Robert Denoël, éditeur

1945

 

À Marcel Sauvage


R. Denoël
39 Boulevard des Capucines (1)
Paris

Paris le 2 Juillet 1945

Mon Cher Marcel,

J’ai eu de vos nouvelles par Barjavel qui a dû se mettre en rapports avec vous au sujet de vos livres. Ces dernières années j’ai à peu près ignoré ce que vous étiez devenu ; de temps en temps un écho, un racontar me parvenait, mais rien de précis. Jamais nous n’avons vécu aussi ignorants de la réalité, et aussi ignorants de nos amis. Il est presque impossible de savoir ce qui se passe à 50 km de chez soi, c’est vous dire que l’Algérie est maintenant aux Antipodes.
  Barjavel me dit que vous avez l’intention de venir à Paris, ne manquez pas de me faire signe ; j’aimerais de faire le point avec vous sur mille choses. Ecrivez-moi un petit mot, et dites-moi si durant ces dernières années vous avez écrit. J’attends toujours « Les Secrets de l’Afrique Blanche » et le livre sur la souffrance. Il y a eu beaucoup de changements et de bouleversements dans ma vie depuis 2 ans, je vous raconterai tout cela.
  Bien affectueusement,

Robert


1. Depuis septembre 1944 Denoël habite une garçonnière située au premier étage du 39 boulevard des Capucines, où il ne reçoit que quelques collaborateurs des Editions Denoël, dont Barjavel et Tosi. Marcel Sauvage a publié son dernier ouvrage chez lui en novembre 1938.

 

À Jeanne Loviton

Vendredi [6 Juillet 1945]

Mon doux Chéri, te voilà partie (1), au calme enfin sur la route, en proie aux seules plaintes de Gorget (2), encore rongée de soucis et d’inquiétudes, mais tout de même la cohorte tracassante recule, s’estompe dans le lointain. Qu’elle s’évanouisse tout à fait ! Il fait chaud, très chaud et j’ai peur, harassée comme tu l’es, que le voyage ne te soit très pénible. Mais tout vaut mieux que les camions de Paris, que ces courses haletantes qui te font repartir sans cesse pour de nouvelles démarches, de nouvelles fatigues.

Je vais être seul et déjà le poids de cette solitude m’oppresse mais je respire quand même à l’idée que peu à peu tu te délivres du plus obsédant, que malgré les ennuis dont ton chemin pourra être semé, tu n’auras pas à chaque pas dix personnes pour te happer et te prendre un peu de ta substance et de ta vie. Quelques jours encore et tu seras au vrai repos. Je te veux dormante ou allongée mais paresseuse, lente à te mouvoir, sans idées et sans projets, toute végétative, occupée de ton repos, vouée au soleil et aux coussins.

Dans ta journée, un seul effort - et ce n’en sera pas un (tu me rends prétentieux) - un mot, un petit mot pour me dire si tu es bien, si tu dors, si ton bouillonnement intérieur s’apaise, si les problèmes en cours sont en voie de solution. Pour moi qui t’ai donné tant d’angoisses toute cette année et qui ai assisté, impuissant, à ta prodigieuse dépense, sois sans inquiétude. Je suis sûr que de mon côté, tu ne trouveras désormais que joie et douceur, toutes mes pensées sont tournées vers toi.

Toute mon activité n’a de signification que si elle te fait la vie plus facile, que si elle te rend à toi-même. Je t’aime et à chaque minute je suis merveilleusement heureux de t’aimer. Tu es mon doux, mon tendre, mon miraculeux petit poulet.

Robert


1. Jeanne Loviton et Mireille Fellous sont parties « faire retraite » au château de Béduer.
2. Abel Gorget est le chauffeur des Editions Domat-Montchrestien. Il se charge occasionnellement des livraisons pour les Editions de la Tour.
* Autographe : collection Mme Jeanne Loviton.

À Jeanne Loviton

Samedi 7 juillet [1945]

Mon doux Chéri, rien encore de toi, j’attendais, non sans douter, un télégramme. Mais la poste n’est plus favorable aux amants, c’est en eux-mêmes dans ces temps privilégiés qu’ils doivent trouver réponse à leurs questions. Tu dois approcher de Béduer (1), il est trois heures de l’après-midi.

Je t’écris sur le petit secrétaire (2), une poule fait la sieste dans le poulailler, les oiseaux pépient, les arbres se balancent et moi j’essaie de ne pas être trop triste. Hier soir, je me suis enfoncé dans un chagrin dont je ne pouvais plus sortir. Tout seul à la table bleue et ta chaise-longue, s’alanguissait un homme amoureux. Le ciel était très haut et il y passait des oiseaux que je n’avais jamais vus, ils faisaient de grandes courses en poussant de petits cris et à certains moments ils accrochaient un peu de lumière sur leurs ailes. Les arbres du parc se doraient la tête et s’inclinaient dans l’air lourd.

L’orage couvait et je pensais que tu en souffrais dans cette mauvaise voiture, que Gorget se lamentait et qu’avec Mireille tu supputais les ennuis qui t’attendaient à l’arrivée, que tu faisais l’inventaire de tout ce que tu avais laissé derrière toi, pas encore tout à fait capable de renoncer aux catastrophes parisiennes mais prête déjà à la guerre du Lot. Je regardais les hortensias que tu as si peu vus, le chat qui se promenait, le gazon, le feuillage. Naturellement, j’étais allé, avant dîner, inspecter les maisonnettes. Le travail avançait, l’herbe du jardin me parut plus épaisse, mais sans toi, le charme de ces choses était caché.

Quand la nuit est venue, ma sensation de détresse a été pire. La bonne avait mis les deux oreillers à ma place mais c’est à la tienne que j’ai dormi, fort tard, après avoir lu longtemps. Je me suis réveillé de bonne heure et, que faire dans ce lit où tu n’es pas ?, je me suis levé. Tout ce matin, j’ai couru sur la moto qui pétaradait à merveille.

Le petit (3) est venu prendre sa leçon de latin avant de partir au camping. Ton bureau a été muet mais lundi, si je n’ai pas de nouvelles, j’appellerai Decaris (4). Bien sagement, j’ai suivi tes instructions, robinets fermés, électricité éteinte, mais le cœur me battait plus fort qu’à l’accoutumée pendant que j’attendais le sommeil. Je pensais trop à toi. Pas plus qu’en ce moment, je n’arrivais à choisir entre toutes les images que j’ai de toi. Mais comme j’aurais voulu avoir ta tête sur ma poitrine, comme j’aurais voulu t’entendre dire : je t’aime, mon chéri ! J’aurais répondu en te caressant doucement, en cherchant ta bouche. Mais comme tu es loin ! Je t’aime, je t’aime, je t’attends.

Robert


1. Figeac est distante de 600 kilomètres de Paris.
2. Denoël vit alors chez Jeanne Loviton, rue de l'Assomption.
3. Robert junior, son fils.
4. Germaine Decaris [1899-1955] était la directrice des Editions Domat-Montchrestien.
* Autographe : collection Mme Jeanne Loviton.

Á Jeanne Loviton

Dimanche [8 Juillet 1945]

Mon doux Chéri, ton télégramme m’a consterné. Quelle série noire ! Vraiment, tout s’oppose à ton repos. Ironie suprême ! Ton télégramme est daté d’un village appelé « Vatan » (1). Aller tomber en panne dans un pays qui vous invite aussi expressément à partir, c’est vraiment jouer de malheur. Tu avais raison de redouter cette voiture. Que lui est-il donc arrivé ? Et comment avez-vous logé ? Comment allez-vous continuer le voyage ? J’attends un mot avec fébrilité. Les gens et les choses se liguent contre toi mais il semble tout de même que tu sois comblée. Après cela, on peut espérer un adoucissement du sort. Je ne sais que penser. Je te vois dans quelque auberge, trop énervée pour dormir, trop soucieuse pour prendre du repos.
    Et moi, je suis là, une fois de plus réduit à assister à tes difficultés sans pouvoir y remédier. Tu ne sais pas à quel point cette situation me pèse. Si je ne t’en parle pas souvent, c’est que je n’aime pas les considérations platoniques. Tant que je serai incapable par situation, par impossibilité matérielle, de résoudre les problèmes à ta place, je serai bien obligé de demeurer dans le silence. Mais je vois maintenant poindre le jour où tout cela va changer.

Dès octobre, ta vie va prendre une autre tournure parce que je pourrai y jouer un rôle vraiment actif (2). Mes petites affaires seront sorties de la période préparatoire et seront en plein rendement (3). Quant aux tiennes, je les conjuguerai avec les miennes pour une part tout au moins et tu commenceras tout doucement à t’en éloigner pour les quitter ou, en tout cas, en secouer la servitude dans le courant 1946. A ce moment j’aurai repris un rôle actif au grand ou au demi-jour, peu importe, mais le bénéfice [manque la suite (4)]

[Robert Denoël]


1. Vatan, en Champagne berrichonne, se trouve à 300 kilomètres de Figeac. Jeanne Loviton est alors à mi-chemin de son périple.
2. C'est le 25 octobre que Denoël cédera à Jeanne Loviton toutes ses parts dans la Société des Editions Denoël. Curieusement, cette lettre essentielle n'a pas été utilisée au cours des multiples procès qui ont opposé Cécile Denoël à Jeanne Loviton, entre 1946 et 1950.
3. Les Editions de la Tour publieront, à partir d'octobre, une demi-douzaine d'ouvrages populaires ou de luxe.
4. Les ciseaux de Mme Loviton ont fait disparaître ce qui pouvait la desservir dans cette affaire complexe de prise de contrôle d'une société d'édition par la sienne, ou de la sienne par une autre.
* Autographe : collection Mme Jeanne Loviton.

À Jeanne Loviton

Lundi [9 juillet 1945]

Mon Chéri, ton télégramme, le second, m’a d’abord surpris car la poste l’avait mal orthographié. Il y était dit « température mille ». Je me suis demandé pourquoi tu me parlais de cela et aussitôt j’ai rétabli « température » et « mille baisers ». Je ne saurai que penser tant que je n’aurai pas reçu une lettre. Souffres-tu ? Es-tu malade ? Ou bien cette température est-elle le contrecoup de tes dernières journées et de la fatigue extrême du voyage si péniblement accompli ?

Voilà déjà quatre jours et demi que tu es partie et j’en suis encore à attendre un message. Quelle époque ! Tu as dû recevoir maintenant mes quatre premières lettres si, comme je l’espère, tu es arrivée sans plus d’encombre à Béduer.

Mon petit chéri, je ne m’habitue pas à ton absence : je suis triste, je me fais l’effet d’un vieux gant de peau oublié dans un placard. Aujourd’hui, par un soleil torride, j’ai beaucoup couru : j’ai sué dans tous les métros pendant des heures, ma moto ayant encore fait des blagues.

Je me heurte à de nouvelles difficultés : fermeture de la plupart des maisons à partir du 20 juillet, absence de main d’œuvre etc... Sans doute devrai-je renoncer à mes petites brochures du mois d’août (1), les commissionnaires partant en vacances ! D’autre part mes livres d’étrennes prennent tournure.

Chez toi, bonnes nouvelles dont Decaris te donnera le détail : les radio-cours et les devoirs ne semblent plus devoir inspirer d’inquiétudes. Je pense que tout cela se règlera par l’initiative conjuguée du Goujon malade (2), de l’active Decaris et du concussionnaire (3). Ce dernier n’avait pas encore envoyé son [manque la suite]

[Robert Denoël]


1. Commandant de Guyenne [i.e. Maurice Percheron]. La Guerre des hommes libres, 20 brochures parues aux Editions de la Tour entre septembre et décembre.
2. Alexandre Gougeon, professeur de droit né à Paris le 20 décembre 1869, était l'un des deux associés de Ferdinand Loviton lors de la création de la Société des Editions Domat-Montchrestien, le 7 octobre 1929. Il était le gérant de la maison d'édition.
3. Non identifié.
* Autographe : collection Mme Jeanne Loviton.

À Jeanne Loviton

Mardi [10 juillet 1945]

Mon Chéri, enfin hier soir en rentrant j’ai trouvé une lettre si tendre et si douce, malgré les ennuis qu’elle relatait, que je me suis senti tout apaisé après l’avoir lue. Ton télégramme daté d’Uzerches m’avait déjà un peu détendu bien que le mot « température » n’ait pas encore pour moi une signification bien claire. Je ne serai tranquille que lorsque j’aurai reçu une lettre de Béduer. Tu ne peux pas savoir combien j’ai été ému à l’idée que dans le tohu-bohu du départ, tu aies pu penser à m’assurer une couchette pour le voyage (1). Girault a répondu que l’affaire était entendue. C’est vrai que tu penses à moi tout le temps mais ce qui est bien plus beau c’est que tu penses à moi d’une manière si efficace. Je viens d’avoir un long coup de téléphone [manque la suite]

[Robert Denoël]


1. Denoël quittera Paris le 3 août pour rejoindre Jeanne à Divonne-les-Bains.
* Autographe : collection Mme Jeanne Loviton.

À Jeanne Loviton

Sans date [juillet 1945]

[Manque le début de la lettre] L’almanach (1) marche mais piano-piano. La phototypie des dessins intérieurs sera terminée le 25 pour la forme qui comporte des pochoirs. Le coloris pourra donc être fini pour le 1er septembre. J’espère arriver à terminer la mise en pages du texte avant mon départ. Le tirage du texte ne sera pas long mais je ne compte pas l’achever avant le 15 septembre. Les opérations diverses se chevaucheront. La couverture sera achevée au même moment que l’impression et le relieur n’aura plus qu’à faire l’emboîtage.

J’espère donc avoir les premiers exemplaires en main dans les premiers jours d’octobre (2). J’aurai deux bons mois et demi pour la vente. Mais dès le 15 septembre je ferai la publicité.
    Le troisième volume « Rouge et noir » (3) partira à la reliure le 20 juillet et j’en trouverai des exemplaires à mon retour. Le quatrième (4) sera mis sous presse en septembre et sortira fin octobre.
    Pour les petites brochures (5), j’en ai huit d’avance, textes et dessins. Et mes livres d’étrennes sont à la composition : je viens de trouver le papier du premier volume. Fircsa dessine des indiens à longueur de journée (6). [manque la suite]

[Robert Denoël]


1. Le Bonheur du jour. Voir sa lettre du 14 août à Albert Morys.
2. Le volume sera achevé d'imprimer le 30 septembre, mais il ne sera mis dans le commerce qu'en décembre, après sa mort.
3. L'achevé d'imprimer du Mouchoir rouge, troisième titre de la collection « Le Rouge et le Noir », est daté du 25 mai. Mais il reste à le faire cartonner, et l'atelier est sans doute fermé durant les vacances.
4. La Double Méprise, quatrième et dernier titre de la collection, porte un achevé d'imprimer du 8 novembre.
5. Commandant de Guyenne [i.e. Maurice Percheron]. La Guerre des hommes libres, 20 brochures parues aux Editions de la Tour entre septembre et décembre.
6. Fenimore Cooper. Le Tueur de daims, paraîtra aux Edtions de la Tour le 15 novembre.
Laszlo Fircsa [1904-1988] est, sous le pseudonyme de « Dominique », l'auteur des illustrations qui agrémentent toutes les publications des Editions de la Tour.
* Autographe : collection Mme Jeanne Loviton.

 

À Jeanne Loviton

Sans date [15 juillet 1945]

[Manque le début de la lettre] Rien encore de Simone (1) qui ne semble pas alarmée du tout. Elle explique le retard par l’encombrement des dactylos, qui dépasse, paraît-il, toute imagination. Mais comme toi, je tiens à voir et toucher le papier en question pour me sentir tout à fait libre. J’ai voulu te téléphoner tout à l’heure mais il faut encore une autorisation.  

Heureusement il ne m’est pas défendu de t’écrire que je t’aime, que je t’aime dans la vie courante et dans la vie des rêves et que ce matin, le son de ma propre voix m’a réveillé. Je disais : « Jeanne, mon chéri ». J’ai continué à parler tout seul en disant : « Mon petit poulet n’est pas là. Comment va-t-il ? Est-il enfin arrivé ? » Et autres paroles inquiètes et amoureuses.   

L’inquiétude ne porte pas sur tes sentiments, bien que j’adore de te les entendre exprimer, mais sur ton état. Dors-tu bien ? Dis-moi si le lit de Béduer t’a paru aussi bon que celui de l’Assomption (2). Je t’adore.

Robert


1. Simone Penaud, amie intime de Jeanne Loviton, est son avocate devant la Cour de justice. Un non-lieu a été prononcé le 13 juillet, mais il doit encore être confirmé par un document officiel.
2. Jeanne lui a écrit, trois jours plus tôt : « je retrouve mon Béduer des rêves que j'y ai tissés. [...] C'est là que j'ai senti pour la première fois en toi l'émotion que je guettais depuis si longtemps déjà. [...] Tu m'a rendu l'amour, mon amour, j'attends que tu me donnes la quiétude et des jours qu'on puisse caresser. J'attends de ne plus souffrir minute après minute dans l'effort de mon corps et de mon esprit. Je sais que tu me donneras tout cela. » [Repris de : Célia Bertin. Portrait d'une femme romanesque, 2008, p. 208].
* Autographe : collection Mme Jeanne Loviton.

À Jeanne Loviton

Sans date [17 juillet 1945]

[Manque le début de la lettre] Il faudra sans doute installer tous ces volumes dans la petite maison du fond (1) quand je quitterai les Capucines. A moins qu’à ce moment, je m’installe en bibliothèque personnelle une pièce de la rue Amélie. Nous verrons cela.
    Je n’ai pas encore reçu de réponse à mon troisième télégramme Roc Merlet. Je vais dans une demi-heure à la Maison de Savoie pour leur demander ce que cela signifie. Tu parles de mon optimisme (2), mon Chéri. Mais j’étais beaucoup plus pessimiste que toi. J’ai vécu une année beaucoup trop riche en angoisses pour penser à des vacances. Je te dirais même que dans mon esprit il n’en était pas question. Je ne croyais pas arriver à la solution aussi tôt. Et pour toi, Béduer me paraissait tout indiqué.

Quant à mon intervention personnelle dans les commodités de notre vie future, n’en doute pas un instant. Mais il m’a été à peu près impossible toute cette année de faire une démarche utile. Ce n’est que très lentement que se dessine pour moi un statut à peu près normal. Je n’ai qu’une ambition, te voir abandonner au plus vite une vie qui n’est pas faite pour toi (3).

En 1946 ce sera chose accomplie, cela je te le jure. Songe que j’ai vécu pendant tout un an sous la pire des menaces. Il a fallu mon horreur de l’inaction pour que me décide à reprendre une activité qui pouvait chaque jour être interrompue (4). Ce n’est pas que je doutais de ceux qui t’avaient promis de me tirer d’affaire mais je redoutais tous les impondérables, les sursauts de l’opinion.

Et depuis un an, par surcroît, je vis dépouillé de tout le crédit d’un homme qui a un peu de pouvoir. Des amis, certes, mais mal placés ou inactifs ou que je ne pouvais pas solliciter [manque la suite]

[Robert Denoël]


1. « Dans le fond de mon pavillon se trouve un petit bungalow de deux pièces, que j’ai aménagées pour M. Denoël », déclara Jeanne Loviton à la police, en 1946. L’acte de vente de la parcelle du 11, rue de l'Assomption, indique qu’il s’agit d’une « petite construction légère. Le tout d'une contenance de 416 mètres carrés 50 centièmes environ d'après les titres et de 412 mètres carrés environ d'après mesurage ». Au cours des procès qui ont opposé la veuve de l'éditeur à sa maîtresse, Me Armand Rozelaar qualifa l'endroit de « remise à outils au fond du jardin », ce qui était sans doute exagéré puisque Denoël s'y fit domicilier en octobre pour obtenir des cartes de ravitaillement. Dans la réalité, Denoël habitait chez sa maîtresse.
2. Jeanne lui a écrit, la veille : « Je te supplie, pour moi, mon amour, de dominer ta tendance naturelle à l'optimisme, au tout ira bien, pour " organiser " nos joies. Oui le voilà ce mot affreux, mais il le faut. Il faut abandonner un peu la lecture et te poser les problèmes quotidiens de notre confort, de nos aises, sans quoi il n'y a pas de joie. Il ne faut plus me laisser seule relancer les amis, prier l'un, supplier l'autre, courir ici ou là frapper aux portes, il faut que tu agisses aussi parce que je suis à bout. »
3. Denoël a bien vu que Jeanne Loviton n'avait pas sa place dans l'édition, pas plus que dans le journalisme ou dans la littérature, où elle s'est risquée précédemment. Où donc était sa vraie place ? Ses adversaires les plus malveillants ont dit : « au tapin, comme sa mère ». D'autres ont assuré qu'elle était une « public-relation  » de première force, ce qui s'est avéré exact.
4. Celle des Editions de la Tour.
* Autographe : collection Mme Jeanne Loviton.

À Jeanne Loviton

Sans date [18 juillet 1945]

[Manque le début de la lettre] la vente du Goncourt commence la semaine prochaine et les vingt mille qu’ils ont tirés sont vendus (1). Par conséquent, dirigée par des feignants la maison réalisera au moins 15 millions de chiffre cette année. Et cela avec quelques réimpressions et deux ou trois nouveautés. C’est dire que quand tout l’orchestre fonctionnera, on l’entendra de loin. Cela me donne un vif plaisir, car je pense que dès l’heureux moment venu, tu pourras envisager notre avenir avec tranquillité. Je laisserai volontiers quelques plumes à l’opéra pour reprendre au plus vite le contrôle de mon petit théâtre personnel. Le plus drôle, c’est qu’après le prix Goncourt, le flot des manuscrits qui avait beaucoup décru, a repris avec une ampleur digne des plus beaux jours.
    Mais rien n’est plus fatigant, plus usant que l’attente si ce n’est la séparation. Depuis ton départ, je suis comme anéanti. Je fais mon travail avec beaucoup de peine (2). Je ne vois personne sauf une fois les Percheron (3) qui t’adorent décidément et les Beckers (4). Je prends presque tous mes repas à la maison. Je vais ce soir à la présentation de la « Grande Meute » mais par devoir (5). Un plaisir pris sans toi n’est plus un plaisir pour moi. Je ne vis que pour te retrouver.

Dis-moi vite comment est Divonne, si tu t’y soignes, si tu t’y plais. Pourquoi courir les hôtels ? Ne veux-tu plus du Roc Merlet ? Repose-toi, mon Chéri, je veux te revoir en vraie bonne santé, heureuse dans tes pensées et dans ton corps. Tes lettres m’ont apporté la paix du cœur mais jamais je ne pourrais te dire quel fabuleux besoin j’ai de toi. Une âme en peine, savais-tu vraiment ce que cela voulait dire ? Moi, je le sais maintenant. Et je le sais parce que je t’aime.

Robert


1. Le prix Goncourt a été décerné le 2 juillet à Elsa Triolet pour Le premier accroc coûte deux cents francs, en l'absence de l'éditeur, représenté sans doute par l'administrateur provisoire des Editions Denoël, Maximilien Vox. Le 10 juillet, Cécile Denoël écrivait à Jean Rogissart : « Oui, ce prix Goncourt était bien le dû de Robert, après tant d’années d’efforts. J’ai beaucoup de chagrin, quand je pense qu’il n’était pas dans sa maison pour le recevoir. Ainsi va la vie ! Je souhaite quand même qu’un jour il aura sa revanche. »
2. Jeanne en a parlé à Yvonne Dornès, que la jalousie rend fielleuse : « Je suis ravie d'apprendre que Robert a mal supporté la séparation. » [Lettre à Jeanne Loviton, 24 juillet 1945, reprise de Célia Bertin. Portrait d'une femme romanesque, 2008, p. 226].
3. Suzanne et Maurice Percheron connaissaient Jeanne Loviton depuis peu : « Deux ou trois mois après son départ du domicile conjugal, M. Denoël m’a mis au courant de sa liaison avec Mme Loviton, que je ne connaissais pas, et de son intention de l’épouser lorsqu’il serait divorcé », déclare Percheron au commissaire Pinault, le 10 octobre 1946. Sa rencontre avec Jeanne Loviton daterait donc de la fin de l’année 1944.
4. Robert Beckers, son ami liégeois [1904-1980], vivait alors avec l'actrice de cinéma Catherine Hessling [1900-1979], qu'il épousa le 7 février 1958.
5. Voir sa lettre à Paul Vialar, ci-dessous.
* Autographe : collection Mme Jeanne Loviton.

À Paul Vialar

18 juillet [1945]

Mon Cher Paul, je n’arrive pas à trouver une plume et c’est bien à regret que je vous écris au crayon. Puissiez-vous me lire quand même. Que devenez-vous fantôme ? Je n’ai plus de nouvelles de vous que par Amélie Tosi (1). Et pourtant je me souviens de vous avoir écrit une longue lettre voici quelque quinze jours. Je devais recevoir les manuscrits tant attendus. Pas de manuscrits, pas de lettres. Je m’inquiète de ce silence.

J’espère que tout va bien, que toute la famille prospère et qu’il faut attribuer votre mutisme aux splendeurs de l’été. Il me semble que vos affaires ne prennent pas trop mauvaise tournure. De plusieurs côtés, l’argent vient me semble-t-il. Si l’on est à peu près exact du côté de l’empereur (2) (on n’a pas idée de s’appeler Maximilien quand on pourrait briguer la gloire du plus petit conscrit de France) vous devez envisager la fin de l’été sans trop de soucis.

N’en ayez plus pour moi en tout cas. J’ai gagné la difficile partie ou plutôt Jeanne l’a gagnée pour moi (3). Il ne s’agit plus que d’attendre le vent favorable pour faire voguer le bateau. Et j’ai l’impression qu’avec l’escorte du Voilier, il va faire une course fastueuse (4). En attendant, Jeanne éreintée par tant de travail et de soucis, est partie pour Divonne où des soins judicieux et un large repos la mettront en état de passer de bonnes vacances avec moi au mois d’août.

Ce soir, j’ai beaucoup pensé à vous en voyant le film de la Grande Meute (5). Pleurez mes tristes yeux ! C’est mauvais, peut-être commercial, je n’en sais trop rien, mais c’est mauvais. Quelques images agréables, quelques scènes réussies mais dans l’ensemble mille piques au-dessous du niveau du livre. Aucune grandeur, aucune virilité et encore moins de lyrisme. Il aurait fallu un cinéaste au tempérament mâle, de la vigueur, de la brutalité même, le caractère épique du roman. Le protagoniste est bon mais il n’est pas servi. Quelques scènes de chasse pauvrement orchestrées ne suffisent pas à soulever l’enthousiasme. Tous les passages difficiles sont escamotés. Je ne parle pas des scènes du livre, je parle des scènes que l’on a gardées. La chasse y paraît un sport tout paisible, décoratif, peu fatigant. Jamais on ne voit l’effort ou la passion du jeu. Les chevaux trottent comme au bois, le cerf ou le sanglier semble tournés au ralenti. J’avoue que j’avais fait mon deuil de la beauté du film dès que j’avais lu le nom du metteur en scène. Je ne peux pas dire que j’ai été déçu. Mais enfin c’est quand même très écouillé. Justement, le public aurait été ravi d’un film qui aurait senti la sueur et le fauve. Les chiens n’ont pas été vus. Ils sont peu nombreux et pas du tout mis en valeur. Le cerf et le sanglier étaient à tuer ! Ils ont raté leur course et leur mort. L’accident de Marvault, l’accident d’Agnès sont à peu près incompréhensibles. Ce qu’il y a de mieux, c’est la nuit de noces, la fausse mort du père, les fiançailles de Lambrefault, bref les scènes où les acteurs ont une action à jouer. Mais tout le reste qui devait soulever le public, si cela avait été senti, ne sort pas de la médiocrité. Et quant à la dernière partie, imbuvable il faut le dire, elle ne passe pas. Dumesnil en tourlourou 40 n’est pas regardable (6).

Bref, c’est foutu. Cela n’a pas grande importance car, comme je le pensais, les gens à la sortie ne parlaient que du livre. Cela fera une publicité excellente (7). Moralité, gagnons beaucoup d’argent et choisissons nous-mêmes nos metteurs en scène. Le seul possible, c’était Renoir (8).
  Donnez-moi vite de vos nouvelles. Je quitte Paris le 3 août (9). Aurai-je les manuscrits (10) avant mon départ ? Cela me plairait. Embrassez Nique et Nique pour moi (11), mettez-moi aux pieds de Magdeleine et prenez votre plume.

Affectueusement,

Robert


1. Guy Tosi [1910-2010] a été engagé en qualité de lecteur par Denoël en janvier 1943, avant d'être promu directeur littéraire, conjointement avec René Barjavel, en 1945.
2. Maximilien Vox, nommé administrateur provisoire des Editions Denoël en octobre 1944.
3. Le 13 juillet 1945 Denoël a bénéficié d'une décision de classement en cour de justice. Les relations occultes de Jeanne Loviton paraissent avoir été déterminantes.
4. Depuis février 1945, Robert Denoël et Jeanne Loviton ont fait le projet de conjuguer leurs affaires d'édition.
5. La Grande Meute a été portée à l'écran par Jean de Limur [1887-1976]. Sa première projection dans les salles parisiennes eut lieu le 18 juillet 1945.
6. Jacques Dumesnil [1903-1998] y tient le rôle de Côme de Lambrefault, c'est-à-dire le rôle principal.
7. Le 23 juillet Paul Vialar écrivait de Saint-Tropez à Guy Tosi : « J’ai trouvé excellente pour l’époque la réédition de La Meute et suis heureux qu’elle soit sortie à temps pour le film. Tous les exemplaires parvenus aux libraires d’ici sont déjà vendus. »
8. Jean Renoir [1894-1979] avait été pressenti par Charles Vanel, ami de Paul Vialar.
9. Denoël passera une quinzaine de jours à Divonne-les-Bains puis à Béduer en compagnie de Jeanne Loviton.
10. Le 27 février Vialar a signé avec les Editions Denoël un contrat pour trois livres. Le premier est un roman, La Caille, qu'il a déposé en mars rue Amélie. Le deuxième, un récit pour les enfants : Le Voilier des îles, qui ne verra le jour qu'en 1947. Le troisième s'appelle Le Bal des sauvages et il ne sera pas publié chez Denoël mais chez Domat, la maison d'édition de Jeanne Loviton.
11. Les enfants de Paul Vialar et de Magdeleine Rombeau s'appellent Dominique et Véronique.

À Jeanne Loviton

Sans date [19 juillet 1945]

[Manque le début de la lettre] Suis passé tout à l’heure chez Lachaume (1) d’où j’ai envoyé fleurs à Nane (2), Françoise (3) et Simone (4). Après avoir téléphoné à Georges (5) et à Françoise, ravis. Mais j’aurais voulu t’envoyer les plus belles fleurs de France et du monde.
    Cela m’a beaucoup amusé de savoir que tu lisais ce fameux Voyage (6). Tu lis un livre écrit il y a quinze ans, un livre que l’on a beaucoup démarqué, beaucoup imité. Je ne sais plus très bien ce que j’en pense. Au moment où je l’ai publié, je l’ai lu plusieurs fois, manuscrit, épreuves etc... avec la sensation du génie.

Je crois d’ailleurs qu’il n’y a pas d’œuvre achevée dans le roman. Tous les grands chefs-d’œuvre du roman sont pleins de trous, de bavures, de pages inutiles. Cela est vrai de Stendhal, de Flaubert, de Laclos, de Dostoïevski, de tout le monde.  

Les petits livres, genre Adolphe (7), mais c’est aussi limité qu’un sonnet, peuvent seuls donner l’impression du fini. Je vois dans cette lecture une preuve de tendresse, mieux, un désir de connaître le pourquoi de mes admirations, qui me va au cœur. Tu devrais cependant t’arrêter après le premier et lire autre chose. Pour revenir plus tard à un second ouvrage du même auteur : il faut se défier de la saturation. Si je retrouve l’article de Gide (8) sur l’auteur, je te le ferai lire, tu verras sur quels points peuvent s’accorder deux tempéraments aussi opposés.
    Ce que tu me dis de toi, de ton désir de redevenir toi-même me passionne. Tu ne sais pas à quel point tu es toi-même dans chacun de tes gestes, de tes actes. Il te reste à utiliser tes prodigieuses richesses à des fins personnelles. Je compte bien te ménager la vie qui te le permettra. Dans peu de temps, tu « organiseras » ta vie intérieure. Tu me le dois, tu te le dois et je crois qu’alors tu connaîtras, par l’expression de toi-même, dans une atmosphère heureuse, délivrée, la joie la plus profonde. C’est cela que je veux de toutes mes forces, c’est de te voir arriver à la plénitude de toi-même dans l’amour, dans notre amour.
    Je t’aime, je suis heureux.

Robert


1. Célèbre fleuriste de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Denoël a reçu la confirmation officielle de son non-lieu devant la Cour de justice.
2. Petit nom familier d'Yvonne Dornès, l'amie intime de Jeanne Loviton, aux appuis politiques très importants.
3. Françoise Pagès du Port, autre amie influente de Jeanne Loviton.
4. Simone Penaud-Angelelli, avocate communiste et amie de Jeanne Loviton, que Denoël a choisie pour le représenter dans son affaire de divorce et pour le défendre devant la Cour de justice.
5. On hésite à désigner Georges Bidault, alors ministre des Affaires Etrangères et futur mari de Suzanne Borel, autre amie intime de Jeanne Loviton. Il existe un autre Georges dans l'entourage de Denoël : son conseiller financier, Georges Hagopian, mais ce n'est pas un familier de Jeanne Loviton.
6. Jeanne découvre Voyage au bout de la nuit, treize ans après sa parution.
7. Le livre de Benjamin Constant est paru en 1816.
8. Probablement « Céline, les Juifs et Maritain », paru dans La NRF d'avril 1938.
* Autographe : collection Mme Jeanne Loviton.

À Jeanne Loviton

Samedi [21 juillet 1945]

J’ai reçu tout à l’heure ton petit mot si triste, mon Chéri, j’avais bien pensé comme tu aurais du chagrin (1) et je t’avais écrit tout de suite. Le hasard a fait que j’ai déjeuné tout à l’heure chez Quinchon avec le Dr Gutman (2) qui était un de ses médecins. Sa mort a été inopinée et sans souffrance. Depuis la veille il n’avait plus conscience. Le médecin, assisté d’une infirmière, lui préparait un sérum quand, soudain, il s’est affaissé. A ce moment, la fenêtre de la pièce s’est ouverte avec fracas et le vent s’est engouffré dans les rideaux.

Pendant qu’il racontait ce signe étrange, comme on en notait chez les Grecs à la naissance et à la mort des grands hommes, je pensais avec une conviction accrue, que tu avais apporté à ton ami ses dernières joies. C’est toi qui a imprimé ses deux dernières œuvres (3) et il en a eu, j’en suis certain, un plaisir délicieux. Pense à tout ce qui est perdu, mais pense aussi à tout ce qui a été créé entre vous, pense à ses tourments, mais pense surtout à l’aiguillon que tu as été pour sa pensée et pour son cœur.

Après la soixantaine, la plupart des écrivains ne font plus que balbutier : grâce à toi, il a vécu avec une agilité de l’esprit et un goût de la vie, une passion d’homme en pleine force. Le médecin, d’ailleurs, affirmait que de toute évidence la maladie remontait à plusieurs mois, qu’elle gagnait à son insu et que son développement n’avait rien que de très naturel.

Le choc dont il t’a parlé n’a été qu’une coïncidence (4). Que ton chagrin soit profond, je le comprends, mon Chéri, mais n’y laisse se mêler aucune amertume. Tu ne pouvais pas agir autrement, la destinée a été implacable mais il ne t’a pas été donné d’en changer le cours.

A ce déjeuner se trouvait aussi Paul Léautaud qui était un de ses amis d’enfance. Il a parlé de lui avec beaucoup de gentillesse et même d’affection. Ce Léautaud est extraordinaire, je te parlerai de lui une autre fois. Au déjeuner, très animé d’ailleurs, à cause de la présence du Dr G., se trouvait aussi le petit Bessi (5), le docteur qui a eu la jambe coupée.

Le Dr G. avait d’abord refusé à Quinchon de déjeuner avec moi, puis il a accepté, puis il m’a fait l’œil de verre, puis il m’a quitté enchanté. Je te raconterai la discussion et le rôle très amical de G. et de Léautaud. C’est la première [manque la suite]


1. Paul Valéry est mort le 20 juillet. Jeanne lui a écrit le soir même : « Il est tard. J'ai pleuré à travers bois et champs cet après-midi. Je mesure ma perte, pour moi elle est immense, pour lui je crois qu'il valait mieux qu'il disparaisse, il n'aurait pas supporté mon bonheur. C'est l'être qui m'a le plus aimée au monde, par moments il m'a totalement comprise. » [Repris de : Célia Bertin. Portrait d'une femme romanesque, 2008, p. 223].
2. Le docteur René Gutman [1885-1981] décrira plus tard, dans la Nouvelle Presse médicale, les derniers moments du poète, dans des termes assez proches de ceux que rapporte Denoël.
3. Voltaire, paru le 8 mars 1945, et Henri Bergson, paru le 15 mai, l'un et l'autre aux Editions Domat-Montchrestien, dans la collection « Au Voilier ».
4. Ce « choc » est celui qu'a causé Jeanne Loviton au vieux poète malade en lui annonçant, le 1er avril, son projet de mariage avec Robert Denoël. Il est tout à son honneur de minimiser cet incident que d'aucuns, aujourd'hui, qualifient de coup fatal.
5. Eric Mathieu Bessi, médecin ami des Denoël.
* Autographe : collection Mme Jeanne Loviton.

À Jeanne Loviton

Sans date [juillet 1945]

[Manque le début de la lettre] J’ai déjeuné hier avec Marion (1) qui voulait me consulter au sujet de Monsieur Durey pris au cinéma (2). Elle est en grand progrès, presque propre, sans démonstrations hystériques, assez grossie mais nettement mieux équilibrée. Elle m’a menacé d’un livre de nouvelles.

Aujourd’hui j’ai déjeuné avec Robert, ravi de sortir avec son père. C’est vraiment un curieux petit bonhomme, très mûr par certains côtés mais cramponné à sa petite enfance qu’il ne veut pas lâcher. Comme j’allais acheter un jouet pour le petit Fircsa (3), il a manifesté une envie si forte d’une jeep que je n’ai pas pu lui refuser en lui jurant solennellement d’ailleurs que c’était son dernier jouet de petit garçon.

A côté de cela, il m’a fait pendant le repas une critique sévère des « leçons de choses » que l’on trouve dans les manuels. Il m’a expliqué avec une abondance de termes techniques et de précision qui m’a ébloui, le labourage, les semailles et la récolte du blé en Mayenne, qui n’ont, il est vrai, aucun point commun avec les descriptions scolaires. Nous effleurons le sujet famille sans y entrer encore. Mais cela vient. Au mois de septembre ce sera chose faite.
    Je m’occupe de Mme Dairat, de l’instrument, des pneus, de Camille, de tout. Je relirai toutes tes lettres demain pour ne rien oublier. Pour venir, j’ai eu besoin d’un sauf-conduit que je dois faire timbrer à l’arrivée et renouveler au bout de 15 jours par le maire ou le commissaire de police de Divonne. Avis ! Que de chinoiseries. Mon billet n’était pas arrivé ce matin, je retourne au Ministère demain, car c’est par les Travaux Publics que ce billet m’est alloué ! Quelle époque !

Belle époque puisque je t’aime, puisque tu m’aimes. Conjugaison délicieuse dont les termes n’épuisent jamais leur saveur. Il y a des moments où l’image que j’ai de toi dans le cœur et dans l’esprit m’inonde de bonheur. Cela ne dure pas parce que je suis un homme de chair, que j’ai besoin de te toucher, de te sentir, de te voir, de te caresser, de te prendre mais c’est merveilleux. A nous la cage à mouches (4), à moi, mon amour, mon beau, mon doux, mon tendre chéri.

Robert


1. Marion Delbo, dont Denoël a publié le premier roman, Monsieur Durey, en mai 1943.
2. Projet sans suite.
3. Le fils de Laszlo Fircsa [1904-1988], son illustrateur.
4. La chambre exiguë de « La Maison Verte » à Divonne-les-Bains.
* Autographe : collection Mme Jeanne Loviton.

À Jeanne Loviton

Sans date [dimanche 29 Juillet 1945]


[Manque le début de la lettre] Encore une fois, dis-moi s’il y a une rivière à Divonne ou aux environs, cela m’amuserait tellement de pêcher avec toi.
    Ces derniers jours m’apportent un gros travail, correction d’épreuves, mises en pages, illustrations des livres d’étrennes etc... Mais dans l’ensemble, il n’y a pas trop de retard. Si tout va bien ou même à peu près bien, le dernier trimestre 1945 me paiera largement de mes loisirs forcés de l’année dernière (1). Et je mets au point mes projets 1946 !
    Ne te soucie pas de la question argent. J’ai tout réglé ici. J’emporte avec moi assez d’argent pour notre séjour. Nous règlerons ces comptes à la rentrée. Et à partir de novembre, je crois bien que la question d’argent ne se posera plus du tout entre nous.
    Je t’adore, mon doux écrivain sans plume, je t’adore mon absente, ma lointaine, mais j’ai quand même envie de te battre.  

Tendrement,

Robert


1. Toutes les publications des Editions de la Tour datent des mois de septembre à décembre 1945.
* Autographe : collection Mme Jeanne Loviton.

À Robert Brassy

 Paris le 3 Août 1945

[...] Depuis la fin juin, j’ai été en effet très occupé et très soucieux. Heureusement le principal de mes soucis est écarté aujourd’hui ; je vous le dis encore confidentiellement car je ne pense pas reprendre la direction de ma maison avant la fin du mois de janvier prochain.
    [Il ne peut l’aider davantage] J’ai confiance en vous et combien je suis assuré de votre destinée littéraire qui apportera petit à petit des améliorations dans votre vie [...]
    En attendant de pouvoir faire mieux, je vous envoie un petit billet qui vous aidera sans doute quelques jours. [...]

[Robert Denoël]


* Autographe : Archives départementales de Paris, cote 1019 W 26 [copie Harry Stewart].



À Jeanne Loviton

Sans date [3 août 1945]

Mon doux Chéri, je viens de recevoir tes deux lettres, vendredi et samedi, avec un plaisir infini. C’est sans doute le dernier mot que je t’écris avant mon départ mais qu’il soit pour te redire, mon amour, que tu es le sel de ma vie, qu’un mot de toi peut me rendre heureux ou malheureux, un mot, un regard, une inflexion. Tes deux lettres m’ont donné du bonheur. Je t’aime.
    Mais je ne puis t’écrire longuement, il faut courir à droite et à gauche. Voici les chèques. Dès que je saurai l’heure de mon arrivée je te la télégraphierai. Je pense que tu as reçu les bons d’essence. Je prends note de tes demandes et tâcherai d’apporter tout. J’ai enfin trouvé du sucre (sept kilogs). Sidonie (1) en a trouvé aussi.
    Je dîne ce soir avec Steele (2), j’ai dîné hier chez les Fircsa. Jeudi je déjeune avec L.L. (3). Le déjeuner a été remis.
Tout va bien, tout va aller mieux encore mais je ne serai content que lorsque tu m’apparaîtras à l’arrivée. Quelle joie ! Quelle attente ! Je ne tiens plus en place, si tu savais comme j’ai hâte de t’aimer de tout près.

Robert


1. Sidonie Zupanek, la bonne de Jeanne Loviton.
2. Denoël a revu plusieurs fois Bernard Steele au cours de l'année 1945. L'Américain, qui a été fait chevalier de la Légion d'Honneur en février, a son bureau à l'ambassade américaine, près de la place de la Concorde.
3. Non identifié.
* Autographe : collection Mme Jeanne Loviton.

À Jean Proal


R. Denoël
39 Bd des Capucines
Paris

Paris le 3 Août 1945

Mon Cher Ami,

J’aurais bien cru vous revoir avant mon départ (1), et j’espérais vous dire à cette occasion combien votre amitié m’avait été précieuse durant cette année à plus d’un égard pénible. Les quelques contacts que nous avons eus, m’ont beaucoup aidé dans la lutte pénible que j’ai menée. Ce sont des choses que l’on a du plaisir à garder en mémoire.
    Il n’a pas dépendu de moi que je ne vous fasse rencontrer l’invisible Monsieur Lotte, mais ce n’est que partie remise. Il est peut-être préférable de l’aborder à la rentrée, à un moment où je l’espère, les affaires de cinéma commenceront à prendre un tour positif (2).
    Je vais me reposer, bien fatigué, éreinté même, mais l’âme sereine, j’ai gagné la partie, il ne reste plus qu’à régler le montant des enjeux, ce sera l’affaire de quelques mois et je reprendrai mon travail avec la certitude qu’il sera fécond. Je vois d’une manière précise la place que vous y tiendrez l’année prochaine et je m’en réjouis profondément.
    Au revoir Cher Ami, j’espère que vous connaîtrez bientôt de paisibles journées provençales, loin du marécage parisien.
    Bien affectueusement à vous,

Robert Denoël


1. Le 6 août Denoël quitte Paris pour Divonne-les-Bains, où il va rejoindre Jeanne Loviton.
2. Bagarres, le nouveau roman de Proal à paraître en février 1946, sera porté à l'écran deux ans plus tard.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Rogissart

[Paris], 3 Août 1945

[...] En ce qui concerne ma grande affaire, je puis dire maintenant que j’ai gagné la partie, je ne le dis pas encore sur la place publique, mais je me fais une joie de l’annoncer à mes amis. Cela ne signifie pas qu’il soit raisonnable de prendre la direction de ma maison avant plusieurs mois, je ne veux provoquer personne.
    Naturellement votre manuscrit me sera communiqué [...]

[Robert Denoël]


* Autographe : Archives départementales de Paris, cote 1019 W 26 [copie Harry Stewart].

 

À Paul Vialar

[Paris], 3 Août 1945

[...] J’espère que le chèque habituel est bien arrivé. [...]

[Robert Denoël]


* Autographe : Archives départementales de Paris, cote 1019 W 26 [copie Harry Stewart].

 

À André Brulé

Sans date [Béduer, le 10 Août 1945]

[...] Je joins ci-inclus un texte de La Guerre des Hommes libres destiné à la 4e série. [...] du tirage du Tueur de daims [...] Bruyneel vous enverra un chèque de frs : 60.000 environ le 15 août [...] 150.000 sur les trois tonnes de papier nécessaires au tirage du Tueur [...] (2)

[Robert Denoël]


1. Voir la lettre du 14 août, ci-dessous, à propos de ces deux titres.
* Autographe : Archives départementales de Paris, cote 1019 W 26 [copie Harry Stewart].

 

À Albert Morys

[Béduer (1)], le 14 Août 1945

Mon Cher Ami,

Cela m’ennuie bien de troubler l’atmosphère de vos vacances par une fâcheuse nouvelle. Je comptais bien vous laisser aux délices du repos... Il faudrait que vous soyez à Paris le lundi 27 août, et que vous commenciez aussitôt la tournée des fournisseurs dont je n’entends plus parler. Vous trouverez ci-inclus, une note au sujet des précisions que je vous demande.   

Nous n’avons devant nous qu’un temps tout à fait limité : il faut absolument que nous paraissions à la bonne date, sans quoi nous risquons de tomber sur un échec cuisant comme l’année dernière avec les cartes.
    Si le séjour en Ardenne (2) se prolongeait en dehors de vous, rien ne vous empêcherait d’y retourner huit jours dès mon retour. Dans le cas contraire, vous pourriez prendre un peu de vacances à Noël, si le cœur vous en disait.
    Il est certain que si l’un de nous n’est pas sur place, le travail ne se fera pas. Je compte donc sur votre diligence et sur l’énergie retrouvée dans le séjour tonique des Ardennes.
    J’ai écrit 2 fois au Finet dont je n’ai rien reçu. Soyez gentil de veiller à ce qu’il accomplisse son travail. Je voudrais recevoir des devoirs qu’il m’a promis.
    Amitiés à la ronde [...]

[Robert Denoël]

    Je rentrerai le 4 septembre au matin. Les lettres mettent 2 jours de Paris à Béduer...

[Note jointe :]

Voir Brulé (3)

a) Lui apporter le chèque Hachette qui représente ce qu’on lui doit. Si la somme n’est pas exacte, verser ce chèque à Worms et tirer sur cette banque le chèque exact.
    b) J’ai remis avant mon départ à Brulé, les deux tiers des épreuves du Tueur de daims (4) corrigées et le dernier tiers bon à composer [...]
    c) Lui demander la mise en page des quatre brochures Guerre des hommes libres (5) [...]

Voir le clicheur à côté de chez Brulé

a) Lui demander si Fircsa (6) a bien apporté les 2 compositions pour les volumes de la « Bibliothèque de la Jeunesse » (7) [...] Avenir Editions Tour compromis si dessins tardent.

Passer à la Société « Le Coloris », rue des Francs-Bourgeois (8)

Voir où en est le travail, 1ère série.

Passer ensuite chez Bouan (9)

Passer chez Girard
Voir Robert qui aura mis sans doute en train la mise en pages de l’Almanach (10).

Passer chez Creté, demander Mr Max, Bld St-Germain, voir s’il a reçu les épreuves corrigées de La Roche aux Mouettes et le texte d’Alexandre Dumas Aventures en Suisse, que j’y ai joint pour compléter le volume trop court (11).

Passer chez Fournier rue du Cherche-Midi, qui s’occupe des fers de la couverture Almanach (12).

8° Muni des épreuves de Fournier et de la maquette qu’ils ont, passer chez Brodard et Taupin (avec épreuve)
a) voir où en est le travail de reliure Rouge et le Noir (13) qui devrait être très avancé.

9° En arrivant, vous trouverez à la Tour, une autre lettre contenant des traites pour une valeur de 300.000 frs. Les remplir à la machine et les porter chez Worms de manière que nous puissions disposer du crédit dès mon retour.

10° Je trouve à l’instant les épreuves des Hommes libres [...]

[Robert Denoël]


1. Robert Denoël et Jeanne Loviton, après avoir passé une semaine à Divonne-les-Bains, se trouvent pour une quinzaine de jours au château de Béduer.
2. Morys passe ses vacances à Trélon, dans le parc naturel de l'Avesnois, en compagnie de Cécile et de son fils.
3. André Brulé, directeur de l’imprimerie parisienne « Les Impressions Modernes », devenue « S.L.I.M. » en 1945, 17 boulevard de Strasbourg (Xe). Il a imprimé les brochures populaires La Guerre des hommes libres.
4. Fenimore Cooper. Le Tueur de daims, paru aux Edtions de la Tour le 15 novembre.
5. Commandant de Guyenne [i.e. Maurice Percheron]. La Guerre des hommes libres, 20 brochures parues aux Editions de la Tour entre septembre et décembre.
6. Laszlo Fircsa [1904-1988] est, sous le pseudonyme de « Dominique », l'auteur des illustrations qui agrémentent les publications des Editions de la Tour.
7. Les volumes en préparation ne portent pas de titre de collection mais il s'agit bien de récits destinés à la jeunesse.
8. Cette société est chargée de colorier les illustrations au pochoir.
9. Les ateliers Bouan tirent les lithographies ou les gravures illustrant les volumes.
10. Lucien François. Le Bonheur du jour. Almanach des dames de Paris, quoique imprimé le 30 septembre, n'a été mis en vente qu'en décembre, en raison de la mort soudaine de l'éditeur. C'est Georges Girard qui a imprimé ce petit volume.
11. Jules Sandeau. La Roche aux mouettes, suivi de Aventures en Suisse par Alexandre Dumas, paru en novembre, est imprimé par Creté.
12. Le cartonnage de l'almanach Au Bonheur du jour est ornementé de fers spéciaux à froid et en relief.
13. Mérimée. La Double Méprise, quatrième et dernier volume de la collection « Le Rouge et le noir », paraîtra le 8 novembre.
* Autographe : Archives départementales de Paris, cote 1019 W 26 [copie Harry Stewart].

 

À Albert Morys

Béduer, le 21 Août [1945]

Mon Cher Ami,

Je reçois ce matin une lettre du Finet du 18 et un devoir bâclé. Vous aurez donc sans doute reçu ma lettre du 15 ou du 16 (1), où je vous priais de rentrer à Paris pour le 27. Rien à ajouter à mes instructions qui vous demandaient de voir Brulé, Girard, le clicheur (37 bd de Strasbourg), Brodard et Taupin, Creté (bd St-Germain), Fournier (Rue du Cherche-Midi), Bouan, Le Coloris, et Worms.
    Inclus, quatre traites acceptées pour 303 000 francs à remettre à Worms dès votre arrivée, selon la marche de l’autre fois. Je voudrais disposer du crédit le 4 septembre quand je rentrerai.
    Brulé m’a envoyé à la fin du «Tueur » (2) que je lui retourne bon à mettre en pages. La mise en pages devrait être terminée pour mon retour.
    Je lui ai également retourné le bon à tirer des deux derniers fascicules « Hommes libres » (3). Il faudrait voir chez Hachette combien ils veulent que l’on tire (4). S’ils étaient preneurs de 50 au lieu de 40, on pourrait peut-être l’obtenir de Brulé.
    Secouez-moi tout notre monde, que le terrain soit déblayé, à mon retour. Nous ne sommes pas en avance !
    J’écris par même courrier à Robert. Est-il donc vraiment impossible d’obtenir de lui une heure de travail par jour ? Fait-il un peu d’anglais ?
    Amitiés à la ronde et dites-moi vite que je puis compter sur vous. Si vous n’avez pas reçu mes instructions, je vous les renverrai.
    Bien cordialement,

Robert


1. Celle du 14 août, ci-dessus.
2. Fenimore Cooper. Le Tueur de daims, paru aux Edtions de la Tour le 15 novembre.
3. La Défaite de Rommel et Les Moustiques de la Corse, 19e et 20e titres de la collection « La Guerre des hommes libres ».
4. Les Messageries Hachette avaient l'exclusivité de la distribution de cette collection populaire destinée à la jeunesse.
* Autographe : Archives départementales de Paris, cote 1019 W 26 [copie Harry Stewart].

 

À Blaise Cendrars


Robert Denoël
39 Bd des Capucines
Paris

Paris le 2 Octobre 1945

Mon Cher Blaise,

    J’ai été très content de voir sortir enfin cet Homme foudroyé (1) que je considère comme une sorte de récompense de mes efforts d’éditeur depuis 15 ans. C’est décidément un très beau livre et, je le crois, en outre extraordinairement expressif de notre époque.
    Je vais pousser autant que je pourrai la rue Amélie à une prompte réimpression (2), car j’imagine que le tirage actuel sera épuisé très rapidement.
    Je ne mets toujours pas les pieds dans cette maison qui sera peut-être tout de même bientôt et définitivement la mienne.
En attendant, et comme il faut bien vivre, je m’intéresse à une autre affaire qui travaille à la fois dans le populaire et dans le demi-luxe (3).
    Le demi-luxe me paraît condamné à brève échéance, nos prix sont beaucoup trop élevés, mais l’édition courante a encore ses chances pendant un certain temps. C’est pour cela que je retiens ta proposition de réimpression de Le Plan de l’aiguille et Dan Yack en un seul volume (4).
    S’il n’est pas trop tard, je te propose un contrat à tes conditions habituelles pour un tirage qui évoluerait, selon les fournitures de papier, entre 10.000 et 15.000 exemplaires. Le prix de vente serait probablement de 160 frs. (5).
    Si tu étais d’accord, je te ferais envoyer un contrat par la firme en question dont je te garantis la régularité et l’exactitude.
    Le paiement des droits pourrait avoir lieu comme suit :
    50.000 frs à la signature du contrat.
    50.000 frs à la mise en vente qui aurait lieu vers le 15 décembre.
    Le solde, 3 mois après la mise en vente.
    Si tu es d’accord, je ferai mettre l’ouvrage en composition tout de suite et je te ferai envoyer chèque et contrat.
    Que penserais-tu d’une réédition éventuelle de l’Anthologie Nègre pour faire suite (6) ?

Bien cordialement

[R. Denoël]


1. L'Homme foudroyé est sorti de presse aux Editions Denoël le 31 août.
2. Elle aura lieu dès le 8 décembre.
3. Les Editions de la Tour, 162 boulevard de Magenta, dont le gérant est Albert Morys.
4. L'édition originale du Plan de l'aiguille est paru en février 1929. Celle des Confessions de Dan Yack en septembre 1929, l'une et l'autre au Sans Pareil.
5. Je ne sais quand le contrat fut signé mais l'ouvrage parut bien aux Editions de la Tour, le 31 janvier 1946, avec un prix de vente de 180 francs.
6. L'édition originale de l'Anthologie nègre a été publiée par les Editions de la Sirène en juin 1921. Le projet de réédition de Denoël aurait sans doute vu le jour, s'il avait vécu. C'est l'éditeur Corrêa qui obtint le contrat et qui réédita l'ouvrage en 1947.
* Autographe : Archives départementales de Paris, cote 1019 W 26 [copie Harry Stewart].

 

À Cécile Denoël

Sans date [octobre 1945] (1)

Je voudrais surtout être juste avec toi, ne pas porter d’accusation, essayer de comprendre ton cas, le mien, puisque j’ai décidé et ce sera mieux pour toi, pour moi, sans doute aussi pour l’enfant, de mettre un terme définitif à notre union.

Quand je me reporte au passé, à l’immense passé que nous avons vécu ensemble, je n’éprouve pas à proprement parler d’amertume. Tu as apporté dans ma vie bien des émotions, bien des joies profondes que je n’aurais pas éprouvées sans toi. Tu es un être extraordinaire, capable de choses prodigieuses, mais desservi prodigieusement aussi par ton hérédité, par ton éducation, par ton milieu extravagant. Il y a en toi, à l’état virtuel, une énergie qui s’est perdue en violences, une ténacité qui s’est perdue en ruses, un amour du beau et du grand qui demeurera malgré l’éparpillement de ta vie. Il y a chez toi un besoin irrésistible de jouer un personnage, tu n’arrives pas à être toi-même. Ton malheur est de ne pas l’avoir su à dix-sept ou dix-huit ans ou même à vingt-et-un, quand tu pouvais décider de ton destin. Tu n’as pas eu le courage physique d’apprendre le théâtre, d’en faire le métier qui t’aurait probablement donné l’équilibre qui te manque encore aujourd’hui. Alors tu as transposé dans la vie tous les rôles que tu aurais voulu interpréter. Et tu as voulu que les témoins ne doutent pas de la réalité des sentiments que tu manifestais. Ces sentiments n’étaient pas toujours faux, tu les jouais si bien que tu finissais souvent par les éprouver, comme les actrices qui se donnent entièrement à leur jeu.

Déjà à dix-sept, dix-huit ans, tu avais les mêmes goûs que maintenant. Tu aimais les jeunes gens, leurs incertitudes, leurs désirs naïfs, leurs angoisses devant l’amour, ce besoin des tendresses maternelles qu’ils reportent sur les premières femmes qui les émeuvent. Tu avais autour de toi une petite troupe de jeunes gens dont j’étais sans doute le plus singulier et le plus attirant. Tu m’as aimé, j’en suis certain. Mais tu m’as aimé d’une façon théâtrale. Pour donner du relief à notre amour, pour le rendre plus précieux, tu te plaisais à l’entourer de manifestations, télégrammes, lettres express, scènes de tout genre. Déjà à cette époque tu ne pouvais pas te contenter du simple bonheur. Moi non plus d’ailleurs, car tourmenté d’inquiétudes de toutes sortes, je me prêtais volontiers à ta mise en scène. J’entrais dans ton jeu, tout était parfait ; je t’aimais d’un amour tout spontané, frais, entier. Dans cette ville morte où nous vivions, tu représentais, tu étais pour moi la beauté, le charme, l’originalité aussi, tu me plaisais par ton exubérance même, par ton ardeur, par toutes les forces d’amour qui existaient en toi.

Mais, je crois maintenant que je te plaisais moins que tu ne le disais. Tu supportais mal mon esprit critique pourtant peu développé pour ce qui te concernait, tu entrevoyais, sous le jeune homme encore écrasé par la gangue familiale, l’homme que je deviendrais peu à peu. Tu ne pouvais pas aimer cet homme-là, tu le détestais même d’avance et nous pouvons bien dire que tu as tout fait pour retarder son développement. Tu aurais voulu me garder malléable, faible, incapable de vivre sans toi, sans ton amour dominateur, sans tes excès dramatiques.

Tu as un tempérament exigeant. Tant que tu étais vierge, tu transposais dans les scènes avec ta mère ou ton entourage, mais surtout dans la danse. Quand tu m’as connu, les émotions physiques que tu éprouvais à mon contact, sans te donner pourtant, ont été un palliatif en apparence suffisant. C’est curieux, je n’en suis pas tout à fait sûr. Je me suis demandé si à cette époque tu n’avais pas déjà eu un ou deux amants. Rien d’étonnant à cela. Ton milieu t’y poussait. Tu voyais tous les jours les couples se faire et se défaire sous tes yeux. Tu vivais dans une maison où l’on vivait des amours d’autrui. Je sais que cela te dégoûtait car les contes qui hantaient les chambres de cette maison n’étaient pas beaux. Mais cela t’entourait. Tu baignais dans une atmosphère répugnante mais lourdement charnelle.

Ton père, ta mère vivaient sous tes yeux dans le désordre. Tu assistais à leurs amours. Tes tantes, tes cousines, les hommes de ta famille vivaient d’une manière purement instinctive, incestueux, pédérastes, toujours affolés de désirs les uns pour les autres. Tu avais cette hérédité si lourde à supporter, toute une charge ancestrale extrêmement pesante et une impétuosité, un appétit de la vie dévorant. En balance, il y avait l’infuence lointaine de ton beau-père qui t’avait tendrement aimée mais dont tu t’es détachée peu à peu car seuls pour toi comptent vraiment les gens avec lesquels tu vis (tu as une aptitude exceptionnelle à oublier ceux qui sont loin de toi et à te reconstituer le foyer, la famille dont tu as besoin). J’ai donc l’impression que dès le moment de nos premières rencontres, tu n’étais plus vierge. Tu l’étais encore et merveilleusement, de cœur, d’élans, de goût vrai de la pureté.

Quand je t’ai quittée pour aller à Paris, incertain de toi, troublé, peut-être un peu effaré par ton milieu familial, incertain de moi aussi, de mes possibilités matérielles, craignant au surplus de m’engager définitivement, je t’aimais et tu m’aimais. Tu me préférais en tout cas à n’importe quel homme de ton entourage. Cela ne t’a pas empêchée de prendre un amant. Je ne t’en aurais jamais reparlé si tu ne m’avais pas exaspéré par tes scènes de jalousie. Mais nous reparlerons de ces scènes. Elles ont eu une influence capitale sur ma conduite. Quand je t’ai parlé des années plus tard de cet amant, tu m’as dit que tu lui avais cédé un jour par lassitude et que tu avais eu un tel dégoût de toi-même, que tu n’avais pas recommencé.

Je ne sais pas si je t’ai crue à l’époque. Toute mon expérience d’homme me dit aujourd’hui que tu as eu une véritable liaison. Quand je suis venu te voir à Seraing (2) et que je t’ai prise pour la première fois, tu t’es donnée avec une fougue que je n’ai pas oubliée. Tu étais si heureuse de te donner, si joyeuse, si exaltée et exaltante que je me suis décidé, sur le moment, à t’épouser. Au fond de moi-même je déplorais que tu ne fusses plus vierge mais le don que tu me faisais était si riche, si entier que je ne voulais pas m’attarder à cette idée. Plus tard, je me suis dit que seule une longue habitude de l’homme pouvait donner à une femme cette liberté dans le plaisir, cette fougue dans l’étreinte. Je me suis souvenu de cela également quand tu m’as parlé du petit V. (3). en me disant qu’il n’avait été ton amant qu’une fois et dans des circonstances tristes. Tu m’avais dit la même chose du premier amant que tu as avoué, qu’il fallait bien avouer puisque, celui-là, la nature l’avait dénoncé.

Je ne sais pas si tu serais capable un jour d’être sincère avec moi. Je le souhaite de tout mon cœur car je voudrais voir clair en toi. J’ai assez de détachement aujourd’hui pour pouvoir regarder toutes les réalités en face. Je ne puis pas dire que je ne te reproche rien. Je déplore beaucoup de choses mais je sais qu’il t’était probablement impossible d’agir autrement. Ce qui fait que je n’ai pas d’animosité contre toi, je n’agis pas contre toi. Je mets fin à notre vie commune parce que je sais de toute certitude que nous ne pouvons plus rien en tirer d’utile et de bon. Cela ne m’empêche pas d’avoir envie de connaître la vérité par ta bouche. C’est un rêve qui se réalisera peut-être, le jour où tu comprendras que ma tendresse pour toi reste profonde et que je désire que tu trouves ton équilibre.

Dès ton arrivée à Paris, tu as cru bien à tort, que notre union était menacée par le milieu de bohémiens où je fréquentais d’ailleurs avec plaisir. Dans la solitude où j’ai vécu, ces gens représentaient une sorte de foyer comique et sordide qui m’amusait sans pouvoir me retenir. Cela n’avait pour moi qu’un attrait fort passager. Tu as cru que dans ce milieu, j’aurais trop d’occasions de t’être infidèle et tu m’en as détaché. Tu remplissais mon cœur et nous goûtions ensemble un bonheur physique que je n’oublierai jamais. Nous trouvions dans la possession une sorte de plénitude qui me tenait tout à fait éloigné des autres femmes. Je t’appartenais tout entier et durant plusieurs années, il en a été ainsi.

Quand je repense à toutes les scènes que tu me faisais, scènes sans objet, scènes que rien de mon côté ne justifiait, je me demande si toi tu n’étais pas tentée et si même déjà à ce moment-là tu n’avais pas cédé à cette fureur sexuelle qui joue un si grand rôle dans ta vie. Déjà à cette époque tu avais de grands loisirs. Déjà, nous avions fait vivre un homme dans notre intimité. Il était vilain, il buvait, il avait une affreuse maîtresse (4). Mais il avait ce tempérament puéril ou quelque chose de ce tempérament puéril que tu aimeras toujours chez les hommes. Je me rappelle que ce pauvre diable avait mauvaise conscience à mon égard, comme Claude (5), comme Maurice (6), comme le petit V. Peut-être a-t-il été le premier de la série. Tu me le diras un jour.

En tout cas, la vie que nous menions ne te donnait pas satisfaction. Tu étais dans un déséquilibre extraordinaire, qui touchait certains jours à la démence. C’est alors que nous avons connu Artaud (7). Tu l’as aimé. Il t’a aimé. As-tu été sa maîtresse ? peut-être oui, sans doute oui, peut-être non. J’ai assisté à vos amours extravagantes, à vos disputes, à vos raccomodements, à vos attendrissements réciproques. Tu as aimé Antonin, encore plus le jour où il est vraiment devenu notre parasite, avec son couvert mis, son tabac, son argent de poche. Tu n’as pu aimer que les gens qui me dépouillaient de quelque chose. C’est très curieux. Vos amours ont atteint leur paroxysme, avec scènes dramatiques, hurlements etc... au moment des Cenci, quand elles m’ont coûté le plus cher.

Peu à peu cette atmosphère dramatique où tu me faisais vivre, ces scènes perpétuelles me détachaient de toi. Je ne m’en apercevais pas moi-même. Au bout de quelques années, je me suis mis à regarder les femmes d’une manière moins lointaine, sauf les femmes de ton entourage. Et j’ai eu quelques aventures rapides, sans lendemain, ces aventures me permettaient de supporter plus aisément une vie commune qui devenait tous les jours plus stérile.

Steele (8) n’a été qu’un épisode. Tu m’as raconté ses déclarations, ses propositions. Il n’était pas un parasite. Au contraire, grâce à son argent, j’arrivais à organiser notre vie, à lui donner les premières bases solides. Je ne crois pas qu’il y ait eu quoi que ce soit entre vous.

L’enfant est venu, source de délices. Pendant deux ou trois ans tu as été mieux équilibrée. Puis ont commencé tes amours avec Claude. Est-ce à Paris ? Est-ce dans le Midi ? C’est en tout cas, bien avant la guerre que votre liaison a commencé. Elle s’est déroulée sous les yeux du vieux et de la vieille Caillard, sous les yeux de l’enfant. C’est ce qui me peine le plus. C’est que tu t’étales devant ton fils.

J’ai peine, je l’avoue, à garder mon sang-froid quand je pense à ce besoin morbide que tu as toujours eu de choisir tes amants parmi des familiers de la maison.

Non parce que ces familiers accroissaient mes difficultés matérielles ou vivaient de mon travail, mais parce que l’enfant devait instinctivement être informé de la complicité qui régnait entre vous. Je me rappelle en écrivant cette lettre de certaines fureurs de Billy (9), fureurs inexplicables en apparence à ce moment qui s’éclairent d’un jour cru aujourd’hui. Billy était au courant de ta liaison avec Claude et s’indignait de tes prétentions à mon sujet. Car, au moment où tu me trompais avec ce pauvre petit bonhomme, tu me faisais les pires scènes de jalousie. J’avais beau être renseigné par l’analyse, et savoir théoriquement que les jaloux sont, ou bien des gens tentés de tromper, ou plus souvent des gens qui trompent, je ne parvenais pas à réaliser la situation. Je ne voulais pas croire, après tant de protestations d’amour véhément, tant de manifestations d’une passion toujours, semblait-il, plus brûlante, que tu pouvais agir comme toutes les femmes que tu trouvais immondes. Il n’y a pas longtemps, quelques semaines peut-être, tu parlais encore devant moi avec un mépris souverain des « putains » qui trompent leur mari ou leur amant. Et pendant des années tu as littéralement vomi, sans examen, les femmes infidèles que tu avais pu approcher.

Tu jouais encore un personnage. Et sans doute croyais-tu à ce rôle de la femme fidèle que tu n’étais plus en état d’interpréter.

Le hasard est bien traître. J’ai appris tout dernièrement ta liaison avec Claude et la manière dont elle s’est faite. Il me fait pitié rétrospectivement. D’après de nombreuses confidences de sa mère, tu avais pris les devants. Le pauvre garçon était plein de scrupules. Il avait des remords. Il souffrait de recevoir mon argent d’une main et de me prendre ma femme de l’autre. Puis, il s’est mis à t’aimer, paraît-il. Vous viviez dans l’angoisse de mes visites que tu réclamais cependant avec l’inconscience absolue que tu peux avoir à certains moments. Vous étiez, m’a-t-on dit, terrifiés tous les deux à l’idée que je pouvais découvrir votre liaison. Et puis, un jour tu t’es jetée à la tête d’un autre garçon, V. ou un autre, peu importe. Claude a failli se suicider de désespoir. Ses parents étaient fous de chagrin.

Enfin tu as été la maîtresse de V. à Gréolières. A Souillac, tu n’as peut-être pas eu le temps de faire un nouveau choix. Barjavel (10) ? Peut-être. Il n’a pas eu beaucoup d’importance. Il s’est conduit, en tout cas, pendant plusieurs mois comme s’il avait été ton amant. Et tu l’as traité comme tel.

Il est certain pour moi, à la lumière de tout ce qui a précédé, que tu es la maîtresse de Maurice. Ce n’est pas un mauvais garçon. Il a des qualités de cœur, du dévouement. Il te plaît. Il te plaît plus que quiconque, moi compris, car tu l’étonnes, tu le domines, tu le possèdes.

Nous allons divorcer prochainement. Pourquoi ne l’épouserais-tu pas ? Tu as l’habitude de lui, vous avez les mêmes goûts, les mêmes relations, les mêmes amis. Il travaillera. Je l’y aiderai au besoin.

De tout ceci qui est bien incomplet, il ressort qu’il est impossible pour nous de continuer une vie commune. Tu ne m’aimes plus depuis très longtemps en dépit de toutes tes protestations. Tu ne m’aimes plus depuis des années. Mais tu ne veux pas me perdre. Et tu as écarté de mon chemin les gens qui auraient pu me renseigner sur ta conduite. Lafargue (11) pour commencer. Lafargue qui avait dû avoir de sérieuses informations par Billy dont l’analyse avait révélé ce qu’il savait, par Steele, très concierge et qui s’intéressait évidemment à toi. Champigny était au courant de tout par la mère Caillard et qui sait ? par toi peut-être. Elle ne m’a jamais dit un mot mais ne l’a-t-elle pas dit à d’autres ? Catherine (12) vivant dans le Midi était au courant comme tout le monde à Saint Paul. Elle a dû le raconter, elle aussi. Pendant longtemps tu étais brouillée avec Catherine, rappelle-toi.

Tu t’es séparée violemment de Jo (13). N’as-tu pas craint qu’elle ne me raconte tes amours avec Maurice au camp ou ailleurs ? Tu as toujours les mêmes réflexes de défense, c’est bien normal.

Je sais ce que tu perdras en me perdant : un homme qui a toujours été pour toi extrêmement attentif et généreux, qui n’a pas voulu te soupçonner pendant des années, qui a subi régulièrement tes mauvaises humeurs, tes scènes toujours recommencées, tes maladies plus ou moins réelles, qui a essayé par tous les moyens de t’intéresser à sa vie et qui n’y est jamais parvenu. Tu as bien voulu bénéficier des avantages de ta position, tu n’as jamais rien voulu faire pour les accroître, pour m’aider, pour monter avec moi. J’ai subi seul les angoisses et les difficultés d’une carrière très dure. Tu as assisté, le plus souvent de ton lit, à mes efforts, à mes luttes. Jamais tu n’y a pris part. Tu ne t’intéresses vraiment qu’à toi-même ou aux gens qui t’admirent. Je ne pense pas que tu sortes jamais de toi-même. Toutes les analyses du monde ne changeront rien...

Tu tiens maintenant à moi au point de vue social. Tu aimes ce que je représentais hier, ce que je représenterai sans doute demain. Mais tu n’as pas aimé cela très profondément. Au fond, tu es de tempérament anarchiste. La contrainte sociale t’exaspère. Tu préfères une vie modeste où tu agiras à ta tête à une vie plus large mais soumise à des obligations. (14)


1. Brouillon d'une lettre rédigée à la demande de son avocate, Simone Penaud-Angelelli, mais que Denoël n'avait pas envoyée à sa femme. Ce document fut récupéré en janvier 1946 par Jeanne Loviton dans l'appartement qu'occupait l'éditeur au 39 boulevard des Capucines, et confié à la Brigade Criminelle lorsque Cécile Denoël se constitua partie civile dans l'affaire du meurtre de son mari. L'avocat Raymond Rosenmark lut entièrement cette lettre ravageuse au cours du procès civil qui opposait Jeanne Loviton à la veuve de l'éditeur, le 18 novembre 1949.
2. Le dancing « La Maison Blanche », où travaillait Cécile entre 1923 et 1925, se trouvait à Kinkempois, qui dépend de la commune de Seraing, près de Liège.
3. Le peintre et sculpteur André Verdet [1913-2004] qui, en 1940, habitait Gréolières, où Cécile se réfugia durant l'exode de 1940.
4. Non identifié.
5. Claude Caillard.
6. Maurice Bruyneel dit Albert Morys.
7. Antonin Artaud et Cécile ont eu une liaison en 1935.
8. Bernard Steele, l'associé de Denoël.
9. Billy Ritchie-Fallon, le demi-frère de Cécile.
10. L'officier de police qui a retranscrit le document écrit « Bergerol » mais c'est bien de René Barjavel qu'il s'agit.
11. Non identifié.
12. Catherine Mengelle.
13. Non identifiée.
14. Denoël a dû s'y reprendre à plusieurs fois pour rédiger ce pensum douloureux car le professeur Harry Stewart avait trouvé aux Archives de la ville de Paris le début d'un autre manuscrit, qu'il a retranscrit : « Notre séparation actuelle facilitera bien des choses. Depuis des années au fond, nous ne sommes plus unis que par l’enfant. Je t’ennuie. Tu n’as pas échange avec moi [...] Tu aimes les petites gens, les êtres jeunes [...] j’aime la société des êtres qui m’enrichissent. [...] Tout nous sépare, besoins affectifs, tes liaisons successives, tes goûts, ton attitude. Je ne puis pas terminer ma vie en assistant à tes amours et en faisant vivre tes partenaires. C’est stérile à tout le moins. [...] Je n’ai pas d’inquiétude pour l’enfant. Il est maintenant très évolué. Il t’aime, il m’aime. Il souffrira. C’est certain. Je ferai tout pour lui épargner des souffrances inutiles. Je suis certain qu’il souffrirait davantage de notre union impossible. »

 

À Cécile Denoël

[7 novembre 1945]

[Il accepte de lui donner 15 000 francs de pension mensuelle. Sa situation officielle ne lui permettant pas de donner plus de 6 000 francs, il accepte de voir cette somme figurer au jugement, mais, en sous-main, il lui versera la différence. La lettre se termine par : « Je n'ai pour toi que des pensées aimables ».]


* Résumé repris d'une lettre de l'avocat Armand Rozelaar au juge Ferdinand Gollety datée du 21 mai 1946. Le 21 juin 1945, Cécile Denoël s'était adressée à l'avocat Roger Danet pour entamer une procédure en divorce par consentement mutuel, tandis que l'éditeur confiait son dossier à Simone Penaud, qui avait été son avocate devant la commission d'épuration. Les tractations entre les deux cabinets d’avocats portèrent sur le montant de la pension alimentaire qui serait allouée à Cécile et à son fils.
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Autographe aux Archives de la Seine à Villemoisson, cote 1019W26.