Robert Denoël, éditeur

1953

 

Janvier

 

Le 17 : Décès de Jean de Boschère à l'hôpital de Chateauroux. Ses obsèques eurent lieu à La Châtre trois jours plus tard.

 

Février

 

Le 6 : Parution du premier « Livre de poche » : Koenigsmark de Pierre Benoit. Cette trouvaille dont le succès commercial fut prodigieux est due à Henri Filipacchi [1900-1961], l'un des piliers du groupe Hachette.

Tirages importants, prix modique, couverture illustrée en couleurs, présence dans la plupart des points de vente, tels étaient les atouts de cette collection de poche dont on répertorie aujourd'hui près de 40 000 titres chez l'éditeur. Le titre le plus vendu : Le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier, avec quelque cinq millions d'exemplaires.

 

Mars

 

Le 29 : Cécile Denoël charge son avocat, Armand Rozelaar, d’intervenir auprès des Editions Denoël pour faire cesser la publicité telle qu’elle paraît dans Bibliographie de la France ; l’éditeur omet systématiquement de mentionner « Editions Denoël » au profit du nom de « Denoël » seul, ce qui occasionne des confusions avec sa propre maison d’édition :

« Tout le monde croit, depuis, que j’ai réintégré les Editions de la rue Amélie, à tel point que des libraires me renvoient des ouvrages (fin de dépôt) de La Plaque Tournante à la rue Amélie ; des personnes qui doivent me voir se rendent d’office à la même adresse où, également, des coups de téléphone arrivent pour moi.

La téléphoniste a d’ailleurs certainement reçu des ordres à ce sujet car elle répond : " Madame Denoël n’est pas aux Editions pour l’instant ", et elle donne mon adresse et mon numéro de téléphone. Ceci est peut-être très aimable, mais crée ou plutôt entretient une situation équivoque qui est " quand même " bien embêtante ».

 

Avril

 

Le 1er : Le service municipal des Pompes funèbres de la ville de Paris adresse à Mme Denoël une lettre lui annonçant qu’elle pourrait acheter une concession au cimetière Montparnasse.

Une nouvelle loi autorisant désormais la reprises des sépultures abandonnées a permis le dégagement d’un certain nombre de concessions. Il n’y aura pas de réponse de la part de la veuve de Robert Denoël.

 

Septembre

 

Le 1er : Jeanne Loviton est nommée Chevalier de la Légion d'Honneur par décret du 1er Septembre 1953, paru au Journal Officiel du 4 septembre 1953, pris sur le rapport du ministre de l'Education Nationale, André Marie, en qualité de «Femme de Lettres ».

   

 Jeanne Loviton avait en effet publié sous le pseudonyme de Jean Voilier trois romans chez Emile-Paul : Beauté, raison majeure en 1936, Jours de lumière en 1938, Ville ouverte en 1942, et il s'était trouvé un ministre pour s'en souvenir.

Mais peut-être n'est-ce pas à ce titre qu'elle est promue, car le Journal Officiel précise :

En 1923, Jeanne n'était pas encore licenciée en droit, mais elle aidait déjà, il est vrai, son père aux « Cours de droit ». Le même jour, l'éditeur Pierre Seghers est promus lui aussi Chevalier, avec « 29 ans d'activité professionnelle littéraire et de services militaires », comme le libraire Georges Blaizot, pour « 32 ans d'activité professionnelle et de services militaires », ou le dessinateur Dubout : « 30 ans d'activité professionnelle et de services militaires ».

Son amie Yvonne Dornès avait, elle aussi, reçu après la guerre cette décoration pour d'autres activités, notamment dans la Résistance, mais, le 20 décembre 1947, elle écrivait à Jeanne Loviton : « Je viens d'apprendre avec le déplaisir que tu peux deviner que la décoration qui m'avait été décernée par le ministre de la Guerre m'a été ultérieurement retirée par la Commission nationale en raison de mes liens avec l'affaire Denoël. Je vais faire le nécessaire pour rétablir les choses mais compte sur ta plus absolue discrétion sur ce sujet. »

Yvonne Dornès et Jacques Monod (exécuteur testamentaire de Paul Valéry) en 1956 (© Madame Figaro, 7 mars 2016)

Ses liens avec l'affaire Denoël n'avaient figuré dans les journaux qu'à partir de novembre 1949, mais ce n'est pas à la presse qu'on se réfère quand il s'agit de marques honoriques, et les milieux politiques qui lui avaient attribué la sienne devaient être sensibles au fait qu'elle avait, en somme, trempé dans une affaire qui touchait à la collaboration. Malgré quoi Yvonne Dornès recouvra sa Légion d'Honneur.

 

Parution du dernier ouvrage publié par La Plaque Tournante : La Peur du risque et la Communauté Européenne de Défense, par le général Béthouart.

  

Antoine Béthouart [1889-1982]                                                                    

L'auteur, qui avait quitté le service actif depuis trois ans, envoya un exemplaire de son livre au général de Gaulle qui, le 17 mars 1954, lui accusa réception en ces termes :

« Je ne manquerai pas de lire La Peur du risque que tu veux bien m’envoyer. Evidemment tu ne peux penser que je me rallierai à cette C.E.D. qui est, à mes yeux, une colossale fumisterie et un essai d’abdication nationale. Je suis - le premier - convaincu de la nécessité d’unir I’Europe. Pour qu’il y ait union, il faut que l’institution ait une âme, un corps et des membres. On ne peut bâtir l’Europe qu’à partir des nations. Ceux qui tentent - en vain, je l’espère bien - de fabriquer la C.E.D. empêchent de faire I’Europe, tout comme la caricature s’oppose au portrait.»

Le projet ambitieux, dû à Jean Monnet, d'une Communauté Européenne de Défense, avait été proposé en octobre 1951 par le président du Conseil, René Pleven. Le 24 août 1954 L'Assemblée Nationale refusa de ratifier le traité en raison de l'opposition des communistes et des gaullistes.

Cécile Denoël déclare la faillite de sa maison d'édition et quitte définitivement Paris. Elle ouvre peu après une pension de famille, « Le Pavillon Blanc », à Montmorency. Albert Morys retrouve un travail de technicien de fabrication aux Editions Dunod, près de la place Saint-Sulpice.