Robert Denoël, éditeur

2014

 

Janvier

 

La librairie « Les Autographes », rue de l'Abbé-Grégoire à Paris, propose dans son catalogue le manuscrit autographe complet de La Foire aux garçons, un roman de Philippe Hériat publié en juin 1934 chez Denoël et Steele.

        

Ce manuscrit de travail, rédigé à l'encre bleue sur des feuilles de papier quadrillé, comporte 284 pages in-folio. Son prix de vente est fixé à 1 500 euros.

Le Temps a fait sa grande lessive et elle est impitoyable. Philippe Hériat, prix Renaudot 1931, fut le chaperon de Céline, prix Renaudot 1932, chez Denoël en décembre 1932. Quatre-vingts ans plus tard, le manuscrit complet d'un roman du premier se négocie au prix d'une seule page du second.

Le 7 : « Espace Nord » publie une nouvelle édition de Handji. Le roman de Robert Poulet, paru en février 1931 chez Denoël et Steele, n'avait plus été réédité depuis 1955 (chez Plon). Cette collection « de poche » qui fut fondée jadis par les Editions Labor appartient aujourd'hui à une instance politique, la Communauté française de Belgique.

       

Quand on se rappelle combien Céline appréhendait le goût « belge » de Robert Denoël pour la confection de ses couvertures, on peut se demander comment il aurait qualifié celle qui a été commise pour le livre de Poulet par un fonctionnaire probablement en fuite, selon l'expression d'Henri Jeanson.

Le 28 : la ville de Villefranche-sur-Mer consacre une exposition à Elsa Triolet dans la chapelle Saint-Elme, jusqu'au 10 février. Il s'agit de la collection de colliers en nacre, cuir et perles, réalisés entre 1929 et 1932 par l'écrivain, alors « parurière », que Louis Aragon (promu démarcheur, il les proposait aux grands couturiers) avait offerte en 1981 à la ville de Saint-Etienne de Rouvray.

La conservatrice qualifie ces 56 jolis colliers d' « inclassables ». Jean Ristat, ayant droit d'Aragon et d'Elsa Triolet, écrit dans L'Humanité : « Elsa écrivait un livre comme elle faisait des colliers. Ces bijoux sont des objets d’art. ».

Malheureusement pour les livres d'Elsa Triolet, dont la qualité d'objet d'art n'a pas été retenue par la postérité, ils brillent surtout par leur absence dans la plupart des bibliothèques françaises.

 

Février

 

La librairie Eric Fosse, rue Puvis de Chavannes à Paris, consacre son catalogue de février à l'éditeur liégeois Pierre Aelberts [Anvers 19 avril 1899 - Liège 23 mars 1983]. Le catalogue « 30 ans après » comporte 343 numéros : volumes et brochures bibliophiliques (la plupart en tirage de tête), lettres, manuscrits et documents relatifs à ses publications [1925-1982].

Le 12 : Les Editions Gallimard annoncent que trois titres de Louis-Ferdinand Céline sont désormais disponibles au format numérique : Mort à crédit, Guignol's Band, Nord.

Le 15 : L’Association d'Arts et d'Etudes du Lot propose, durant deux jours, un séminaire public au château de Béduer consacré « à l’amour fou de Paul Valéry. Le poète, on le sait, avait avec Jeanne Loviton, la propriétaire des lieux, tissé de doux liens affectifs. Il lui avait même dédié un poème, dont un quatrain est à jamais gravé sur l’une des cloches du château. » [La Dépêche, 9 février 2014].

Le séminaire traitera de la poésie romantique de Paul Valéry, de la vie de Jeanne Loviton, de leurs liens, ainsi que du château de Béduer au XXe siècle. Un colloque international consacré à Valéry avait déjà eu lieu à Béduer du 8 au 10 juillet 1999.

Dans un « curriculum vitae » rédigé en 1969, Jeanne Loviton avait noté : « Voyant la guerre approcher, M. Loviton demande à sa fille de chercher pour eux deux un asile dans une région qui, en cas grave, peut être épargnée ». Le 6 mai 1939 elle écrit à Paul Valéry que son ami Robert de Billy [1869-1953] lui « offre pour rien (40 000 francs) un petit château qui lui appartient dans le Lot, près de Figeac. »

Ce « petit château » est en fait une place forte remontant au XIe siècle, rénovée au XVIIe, ayant appartenu aux seigneurs de Lostanges, acquise en 1911 et restaurée par Maurice Fenaille [1855-1937], industriel du pétrole et grand amateur d’art. Robert de Billy a épousé en 1929 Yvonne Fenaille, l'un des filles de l'industriel, mais c'est bien sa veuve qui restait propriétaire du château et de ses dépendances.

Le 8 juillet 1939 le contrat d'achat est signé avec Mme Fenaille pour la somme de 65 000 francs, qui sera réglée en deux fois, la seconde en septembre 1940. Le domaine comportait alors plus de 14 hectares, et il fut revendu le 10 juin 1985 au couple Brown-Clements, qui l'occupe toujours.

 

Le 18 : L'Internet est plein de ressources inattendues. Le site Quizzbiz propose à ses lecteurs de découvrir des « écrivaines sous des pseudonymes d'hommes ». Deux d'entre elles nous sont familières :

Qui, en effet, était l'heureux gagnant ? Mais toutes les questions ne sont pas aussi simples :

 

Le 27 : Mise en vente à l'Hôtel Drouot d'un important fragment du manuscrit autographe d'un roman de Joë Bousquet, Le Passeur s'est endormi : 126 pages in-4 en 18 cahiers agraphés. L'expert Thierry Bodin précise qu'il s'agit du prologue et de la première partie (sur quatre) du roman publié en août 1939 chez Denoël, ce qui représente plus du tiers du volume imprimé. L'estimation, qui était de 1 500 à 2 000 €, a été largement dépassée : 6 200 euros.

   

 

Mars

 

Un tapuscrit corrigé et signé de Scandale aux abysses est proposé sur le site de ventes en ligne Abebooks par deux libraires, l'un viennois, l'autre allemand. Il comporte 45 pages in-folio montées sur onglets et reliées en demi-veau noir moderne. Son prix de vente est fixé à 22 500 euros.

Apparemment ce tapuscrit est celui que proposait en 1975 René Vigneron dans le catalogue de sa librairie « Les Argonautes », rue de Seine à Paris, mais il n'était pas relié, à cette époque [voir Dauphin & Fouché, 75D5].

Cet « argument de dessin animé » aurait dû paraître durant l'Occupation : Céline et Denoël avaient signé un contrat en février 1943 et l'éditeur en avait entrepris la composition au printemps 1944, tandis que Roger Wild en gravait les eaux-fortes pour une édition de grand luxe. En décembre 1943 Eliane Bonabel avait été pressentie pour illustrer une édition courante. Aucun de ces projets ne vit le jour et Scandale aux abysses parut finalement en novembre 1950 chez Chambriand, durant l'exil célinien.

Le 20 : La Fondation Roi Baudouin annonce par voie de presse qu'elle a déposé à la Bibliothèque Royale de Belgique (KBR) un ensemble inédit appartenant à Dominique Rolin : son journal intime (35 volumes) et quelque 15 000 lettres échangées entre 1958 et 2008 avec Philippe Sollers. Une publication est en cours.

Le 28 : vente aux enchères de la « Bibliothèque célinienne » de Romuald Gallier [1890-1977] par la salle de ventes Alde, rue de Fleurus à Paris. Cet opulent pharmacien installé au 38 du boulevard Montparnasse avait engagé en 1930 le docteur Destouches comme rédacteur pharmaceutique. Grand bibliophile, il possédait tous les livres de Céline sur des papiers de choix, le plus souvent dédicacés, ou reliés par de grands relieurs parisiens. Les textes des dédicaces céliniennes ont été publiés dans L'Année Céline 2010, avec une notice biographique très complète sur Gallier.

      

Entre autres raretés, un exemplaire de sa thèse de médecine [estimé 10 000/12 000 €], un exemplaire alfa hors commerce de Voyage [15 000/20 000 €], un exemplaire sur hollande hors commerce, texte intégral, de Mort à crédit [20 000/25 000 €], un des 32 exemplaire de tête sur japon de L'Ecole des cadavres relié en maroquin doublé par Alix [20 000/30 000 €].

L'exemplaire de Mort à crédit reproduit ici n'est pas exceptionnel, c'est un des 790 alfa caviardés, mais il est joliment relié en maroquin à encadrement par Alix. La relieuse avait affaire à forte partie : rendre aimable au bibliophile un volume de plus de 700 pages in-8 tient de la gageure. Disons-le : les « gros volumes de Ferdinand » ne se prêtent pas aisément à la reliure. Ils dépassent les normes.

Les enchères aussi, quoiqu'un léger tassement se profile. Semmelweis, proposé à 10 000 €, en a réalisé 9 000. L'exemplaire alfa de Voyage a atteint 20 000 €, l'exemplaire japon de Mort à crédit 25 000 €, l'exemplaire japon de L'Ecole 23 000 €. Il est intéressant de relever que ce sont les ouvrages dont la fourchette d'estimation est de 1 000 à 1 500 euros qui ont enregistré les meilleurs résultats. Peut-être les gros investisseurs sont-ils à présent servis. Le moment est propice pour les vrais collectionneurs.

 

Avril

 

A l'occasion du Salon du Livre ancien au Grand Palais, du 11 au 13, présentation de l'ouvrage de Pierre Boudrot : Bibliographie des Editions Denoël et Steele. C'est un projet qui remonte à 1997, au moins, et qui a été mené à bien par le libraire parisien Henri Vignes. Entretemps il a publié les bibliographies de « L'Intelligence en guerre » (2001), qui décrit 1 200 publications de la Résistance littéraire, d'Adrienne Monnier (2003), des Editions de Minuit (2010), qui lui a valu le prix de Bibliographie du Syndicat de la Librairie ancienne et moderne, et des Editions de la NRF (2011).

 

Publié conjointement par la Librairie Henri Vignes et les Editions des Cendres, le présent travail est digne d'éloges car, outre des descriptions bibliographiques parfaites, il rétablit les données défaillantes à la BnF grâce aux éléments fournis au dépôt légal par l'éditeur et portés sur des fiches conservées aux Archives Nationales de Fontainebleau : achevé d'imprimer, dates de mise en vente et de dépôt, chiffres des tirages ordinaires.

Plus hasardeuse me paraît l'interprétation du catalogue des éditeurs à partir de 1934. Pierre Boudrot tient pour acquit que les livres « de droite » sont le fait de Denoël, cependant que Steele prône des publications plus favorables à la gauche, surtout après l'avènement du Front Populaire.

L'affaire n'est pas aussi simple. Denoël, après le départ de Steele début 1937, s'est toujours efforcé de publier, sur tous les sujets brûlants, le pour et le contre : politique intérieure française ou guerre d'Espagne. Ce n'est que lorsqu'il fut mis en demeure, en octobre 1940, d'éditer des ouvrages favorables à l'occupant qu'il publia des libelles antisémites et des ouvrages collaborationnistes. Il n'y avait plus, alors, ni pour ni contre : c'est l'Allemagne qui dictait désormais sa loi, et tous les éditeurs qui poursuivirent leurs activités durant la guerre durent s'en accommoder.

Pourquoi Pierre Boudrot crédite-t-il Bernard Steele d'une vision « gauchiste » de la situation de la France à partir de 1933 ? N'est-il pas le capitaliste américain sans état d'âme, celui qui n'a jamais travaillé, le bailleur d'une maison d'édition qu'il a faite et qu'il défera ensuite ? Sans doute Boudrot a-t-il lu le témoignage de Steele qui écrivait, trente ans plus tard : « Après les événements du 6 février 1934, nous nous sommes aperçus, Denoël et moi, que nous n'étions plus du tout d'accord. »

D'accord sur quoi ? On sait peu de choses sur Bernard Steele, qui ne dit jamais rien sur rien, sauf à propos de musique et de psychanalyse. Cet homme est un passe-muraille, mais il a tout de même une fiche au Département d'Etat à Washington, et qui voudra prendre la peine de la décrypter ne perdra plus de temps à se demander de quel bord il pouvait être avant la guerre :

Register of the Department of State,  1er avril 1950

Alors, « businessman » sans affectation particulière ? Ou agent actif qui relève du Département d'Etat ? Steele déclarait : « La part active que prit Denoël à la rédaction et à l'administration d'un hebdomadaire politique [L'Assaut] que venait de lancer Alfred Fabre-Luce fut, pour moi, l'événement décisif qui motiva mon départ des Editions Denoël et Steele et le retrait de mon nom de la raison sociale. »

L'Assaut parut confidentiellement entre le 13 octobre 1936 et le 8 juin 1937 : ces 34 livraisons étaient-elles vraiment de nature à bouleverser l'ordre établi ? François Gibault me disait récemment  : « Denoël et Steele, c'était une union contre nature ». J'en suis bien d'accord. Leurs désaccords étaient autrement profonds.

Il serait temps de dévoiler la personnalité floue de Bernard Steele. J'attends d'une amie américaine, qui m'a offert il y a dix ans les clés de quelques dossiers brûlants - ceux qui ont permis l'ouverture de ce site - qu'elle se penche sur celui qu'elle tient du FBI et qu'elle tarde à exploiter, faute d'obtenir les autorisations nécessaires.

 

Mai

 

Le 13 : mise en vente chez Artcurial de plusieurs éditions originales de Céline. Un des 35 hollande, expurgé, de Mort à crédit, auquel on a joint Apologie de Robert Denoël, et un document inconnu datant de la parution du roman : Petit parallèle et quelques autres opinions sur « Mort à crédit » (4 p. in-12 imprimées en bleu) : 6 066 euros.

Un des 15 de tête sur hollande de Mea culpa [5 308 €], un des 85 pur fil de Bagatelles pour un massacre [non adjugé], un des 50 Arches de Guignol's band [2 275 €], et un des 42 Arches de tête de l'édition illustrée par Gen Paul (1942) de Voyage [3 286 €].

Un exemplaire sur papier ordinaire de Mort à crédit dans son édition illustrée de septembre 1942 présente l'intérêt d'être dédicacé à André Cœuroy [1891-1976], un musicologue dont Denoël a publié trois mois plus tôt une Histoire du jazz. Estimé 900 à 1 000 euros, l'exemplaire a atteint 1 800 euros.

Le volume le plus attachant est un exemplaire hors commerce sur alfa de l'édition originale de Voyage dédicacé à Florent Fels. L'auteur du catalogue écrit que le choix de Céline de lui envoyer un exemplaire de luxe relevait d'une volonté calculée et réfléchie, étant donné son influence dans les milieux intellectuels et artistiques parisiens.

Le journaliste Florent Fels, né Felsenberg à Paris en 1891, était surtout critique d'art. C'était un ami de Marcel Sauvage (avec qui il avait créé en 1919 la revue d'art Action) et de Georges Charensol, tous deux habitués de la galerie d'Irène Champigny, rue Sainte-Anne, et il a participé au catalogue de la première rétrospective de Maurice Loutreuil organisée en 1926 par Champigny. Créateur en 1922 de la revue L'Art vivant, que Denoël distribuera plus tard.

Je ne sais si Louis Destouches fréquentait assidûment les galeries d'art au cours des années vingt - mais Robert Denoël, à coup sûr, puisqu'il a débuté à Paris en 1926 dans une galerie et qu'il a ouvert la sienne deux ans plus tard. Le choix de Florent Fels parmi les bénéficiaires du service de presse « de luxe » me paraît revenir plutôt à l'éditeur, mais c'est une question secondaire. L'exemplaire a été relié à l'époque de sa parution en vélin janséniste par M.P. Trémois, un relieur-éditeur parisien qui exerça son art au cours de la première moitié du XXe siècle et dont l'une des spécialités était en effet la reliure de vélin naturel. L'exemplaire a trouvé acquéreur à 20 852 euros, frais inclus.

 

Le 15 : mise en vente à l'Hôtel Drouot d'un beau portrait à l'huile de Céline par Gen Paul, daté 1936. Le tableau était estimé 15 000 à 20 000 euros, il en a réalisé 15 000, le montant de l'estimation basse.

 

Juin

 

Le 2 : mise en vente après souscription d'une édition fac-similée du manuscrit de Voyage au bout de la nuit aux Editions des Saints Pères, à Cambremer. Ce document de 1 040 feuillets (35 x 25) fut acquis aux enchères par la Bibliothèque Nationale, le 15 mai 2001, pour la somme de 12 millions de francs. L'éditeur a tiré l'ouvrage à mille exemplaires numérotés, vendus 249 euros. On n'est pas volé : cette réalisation est magnifique.

Le 17 : vente à l'Hôtel Drouot de plusieurs éditions originales de Louis-Ferdinand Céline, dont un exemplaire hors commerce sur pur fil des Beaux Draps, dédicacé à une dame Constant  :

L'expert, Christian Galantaris, précise : « Germaine Constant », l'amie rennaise de l'écrivain [1900-1984], visiteuse médicale au laboratoire Gallier (et dont le nom se termine d'ailleurs par s et non par t). Or il existe une autre dame Constant, écrivain sous le pseudonyme de « Morgin de Kéan », auteur d'un roman publié chez Denoël en 1939 et qui s'est associée avec l'éditeur le 23 janvier 1941 en vue de publier Les Beaux Draps aux Nouvelles Editions Françaises. Considérant le ton neutre de la dédicace, il me paraît qu'elle s'adresse plutôt à Marguerite Constant [1888-1962], sans doute inconnue de Céline.

Le 19 : mise en vente chez Sotheby's Paris d'un des 10 exemplaires sur vergé d'Arches [n° 8] de Voyage au bout de la nuit joliment relié en box mosaïqué par Antoinette Cerutti, et dédicacé à Roland Saucier [1899-1994], directeur de la Librairie Gallimard du boulevard Raspail entre 1921 et 1964.

Estimé 80 000 à 120 000 euros, l'exemplaire n'a pas trouvé preneur. Comme pour les ventes de tableaux, les experts en livres anciens et modernes se montrent désormais soucieux de « traçabilité », tout au moins pour les volumes de grande valeur. Celui-ci a figuré dans la vente du docteur André Chauveau en 1976, puis dans celle de François Ragazzoni en 2003.

Le 24 : dispersion à l'Hôtel Drouot de la bibliothèque célinienne de Paul Chambrillon [1924-2000], constituée d'une multitude de petits documents intéressants, ce qui nous change des ventes à gros effets ne contenant que des livres et manuscrits pour collectionneurs fortunés.

 

J'aime particulièrement les « éphémères », telle cette partition de « A nœud coulant », chanson fameuse de Céline sur une musique de Jean Noceti, datant de 1936 : estimée 80 à 150 euros, cette double feuille rare en a réalisé 600.

 

On y trouve plusieurs lettres du truculent photographe Pierre Duverger [1920-1992], qui témoignent de la vie de Céline à Montmartre durant la guerre, et qui contiennent de singulières affirmations à propos de ses manuscrits dont les feuillets voltigeaient, en août 1944, à travers l'avenue Junot : « Il s'agissait des manuscrits de l'Hommage à Zola et du second volume de Guignol's Band [...] Remis à Robert Denoël le jour même de l'assassinat de celui-ci ».

 

Juillet

 

La presse annonce que Renée Barjavel (née en 1937) a déposé les archives de son père à la Bibliothèque Nationale. Ces archives seraient constituées des brouillons de l'ensemble de ses œuvres, publiées ou inédites. Peut-être y trouvera-t-on le mythique manuscrit « Les Sept morts de Robert Denoël » dont l'auteur a si souvent parlé après la guerre ?

Le Fonds René Barjavel, désormais conservé à la Bibliothèque Nationale sous la cote NAF 28776, contient les manuscrits et tapuscrits de la plupart de ses œuvres, mais non sa correspondance.

 

Septembre

 

Le 10 : parution d'un volume dû à une académicienne qui s'est penchée sur l'histoire de la passion de Paul Valéry pour Jeanne Loviton. Sur Amazon.fr on lyrise : « c’est un homme sans défense qui s’engage dans une bataille qu’il s’était juré de ne plus livrer : celle du cœur. Paul Valéry est amoureux, et Jean Voilier la plus terrible des guerrières. » Sur Onlalu.com : « En refermant cet ouvrage très réussi, on ne peut que regretter que cet homme de talent se soit laissé prendre dans la toile d’une inspiratrice si cruelle. »

Mme Dominique Bona, qui avait rendu compte du livre de Célia Bertin dans Le Figaro [14 février 2008], consacre cinq ans plus tard un essai très pénétrant à l'égérie de la rue de l'Assomption. J'y reviendrai prochainement.

Le 20 : mise en ligne d'un « Petit dictionnaire » célinien dû à Gaël Richard. Ce site, écrit l'auteur, « n'a l'ambition que de livrer aux chercheurs et aux curieux, sous la forme d'un petit dictionnaire ouvert, au rythme des trouvailles et selon la fantaisie, quelques unes de ces pièces d'archives éparses, inédites ou oubliées, qui se rattachent à la geste célinienne, ces " Céliniana ". » C'est assurément la meilleure surprise de la rentrée célinienne.

 

Octobre

 

Les ventes flamboyantes sont au rendez-vous dès la rentrée. Personnellement je les trouve un peu trop voyantes, pour ne pas dire indécentes. L'argent-roi s'étale alors que la crise s'installe. Mais comment ne pas mentionner cet exemplaire exceptionnel de Voyage au bout de la nuit relié par Paul Bonet qui sera mis en vente le 7 octobre chez Sotheby's, en association avec Binoche et Giquello, à Paris ?

 

Il s'agit d'un des 100 exemplaires sur alfa, dédicacé, enrichi de 11 feuillets manuscrits, indique le catalogue, qui n'est pas encore disponible. Mais on peut mesurer le travail d'orfèvre de Paul Bonet qui a mosaïqué en 1957 cette reliure en maroquin. Une note du relieur retient l'attention : « Comment relier Céline, sinon abstraitement et sombrement ». L'estimation de l'expert est de 30 à 40 000 euros. Le prix d'adjudication, frais inclus : 44 700 euros.

D'autres pièces extraordinaires se trouvent dans cette collection magnifique composée durant plus de cinquante ans par l'un des plus grands libraires parisiens de sa génération, Bernard Loliée. Toutes les éditions originales des plus grands auteurs du XXe siècle s'y trouvent en tirage de tête.

Pour revenir à Céline, mentionnons un exemplaire de sa thèse sur Semmelweis adorné d'un bel envoi au professeur Henri Coutière [1869-1952], « en souvenir des très agréables heures rennaises ». L'estimation est de 4/6 000 euros. Son prix d'adjudication : 12 500 euros.

Un second exemplaire de Voyage est proposé : c'est un des 10 de tête sur vergé d'Arches hors commerce dédicacé à Mme Lucien Descaves. Estimation : 80 000 à 100 000 euros. L'exemplaire n'a pas trouvé preneur.

   

L'exemplaire broché de Mort à crédit, resté non coupé, est un des 22 premiers sur japon impérial, hors commerce, dédicacé à Cécile Denoël, la femme de l'éditeur. Contrairement à ce qu'écrit l'expert, cet envoi n'évoque pas le mauvais accueil fait au roman, mais une tragédie plus intime : un accouchement difficile suivi d'une opération grave. L'estimation est de 60 000 à 80 000 euros. Son prix d'adjudication, frais inclus : 61 500 euros, ce qui signifie qu'il a été vendu à son estimation basse, qui était peut-être trop haut perchée. J'avais vendu ce volume 7 000 euros en 1982 à Bernard Loliée.

Plus surprenant, un exemplaire de Lettres de prison publié clandestinement en 1984. Il s'agit d'un des 3 exemplaires sur japon contenant une lettre autographe de Céline. Ce tirage restreint n'a guère circulé, d'où une estimation assez élevée : 3 000 à 4 000 euros - le prix de l'autographe. Son prix d'adjudication : 4 750 euros. En 1984 j'avais mis en vente ces trois exemplaires de luxe à 5 000 francs, soit quelque 1 380 euros pièce.

 

Novembre

 

Le 21 : Mise en vente à Bruxelles d'un exemplaire du service de presse de Voyage au bout de la nuit, dédicacé à Georges Rency, écrivain et critique littéraire bruxellois [1875-1951]. On n'a pas recensé encore les critiques belges qui reçurent le volume en S.P. à sa parution. Pour ma part, je n'en connais que deux : Victor Moremans et Georges Poulet. L'expert estimait le volume, dont la couverture est défraîchie, à 1 500/2 000 euros. Il a atteint 1 600 euros.

Le 28 : Mise en vente à l'Hôtel Drouot de plusieurs éditions originales de Céline provenant de la collection Henri Villette : « Docteur en pharmacie, biologiste et fondateur des Etablissements Henri Villette et Cie [« La Biothérapîe »], le docteur Villette fut brancardier sur le front lors de la première guerre mondiale et resta proche de l'écrivain », écrit l'expert. Son exemplaire de Voyage au bout de la nuit est un alfa hors commerce nominatif. Il a été vendu 7 500 euros.

Dans la même vente figure un document curieux : une sommation de l'huissier parisien Lucien Doré, 17 rue du Bouloi (Ier arr.) adressée à la demande de Céline aux Editions Denoël le 13 mai 1939.

Denoël avait réglé les droits d'auteur sur les ventes de L'Ecole des cadavres par une traite de 15 000 francs échéant le 21 avril 1939 qui avait été protestée. Les conditions de cette sommation étaient particulièrement dures puisque, outre la somme réclamée, elle imposait à l'éditeur de « cesser toutes publications et retirages des titres de Céline déjà publiés ».

On y trouve encore une lettre de Robert Denoël à l'en-tête des Nouvelles Editions Françaises, adressée à Céline le 2 avril 1941, pour lui faire parvenir un chèque de 11 700 francs, représentant ses droits sur la mise en vente de 2 500 exemplaires des Beaux Draps, et priant l'écrivain de renvoyer le « bon à tirer » joint à la lettre.

 

Décembre

 

Le 13 : Vente à Bruxelles d'un exemplaire de Scandale aux abysses relié en peau de serpent par Danièle Géradon. Estimé 1000/1500 euros, le volume a trouvé preneur à 1 900 euros. C'est assurément la qualité de la reliure qui a permis une telle plus-value car cette élève liégeoise de Vladimir Tchékéroul n'a travaillé que durant les années 1991-1995 : ses reliures sont rares et toujours parfaitement établies.

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