Robert Denoël, éditeur

1942

 

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

Paris, le 17 Janvier 1942

Mon Cher Ami,

Je ne suis pas étonné de la faiblesse de la critique. Pratiquement, elle n’existe plus faute de place. Les chroniqueurs donnent des informations rapides, sans plus. De votre côté, il semble au contraire que la vie littéraire ait pris une place beaucoup plus importante dans la presse. D’ici, il m’est très difficile d’agir. Ne craignez pas d’envoyer quelques cartes çà et là, pour rappeler votre ouvrage. La seconde édition va sortir de presse incessamment.
    Je signale à Hachette les difficultés de réapprovisionnement. L’interview du Figaro (1) me paraît extrêmement importante et peut déclancher un intérêt général dans la presse.
    Les articles que vous me signalez sont évidemment excellents. Il en faudrait cinquante comme cela. Je vous envoie les quelques livres intéressants que j’ai publiés ces derniers temps.

Bien affectueusement,

R. Denoël


1. « Visite à Jean Proal », interview parue le 10 janvier.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

 

À Louis-Ferdinand Céline

28 janvier 1942

Cher Ami,

Je vous prie de trouver, ci-inclus, un « bon à tirer » que je vous serais obligé de me retourner par prochain courrier.
    Vous trouverez, ci-inclus, un chèque de 9.000 frs (neuf mille francs) correspondant au tirage de 2.100 exemplaires des « Beaux Draps ».
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

[Robert Denoël]


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

Paris, le 28 Janvier 1942

Cher Ami,

Je suis enchanté d’apprendre que votre livre trouve un bon accueil. J’écris, par même courrier, à Fradet à Clermont-Ferrand (1), pour qu’il fasse un effort pour la diffusion du nouveau tirage. Il m’est très difficile de faire un nouvel effort de publicité, car j’ai déjà dépensé plus de 15.000 frs pour le lancement, mais je pense que les articles et la publicité orale faite par les premiers lecteurs, doivent donner maintenant de bons résultats.
    Donnez-moi encore quelques jours au sujet de Bagarres (2). Je ne sais s’il est très utile pour vous de vous disperser. Bagarres est certainement moins bon que Les Arnaud. Je me demande s’il ne faudrait pas faire un sacrifice et attendre d’avoir un livre « achevé » pour publier à nouveau. Avec Les Arnaud vous avez franchi une étape, mais vous le sentez vous-même vous ne vous êtes pas encore imposé. Dans huit jours, je vous donnerai ma réponse définitive.
    Bien affectueusement à vous,

R. Denoël


1. Le directeur des Messageries Hachette.
2. Premier volume de la trilogie. Denoël en avait reçu le manuscrit dès octobre 1938 mais il ne l'estimait pas prêt pour la publication.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 28 Janvier 1942

Cher Ami,

Je m’excuse d’avoir tardé à répondre à votre gentille lettre, mais tout est lent en ce moment et la moindre chose demande un travail double du passé.
    Voici vos comptes. Ils sont encore très largement créditeurs, comme vous pourrez le voir. Aussi, j’ai décidé pour en finir, de vous envoyer des mensualités de 4.000 frs. Dites-moi si ce mode de paiement vous convient. Je vous envoie votre premier mandat à la fin du mois.
    Vous serez peut-être étonné comme moi des retours signalés par Hachette. Ces retours sont malheureusement réels et contrôlés, mais Hachette se propose de faire une remise en vente de tous les retours de Mervale contrôlés.
    Quant au Fer et la forêt, nous en avons récupéré quelques uns dernièrement et nous allons recouvrir ceux qui se trouvent chez Hachette. De la sorte, si les libraires de Charleville en désirent, dites-leur d’envoyer immédiatement leurs commandes. Nous pouvons fournir. Nous en avons déjà placé quelques uns à Paris et les représentants ont ordre de pousser la vente.
    Je vous envoie, par même courrier, quelques nouveautés intéressantes, le Lamennais de René Bréhat, dont je vous avais parlé, le Mallarmé de Charles Mauron et Les Copains de la Belle Etoile (1).

Je vais faire paraître prochainement un nouveau Luc Dietrich : L’Apprentissage de la ville (2) et un roman d’aventures d’un caractère exceptionnel d’un débutant : Monseigneur de Zavarès (3). N’hésitez pas quand vous voyez un livre qui vous intéresse à me le demander.
    J’espère bien qu’au printemps vous pourrez achever votre second volume (4) et que nous pourrons paraître en été. Dites-moi où en sont vos travaux. J’ai reçu de bonnes nouvelles de votre ami Moussay qui, de temps en temps, manifeste son existence de la manière la plus agréable.
    Vers la fin du mois prochain paraîtra la collection pour enfants, dont je vous avais parlé (5). Nous sortirons huit titres que je vous demanderai de lire ou de faire lire. J’aimerais beaucoup de connaître votre sentiment à ce sujet.
    Croyez, Cher Ami, je vous prie, à mes sentiments les meilleurs.

R. Denoël


1. Ces trois ouvrages sont parus en décembre. Les deux premiers inauguraient une nouvelle collection chez Denoël : « L'Œuvre et la Vie ». Le roman de Marc Augier est une sorte de reportage consacré aux auberges de jeunesse.
2. Le deuxième roman de Luc Dietrich paraîtra en février.
3. Denoël tentera d'imposer, sans beaucoup de succès, André Humbert au public avec deux romans de cape et d'épée, dont le premier paraîtra en avril.
4. Le Temps des cerises.
5. Les huit premiers volumes de la collection pour enfants et adolescents « La Fleur de France » paraîtront en mars.

* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Evelyne Pollet


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 29 Janvier 1942

Chère Madame,

Votre livre est maintenant à pied d’œuvre. Il ne nous reste plus qu’à décider du titre (1) pour donner le « bon à tirer ».
    Quant à moi, je ne regrette pas du tout « Corps à corps », qui était un titre assez inexact et qui donnait certainement une fausse idée du livre en le plaçant sur un terrain sexuel. Je viens de le relire très attentivement et je vous avoue que, contrairement à mon attente, je n’ai pas trouvé dans le texte de titre qui s’imposerait. Ceux que vous m’avez envoyés sont abstraits et sans portée sur le public. Ne croyez-vous pas que vous pourriez trouver quelque chose autour de l’idée de « Primevères », ces fleurs prenant à la fin du livre un caractère symbolique ? Vous pourriez chercher aussi autour de l’idée de « Solitude du Cœur ». J’attends, par retour du courrier, le titre définitif. Nous pourrons donc paraître sans difficulté au mois de mars (2).
   Je compte envoyer en Belgique un premier envoi de 1.000 exemplaires, en insistant peut-être dans la notice sur votre nationalité. Il me semble qu’il y a en ce moment dans la presse belge beaucoup plus d’articles sur les auteurs belges que sur les auteurs français. Qu’en pensez-vous?
   Veuillez agréer, Cher Monsieur [sic], je vous prie, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

R. Denoël


1. On ne sait pourquoi le titre du roman est remis en question. L'auteur devait y tenir puisque, dans sa réédition bruxelloise de 1943, c'est bien Corps à corps qui est restitué. Et on se demande pourquoi Denoël impose le prénom d'Eveline Pollet, alors que l'auteur avait choisi l'y dès 1933.
2. Le livre ne sortira de presse qu'en septembre. On a le sentiment que l'éditeur parisianisé en prend un peu à son aise avec la romancière belge, qui a sans doute le tort d'avoir été la maîtresse de Céline.

* Autographe : collection Mme Evelyne Pollet.

À Louis-Ferdinand Céline


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 30 Janvier 1942

Cher Ami,

Je vous prie de trouver, ci-inclus, un chèque de frs : 34.308,30 en règlement de votre dernier relevé.
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

[Robert Denoël]


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 6 Février 1942

Cher Ami,

Je réponds à vos lettres du 30 janvier et du 2 février. Nous sommes d’accord pour le règlement du compte : si je puis faire mieux, comptez sur moi. Je crois que vers la fin de mars, ma trésorerie sera encore un peu plus à l’aise et je pourrai sans doute augmenter le rythme de mes versements.
    Je me dis d’accord entièrement pour l’édition du recueil de nouvelles demandé par « L’Amitié par le Livre » (1). C’est une bonne action et une excellente publicité. Quant à la liquidation du stock de Mervale, je renonce provisoirement à l’idée de l’édition populaire. Je crois que petit à petit nous arriverons à vendre les retours et cela d’autant plus facilement que vous nous donnerez de nouveaux ouvrages.
    Je suis heureux de savoir que « Les Semailles » avance. Je l’ai annoncé hier à la Radio. C’est une publicité préalable qui n’est pas inutile.
    La série de mes petits volumes pour enfants est en cours de fabrication, mais nous nous heurtons à des retards dûs aux difficultés des temps actuels. Je pense, toutefois, que dans les premiers jours de mars, je pourrai vous envoyer une première série. Il est très difficile d’obtenir des auteurs des textes qui correspondent au plan initial. J’ai dû faire recommencer la plupart des manuscrits. Je considère cette première série comme une étape vers quelque chose de mieux. Mais déjà la présentation et l’esprit de la collection se dessinent bien.
    Faites-moi signe quelques jours avant votre arrivée, si comme vous le pensez, vous avez l’intention de venir à Paris aux vacances de Pâques. Je serais très heureux de vous voir un peu longuement. Croyez, Cher Ami, à mes sentiments les meilleurs.

Robert Denoël

PS : Picq a retrouvé l’erreur et vous envoie le compte détaillé.


1. Camille Belliard [1899-1987] avait créé en 1930 « L'Amitié par le Livre », une maison d'édition sans but lucratif dont le comité de lecture était composé de membres du corps enseignant : Rogissart en fit partie dès 1939. Fils d'ouvriers agricoles, instituteur établi en 1943 à Blainville-sur-Mer, dans la Manche, ce philosophe laïc et pacifiste aux allures de mage lui édita cinq ouvrages entre 1943 et 1961, dont deux volumes des Mamert. Celui dont il est question ici n'a pas été publié par Denoël mais, par contrat, Rogissart est tenu de demander à son éditeur la permission de publier ailleurs. Il s'agit de Roc-la-Tour, un roman pour la jeunesse écrit en collaboration avec Charles Adnet, que Belliard publiera en 1943.
* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

Paris, le 7 Février 1942

Cher Ami,

    J’ai donné des instructions à Hachette pour que l’on diffuse abondamment de votre côté le nouveau tirage, dont le départ dans notre région s’annonce très bien.
    Je compte, en effet, me rendre dans le midi vers le 15 février, mais il me sera matériellement impossible d’aller à Malaucène. Je vous télégraphierai quand je serai arrivé et vous me direz si nous pourrions nous rencontrer à Nice ou, peut-être, à Avignon (1). Mais malgré tout le désir que j’ai d’aller vous voir dans vos montagnes, je ne disposerai pas du temps nécessaire.

Je suis enchanté des bonnes nouvelles que vous me donnez.

Bien cordialement à vous,

    R. Denoël


1. Denoël doit y rencontrer Elsa Triolet à propos de son recueil Mille Regrets, qu'il publiera en mai.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Evelyne Pollet


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 17 Février 1942

Chère Madame,

J’adopte donc définitivement le titre « Primevères », qui me paraît excellent. Je vais réfléchir à la bande qui me paraît facile à trouver.
  Je n’ai nullement l’intention de présenter votre livre comme une découverte de Céline. Dans l’état actuel des choses, ce serait plutôt lui faire du tort (1). Je donne le « bon à tirer » aujourd’hui même.
  Veuillez agréer, Chère Madame, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

R. Denoël


1. Voilà une réflexion peu élégante. Comme je lui en faisais la remarque en 1979, la romancière m'assura que Céline devait se trouver dans une situation délicate, ce qui n'était nullement le cas : le pamphlétaire de Montmartre était alors à son zénith. Après avoir imposé un titre qu'il juge « excellent » , Denoël « réfléchit » au texte de la bande du livre : à aucun moment, il ne se soucie de l'avis de l'auteur.
* Autographe : collection Mme Evelyne Pollet.

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

Paris, le 23 Février 1942

Cher Ami,

C’est une bonne idée de présenter Les Arnaud au « Prix Populiste ». Je connais fort bien le secrétaire du prix, Léon Lemonnier, et j’espère pouvoir arriver à un résultat de ce côté (1).
    D’autre part, la vente du livre continue très régulièrement. Vous ne m’avez pas dit si mon intervention auprès d’Hachette pour la zone non occupée avait donné les résultats que j’en attendais. Mon voyage est un peu retardé, mais je compte quand même être de vos côtés avant le 15 mars.
    Vous recevrez dans le courant de mars un premier à-valoir sur vos droits d’auteur.

Croyez, Cher Ami, à mes sentiments tout dévoués.

R. Denoël


1. On ne sait si l'idée vient de l'éditeur ou de l'auteur, qui est friand de reconnaissance littéraire, mais Les Arnaud sera bien présenté aux jurés du Prix Populiste, qui décernent leur prix le 20 mai.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Louis-Ferdinand Céline

16 Mars 1942

Cher Ami,

Veuillez trouver, ci-inclus, un « bon à tirer » à 3.500 exemplaires des « BEAUX DRAPS ».
    J'y joins le chèque correspondant.
    Veuillez avoir l'obligeance de me retourner le « bon à tirer » muni de votre signature, par un prochain courrier.
    Bien cordialement,

[Robert Denoël]


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Luc Dietrich

Paris, le 16 mars 1942

Mon Cher Luc

Vous êtes un grand gaspilleur. Je suis sûr que vous auriez pu répartir plus utilement les 350 ou 400 exemplaires (1) que vous avez soutirés à Chauveau (2). Néanmoins, magnanime jusqu’au bout, je vous envoie encore 20 exemplaires, mais ce sont les derniers très strictement. Il nous faut tout de même garder un peu de papier pour nos lecteurs éventuels.
    Votre livre connaît un grand succès de presse en zone nono. Ici, je n’ai encore rien vu de valable. Entendu pour le grand papier de Céline (3).
    Tenez-moi au courant des articles qui paraissent et qui pourraient m’échapper.
    Bien affectueusement,

Robert


1. L'Apprentissage de la ville est paru fin février.
2. Rémy Chauveau est entré au service de Denoël au début de l'année. Il seconde le chef de fabrication, René Barjavel.
3. Une nouvelle édition de Voyage au bout de la nuit, illustrée par Gen Paul, vient de sortir de presse.
* Autographe : collection famille Luc Dietrich.

À Pierre Heyman


[En-tête imprimé :]
Aux Trois Magots - Librairie, Arts, Editions
Paris (7e) - 60, Avenue de la Bourdonnais

Paris, le 16 mars 1942

Je, soussigné, Robert Denoël, propriétaire de la Librairie « Aux Trois Magots » - 60, avenue de La Bourdonnais - déclare que M. Pierre Heyman a géré cette affaire du 1er avril 1935 au 1er septembre 1939.

M. Pierre Heyman possède les connaissances littéraires et techniques nécessaires à l'administration de revues et d'affaires d'édition. Il s'est acquitté de ses fonctions d'une manière entièrement satisfaisante.

Fait à Paris, le 16 mars 1942.

Robert Denoël (1)


1. Document contresigné le 17 mars 1942 par le commissaire de police du VIIe arrondissement.
* Autographe : collection Marc Heyman, Genève.

 

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

Paris, le 19 Mars 1942

Cher Ami,

Il m’a été impossible de passer par Avignon, comme je l’avais projeté. Mon voyage a été court mais extrêmement utile. Le succès des Arnaud ne se dément pas. J’ai fait à Hachette les observations les plus strictes au sujet de la diffusion dans vos régions. Mon représentant s’y trouve d’ailleurs et m’envoie régulièrement des commandes.
    Le second tirage est à peu près épuisé. Nous en avons donc distribué à ce jour 8.500 environ (1). Nous remettons sous presse pour un tirage de 3.000 exemplaires.
    Par même courrier, je vous envoie à titre d’à-valoir sur droits d’auteur une somme de 10.000 francs.

Quant à Bagarres, je crois décidément que dans sa forme actuelle ce livre est inférieur aux Arnaud et que ce serait une mauvaise tactique que de le publier, sous ma firme tout au moins. Je vous laisse donc libre de votre décision (2).

Bien amicalement,

Robert Denoël


1. Le premier tirage de novembre 1941 était de 6 000 exemplaires. Celui de janvier 1942 a donc été de quelque 2 500 exemplaires.
2. Le 28 mars Proal écrit à Elian Finbert, éditeur chez Sequana : « Denoël me rend ma liberté en ce qui concerne Bagarres, me donnant comme raison - parfaitement justifiée à mon avis - que ça ne vaut pas Les Arnaud. [...] Car il y a deux Proal : celui de Tempête, des Arnaud et de la future Lombarde - le montagnard, le plus authentique Proal ; et l'autre, le provençal, le païen, celui de Solitudes et de Bagarres. Que le premier soit, littérairement, le meilleur, je le crois. En tout cas il est normal que Denoël qui m'a lancé " montagnard " veuille se cantonner et me cantonner dans ma montagne. »
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Luc Dietrich

Paris, le 25 mars 1942

Mon Cher Luc,

Je suppose que vous avez reçu maintenant les 20 ex. d’s.p. de L’Apprentissage de la ville, ainsi que la carte où je vous disais mon accord. Je vous réserve également un beau papier de Céline.
    Lors de mon passage à Lyon, j’ai vu non seulement l’article de Lanza (1), mais plusieurs autres extrêmement élogieux (2).   

L’accueil est ici tout différent. J’ai l’impression que vous êtes parti un peu tôt, sans faire le nécessaire. Mais cela n’a qu’une importance relative : le livre part bien.
    Mon voyage a été extrêmement utile à tous égards. J’ai même eu le plaisir de faire la connaissance de la dédicataire (3) de votre livre dans le train de Marseille.
    Quand remontez-vous à Paris ?
    Bien affectueusement,


    Robert


1. « A propos de L'Apprentissage de la ville » par Lanza del Vasto. Article paru dans Le Figaro du 10 mars.
2. Le dossier de presse du roman, entre mars et juillet, est étoffé, et généralement favorable.
3. La comtesse Lily Pastré [1891-1974] habitait Marseille.
* Autographe : collection famille Luc Dietrich.

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

Paris, le 25 Mars 1942

Cher Ami,

    J’espère que vous avez reçu ma dernière carte qui vous aura sans doute un peu rassuré. Dites-vous bien que je fais pour vous le maximum de ce que je puis faire en ce moment. Le 3ème tirage des Arnaud va arriver d’un jour à l’autre. Je répandrai les 3.000 exemplaires plus particulièrement dans le Midi. Le papier devient introuvable. J’en suis navré, car avec la presse que vous avez eue, j’aurais pu conduire votre livre beaucoup plus loin. Mais tous les éditeurs en sont là.
    On ne trouve dans les librairies que des vieux titres, ou des ouvrages qui intéressent peu le public. Toutefois, il serait bon que j’aie des noms et adresses de libraires qui seraient disposés à commander directement et à compte ferme. Je suppléerai Hachette et je ferai des colis directs.
    Avez-vous des nouvelles de votre nomination à Paris (1) ? Tenez-moi au courant.

Bien affectueusement à vous,

R. Denoël


1. Jean Proal intriguait depuis des années pour être nommé receveur de l'Enregistrement à Paris : il le sera en mai.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Evelyne Pollet


[Carte-lettre à l’en-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 27 Mars 1942

Chère Madame,

Le tirage de votre livre sera bientôt achevé : il doit même être terminé actuellement. Mais il nous faut compter encore au moins quinze jours avant la réception, car il est imprimé en province. Ne vous impatientez pas : tout le nécessaire sera fait, comme vous le voulez.
  Veuillez agréer, Chère Madame, l’expression de nos sentiments les plus distingués.

Les Editions Denoël,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Evelyne Pollet.

À Evelyne Pollet


[Carte-lettre à l’en-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 14 Avril 1942

Chère Madame,

Nous avons encore eu quelques difficultés avec la censure, au sujet de votre ouvrage (1). Mais ces difficultés sont aujourd’hui aplanies. Patientez quelques jours encore : votre livre va sortir.
  Veuillez agréer, Chère Madame, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

R. Denoël


1. On ne voit pas trop pourquoi la Censure a fait obstacle à la parution de ce roman sentimental, et l'auteur réclame légitimement des explications.
* Autographe : collection Mme Evelyne Pollet.

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

Paris, le 17 Avril 1942

Cher Ami,

La vente de votre livre continue à être excellente. J’en ai remis plus de 2.000 ex. à Hachette cette dernière quinzaine, en insistant pour qu’un service plus abondant soit fait dans le Midi. D’autre part, mon représentant est en ce moment dans vos parages et il fera le plus grand nombre de libraires possible. Il lui est difficile, vu les circonstances, d’aller dans les petites villes, mais il approvisionne régulièrement toutes les grandes librairies.

Nous dépassons, en ce moment, 11.000 exemplaires sortis (1) et je ne crois pas qu’il y aura, comme aux temps anciens, une grosse proportion de retours. Par conséquent, la partie est gagnée. J’espère que nous aurons l’occasion, ou plutôt la possibilité de retirer encore. Les questions de papier deviennent tragiques. Je me réjouis de vous voir à votre passage à Paris.

Bien amicalement à vous,

Robert Denoël


1. Apparemment Les Arnaud a bénéficié jusque-là de trois tirages : 6 000 exemplaires en novembre 1941, 2 500 en janvier 1942, 3 000 en mars 1942.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Louis-Ferdinand Céline


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 30 avril 1942

Cher Ami,

Veuillez trouver, ci-inclus, un chèque de Trente mille francs (30.000 frs) à valoir en compte sur vos droits d'auteur.
    Cette somme est à valoir particulièrement sur le compte « BAGATELLES POUR UN MASSACRE » (1).
    Nous comptons établir vos comptes dans le courant du mois.
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

[Robert Denoël]


1. Pamphlet réédité à 10 000 exemplaires en octobre 1941.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Luc Dietrich

Paris, le 8 mai 1942

Quelques détails sur L’Apprentissage. Vente bonne. La première édition est épuisée : nous avons remis sous presse, j’attends le second tirage mardi ou mercredi. Paris n’est pas chaud. Par contre l’étranger et la zone nono nous vendent très bien. La presse est molle malgré mes objurgations.

Excellent et curieux article de Robert Poulet dans Le Nouveau Journal de Bruxelles. La N.R.F. n’a pas encore paru. A Je Suis Partout on n’aime pas. Bons articles dans Comœdia, Chantiers, Pariser Zeitung, Paris-Midi. Cela ne suffit pas à créer le mouvement que je souhaite. Nous obtiendrons le même résultat par l’insistance. Il ne serait pas mauvais de venir faire un tour. Qu’en pensez-vous ? Pour moi, je ne quitterai pas Paris avant le 15 juillet .
    Cécile vous envoie ses amitiés. Elle est en ce moment la proie heureuse des peintres et des menuisiers (1). Les murs se rebouchent, la crasse s’en va. Nous allons vivre dans le propre jusqu’aux prochaines inondations.
    J’ai découvert un très beau livre : Les Marais, un roman de Dominique Rolin, une Belge dont je ne sais rien (2).
    A part cela, je m’irrite de n’avoir pas assez de papier pour faire fortune. C’est une belle occasion manquée. Imaginez-moi tout bourré de titres de rentes, capitonné de valeurs industrielles, tout soucieux de mes propriétés en Beauce. Voilà ce qui m’arriverait si je pouvais faire plaisir à tous les affamés de papier imprimé. Donnez-moi des nouvelles de votre santé.
    Bien affectueusement


    Robert


1. Travaux de réfection dans leur appartement, 1 rue de Buenos-Ayres.
2. C'est Paul Colin [1890-1943], le directeur du Nouveau Journal de Bruxelles, qui lui a transmis le manuscrit de l'auteur, sur la recommandation de Robert Poulet.
* Autographe : collection famille Luc Dietrich.

À Elsa Triolet

[Paris, 18 mai 1942]

[...] Et où habitez-vous (1) ? Et pour combien de temps ? Ne me laissez pas sans nouvelles. Bien affectueusement à vous deux. [...]


1. Aragon et sa femme habitent Avignon mais ils viennent sans doute de changer provisoirement d'adresse. L'éditeur s'apprête à mettre en vente Mille regrets.
* Carte-lettre inter-zones. Autographe : BnF, fonds Triolet-Aragon.

 

A Dominique Rolin

Paris, le 21 mai 1942

Chère Madame,

Je vous remercie de votre lettre si aimable et si confiante. Il m'est très agréable de penser que vous viendrez à Paris pour le lancement de votre livre.

L'imprimeur (1) me promet qu'il sera prêt dans les premiers jours de juin. Par conséquent, vous pourrez sans peine signer les exemplaires destinés au service de presse. J'espère que je pourrai à cette occasion vous faire rencontrer quelques personnes qui pourront servir utilement la diffusion de votre livre.

Dès que votre manuscrit sera prêt, ne manquez de m'en faire tenir une copie (2).

Veuillez agréer, chère Madame, je vous prie, l'expression de mes sentiments très respectueux.

Robert Denoël


1. L'Imprimerie Ramlot, 52 avenue du Maine, Paris XIV.
2. Apparemment Denoël a lu Les Marais dans les 10 numéros de l'hebdomadaire bruxellois Cassandre, où le texte du roman avait été publié en feuilleton entre le 15 décembre 1940 et le 16 février 1941.
* Autographe : Archives et Musée de la Littérature, Bibliothèque Royale de Belgique. Repris de : Maxime Benoît-Jeannin. Brouillards de guerre. Ed. Samsa, 2017, p. 33.

 

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Lectures 40 (1)
Rédaction
10, rue Amélie, Paris-VII

Paris, le 22 mai 1942

Mon Cher Ami,

Je vous écrivais avant-hier un petit mot, à l’annonce du manuscrit (2). Votre lettre d’aujourd’hui me confirme l’envoi. Je ne veux pas attendre plus longtemps pour vous dire combien je suis heureux de ce que vous m’écrivez. Je fais la part de la gentillesse - mais cette gentillesse même me touche - et j’accepte avec beaucoup d’aise l’expression si chaleureuse de votre amitié. J’exerce un métier difficile, grevé de servitudes d’ordre matériel fort nombreuses, qui oblige son homme à une gymnastique épuisante : il s’agit de sauter à chaque instant des préoccupations spirituelles aux contingences les plus plates, de parer aux besoins de ficelle, de colle ou de papier d’une entreprise qui se développe et presque à la même minute d’envisager le problème du roman à propos d’un manuscrit ; de faire des comptes de fin de mois et d’aider un écrivain à voir clair en lui-même ; d’étudier les lois propres à chaque œuvre qui m’est soumise et de courir tout le jour les comités d’organisation en quête de matière première ou d’autorisations. C’est à peine si j’ai le temps de voir un peu comment le monde vit, de garder le contact avec les gens de valeur... C’est vous dire qu’une lettre comme la vôtre, si amicale, si solide, me donne une joie profonde.
    Je suis sûr que vous aurez beaucoup amélioré Le Temps des cerises, j’entends la présentation, car pour le fonds tout y était. Ce livre-là portera, ce sera mieux que le succès d’une saison : on le lira longtemps. Il consacrera votre réputation, en élargissant votre public et en vous faisant toucher au surplus une certaine élite qui vous connaît encore mal. Comptez sur moi pour y aider de toutes les façons.

Bien fidèlement,

Robert Denoël


1. Le dernier numéro de Lectures 40 est paru le 15 novembre 1941. Denoël utilise toujours son papier à en-tête.
2. Celui du Temps des cerises.
* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Jean Proal


[Sigle imprimé des Editions Denoël]

Paris, le 23 Mai 1942

Cher Ami,

Avant la réunion chez Pierre Devaux (1), j’en ai une autre. Il m’est impossible donc de me trouver chez lui avant 6 heures.
    Si vous le voulez bien, je vous donne donc rendez-vous chez Pierre Devaux - 24, rue du Dr. Germain-Sée (16ème) - métro Passy. Je serai certainement là, mais si, par hasard, j’étais en retard, présentez-vous. Pierre Devaux est l’homme le plus aimable du monde et il vous fera connaître ses amis.
    Je crois qu’il sera très utile que vous vous trouviez à cette réunion, où la plupart des journalistes parisiens passeront (2).

Bien cordialement à vous et à tout à l’heure.

Robert Denoël

PS : Lemonnier (3) ne pouvait vous répondre, paraît-il, il n’écrit jamais aux candidats !


1. Journaliste polygraphe au Figaro, à Gringoire, aux Nouveaux Temps, à L'Appel, Pierre Devaux [1897-1969] est sur le point de publier chez Denoël L'Avenir fantastique, un ouvrage de vulgarisation scientifique divertissant à la manière d'Henry de Graffigny.
2. Denoël convie Proal à passer chez Devaux ce soir-là afin de rencontrer les journalistes, qu'il connaît tous. Depuis le début du mois de mai, Jean Proal habite Paris, 27 rue de Tournon, dans le VIe arrondissement.
3. Léon Lemonnier [1890-1953], président du jury du Prix Populiste. En février Denoël lui avait proposé Les Arnaud pour le prix qui se décernait le 20 mai et le roman de Proal avait ses chances, mais c'est Louis Guilloux qui l'obtint pour Le Pain des rêves (Gallimard).
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Evelyne Pollet


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 27 Mai 1942

Chère Madame,

  Je n’ai pas l’impression que vous vous rendez très bien compte de la valeur des lois. Ce n’est pas moi qui ai censuré votre livre : c’est la censure française. Il ne peut paraître sans que les passages incriminés ne soient supprimés. On ne vous consulte pas plus que l’on ne m’a consulté .
  Le « bon à tirer » de votre livre est donné depuis longtemps déjà et j’attends des exemplaires d’un jour à l’autre avec une impatience que vos lettres renforcent encore.
  Si vous jugez que je suis responsable des quelques suppressions qui ont été faites par la censure française (1), vous m’attaquerez en justice. Je suis au regret de vous informer préalablement que cette attaque serait vaine.
  Veuillez agréer, Chère Madame, je vous prie, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Robert Denoël


1. Interrogée en 1979, Mme Pollet ne se rappelait plus quels passages avaient pu faire l'objet d'une censure.
* Autographe : collection Mme Evelyne Pollet.

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Lectures 40 (1)
Rédaction
10, rue Amélie, Paris-VII

Paris, le 27 mai 1942

Cher Ami,

Prenez donc rendez-vous de ma part avec Pierre Minet (2) qui cherche des conférences et des conférenciers littéraires pour Radio-Paris. Dix pages dactylographiées. Ca vaut mille francs environ. Vous vous mettriez d’accord avec Minet pour le sujet.  

Bien cordialement,

Robert Denoël

 Pierre Minet à Radio-Paris
    118, Av. des Champs-Elysées
     Ely 13-82
     entre 3 h. et 5 h. tous les jours


1. Le dernier numéro de Lectures 40 est paru le 15 novembre 1941. Denoël utilise toujours son papier à en-tête, mais en biffant son nom.
2. Poète et romancier [Reims 1909 - Paris 1975], l'un des initiateurs, avec Roger Vailland, René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte, de la revue Le Grand Jeu [1927-1932]. Il avait confié à Denoël un article pour le premier numéro de sa revue Lectures 40. Son activité principale fut, de 1941 à 1972, la radio nationale.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Elsa Triolet

[Paris, 27 mai 1942]

[...] Pensez-vous terminer votre roman (1) pour la rentrée ? vous savez que nous sommes obligés maintenant de soumettre tous les manuscrits à un comité de censure français qui décide de l'opportunité de la publication. Il en est de même pour la réimpression. Cette mesure a été prise le 16 mai dernier. [...]


1. Le Cheval blanc.
* Carte-lettre inter-zones. Autographe : BnF, fonds Triolet-Aragon.

 

À Elsa Triolet

[Paris, fin mai 1942]

[...] J'ai partagé vos impatiences et vos fureurs, je les ai exprimées, moi aussi, en termes violents. Cela n'a pas avancé d'une heure la sortie du volume (1). J'ai été d'autant plus irrité que j'attache - contrairement à votre impression - la plus haute importance à la publication de ces nouvelles (2). Je suis convaincu que l'accueil sera excellent dans votre coin (3). Ici il y aura des réticences ; j'escompte toutefois un vif succès. Nous préparerons la voie à votre roman (4) si vous avez envie de me le donner. [...]


1. Mille regrets a été mis en vente le 30 mai 1942. En octobre 1938 déjà, au moment de la publication de Bonsoir Thérèse, les relations Triolet-Denoël n'avaient pas été très cordiales : « Maintenant il me croit une emmerdeuse dangereuse et rusée. Tant pis. Si j'avais eu le succès qu'il avait espéré un moment que j'aurais, il m'aurait permis ce que j'ai de blessant, mais puisque je ne l'ai pas - qu'est-ce que vous vous permettez, Madame ?... Pourtant si je ne l'ai pas eu, c'est bien à lui la faute. Quelle merde que les gens... », note-t-elle dans son journal, le 19 février 1939.
2. Pour des raisons politiques autant que littéraires, Denoël tient à voir figurer Elsa à son catalogue.
3. Elsa Triolet et Louis Aragon habitent Avignon.
4. Le Cheval blanc sera publié chez Denoël en juin 1943. Elsa a sans doute confié son manuscrit à Denoël en septembre 1942, lors d'un passage de l'éditeur à Avignon. Dans sa préface au roman pour la collection « Folio », Elsa écrit : « Dans la nuit, il avait lu le manuscrit en entier. Il allait essayer de le publier sans coupures. Le risque de la publication, Robert Denoël l'assumait tout seul. Moi, j'étais cachée sous un faux nom, avec de faux papiers, et si jamais je me faisais prendre, Cheval blanc ou pas, mon compte était bon. Denoël avait maintenu son point de vue : il n'y avait pas de coupures à faire, les coupures n'arrangeraient rien. Il se borna à amputer la toute dernière phrase du livre. La phrase était : " Stanislas Bielenki ne reçut pas cette lettre, il y avait un an qu'il était dans le camp de concentration de Gurs où l'on ne fait pas suivre le courrier. " On peut lire dans la première édition du Cheval blanc, celle de 1943 : " Stanislas Bielenki ne reçut pas cette lettre ". Un point, c'est tout. »
* Carte-lettre inter-zones. Autographe : BnF, fonds Triolet-Aragon.

 

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 1er Juin 1942

Cher Monsieur,

    M. Keller, président des Editions de la Nouvelle Revue Critique, nous fait demander si vous seriez disposé à donner votre accord pour une séance de signatures dans sa librairie de L’Arc en Ciel - 17, rue de Sèvres. A cette occasion, il organiserait une exposition de vos ouvrages et des documents : manuscrits, photographies pouvant s’y rattacher.
    Nous vous serions obligés de bien vouloir passer à nos bureaux, dès que vous en aurez l’occasion, pour que nous puissions en parler utilement.
    Veuillez agréer, Cher Monsieur, l’expression de nos sentiments très distingués.

Pr les Editions Denoël,

Raymond Tardieu (1)


1. Epoux de Madeleine Collet, la secrétaire de Denoël, Raymond Tardieu fut quelque temps attaché à la maison d'édition, mais j'ignore pour quel travail. En août 1942 l'éditeur le charge d'expédier dans la Drôme des exemplaires des Décombres à Lucien Rebatet, qui y séjournait.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Cocteau

Paris, le 1er juin 1942

 Mon cher Cocteau,

Il ne se passe pas dans les lettres beaucoup d'événements de nature à nous enchanter, dit quelque part notre ami Paulhan. Voici les bonnes feuilles d'un roman (1) qui m'a paru d'une beauté fulgurante. Je suis extraordinairement curieux de savoir si vous partagez mon sentiment. C'est pourquoi je vous envoie ces feuillets en vous suppliant de les lire sans délai. Je ne m'engage pas beaucoup en vous promettant une joie profonde. Dites-moi bientôt que je ne vous ai pas déçu.

Très fidèlement

Robert Denoël


1. Il s'agit du roman de Dominique Rolin, Les Marais, dont Denoël a reçu le tapuscrit début mai par Paul Colin [1895-1943], qui, du 15 décembre 1940 au 16 février 1941, l'avait publié en feuilleton dans son hebdomadaire bruxellois Cassandre. Cocteau lui répond rapidement que « Ce livre est une grande merveille, une joie profonde. Dites-le à Rolin. Du reste, il le sait, car les racines qu'il enfonce dans la nuit du corps humain, la nuit du sommeil et toutes les nuits inconnues n'empêchent pas l'intelligence parfaite d'éclater dans le moindre mécanisme de sa fleur. » Avant ces propos lyriques, il s'est surtout inquiété de savoir si l'éditeur l'avait fait connaître ailleurs : « Dites-moi si vous avez envoyé ces épreuves à d'autres ? J'aimerais considérer comme une récompense de mon travail votre certitude émouvante de m'éblouir avec un tel livre. » Denoël en a aussi envoyé les épreuves à Max Jacob, à Blaise Cendrars et à André Lhote.
* Repris de : Jean Cocteau. Journal 1942-1945. Gallimard, 1989.

 

À Elsa Triolet

[Paris, le 10 juin 1942]

[...] La vente (1) est d'ailleurs excellente, d'une régularité parfaite. Je n'ai qu'une inquiétude : m'autorisera-t-on à réimprimer ? [...]


1. Mis en vente le 30 mai, Mille regrets sera réimprimé le 30 septembre 1943.
* Carte-lettre inter-zones. Autographe : BnF, fonds Triolet-Aragon.

 

À Jean Cocteau

Paris, le 11 juin 1942

Cher Ami,

 Je suis navré de l'accident. Dominique Rolin, émue et joyeuse de votre lettre, plus que je ne pourrais le dire, se faisait une fête de cette rencontre (1). Et je me réjouissais de vous faire connaître cet être qui me semble un peu miraculeux. Il me plaît de penser que vous avez été le premier à me parler d'elle et de son livre en des termes inoubliables.

Roger Lannes a dû vous dire combien je désirais votre présence à cette réunion. Puissiez-vous être bientôt délivré !

Votre très reconnaissant,

Robert Denoël


1. Le roman de Dominique Rolin a été présenté à la presse le 14 juin à la Brasserie Lipp, en présence de Robert Desnos, Yannette Delétang-Tardif, des époux Rolin, de l'éditeur, et aussi de Jean Cocteau, sans doute remis d'un accident de santé. Le 17 juin Dominique Rolin envoyait une lettre de remerciement émue au poète, à qui elle avait remis, profitant de l'aubaine, un manuscrit poétique de Hubert Mottart, son mari.
* Repris de : Jean Cocteau. Journal 1942-1945. Gallimard, 1989.

 

À Evelyne Pollet


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 22 Juin 1942

Chère Madame,

Malgré tout mon désir de vous être agréable et d’en finir avec l’édition de ce malheureux livre, je n’ai pas encore de nouvelles précises à vous donner. L’imprimeur semble avoir complètement perdu la tête et ne répond pas à mes lettres les plus pressantes.
  Voilà des mois que nous réclamons, des mois que l’on nous fait des promesses qui ne sont pas suivies. La situation est intolérable pour vous, elle ne l’est pas moins pour nous.
  Dès que nous aurons reçu les exemplaires que nous attendons avec l’impatience que vous supposez, nous vous enverrons une lettre expresse pour vous informer.

Veuillez agréer, Chère Madame, je vous prie, l’expression de mes sentiments très distingués.

Les Editions Denoël,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Evelyne Pollet.

À Dominique Rolin

14 juillet 1942

[...] J'ai reçu quelques ou cartes pour vous. Je vous en envoie une par même courrier et vous fais copier la carte de Blaise Cendrars que l'on ne peut pas faire suivre. Les impressions que j'ai recueillies dans le public sont contradictoires : les jeunes gens, les amateurs de poésie sont enthousiasmés. Des gens très simples, sans culture, dévorent le livre (1). Les intellectuels se montrent glacés, incompréhensifs. C'est vraiment très curieux. André Lhote (2) était enchanté : il a oublié sa station de métro tant il était pris par sa lecture. Quand il s'en est aperçu, il a continué jusqu'au terminus pour ne pas s'interrompre. [...]


1. Les Marais a été proposé à la presse au cours d'un déjeuner à la Brasserie Lipp, le 14 juin, en présence de Jean Cocteau qui, comme Max Jacob, avait été séduit par le roman. Les premiers comptes rendus attentifs datent du début juillet.
2. André Lhote [1885-1962] vient de publier chez Denoël Peinture d'abord, un recueil d'articles critiques sur la peinture.
* Repris de : F. De Haes. Les Pas de la voyageuse, Dominique Rolin, 2006, p. 45, note 59].

 

À Louis-Ferdinand Céline


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 20 Juillet 1942

Cher Ami,

J'aime aussi de parler net (1).
    Vos interventions successives (2) m'ont fait obtenir à ce jour un chèque-matière de 5 tonnes de papier.
    Les démarches que nous avons entreprises d'un commun accord auprès de M. DURAND des Papeteries Domeynon (3) n'ont abouti jusqu'ici à aucun résultat. Par contre, les frais de négociation que j'ai engagés pour cette affaire dépassent 4.000 Frs.


Pour le tirage du « Voyage au bout de la nuit »
j'ai dépensé............................................................................................... 3 T. 500
Pour le tirage de « Bagatelles pour un massacre »
j'ai dépensé............................................................................................... 3 T.
Les derniers tirages des « Beaux Draps »
ont absorbé............................................................................................... 2 T.
J'ai actuellement sous presse un nouveau tirage de « Bagatelles pour un massacre » à 10.000 exemplaires environ, qui seront mis en vente le 10 août prochain.
Ce tirage absorbe lui aussi....................................................................... 3 T. de papier.
                                                                                                               _________
Cela fait donc.......................................................................................... 11 T. 500
de papier, c'est-à-dire plus du double que ce que vous m'avez fait obtenir.


    J'attends très prochainement l'arrivée d'un wagon qui me donnera les 3 T. nécessaires à la réimpression de « Mort à Crédit » dont la composition est achevée (4).
    Aussitôt après, je retirerai « L'Ecole des Cadavres » (5). Quant au « Voyage au bout de la nuit » que j'espère pouvoir réimprimer en septembre, il n'y a pas urgence. La plupart des libraires de province et de Paris, les bibliothèques des gares elle-mêmes en ont encore en stock.
    Je vous prie de trouver ci-inclus :
    1° Le relevé de compte de la nouvelle édition « Voyage au bout de la nuit » (6).
    2° Un chèque de 117.243 Frs représentant les droits d'auteur correspondant à ce tirage.
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de mes sentiments les plus distingués.

[Robert Denoël]


1. L'éditeur commence à s'exaspérer des missives comminatoires de son auteur-vedette qui, de son côté, écrit au journaliste Marius Richard : « Quant à mon éditeur nous sommes en guerre permanente, sournoise et ardente, comme il est naturel de vache à fermier. Il ne me lèche pas, il me trait. » [Lettres, Ed. de la Pléiade, 2009, lettre 42-4].
2. Le 15 avril, Céline a sollicité le Dr Karl Epting, directeur de l'Institut allemand, pour 15 tonnes de papier en vue de réimprimer ses principaux ouvrages. En juin, son ami Paul Marion, secrétaire d'Etat à l'Information, a « sollicité » aimablement la Commission de contrôle du papier en vue de faciliter « dans toute la mesure du possible » la réédition chez Denoël des œuvres de l'auteur, « étant donné la valeur et l'intérêt de ces ouvrages ».
3. La Papeterie du Domeynon, propriété du groupe Matussière et Forest, était, depuis 1856, établie à Domène, dans l'Isère.
4. Il s'agit de l'édition illustrée de 16 dessins de Gen Paul, qui paraîtra en septembre.
5. Cette « nouvelle édition augmentée d'une préface inédite et de 14 photographies hors texte » paraîtra fin octobre.
6. Il s'agit de l'édition illustrée de 15 dessins de Gen Paul, parue en mai.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Louis-Ferdinand Céline


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 24 juillet 1942

Cher Monsieur,

C'est l'âme bourrelée de remords que je vous adresse le relevé rectificatif ci-joint. J'ai en effet commis une erreur ! et je connais quelqu'un qui va dire « Il a voulu m'arranger encore une fois », que celui qui ne s'est jamais trompé me jette la première pierre.
    Mea culpa ! mea culpa ! un chèque de :
    Frs : 4.644
pansera bien des plaies et me vaudra peut-être ???? l'absolution (1).
    Dans ce maigre espoir, je vous prie de croire, Cher Monsieur, à mes sentiments les meilleurs.

A. Picq


1. Le comptable reçoit le lendemain, à défaut d'absolution, une volée de bois vert : « Envoyez-moi plutôt la suite Crésus ! Pas tant d'histoires ! A l'action ! [...] Oh l'horreur des caissiers qui badinent » [Repris de : Tout Céline 1, 1981, p. 118].
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Jean Proal


[Sigle imprimé des Editions Denoël]

Samedi, sans date [juillet ? 1942]

Cher Ami,

Nous serions très heureux de vous avoir à déjeuner demain dimanche à midi et demi (1 rue de Buenos-Ayres - Métro : Passy). Voulez-vous me téléphoner ou téléphoner à ma femme pour me dire si vous êtes d’accord ?

Bien cordialement,

Robert Denoël

Ség. 90-99 ou Ség. 95-29


* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Lucien Rebatet

[Paris, vers le 21 août 1942]

[Télégramme]

Félicitations pour grand succès. Première édition épuisée en deux semaines (1).


1. Achevé d'imprimé le 16 juillet 1942 et tiré à 20 000 exemplaires, Les Décombres a été mis en vente le 6 août.
* Autographe : Archives nationales.

 

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 26 Août 1942

Cher Ami,

Comme suite à notre accord, veuillez trouver, ci-inclus, un chèque de 15.000 frs, à valoir sur vos droits d’auteur. Bien cordialement à vous,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Evelyne Pollet


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 27 Août 1942

Madame,

  J’ai enfin le plaisir de vous annoncer que votre livre est arrivé en feuilles à Paris. Il est maintenant au brochage et nous comptons le publier le 15 septembre prochain. Viendrez-vous à Paris pour le service de presse, ou devons-nous faire l’expédition nous-mêmes aux critiques?
  Je vous félicite vivement de vos succès en Belgique. J’ai remarqué plusieurs de vos nouvelles et je suis heureux qu’un éditeur ait songé à les recueillir (1).
  Veuillez agréer, Madame, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

R. Denoël


1. Evelyne Pollet a fait paraître à Bruxelles, quelques semaines plus tôt, un recueil de nouvelles : Un Homme bien parmi d'autres personnages, à l'enseigne des Auteurs Associés.
* Autographe : collection Mme Evelyne Pollet.

À Dominique Rolin

12 septembre 1942

[...] Je crois qu'il faudrait renoncer à ces fantaisies patronymiques [...] Il faudrait peut-être unifier ces noms, leur donner un aspect commun, les flamandiser tous par exemple ?... [...] Pas une page où l'auteur n'emploie la locution « on eût dit » au lieu de la forme directe [...] Pas une page où l'auteur n'abuse du participe présent, lourdeur que l'on trouve dans toutes les compositions françaises des jeunes lycéens belges. [...] [Il lui conseille d'éviter les impropriétés comme bassinoire au lieu de bassine, des mots affreux et inventés comme « mornitude » et « fruiteux » par exemple. (1)]


1. Dominique Rolin lui a envoyé le manuscrit d'un nouveau roman : « La Vallée des Larmes », qui sera publié en 1946 sous le titre Les Deux Sœurs.
* Repris de : F. De Haes. Les Pas de la voyageuse, Dominique Rolin, 2006, pp. 48-49, note 65].

 

À Elsa Triolet

[Paris, 22 septembre 1942]

[...] Je reviens aux citations ou à la présentation de personnalités connues parmi les figures imaginaires. Cela tient trop peu de place dans le récit pour que celui-ci y gagne en véracité. Croyez-moi, vous ne le situez pas mieux ni dans l'espace ni dans le temps. Ou alors il faudrait recourir à cet artifice d'une façon systématique tout au long du livre. Si mes souvenirs sont exacts, il n'y a guère que la partie proprement parisienne où apparaissent des personnages comme Cocteau, Bérard, Desnos, etc. Cela donne l'impression d'un décalage un peu pénible, c'est-à-dire l'impression contraire de celle que vous recherchez. Mais tout cela n'est que vétilles et le livre me plaît merveilleusement (1). [...]


1. Denoël a reçu le manuscrit du Cheval blanc au début du mois, lors d'un voyage à Avignon, à moins que ce soit Pierre Seghers qui le lui ait fait parvenir [« Je n'en suis pas sûre. Lui non plus », écrit Elsa]. L'éditeur se livre ici à une critique serrée du roman. En septembre 1965 Elsa écrivait : « J'avais donc fait dans Le Cheval blanc ma première tentative voyante pour me servir dans l'écriture d'un élément complexe existant, préfabriqué. Dans les lignes retrouvées, Denoël met le doigt dessus, pour me demander, il est vrai, de l'enlever, d'enlever les êtres existant réellement parmi des êtres imaginaires. » Le 26 septembre Aragon écrit à René Laporte : « Elsa termine son roman, et Denoël l'a acheté ferme, ce qui nous assure le dormir et le boire jusqu'au 1er janvier 1944. Ouf... ».
* Repris de la préface à l'édition de 1966 du roman dans la collection « Œuvres romanesques croisées d’Elsa Triolet et Aragon ». Autographe aux Archives Nationales.

 

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 1er Octobre 1942

Cher Ami,

    Moi aussi, j’ai beaucoup regretté de ne pas pouvoir passer quelques heures avec vous lors de votre passage à Paris (1). J’ai fait plusieurs voyages : Belgique, zone libre, fort utiles je crois.
    Je vous préviendrai de la sortie du livre quelques jours à l’avance, mais vous pouvez compter déjà sur la publication dans les tout premiers jours de novembre. Naturellement, on tient compte de vos desiderata, au sujet de la typographie des pages de titre. Nous unifierons, comme vous nous le demandez.
    Vous avez bien fait de faire le tour des libraires de Charleville. Nous avons déjà reçu une commande de 200 exemplaires qui sera honorée. D’ailleurs, vous savez qu’à partir du 31 décembre, je reprends mon entière liberté d’action vis-à-vis d’Hachette et que je distribuerai moi-même mes ouvrages (2).
    Barjavel vous a-t-il dit que nous avions eu l’autorisation de tirer à 10.000 ? Je ne crois pas que nous pourrons aller plus loin, faute de papier. Mais c’est déjà en cette période difficile un tirage très honorable. J’ai d’ailleurs l’intention de vendre le livre à un prix assez élevé : 35 frs sans doute, de manière à vous assurer des droits d’auteur convenables (3).
    J’ai vu Le Petit Ardennais où vous avez sans doute remarqué l’interview que j’ai donnée à votre sujet.

Croyez, Cher Ami, à mes sentiments dévoués.

R. Denoël


1. En septembre, Jean Rogissart a déposé rue Amélie le manuscrit du Temps des cerises, alors que l'éditeur était absent de Paris..
2. Le contrat avec Hachette s'est terminé le 31 décembre 1942.
3. Le prix de vente du livre sera en effet de 35 francs.
* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Evelyne Pollet


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 7 Octobre 1942

Chère Madame,

Je vous félicite vivement de vos succès littéraires en Belgique. Nul doute que vous en obteniez bientôt de semblables à Paris où votre livre est en vente depuis plusieurs jours (1).
  J’en ai fait expédier un nombre important en Belgique, où je suppose que la diffusion en sera aisée. J’avais pris la précaution de vous envoyer, il y a quinze jours, un des premiers exemplaires sortis de presse. Je regrette vivement qu’il ne vous soit pas arrivé.
  Veuillez agréer, Chère Madame, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

R. Denoël


1. La première annonce du livre se trouve dans Le Figaro du 10 octobre.
* Autographe : collection Mme Evelyne Pollet.

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 19 Octobre 1942

Cher Ami,

Par même courrier, je vous envoie à la Préfecture des Ardennes la lettre de demande du laissez-passer (1) dont vous m’avez parlé.
    D’autre part, j'ai une bonne nouvelle à vous apprendre. J'ai traité avec la Sélection « Sequana », qui souscrit 2.700 exemplaires de votre volume pour ses abonnés (2).
    Vous savez peut-être comment ces opérations se passent. Sequana fournit le papier, nous fournissons le tirage et Sequana nous verse un droit assez peu important : 6 fr. par volume, que nous partageons une fois le prix de revient déduit. Nous vous verserons donc 2,50 par volume, soit 6.750 frs, qui viendront s'ajouter à vos droits d'auteur normaux. C'est une petite somme, mais c'est surtout un accroissement de clientèle fort intéressant.
    Croyez, Cher Ami, à mes sentiments les meilleurs.

Robert Denoël


1. En novembre Rogissart se rendra à Paris pour y signer le service de presse de son livre : « Je suis allé trois jours à Paris, ai vu Denoël, qui m'a bien hébergé », écrit-il le 26 novembre à Emile Faynot.
2. Jean Rogissart a déjà bénéficié en 1940 du choix de la Sélection Sequana pour Le Fer et la forêt.
* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Louis-Ferdinand Céline


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 20 Octobre 1942

Cher Ami,

Voici le relevé de compte de « BAGATELLES POUR UN MASSACRE ». Nous y joignons un chèque de frs : 62.274,40 en règlement.
    Pour les petits livres : « L'EGLISE » et « MEA CULPA », nous en ferons le relevé à fin décembre, si vous le voulez bien.
    A fin novembre, nous vous enverrons un règlement portant sur « Bagatelles » et « Mort à Crédit ». Quant au « Voyage au bout de la Nuit », nous nous en tiendrons à la solution que nous vous avons proposée lors de notre dernier entretien.
    Croyez, Cher Ami, à nos sentiments les meilleurs.
    Les Editions Denoël,

[Robert Denoël]


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Evelyne Pollet


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 26 Octobre 1942

Chère Madame,

Je suis enchanté que la publication tardive de Primevères ne vous ait pas trop déçue. Nous avons envoyé 1.000 exemplaires du tirage de 3.000 en Belgique (1). Nous n’avons pas pu favoriser spécialement ni Mme Rahier, ni M. Govers, qui doivent s’adresser pour leurs réassortiments à l’Agence Dechenne à Bruxelles (2). En effet, nous ne servons pas directement les libraires, mais nous passons par les commissionnaires, qui ont toute latitude de distribuer les exemplaires qu’ils reçoivent comme ils l’entendent.
  Robert Poulet a certainement reçu un exemplaire du livre, comme tous les critiques et teneurs de rubriques en Belgique, que nous avons soignés particulièrement.
  Nous ne pouvons pas proposer Primevères pour un prix, à cause du tirage limité. Notre tirage de 3.000 est actuellement épuisé (3) et nous ne pouvons pas le réimprimer, faute de papier. Par conséquent, si vous avez un éditeur belge qui consent à faire une édition pour la Belgique, n’hésitez pas à traiter avec lui (4).
  Votre livre a beaucoup plu et j’en aurais vendu certainement 10.000 exemplaires, si j’avais pu satisfaire la demande. La publicité a été faite largement à Paris et en province française et beaucoup de prières d’insérer, semblables à celles que je vous ai fait parvenir par poste, ont déjà paru dans les journaux.
  Les Sélections Sequana voulaient retenir votre livre pour leur choix d’octobre; Malheureusement, il m’a été impossible de leur donner, toujours faute de papier.
  C’est avec plaisir que je verrai votre recueil de nouvelles : « Un Homme bien » (5). Si vous écrivez autre chose, faites-moi parvenir le manuscrit. Le succès de Primevères me fait bien augurer de votre avenir littéraire.
  Veuillez agréer, Chère Madame, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

R. Denoël

PS : Pour les droits d’auteur qui seront à vous régler en fin d’année, il serait peut-être intéressant de vous assurer un correspondant à Paris. Par le Clearing, l’argent met un temps infini à parvenir aux destinataires.


1. L'ouvrage a été tiré à 3 300 exemplaires dont 300 pour la presse.
2. L'Agence Dechenne, qui appartenait en fait aux Messageries Hachette, avait le monopole de la distribution des ouvrages publiés en France.
3. Denoël ment manifestement : les 2 000 exemplaires mis en librairie au début du mois n'ont pas pu se vendre en trois semaines. On retrouve d'ailleurs le roman parmi les volumes soldés par les Editions Denoël, au tiers de leur prix, en juin 1947.
4. Note marginale d'Evelyne Pollet : « Ce qui fut fait pour 10.000 ex.» Les Auteurs Associés à Bruxelles rééditeront en effet le livre en 1943 sous son titre initial : Corps à corps.
5. Un Homme bien parmi d'autres personnages est paru à Bruxelles en juillet 1942 à l'enseigne des Auteurs Associés.

* Autographe : collection Mme Evelyne Pollet.

À Louis-Ferdinand Céline

Paris, le 9 novembre 1942

Cher Monsieur,

Nous vous prions de bien vouloir trouver, sous ce pli, un chèque barré n° 314.896 sur le Comptoir National d'Escompte :
Frs : 132.050 en règlement du relevé de compte ci-joint.
    Veuillez agréer, Cher Monsieur, nos sincères salutations.
    Les Editions Denoël,
    Le Chef de la Comptabilité,

[Auguste Picq]


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Evelyne Pollet


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 14 Novembre 1942

Chère Madame,

Primevères obtient un accueil excellent dans la presse de Paris et de province. La Gerbe a publié un bon article la semaine dernière, Sequana l’a également signalé à ses lecteurs et de toutes parts on me demande des exemplaires.
  Peut-être pourriez-vous envisager avec un éditeur belge une réimpression réservée à la Belgique. Qu’en pensez-vous ?
Vous pouvez parfaitement situer l’action d’un roman en Angleterre pendant l’autre guerre.
  J’ai tiré Primevères à 3.300 exemplaires, comme il avait été convenu. Au cas où votre prochain roman serait accepté par la censure, je demanderais un tirage nettement supérieur à celui-là. Il est bien entendu, d’ailleurs, que je vous ferais à ce moment un contrat normal (1). Cela vaudrait vraiment la peine de venir à Paris pour en parler avec moi.
  Veuillez agréer, Chère Madame, l’expression de mes sentiments tout dévoués.

Robert Denoël


1. Evelyne Pollet n'avait pas conservé le contrat de Primevères mais elle se rappelait avoir participé financièrement à l'édition de son livre.
* Autographe : collection Mme Evelyne Pollet.

À Evelyne Pollet


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 3 Décembre 1942

Expresse-recommandée

Chère Madame,

Le 19 novembre dernier, j’ai écrit aux « Auteurs Associés » à Bruxelles pour les autoriser à réimprimer Primevères. La lettre est partie en courrier simple et il est possible qu’elle ne leur soit pas encore parvenue. Pour vous faciliter les choses, je leur réécris aujourd’hui même une lettre expresse-recommandée.
  J’ai bien reçu, d’autre part, deux exemplaires de votre livre : Un Homme bien et j’en ai fait parvenir un à M. Louis-Ferdinand Céline (1). J’ai reçu également le manuscrit dont vous me parlez dans votre lettre (2).
  Je n’ai pas encore eu le temps de lire ces deux ouvrages, mais je compte bien les lire avant la fin du mois. Je ne manquerai pas à ce moment de vous faire savoir mon opinion.
  Quant à Primevères, tout est maintenant réglé, je pense. Il ne reste plus que la question des droits d’auteur, qui sera résolue le jour où vous m’indiquerez un correspondant à Paris habilité à recevoir ces droits pour votre compte.
  Veuillez agréer, Chère Madame, je vous prie, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Robert Denoël


1. Evelyne Pollet a tenu à ce que Céline, qui apparaît dans la nouvelle « Le Voleur » sous le nom de Carbier, reçoive le livre, qui n'est pas distribué en France. Mais il la connaissait car l'auteur l'avait fait paraître tout d'abord dans l'hebdomadaire bruxellois Cassandre du 8 mai 1937 sous le titre « Le Retour de l'amant ».
2. J'ignore de quel manuscrit il s'agit.

* Autographe : collection Mme Evelyne Pollet.

À Louis-Ferdinand Céline

10 Décembre 1942

Cher Ami,

  

Veuillez trouver, ci-inclus, un chèque de frs : 22.500, en règlement de Cinq mille exemplaires de votre ouvrage « LES BEAUX DRAPS », que nous nous proposons de tirer très prochainement.
    Nous vous serions obligés de bien vouloir nous retourner le « bon à tirer » que vous trouverez, ci-inclus.
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

[Robert Denoël]


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.