Robert Denoël, éditeur

Un coup de téléphone

Au cours de l’après-midi, il semble que Denoël ou Jeanne Loviton aient reçu un appel téléphonique chez Marion Delbo.

Interrogée à ce sujet, Jeanne Loviton dira : « A ma connaissance, personne au monde ne savait que nous étions à Saint-Brice. En tout cas je n’ai pas été appelée personnellement au téléphone. »

Marion Delbo : « Je ne me souviens pas si M. Denoël a reçu un appel téléphonique pendant le temps où il est resté chez moi. Je ne me rappelle pas non plus lui avoir indiqué l’endroit où est placé le téléphone. Il est possible, mais j’en doute, qu’il ait demandé une communication. Il en est de même pour Mme Loviton. »

Jeanne Baron : « Je ne me souviens pas s’il a été appelé au téléphone ou si lui-même a demandé une communication. »

François Baron, lui, est formel : « Je me rappelle parfaitement que M. Denoël ou Mme Jean Voilier ont été appelés au téléphone chez Mme Marion Delbo. Le téléphone est au rez-de-chaussée et j’ignore tout de cet appel téléphonique. »

Me Armand Rozelaar, qui situe l’appel vers 17 heures : « La première enquête de police, en évitant soigneusement de toucher à tout ce qui, de près ou de loin, aurait permis de découvrir la vérité, s’est bien gardée d’entendre Mme Marion Delbo et par-là même n’a effectué aucune recherche aux P.T.T. Il eût été pourtant facile, dans les quelques jours qui suivirent le crime, de savoir par les services du téléphone de quel numéro de téléphone parisien on avait appelé celui de Mme Marion Delbo à Saint-Brice. Evidemment aujourd’hui, à plus de quatre ans de distance, toute vérification s’est révélée impossible. »

Les enquêteurs, en effet, n’ont pas effectué de vérifications en décembre 1945. Dans son rapport du 25 mai 1950, l’inspecteur Voges écrit qu’il a fait des recherches « au bureau de poste de Saint-Brice, au cas où M. Denoël ou Mme Loviton auraient téléphoné de chez Mme Marion Delbo. Ainsi qu’au Centre de la comptabilité générale des P.T.T., 18 boulevard de Vaugirard, dans le but d’obtenir le relevé des communications téléphoniques du mois de décembre 1945, de certains abonnés en vue de nous assurer si, sur leur relevé, nous pouvions retrouver un appel pour Saint-Brice. Malheureusement ces vérifications, venues trop tard, étaient vouées d’avance à un échec et n’ont donné aucun résultat. D’une part, les relevés sont remis à chaque abonné à la fin du mois, et d’autre part les archives de cette administration remontant à 1945 ont été envoyées au pilon depuis longtemps. »

On notera que Jeanne Loviton, interrogée par la police le soir même du meurtre, a déclaré : « Nous avons déjeuné ensemble chez des amis communs à Saint-Brice (S.O.) et très exactement chez Mme Marion Delbo (épouse de M. Henri Jeanson), dont le numéro de téléphone est ‘14’ à Saint-Brice. »

Elle donne donc à la police tous les éléments qui lui permettraient d’interroger Marion. Celle-ci ne sera entendue que le 15 février 1950. Mais Mme Loviton déclare ne connaître ni le nom, ni l’adresse des personnes raccompagnées à Neuilly.

Dans une lettre qu’il adresse, le 24 mars 1950, au juge Gollety, Armand Rozelaar écrit : « La vérité, c’est qu’elle ne tenait certainement pas à ce que l’on interrogeât immédiatement ces personnes qui auraient pu se souvenir des propos échangés dans la voiture, durant le chemin de retour. »

Au cours d’une confrontation dans le cabinet du juge Gollety, le 25 mars 1950, Cécile Denoël lui demandera : «Comment se fait-il qu’interrogée le lendemain du drame, le témoin n’a fait aucune allusion à deux personnes ramenées en voiture de Saint-Brice à Neuilly, et qu’interrogée par la police dans le courant de l’année 1946, elle ait déclaré ne plus se souvenir de leur nom ni de leur adresse, alors qu’il s’agissait d’un ancien gouverneur de l'Inde française et qu’au surplus, interrogée tout récemment, Mme Loviton a précisé qu’elle avait noté son nom et son adresse sur son carnet personnel ? »

Jeanne Loviton dira : « J’ai retrouvé le nom et l’adresse de M. Baron, non pas sur mon agenda personnel mais sur une feuille de papier sur laquelle j’avais marqué au crayon l’itinéraire pour Saint-Brice. »