Robert Denoël, éditeur

1962

 

Janvier

 

Le 25 : Décès à Paris d'André Lhote. Né à Bordeaux le 5 juillet 1885, il avait publié chez Robert Denoël quatre ouvrages sur la peinture entre 1933 et 1943.

 

        

                   Parlons peinture, 1936                                       André Lhote en 1962                                                   Peinture d'abord, 1942

 

Juillet

 

Le 1er : Décès de l'éditeur René Julliard. Pilote d'avion, amateur de belles voitures et de jolies femmes, il avait créé, en décembre 1923, la Sélection Sequana, qui constitue le premier club français du livre. Sa formule reposait sur un principe fort simple : un comité de personnalités littéraires sélectionnait un choix de titres qui étaient ensuite vendus par abonnement à une clientèle d'abonnés, laquelle recevait également une revue expliquant ce choix.

René Julliard [1900-1962]

Pour un investissement minimal, la Sélection Sequana assurait les éditeurs d'un tirage de demi-luxe excédentaire dont elle distribuait les exemplaires à ses abonnés : « Ce tirage à part, qui n’est pas extrêmement rémunérateur, est en tout cas excellent au point de vue de la diffusion », expliquait Denoël à Jean Proal, dont le premier roman, Tempête de printemps, avait été sélectionné : « Cela nous fait d’autant plus plaisir que c’est la première fois que nous réussissons à faire prendre un ouvrage aux Editions Sequana », lui écrivait-il, le 20 février 1932.

Il y avait bien quelques inconvénients à cette pratique : si Sequana n'obtenait pas assez de souscriptions pour un volume, elle le soldait rapidement, alors que l'édition originale se trouvait encore en librairie. Ce fut le cas du roman de Proal, dont Sequana avait souscrit 1 250 exemplaires : en octobre 1933, le livre était bradé sur les quais.

En avril 1941, René Julliard devient éditeur à part entière sous la raison sociale « Sequana, Editeur ». L'année suivante, il s'installe à Vichy. Lorqu'il y sollicite, en juillet 1942, un registre de commerce, c'est en rappelant qu'il a publié « de nombreux ouvrages destinés à servir l’action de la Révolution Nationale ». En effet, « Sequana », dans sa collection « La France nouvelle », a surtout publié, depuis 1940, des ouvrages pétainistes.

    

Editeur « oublié » lors de l'épuration, René Julliard prend, littéralement, la place de Robert Denoël dès 1946, en faisant couronner deux romans : Le Temps de la longue patience de Michel Robida [prix Femina], et Histoire d'un fait divers de Jean-Jacques Gautier [prix Goncourt].

En 1947, il s'adjuge le prix Goncourt avec Les Forêts de la nuit de Jean-Louis Curtis, et, l'année suivante, le même prix avec Les Grandes familles de Maurice Druon, plus le prix Renaudot pour Voyages aux horizons de Pierre Fisson.

       René Julliard et Françoise Sagan en avril 1954 (© Life)

Rien ne paraît devoir arrêter René Julliard, qui récoltera encore d'autres prix littéraires, lancera avec fracas Françoise Sagan en 1954, et dont son confrère Robert Laffont dira : « II aime les réceptions, les relations brillantes, les dîners en ville et cette aisance est extrêmement précieuse pour ses affaires, puisqu'elle lui procure, d'une part, une source étendue de manuscrits, d'autre part, des possiblités tactiques dans le domaine de la presse et des jurys littéraires. Sa maison d'édition a été créée à son image : elle est souple, rapide, et elle se veut à la dernière mode. (...) II veut profiter immédiatement de son effort et il y réussit. Sa tactique, qu'il expose volontiers, est de diviser les risques en multipliant le nombre de livres. (...) C'est une tactique de joueur de courses. »

Christian Bourgois, qui a travaillé chez l'éditeur de 1959 à 1962, écrit : « C’était un homme étonnant, grand, élégant, qui ressemblait un peu au comédien Jules Berry. Il appartenait alors à ce que nous appellerions la gauche caviar. A la fois riche et ruiné, il roulait en Cadillac, possédait un hôtel particulier rue de l’Université, était l’ami de Bourguiba en Tunisie, du roi du Maroc, de Mendès France. Comme moi, il était anticolonialiste, grand lecteur de France Observateur, très engagé idéologiquement. »

 

Septembre

 

Le 21 : Décès de Marie Bonaparte à Saint-Tropez. Née le 2 juillet 1882, arrière-petite nièce de l'Empereur, princesse de Grèce par son mariage en 1907 avec le fils du roi de Grèce, elle fit partie des douze psychanalystes qui créèrent en novembre 1926 la Société Psychanalytique de Paris, et elle était la seule du groupe à pouvoir se prévaloir d'une analyse avec Freud.

Auteur d'un important ouvrage consacré à Edgard Poe publié en 1933 chez Denoël et Steele, d'une demi-douzaine de textes parus dans la Revue Française de Psychanalyse et distribués sous forme de tirés à part par les mêmes éditeurs, elle permit, grâce à son prestige, à ses relations et à son argent, à Sigmund Freud de quitter l'Autriche en 1938 et de s'installer à Londres.