Robert Denoël, éditeur

Chronique de procès en cascade

 

Le 9 janvier 1946, Jeanne Loviton écrit à Maximilien Vox, administrateur provisoire des Editions Denoël, que sa société d’édition est devenue propriétaire de toutes les parts de Robert Denoël dans la Société des Editions Denoël, et qu’en tant que partenaire majoritaire, elle demande une réunion des actionnaires, rue Amélie, en vue de faire nommer un nouveau gérant.

Cécile Denoël en est avisée le lendemain. Elle fait alors poser des scellés sur l’appartement qu’occupait son mari, boulevard des Capucines, et tente de faire de même à l’adresse de Jeanne Loviton, rue de l'Assomption.

Le 28 janvier, elle dépose contre Mme Loviton une plainte avec constitution de partie civile pour vol, escroquerie, abus de confiance, faux, usage de faux et abus de blanc seing.

L’instruction a été confiée au juge Jean Bourdon, au désappointement de la plaignante qui avait signalé au Parquet que le juge Gollety était chargé de l’enquête sur les causes de la mort de Denoël.

La séparation des deux dossiers risquait de lui être défavorable, et le fut en effet : dès le 30 octobre, le juge Bourdon rendait une ordonnance de non-lieu, ordonnance confirmée un mois plus tard par la Cour d’appel, avec des attendus assez surprenants.

Cécile Denoël, qui n’a pas fait appel de ce jugement, perd donc tout droit sur les biens disparus de son mari. Il ne lui reste à contester que la cession de parts signée le 25 octobre 1945 par Robert Denoël en faveur des Editions Domat-Montchrestien.

Le 24 décembre 1948 leTribunal de commerce estime simulée la cession de parts et condamne Jeanne Loviton et les Editions Domat-Montchrestien à la restitution. A la suite d’un appel des deux parties, la Cour d’appel nomme, le 2 novembre 1949, un expert pour examiner les écritures litigieuses.

Le 13 décembre 1950, la Cour d’appel ayant entendu le rapport de l’expert, déclare valable la cession de toutes ses parts par Robert Denoël en faveur des Editions Domat-Montchrestien.

Un acte de cession de parts en blanc : Robert Denoël était coutumier de cette pratique, dont il aura usé et abusé depuis ses débuts, en 1928.  « Mon mari », écrivait Cécile Denoël au juge Gollety, « avait la spécialité de créer des sociétés fictives ou de les continuer sous le couvert de prête-noms, et d’investir, également sous le couvert de prête-noms, des capitaux dans des sociétés existantes, en faisant signer à ces prête-noms des cessions de parts en blanc, c’est-à-dire sans indication de date et sans indication du nom de l’acquéreur de ces parts. »

Denoël se protégeait donc en conservant dans un coffre les cessions de parts en blanc. Dans la présente affaire, il aura manqué à sa veuve l’accès à ce coffre.