Robert Denoël, éditeur

Présentation

 

Voici une rubrique que j’aime particulièrement, car elle se constitue au fil de mes relectures de livres et de lettres accumulées depuis plus de trente ans. Rien n’y est apprêté, sauf l’introduction et le commentaire, que je suis en droit d’y apporter, aujourd’hui.

Quand j’ai débuté cette enquête biographique, en 1975, j’avais prévenu mes correspondants que leurs réponses étaient destinées à un numéro spécial de La Revue célinienne consacré à Robert Denoël, « à paraître prochainement ». Je n’imaginais pas, alors, combien cette connotation célinienne me fermerait de portes. Je ne savais pas, non plus, que le nom de mon héros était si sulfureux. L’équation : « Denoël - Céline - Rebatet - Triolet », connue depuis 1945, l’était toujours, trente ans plus tard.

Nous sommes en 2010. Il y a longtemps que je ne sollicite plus personne, mais ces noms symbolisent toujours ce que la France intellectuelle rejette avec un obscur sentiment de culpabilité qui n’en finit pas de s’alourdir.

Robert Denoël n'aimait que la littérature française ; la politique lui soulevait le cœur. Mais il s'est trouvé, dans le tourbillon éditorial parisien, obligé, pour survivre, de publier des textes dont il n'était pas fier, et d'accepter une prise de participation allemande dans sa société.

Il allait de soi qu'il fût sanctionné. Il le fut, et il l'accepta, jusqu'à un certain point. Quand il écrit, le 20 septembre 1944, à Jean Rogissart, qu'il se débat «dans les histoires d’épuration. On me reproche certains livres à succès et mon succès tout court. Mais je pense m’en tirer sans de trop graves dommages », il n'a pas encore compris que sa tête est mise à prix.

A aucun moment, il n'a imaginé que la France allait à nouveau décapiter ses élites. Il croit qu'on lui reproche surtout ses succès éditoriaux, ce en quoi il a raison, mais il ne prend pas encore la mesure de la rancœur de ses confrères.

Certes, Alexis Carrel, par exemple, a vendu sans bruit 200 000 exemplaires de L'Homme, cet inconnu (entre 1935 et 1944) mais, avec des tirages inférieurs, Céline et Rebatet ont été les vedettes incontestées de l'Occupation. A l'heure des bilans, les pamphlétaires sont en première ligne.

Et leur éditeur réalise, un peu tard, qu'il pourrait bien incarner la collaboration de l'Edition en France, en raison de sa « belgitude », un mot qui n'existait pas encore, mais dont il va bientôt sentir tout le poids.

Denoël n'avait appartenu à aucun parti politique, à aucun cénacle, il avait du talent et, durant près de quinze ans, avait accumulé les succès... Comme l'écrivait Céline : « il aurait eu la " couverture ", il vivrait encore, on l’aurait pas emmené se promener... mais pas couvert ? c’était joué ! c’était fatal !... »