Robert Denoël, éditeur

1959

 

« Peu à peu, à force de travail, nous arrivions, une fois encore, à remonter la pente et à faire des projets. En 1959, nous achetions un terrain perdu dans la campagne que desservait un chemin de terre bordé de fossés et d'herbes folles.

C'était à Mandelieu. Sur ce terrain, nous avions projeté de construire la maison de famille : un mas qui devait abriter quatre générations : la maman de Cécile, mon père, nous deux, le Finet et Arlette sa femme, Patrice et Olivier, leurs enfants. Le nom de la maison : Saint-Amour. Tout un programme », écrit Albert Morys.

 

Mai

 

Le 22 : parution de Ballets sans musique, sans personne, sans rien, illustré de 13 dessins à la plume par Eliane Bonabel. Tiré à 5 500 exemplaires non justifiés sur papier alfa, ce volume contient Scandale aux abysses, Foudres et flèches, et trois ballets qui à l'origine avaient été insérés dans Bagatelles pour un massacre.

 

Juin

 

Le 4 : Décès à Liège du professeur Lucien Denoël, père de Robert.

Le professeur Lucien Denoël,  peu avant sa mort

 

Dans la notice biographique qu'il lui a consacrée en 1967 pour le Liber memorialis de l'université de Liège, E. Frenay retrace sa carrière :

« Lucien Denoël est né à Verviers le 6 juillet 1870. Après avoir fait à Verviers ses humanités gréco-latines et à Carlsbourg sa première scientifique, il se présente en 1887 à l'examen d'admission à l'Ecole des mines de Liège, examen auquel  il se classe deuxième.

Au cours de ses études à l'Université de Liège, il bénéficie en 1891, d'une bourse qui lui permet de faire un voyage d'études dans les bassins houillers de la Westphalie et de la Saxe, dans les districts miniers du Harz et de Freiberg.

En 1892, il est diplômé ingénieur des arts et manufactures. Immédiatement après, il est par arrêté royal du 2 novembre 1892 nommé ingénieur honoraire des mines et, le même jour, ingénieur au Corps des mines.

Attaché au service du premier arrondissement des mines à Mons jusqu'en 1898, il reçoit la médaille civique de première classe pour actes de courage et de dévouement à l'occasion d'un incendie survenu en 1894 dans les travaux souterrains du charbonnage du Bois-Saint-Ghislain.

En 1895, il est nommé professeur d'exploitation des mines, levé des plans et nivellement à l'Ecole industrielle de Dour créée cette même année.

En 1897, cinq ans après avoir obtenu son diplôme d'ingénieur, il entre à l'Université de Liège, où, à la Faculté technique, il est chargé de faire les répétitions d'exploitation des mines.

Il est chargé en 1907 de faire rapport à la Commission parlementaire d'enquête sur la durée du travail dans les mines. Il étudie spécialement les questions concernant les effets de la limitation du travail à huit heures par journée et les moyens de maintenir, dans ces conditions, la production nationale.

En 1908, ingénieur principal au Corps des mines, il est placé dans la section de disponibilité et par arrêté royal du 10 avril 1908, il est détaché avec rang de professeur ordinaire à la Faculté technique de l'Université de Liège et chargé d'y faire le cours d'exploitation des mines en remplacement d'Alfred Habets, décédé. Par arrêté royal du 28 septembre 1931, il est chargé du cours de préparation mécanique des minerais et charbons, cours créé par la loi du 21 mai 1929. Admis à l'éméritat en 1940, il a, par suite d'une autorisation spéciale, fait ces cours jusqu'en septembre 1942.

Pendant trente-quatre ans, sans autre interruption que celle due à la fermeture des universités pendant la guerre de 1914-1918, il met au service de l'Université, avec l'expérience qu'il a acquise au Corps des mines, ses qualité éminentes : intelligence, travail, spontanéité, équité, dynamisme.

Doué d'une intelligence vive, d'un sens critique très poussé et de profondes qualités humaines, le professeur Denoël, qui a conservé de ses études universitaires une connaissance profonde des principes essentiels des cours de base, oblige ses élèves à analyser les questions avec bons sens, à rechercher les phénomènes physiques constituant la base des problèmes, puis à attaquer ceux-ci par les outils appropriés et avec la plus complète indépendance d'esprit.

Convaincu de ce que dans l'art des mines, ce sont les exploitants qui fournissent la matière des cours, il base son enseignement sur la collaboration effective entre l'Université et l'Industrie. Il lui importe moins de se livrer à de savants calculs théoriques que de dégager les principes des matières enseignées et de les développer ensuite à l'usage des ingénieurs chargés de les appliquer.

Il s'est ainsi acquis la profonde reconnaissance des trente générations d'ingénieurs qu'il a formés en leur faisant acquérir un jugement sain, une faculté de discussion et ce bon sens pratique dont la valeur est proclamée par tous ceux que préoccupe la formation de l'ingénieur.

Les travaux scientifiques du professeur Denoël ont trait à l'exploitation des mines. Ils ont tous les qualités maîtresses, analyse méticuleuse, déduction logique et objectivité scientifique, qui s'étaient manifestées dans le rapport qu'il établit en 1909 pour la Commission parlementaire d'enquête sur la durée du travail dans les mines.

Ses études sur les explosifs, les câbles, la ventilation, les cuvelages, l'exploitation en général et les dégâts miniers - études dont la cadence n'a pas été ralentie par son admission à l'émérite - l'ont classé parmi ceux qui ont bien servi à l'étranger le prestige de la Belgique et celui de l'Université de Liège.

Son influence dans le monde des ingénieurs des mines, tant en Belgique qu'à l'étranger, fut grande. Membre de la Société géologique de Belgique, membre d'honneur de la Société de l'industrie minérale de Saint-Etienne, rapporteur désigné par le comité d'organisation des congrès internationaux des mines de Paris en 1900, de Liège en 1905 et de Düsseldorf en 1910, président de la section des mines du congrès international des mines, de la métallurgie et de la géologie appliquée tenu à Liège en 1930, membre du comité directeur des Annales des mines de Belgique et du comité directeur de l'Institut national des mines depuis sa fondation, président de la 17° commission du F.N.R.S. (mines) depuis 1928, il a fait bénéficier ses élèves auxquels il s'intéressait non seulement pendant leur passage à l'Université, mais encore lorsqu'ils étaient lancés dans la carrière, de son influence dans les milieux industriels et de son renom.

Son activité n'a pas cessé avec son accession à l'émérite. Elle s'est poursuivie jusqu'à quelques jours avant son décès survenu le 4 juin 1959 après une courte maladie. »

Bien que son nom n'apparaisse pas sur cette pierre tombée, Lucien Denoël repose bien aux côtés de son épouse, Jeanne Déome, décédée en 1927 et enterrée au cimetière de Robermont, parcelle 183-32-9 (cliché Joseph Beaujean)

 

Juillet

 

Le 31 : Elvire Herd, âgée de 73 ans, meurt à Housse, un petit village près de Liège où elle s'était retirée depuis le 28 juin 1954.

       Elvire Herd en 1959 (collection Lambert Grailet)

La mère de Cécile Brusson, que chacun appelait familièrement « Madame Elvire », y était devenue une figure pittoresque. Il s'est trouvé un chroniqueur pour lui rendre hommage, le 24 janvier 2006, dans une feuille locale, Blegny-Initiatives :

« Madame Elvire fut, dans le genre sportif, une des plus belles femmes de Housse. Elle débuta comme lutteuse de foire. Elle avait de qui tenir. Elvire Herd était la sœur du lutteur Constant-le-Marin.

Elle posa nue pour le sculpteur Sturbelle qui réalisa le monument commémoratif du 75e anniversaire de la Belgique. Ce monument est érigé boulevard d'Avroy à Liège. Il représente Charles Rogier vieillissant, assis, avec à ses pieds, le lion endormi, mais à ses côtés une Elvire Herd, aux formes athlétiques, savamment drapée dans le drapeau national.

Avant de s'établir à Housse, Madame Elvire eut une vie mouvementée. Elle vécut d'abord avec un garçon-boucher : Brusson, dont elle eut une fille, Cécile Brusson. Elle quitta son garçon-boucher pour filer, avec un boxeur noir jusqu'en Afrique du Sud. Là-bas, elle l'abandonna pour épouser un ingénieur anglais, Fallon, dont elle divorça en 1923.

Elle revint à Liège, tenir un café. Son frère, Constant-le-Marin, était alors au faîte de sa gloire : champion du monde de lutte gréco-romaine et héros de la guerre 14-18, qu'il avait faite dans le corps des autos-canons sur le front russe.

Sa fille, Cécile Brusson, une rousse flamboyante, qui servait au café, séduisit un fils Denoël. Ce Robert Denoël était d'une grande famille de la haute bourgeoisie liégeoise. Le père était professeur d'exploitation des mines à l'Université de Liège et les autres fils, ingénieurs des mines dans de grandes entreprises liégeoises.

Les deux jeunes gens se marièrent au grand dam de la famille Denoël qui les renia. Ils partirent à Paris où Robert mena une vie de bâton de chaise. Il fut assassiné, en 1945, à la libération, dans des circonstances mystérieuses.

Cécile Brusson, veuve Denoël, se retira dans le Midi, villa des Lilas, rue des Lilas, à Cannes. Sa mère, Madame Elvire, n'alla pas aussi loin. Elle se retira à Housse, Cour des Mayeurs, chez Anne Gilliquet, une autre figure pittoresque de Housse.

Elle habita ensuite chez Toussaint Gilliquet, la maison voisine de mes beaux-parents, avec qui elle se lia d'amitié. Lors de notre mariage, nous fûmes invités chez sa fille, Villa des Lilas, à Cannes. Noyés de bonheur, en plein voyage de noces, nous négligeâmes l'invitation. Elle ne nous en tint pas rigueur. Elle vécut, en pleine forme, jusqu'à un âge avancé, en pratiquant sa gymnastique quotidienne.

        Elvire Herd à Housse, peu avant sa mort (collection Lambert Grailet)

Elle eut une mort enviable pour une vraie Houssoise. Elle succomba à une mauvaise indigestion, en mangeant de la tarte au riz, un soir de fête à Housse. Elle avait 92 ans. »

Raymond Pierre, qui signe cet article, s'est trompé sur l'âge de sa voisine, mais on ne saurait douter qu'Elvire Herd mourut, comme il le dit, « en vraie Houssoise », après avoir vécu en vraie Liégeoise d'Outre-Meuse.

 

Sa volonté était toutefois de reposer dans le quartier de sa jeunesse, et elle fut enterrée aux côtés de deux de ses sœurs, dans le caveau familial au cimetière de Robermont, parcelle 233-1-24 (cliché Joseph Beaujean).