Robert Denoël, éditeur

2012

 

Mars

 

Le 18 : mise en vente à l'Hôtel Drouot d'une aquarelle de Gen Paul représentant Céline en 1938. Estimée 2500 à 3000 euros, elle en a réalisé 5 600.

 

Avril

 

Le 4 : Mise en vente chez Christie's à Paris du tapuscrit original de Notre-Dame des fleurs : 285 feuillets in-4 portant des corrections autographes à l'encre et au crayon. L'ensemble est conservé dans une chemise portant, au crayon, le nom de l'auteur, le titre, l'éditeur [« Editions du Verseau »]. L'expert précise que le texte est conforme à la version publiée. Estimé 800 à 1 200 euros, il en a réalisé 11 250.

Ce tapuscrit, que Jean Cocteau avait reçu en février 1943, avait été mis au point par François Sentein, et proposé à Robert Denoël le 23 mars, qui avait fourni le papier pour l'impression : publié « à Monte-Carlo, aux dépens d'un amateur », Notre-Dame des fleurs est sorti de presse en décembre 1943 et c'est Paul Morihien qui s'est chargé de sa distribution.

 

Mai

 

Le 15 : Décès à Paris de Dominique Rolin. Née le 22 mai 1913 à Ixelles, elle fut la maîtresse de Robert Denoël de juin 1942 à mai 1945. Depuis Les Marais, elle avait publié l'essentiel de son œuvre aux Editions Denoël.

     

La plupart des articles nécrologiques, tous semblables, parus dans les presses française et belge, ont évoqué son mariage raté avec Hubert Mottart et ses liaisons passionnées avec Bernard Milleret et Philippe Sollers, mais il ne s'en est pas trouvé un seul pour rappeler sa rencontre et sa liaison amoureuse avec Robert Denoël, qui l'avait imposée au public. Dans le petit monde clos de la presse, l'information documentée disparaît peu à peu : chacun copie l'autre et le public n'en demande pas plus.

C'est sur le site de Benjamin Lahache, son fervent admirateur, qu'on trouve les mots les plus personnels : « Elle avait promis qu'elle n'irait pas jusqu'à cent ans et qu'elle ne le souhaitait pas. Elle l'avait même écrit il y a maintenant douze ans. Je lui avais promis la Pléiade de son vivant et je n'ai pas tenu promesse. Elle, si. »

Dominique Rolin a été enterrée dans la tombe de ses ancêtres Cladel au Père-Lachaise (52e section, 27e ligne), où se trouvaient déjà Léon Cladel [1835-1892], son épouse Julia Mullem, et trois de leurs enfants - mais non la mère de Dominique, Esther Cladel.

Le 15 : Mise en vente chez Sotheby's Paris d'un exemplaire sur papier ordinaire de Héliogabale dédicacé par Antonin Artaud à une dame inconnue « qui, sans doute, l'a soutenu durant son internement », écrit l'expert. Surestimé à 4/6 000 euros, il n'a pas trouvé preneur. La dédicace, belle et insensée, doit être postérieure de plusieurs années à la publication du livre (1934).

 

Le 16 : Mise en vente chez Artcurial à Paris d'un étonnant manuscrit de 4 pages de Céline faisant l'éloge du vin. Selon le rédacteur du catalogue l'écrivain a rédigé ce texte pour aider son ami Gen Paul, qui s'est engagé à peindre une grande fresque de 100 personnages destinée au Palais des Vins de France à l'Exposition Internationale de 1937.

  

Dans la même vente un important dossier judiciaire concernant Céline provenant de l'avocat Jean-Louis Tixier-Vignancour, et un exemplaire de presse de Voyage au bout de la nuit dédicacé à Eugène Dabit.

Le même jour la salle des ventes Alde, rue Rossini, propose aux enchères un exemplaire sur vélin pur fil de Bagatelles pour un massacre dédicacé (tardivement) à son ami photographe Pierre Duverger :

 

Juin

 

Le 24 : un internaute vendeur de livres s'est vu refuser l'accès d'eBay pour un pamphlet antisémite de Céline. Vérification faite, tous les exemplaires de L'Ecole des cadavres et des Beaux Draps ont aussi été retirés du site.

EBay, site de courtage en ligne, a été fondé en 1995 par un affairiste franco-américain d'origine iranienne, Pierre Omidyar. Sa société, qui vend tout et n'importe quoi aux enchères, est basée à San José, dans la Silicon Valley, et possède des antennes dans la plupart des pays européens.

Il serait intéressant de savoir quel lobby a subitement imposé à cette puissante société l'interdiction d'ouvrages qui se vendent depuis des années sur son site à des prix élevés. Si, selon le jargon élémentaire émis par ses services basés en Europe, Bagatelles pour un massacre est un ouvrage « non désirable » en raison des « idées et thèses » qui y sont développées, on devrait s'attendre à une purge massive parmi les quelque trois millions de livres proposés en ligne par ce site qui, jusqu'à présent, n'a jamais eu le moindre état d'âme quant aux objets qu'il mettait en vente.

Son concurrent français, PriceMinister (devenu japonais depuis 2010), poursuit normalement la vente des pamphlets de Céline. Les sites professionnels sérieux : Abebooks, Antiqbook, Livre-rare-book, se soucient peu de cet ukase tardif. EBay s'est discrédité tout seul. A partir de décembre le site, conscient des pertes financières, a trouvé une parade bouffonne lui permettant de contourner son auto-interdiction : il propose l'auteur et l'éditeur, sans le titre.

Cette affaire récente rappelle un article d'Emmanuel Ratier paru le 29 septembre 2010 dans la revue Faits et Documents intitulé « Farenheit 2010 ou les censeurs à l'œuvre sur eBay ». Le journaliste y révélait l'existence sur Facebook d'un groupe de pression appelé « Contre la vente d'articles appelant à la haine raciale sur eBay ». Ce groupe basé en Israël est composé de 1850 membres chargés de traquer les ouvrages litigieux sur les sites de vente en ligne, principalement eBay.

Quand un tel ouvrage est découvert, chacun des membres se manifeste auprès d'eBay, deux fois par semaine, ce qui donne au département « Confiance et sécurité d'eBay » l'impression d'actions spontanées et amène souvent le retrait de l'article incriminé. Le site en ligne de Denis Kassel, cheville ouvrière du groupe de censeurs, est toujours actif : sa dernière intervention date de quelques heures, mais l'ouvrage mis en cause n'est pas cité.

En décembre, cédant à on ne sait quel nouvel ukase, eBay refuse l'insertion d'un roman amoureux qu'on trouve partout sur l'Internet : Tu n'aimeras plus, publié en mars 1936 par Denoël et Steele sous le pseudonyme de Fabio. C'est d'autant plus loufoque qu'un autre exemplaire du livre, dont la fin des enchères est prévue pour le 4 février 2013, se trouve sur eBay depuis plusieurs semaines.

Le 28 : La troisième chaîne de la RTBF consacre sa soirée à un hommage à Dominique Rolin et rediffuse trois entretiens accordés à ses journalistes par l'écrivain en 1975, 1978 et 1992.

 

Juillet

 

Du 6 au 8 juillet s'est déroulé à Berlin le 19e colloque de la Société d'Etudes Céliniennes. La communication de Louis Burkard, consacrée aux « pamphlets de Céline et leur interdiction en droit », dépassait largement le cadre des textes convenus des habituels intervenants.

Pierre Assouline, qui était présent, écrit dans un article publié le 13 dans « Le Monde des livres », que cette communication « a impressionné par sa nouveauté ». Il y a de quoi : Louis Burkard fait tout simplement exploser les opinions simplistes - que nous avions tous - à propos de l'interdiction des pamphlets de Céline.

Roland Jaccard publie, dans le n° 54 de Service littéraire une interview de Bernard Steele datant de 1967 : « Ce que Bernard Steele pensait de Céline ». Il m'a permis de la reproduire sur mon site. On la trouve ici.

 

Septembre

 

Le 1er : Jean-François Nadeau annonce, dans Le Devoir.com, la réédition des pamphlets de Céline, « tous réunis sous une même couverture », par les Editions Huit à Québec. Fondée en 1990 par Rémi Ferland, cette maison d’édition artisanale compte rééditer l’œuvre polémique « en vertu des droits en vigueur au pays. Au Canada, la loi sur le droit d’auteur prévoit qu’une œuvre tombe dans le domaine public cinquante ans après la mort de son auteur. Céline est mort en juillet 1961. Il y a donc plus d’un demi-siècle aujourd’hui. J’ai étudié la question et j’ai pris conseil auprès du conseiller légal des Presses de l’Université Laval », explique l’éditeur.

Le Devoir.com,  1er septembre 2012

Régis Tettamanzi, responsable de cette édition critique, a publié en 1999 une Esthétique de l'outrance. Idéologie et stylistique dans les pamphlets de L.-F. Céline aux Editions du Lérot. Il avait alors réalisé tout l’appareil critique des pamphlets, qui accompagne aujourd’hui cette réédition de plus de 1 040 pages tirée à 400 exemplaires, et qui sortira de presse le 14 septembre. Son prix de vente est fixé à 60 dollars canadiens, soit quelque 49 euros.

Tettamanzi a travaillé avec doigté, selon son éditeur québécois. Il a même « pris contact avec l’Alliance israélite universelle » afin de s’assurer d’une présentation mesurée du texte litigieux, selon une formule qui ne soit pas décontextualisée. « Il s’agit d’une édition critique et scientifique des textes. » Un bon tiers du volumineux ouvrage à paraître est d’ailleurs consacré à cet appareil de notes et à la reproduction de documents liés à l’édition des textes originaux, précise-t-il.

Cette maison n’a plus de distributeur depuis trois ans : « Je m’occupe de mon propre réseau de distribution », explique Rémi Ferland, qui ajoute que la vente de l'ouvrage ne sera pas permise dans les pays où la loi sur le droit d'auteur diffère de la loi canadienne - autrement dit : l'Europe. « Hors Canada, la seule façon de se le procurer sera de le commander dans les librairies d'occasion québecoises. »

Un Français pourra donc s'adresser à un bouquiniste canadien qui le propose en ligne : « En effet, une telle transaction est permise et légale ». Singulier statut pour un volume dont l'encre n'aura pas fini de sécher.

 

Octobre

 

Les libraires québecois ont reçu Ecrits polémiques le 23 septembre. Comme il fallait s'y attendre, la spéculation va bon train : dès le lendemain un portail de vente de livres d'occasion parisien propose l'ouvrage à 150 euros. A Montréal, le livre est en vente à la Librairie... Gallimard.

Dès le 3 octobre, le tirage initial de 400 exemplaires est épuisé. Une réimpression de 600 exemplaires est en route et sera disponible vers le 14 octobre.

 

Novembre

 

Le 23 : mise en vente d'un exemplaire sur alfa de L'Ecole des cadavres à l'Hôtel Drouot. Amicalement dédicacé par l'auteur à Robert Pierret [1898-1985], directeur politique du Pilori entre septembre 1940 et janvier 1942, sa page de titre a été agrémentée par Gen Paul d'un dessin à la plume aquarellé représentant un soldat baignant dans son sang sur un champ de bataille.

C'est, à ma connaissance, la première fois qu'on trouve sur le marché un pamphlet de Céline « enluminé » par Gen Paul. Relié en demi-maroquin d'Alix l'exemplaire, qui était estimé 1 500 à 2 000 euros, en a réalisé 3 500, hors frais.

 

Décembre

 

Les 12 et 13 : Christie's Paris propose aux enchères, dans sa vente « Pierre Berès à livre ouvert », un exemplaire du service de presse de Mort à crédit dédicacé à Georges Duhamel, relié en demi-chagrin par Georges Gauche. L'estimation est de 1 500 à 2 000 euros ; le prix atteint : 4 750 euros.

L'expert a déchiffré « Très humble hommage », ce qui lui permet de développer le raisonnement suivant : « On a soutenu que Céline s'était fortement inspiré de certains passages de ses Scènes de la vie future pour les épisodes du Voyage au bout de la nuit (cf. Lettres, Bibliothèque de la Pléiade. p. 1693). Le présent envoi est sans doute motivé par la position de Georges Duhamel à la tête du Mercure de France, mais il faut peut-être voir dans cet hommage une valeur autre que purement formelle. »  Personnellement j'ai lu : « Très sincère hommage »...

Dans la même vente figure un exemplaire hybride de Mort à crédit, dans l'édition illustrée par Gen Paul parue en septembre 1942. Le volume, un des 25 pur fil hors commerce ( tirage de tête, n° XXV), a été « enluminé » par l'artiste : tous les hors-texte sont rehaussés à l'aquarelle bleue et signés ; un portrait de Céline, au feutre et au lavis, est contrecollé sur la page de titre. Gen Paul l'a dédicacé à « B. Valenci » mais, sur le feuillet de garde figure un envoi de Céline à un autre blibliophile inconnu, Charles Steiner.

   

A priori l'exemplaire était celui de Steiner, qui l'a cédé à Valensi : Gen Paul a, durant des années, et même après la guerre, « agrémenté » des volumes de Céline. Celui-ci, estimé 5/6 000 euros, en a réalisé 5 656, frais inclus.

Le 13 : mise en vente à l'Hôtel Drouot d'un important dossier constitué durant sa détention à Fresnes par Louis Thomas [1885-1962] en vue de son procès qui se déroula du 12 au 15 octobre 1949. Cet ensemble de manuscrits et notes [quelque 700 pages de formats divers], estimé 800 à 1 000 euros, en a réalisé 2 700.

   

Condamné le 15 octobre 1949 aux travaux forcés à perpétuité, il fit appel et sa peine fut ramenée à vingt ans de prison. Libéré deux ans plus tard sur base de la loi d'amnistie du 15 janvier 1951, il s'établit à Bruxelles. Denoël lui avait édité en 1939 un ouvrage consacré aux accords de Munich : Histoire d'un jour.

Le 16 : mise en ligne d'un article concernant Robert Denoël sur le site « Tombes et sépultures dans les cimetières et autres lieux » créé en 2010 par Mme Marie-Christine Pénin :

 

Le 24 : L'Humanité consacre un numéro spécial à Louis Aragon à l'occasion du trentième anniversaire de sa mort. Antoine Gallimard, qui a publié en septembre dans « La Pléiade » le cinquième volume des Œuvres romanesques de l'auteur, puis l'essai, très personnel, de Daniel Bougnoux, son commentateur [Aragon, confusion des genres], émascule le volume de son 7e chapitre intitulé « Pour ne pas oublier Castille ».

De quoi s'agissait-il ? « Ce chapitre était, dans mon esprit, incitatif ou séminal : j’y raconte une drague homosexuelle dont Aragon m’a gratifié, dans sa chambre n° 15 de la résidence hôtel du Cap Brun, près de Toulon, par une chaude après-midi de juillet 1973 », explique Bougnoux. Jean Ristat, le tout puissant ayant-droit d'Aragon, a obtenu d'Antoine Gallimard qu'on supprime ce chapitre à l'insu de l'auteur. Ulcéré, Daniel Bougnoux l'a publié sur le site du Nouvel Observateur.  On peut se demander si « Gaston » se serait ainsi aplati.

 

*

 

Un peu par hasard j'ai découvert sur l'Internet un « URLespion » qui répertorie les sites français et les classe selon le nombre de leurs pages, de leurs illustrations, de la taille de leur écran, de leur présence (et de leur place) sur les moteurs de recherche, de leurs taux de fréquentation, de la provenance des visiteurs, et d'autres paramètres plus sophistiqués encore :

Cet espion du Net assure que 26 utilisateurs me visitent quotidiennement. C'est me faire beaucoup d'honneur car, il faut le savoir, je suis aussi un visiteur, ce que ce statisticien paraît ignorer : quand je me connecte chez moi pour relire un texte, par exemple, je suis comptabilisé.

Mais enfin on me consulte, et j'en suis bien aise, même si, comme l'indique « URLespion », le taux de fréquentation est formellement en baisse. Un autre site féru de statistique, américain sans doute, m'a lui aussi repéré, et il publie ses propres chiffres, qui ne concernent plus la France mais le monde entier :

J'ignore à quoi correspondent les deux étoiles et demie qui me sont accordées mais, émoustillé à l'idée de représenter le 8.351.691e fleuron des 30 millions de sites répertoriés, j'ai fait un saut chez Alexa, « The Web Information Company », celui qui fait et défait les réputations sur le Net. Contrairement à ce qu'affichait le précédent, j'y ai été rétrogradé à la 16 607 223e place, et aucune étoile ne m'est plus accordée.

 Ces empileurs de chiffres ne s'entendent pas entre eux et vous embrouillent les idées quant à votre audience supposée. A qui servent donc ces données contradictoires et non sollicitées ? Un site français de statistiques, plus bavard que les autres, vend la mèche : « Mesurer l'audience d'un site, c'est évaluer sa rentabilité. Cette mesure permet de fixer des tarifs publicitaires sur des bases quantifiables. »

Voilà qui est plus clair : elles s'adressent essentiellement aux publicitaires investisseurs. Mon site n'ayant aucune vocation commerciale, je ne risque pas d'être sollicité. Cela tombe bien : il ne vaut que 734,61 euros.

Tout de même, cette histoire d'étoiles me turlupinait : il convenait de vérifier si, d'aventure, un « espion du net », plus fiable encore que les autres, ne m'en accordait pas une, voire deux ? J'ai fini par le trouver et c'est assurément le meilleur :

Plus sérieusement, j'ai chargé l'informaticien de ce site de vérifier quelle page avait les faveurs des internautes : c'est celle qui est consacrée aux « listes noires » de 1944. Voilà une statistique fiable, car payante.