Robert Denoël, éditeur

1925

Denoël publie sous le pseudonyme de Jacques Cormier des nouvelles dans le Disque vert et Sélection, et tient une rubrique littéraire hebdomadaire dans Liège-Universitaire, qu’il signe Robert Marin.

Sur ces travaux littéraires, Georges Poulet et ses amis avaient cette opinion : « Tout cela, assez médiocre, c’est ce que nous pensions, mais peut-être plus remarquable que ce nous faisions nous-mêmes, par je ne sais quel jaillissement spontané de l’expérience sensible, par la franchise et le courage avec lesquels il abordait, toujours directement, l’existence.

La médiocrité apparente de Denoël cachait des qualités que nous n’avions pas mais qui n’en étaient pas moins importantes, la hardiesse, l’esprit d’entreprise, surtout une grande vigueur physique et morale, quelque chose enfin qui nous donnait vaguement le sentiment qu’il " avait de l’avenir ". »

 

Janvier

 

Lettre à Mélot du Dy : « A propos de poètes, savez-vous que Madame Georgette Leblanc écrit des vers. Les "hasards du journalisme" m’ont fait rencontrer cette dame qui a conservé pour M[aeterlinck] une admiration touchante. Elle donne des concerts en Amérique et à Liège, notamment où elle interprète avec beaucoup d’habileté la musique des " Six ". »

 

Février

 

Lettre à Mélot du Dy : « Avez-vous vu le Disque ? J’ai été déçu mais la lecture de ce fragment m’a fait voir mieux ce que je voulais. Malgré tous les défauts (déclamation, pléthore d’adjectifs, etc.) il me semble que ces pages vivent. Je leur souhaite une vie plus personnelle : attendons. Sélection va vous arriver. J’ai corrigé il y a une dizaine de jours les épreuves du fragment qui paraît cette semaine : ma déception a été plus forte. Je cherchais une certaine dureté d’accent, une certaine brutalité même, à côté d’autres choses, mais je crains d’être tombé dans une alarmante vulgarité. »

Le 5 : Béatrice Appia, épouse depuis l'année précédente d'Eugène Dabit, expose pour la première fois ses peintures dans la galerie d'art de la Grande Maison de Blanc, rue Halévy, dans le IXe arrondissement, en compagnie de Marie Laurencin, Hermine David, Chana Orloff, et quelques autres.

 

Mars

 

Le 8 : rencontre Cécile Brusson, une fille « resplendissante au visage ensoleillé, qui lui était apparue un soir de fête sous les habits de la Bohémienne de Franz Halls, dans un bal costumé et dont le regard l'avait envoûté », écrira Albert Morys.


  Cécile elle-même écrivait que ce jour-là, « nos routes et nos regards se croisent. Le coup de foudre n'existe pas que dans les romans. Il soude ce jour-là le destin de deux êtres jeunes, deux natures de formations opposées mais qui vont merveilleusement se compléter ».

La date de cette rencontre est sujette à caution [cf. notices biographiques] mais il est avéré que Robert Denoël était amoureux de la jeune fille, comme en témoignent plusieurs lettres de cette époque :

« Si vous m’aviez vu avec elle à Liège, vous auriez été étonnée, tant j’étais joyeux, d’une humeur gaie, prêt à trouver tout admirable puisque la jeune fille du Cap était contente », écrit-il à Champigny, le 27 août 1927.

A Victor Moremans il évoque une « jeune fille dont je vous ai parlé un soir d’hiver au Thier à Liège. Elle s’appelle Cécile, elle passa son enfance au Cap, elle m’aime, nous nous aimons depuis 4 ans... Vous souvenez-vous ?» [11 octobre 1927].

Mais on remarque qu’à Liège même, il « parle » de Cécile : il ne l’a donc pas présentée à cet ami proche, qui travaille dans le même journal que lui.

C’est à partir de septembre 1924 que Denoël adopte le pseudonyme de Robert Marin. Est-ce à cause de l’oncle de Cécile, le champion de lutte Henri Herd, qui combattait sous le nom de Constant-le-Marin ?

 

Juillet

 

Lettre à Mélot du Dy : « Il faudra que j’étudie pendant ces trois mois plus que je n’aurais voulu. Aussi ne prendrai-je pas de vacances. Au mois d’octobre je reprendrai ma liberté et je pourrai enfin achever un des récits dont je vous ai parlé (Un fragment du premier va paraître dans le dernier numéro de Sélection.) »

Le 20 : Robert offre à Victor Moremans un très beau portrait de lui dessiné en 1923 par Edgar Scauflaire :

    

 

Scauflaire [1893-1960], auquel Denoël consacrera un bel article en mars 1925, avait l'habitude de parsemer ses compositions de symboles. Ceux qui entourent ce dandy un peu compassé sont évocateurs : deux visages, un manuscrit, une carafe de vin, une pipe.

Ce cliché, qui trônera sur le bureau du journaliste jusqu'en janvier 1945, avant d'être abîmé par l'explosion d'une bombe allemande sur sa maison, porte cette dédicace :

Octobre

 

Le 15, il a « satisfait » aux épreuves du 1er doctorat. Prend une inscription pour un 2e doctoral en droit.

 

Novembre

 

Lettre à Mélot du Dy : « Vous avez été pour moi une agréable et constante préoccupation. Soyez-en remercié puisque cela m’a valu de relire vos livres, de les découvrir avec un plaisir que je n’essayerais pas de vous exprimer. J’ai senti plus vivement même qu’à la première lecture 'votre' poésie. Et c’est assez aisément (en dépit de quelques hésitations dans mes premières phrases) que j’ai pu en parler à un auditoire de philologues parmi lesquels se trouvaient deux dames, dont une jolie. Vous avez eu un succès très vif, dont je vous félicite. Vous recevrez bientôt les quelques lignes de compte rendu consacrées à cette 'causerie' : elles paraîtront vraisemblablement vendredi en huit dans Liège-Universitaire. »

 

Décembre

 

Le 7, lettre à Mélot du Dy qui est sur le point de quitter Bruxelles pour Paris. Denoël envisage de l’y rejoindre bientôt : « J’ai la hantise de ce départ, de n’importe quel départ ». Cette décision est prise depuis quelque temps puisque Joseph Delteil lui a écrit, le 16 novembre : « Vous me ferez beaucoup de plaisir en venant me voir lorsque vous serez à Paris ». L'écrivain le remerciait alors de l'article que Denoël avait consacré dans Liège-Universitaire [30 octobre] à son Jeanne d'Arc paru chez Grasset.

Entretemps il donne des « papiers » critiques à des revues, fait des « causeries » littéraires, rencontre des écrivains (Paul Valéry, et « un autre Paul que nous aimons moins, Claudel »), et se cherche toujours : « je recule toujours davantage l’époque du roman pour m’en tenir à la nouvelle. »