Robert Denoël, éditeur

 

1961

 

Janvier

 

Le 21 : Décès à Paris de Blaise Cendrars, et inhumation au cimetière des Batignolles. En 1994, son corps fut transféré au cimetière de Tremblay-sur-Mauldre : la tombe ci-dessous n'est donc plus qu'un cénotaphe.

  

      Collection Miriam Cendrars                                            Photo Philippe Landru, 2006

 

Juillet

 

Le 1er, à 18 heures : Décès de Louis-Ferdinand Céline, des suites d'une rupture d'anévrisme, et inhumation, trois jours plus tard, au cimetière des Longs Réages à Meudon.

André Halphen, journaliste à Paris-Presse, assistait à la cérémonie funèbre : « Il était 8 h. 45, le mardi 4 juillet 1961. Nous étions une petite vingtaine, y compris une dizaine de jeunes danseuses du cours Lucette Almanzor. [...] On cacha sa mort, mais il y eut " fuite " pourtant. Nimier se chargea de prévenir un petit groupe de fidèles triés " sur le volet " : Marcel Aymé, l'éditeur Claude Gallimard, le journaliste Lucien Rebatet, le metteur en scène Max Revoll, les comédiens Jean-Roger Caussimon et Renée Cosima. [...] La cérémonie fut brève. Lorsque le corbillard quitta la villa Maïtou pour le petit cimetière de Meudon-Bellevue, il fut suivi par une dizaine de voitures. En cinq minutes, le " voyage au bout de la mort " fut bouclé. » [Le Bulletin célinien, juillet-août 1998].

La tombe de Céline à Meudon : « Céline souhaitait être jeté dans la fosse commune. Mais je n’en ai pas eu le courage » dira Lucette Almansor à la journaliste Gabrielle Rolin [Les Nouvelles Littéraires, 6 février 1969]. C'est, en effet, une décision accablante que celle d'envoyer un homme de qualité dans un pourrissoir anonyme.

Le 15 : Paris Match se déshonore en publiant, dans son n° 640, les nécrologies d'Ernest Hemingway et de Louis-Ferdinand Céline, décédés à 24 heures d'intervalle.

Match a préféré accorder sa couverture à un imposteur américain alcoolique dont le principal fait d'armes était d'avoir libéré le bar du Ritz en août 1944, plutôt qu'au plus grand écrivain français de sa génération.

 

Septembre

 

Le 10 : Décès à Marnay (Haute-Saône) de Henri Filipacchi. Né à Smyrne en 1900, dans une riche famille d'armateurs originaires de Venise, il a débarqué à Marseille en 1922. Quatre ans plus tard, il devient directeur de l'Imprimerie du Livre, « incroyable percée due à une intelligence rapide, un sens inné du commerce et un ton de conteur oriental qui attirait immanquablement l’amitié », écrit Guy Schœller.

Au cours des années trente, on le retrouve aux côtés de Jacques Schiffrin qui, en 1923, a créé les Editions de la Pléiade et qui est sur le point de les céder à Gaston Gallimard. Mais, en 1932, Filipacchi, qui a contracté une maladie des poumons dans l'atmosphère chargée en oxyde de plomb des imprimeries, est contraint à un long séjour en sanatorium.

Les médecins lui ont conseillé une vie au grand air : il devient libraire itinérant au volant d'un grand camion transformé en « bibliobus ». L'idée, en réalité, n'était pas neuve : dès décembre 1931 une « auto-librairie » sillonnait les routes françaises, conduite par l'éditeur Jacques Haumont [1899-1974]. Cette activité irrite Hachette qui détient un quasi-monopole de la distribution : dès le 1er mars 1934, Filipacchi est embauché par René Schœller, directeur général d'Hachette. Deux ans plus tard, il y dirige le service « Distribution » et devient le partenaire obligé des éditeurs, grossistes et libraires.

En septembre 1940, il est chargé par la Propaganda Staffel d'établir une liste d'ouvrages « susceptibles d'indisposer les autorités d'occupation ». Au mois d'août, les services allemands avaient eux-mêmes rédigé une liste sommaire d'ouvrages à interdire, nommée « Liste Bernhard », qui comportait 143 titres. Filipacchi fera beaucoup mieux : la première « Liste Otto », qui paraît le 28 septembre, en compte 1060.

Le 29 novembre 1945, prié de s'expliquer devant une cour de justice, il répondra qu'il n'a pu se soustraire à la demande des autorités allemandes, qui avaient réquisitionné les Messageries Hachette - dont les principaux services s'étaient repliés à Clermont-Ferrand - mais qu'il s'est borné à demander aux éditeurs de lui fournir des listes d'ouvrages « qu’ils étaient mieux à même de juger que lui comme pouvant déplaire à l’occupant ».

Son affaire sera classée mais, à cause de cette activité jugée contestable, la direction d'Hachette lui trouvera, en 1947, un « placard » au département des Exclusivités. En 1953, il crée le « Livre de Poche » qui, d'emblée, est un énorme succès. Atteint, depuis des années, d'un cancer, il  meurt d'une congestion cérébrale.

Le 11 : Décès à Nouzonville de Jean Rogissart. Il avait obtenu le prix Renaudot 1937 avec Mervale. L'histoire de ce roman publié tout d'abord dans la 12e livraison des Cahiers Ardennais avant d'être réédité par Robert Denoël, reste à écrire.

 

Jean Rogissart a publié cinq ouvrages chez Denoël entre 1937 et 1945, dont quatre volumes de la geste ardennaise des Mamert.

Dans une lettre qu'il lui adressait le 20 septembre 1944, Denoël écrivait : « Je suis ravi de vous savoir enfin hors de danger. Un de vos amis m’avait informé de votre arrestation et je craignais le pire. » Et le 31 octobre suivant : « Ne vous troublez pas trop pour votre histoire d’épuration. Vous ne figurez pas dans la liste noire du Comité d’Epuration des Ecrivains, vous pouvez donc publier où vous voulez ».

J'avais mal interprété le sens de cette arrestation. L'année même de sa mort, Rogissart a fait paraître un dernier roman, Cellule XIII, septième et ultime volume des Mamert, qui relate son incarcération à la prison de la place Carnot à Charleville, du 29 juillet au 12 août 1944.

     

Jean Rogissart / Michel Mamert fut arrêté chez lui par la Gestapo sur dénonciation en raison de son engagement politique lors du Front populaire, de son orientation idéologique, et de ses éventuels rapports avec le maquis, à cause de son futur gendre, Miguel Sauvage, responsable du Front National. Sa libération fut providentielle car, le 29 août, avant de quitter la région, les Allemands fusillèrent treize personnes désignées au hasard parmi les cinquante détenus de la prison.

 

 

Le 28 mai 1956 à Mézières, Charles Braibant avait remis à Jean Rogissart la Légion d'Honneur, en présence de Mme Rogissart et de Thomas Braun. L'excellente revue ardennaise La Grive, où Rogissart avait fait ses débuts en 1929, lui consacra son numéro 113 de janvier-mars1962.

Charles Braibant rappela dans ce numéro que c'est Jean-Paul Vaillant, la cheville ouvrière des Cahiers Ardennais, qui lui avait demandé en mai 1937 une préface pour « un petit roman ardennais » à paraître dans la 12e livraison de la revue, dû à la plume de son trésorier, Jean Rogissart.

Braibant, qui devait à Denoël son prix Renaudot en 1933, trouva le moyen de rappeler l'aventure de Mervale sans écrire le nom de son éditeur, évoquant seulement l'épisode comique de « la tentative de kidnapping de Rogissart par un grand éditeur parisien sur le quai de la gare de l'Est ».

Dans les Ardennes françaises, on trouve une bibliothèque municipale Jean Rogissart à Bogny-sur-Meuse, un collège Jean Rogissart à Nouzonville, une rue Jean Rogissart à Vivier-au-Court, une rue et un complexe sportif Jean Rogissart à Sedan. Depuis 1965 un buste de l'écrivain, dû à Pierre Rogissart, son fils, orne le jardin des Archives départementales de Charleville.