri Cami. Né à Pau le 20 juin 1884, cet écrivain humoriste apprécié par Chaplin et Prévert avait eu un succès considérable entre 1914 et 1930, avant de sombrer dans l'oubli.

Philippe Soupault [1897-1990] écrivait à son sujet : « J'ai rencontré pour la première fois Cami après avoir lu L'Homme à la tête d'épingle [1914] . Je fus étonné par son attitude. Je fus aussi surpris de constater qu'il ne riait jamais et qu'il ne souriait que très rarement. Il ne faisait que peu de gestes. Il ne ricanait pas. A vrai dire il était flegmatique et sérieux. Il parlait peu et à mi-voix. Malgré cette réserve il était sympathique et même cordial [...] C'était un solitaire qui cherchait la solitude, un homme étrange mais attentif. A un journaliste qui lui demandait quels étaient ses livres préférés il avait répondu : " D'abord le thé d'Alice au pays des merveilles (Alice in Wonderland) qu'il savait par cœur et ensuite un conte des frères Grimm (Le Brave petit tailleur) qu'il savait aussi par cœur et enfin, ajoutait-il, les œuvres complètes de Cami ».

 

Robert Denoël lui avait demandé une « pré-farce » pour un des premiers albums qu'il publia en juillet 1930, alors que les Editions Denoël et Steele n'avaient pas encore quitté l'avenue de La Bourdonnais.

 

Décembre

 

Le 8 : édition posthume, par l' « Association des amis d'Albert Paraz », du Menuet du haricot aux Editions Connaître à Genève. Ce dernier volet du journal de l'auteur a fait l'objet d'un tirage très restreint : 450 ex. num. dont 250 sur alfa réservés aux membres de l'association, et 200 sur papier Libris destinés aux souscripteurs.