Robert Denoël, éditeur

1941

 

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 6 Janvier 1941

Cher Ami,

Vos fromages sont bien arrivés et ont fait la joie de tout le monde. Je crois que la formule que vous avez adoptée est la meilleure. Une note parue dans les journaux autorise en effet les envois jusqu’au 31 janvier inclus, pour ce qui concerne la volaille, tout au moins. Tentez de faire d’autres expéditions, à mes risques et périls bien entendu.
    Quant à la venue de Marcel, je crois qu’il vaut mieux y renoncer provisoirement et essayer d’abord le système des envois. Si vous aviez quelques conserves et des matières grasses, sans tickets, vous pourriez évidemment nous en envoyer aussi par petits colis.
    A tout hasard, je vous fais expédier un paquet de papier et de carton ondulé. Je vous remercie encore de tout ce que vous faites et de tout ce que vous pourrez faire.

Et je vous prie de croire, Cher Ami, à mes sentiments les plus reconnaissants.

R. Denoël


* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Evelyne Pollet


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 9 Janvier 1941

Chère Madame,

  Nous venons de recevoir votre lettre du 4 novembre et nous vous en remercions. Nous ne pensons pas reprendre l’édition d’une façon régulière avant mars ou avril (1). A ce moment-là votre livre prendra tout naturellement sa place dans sa production.
  Grasset et Plon ont, en effet, sorti quelques ouvrages, mais le succès ne semble pas avoir récompensé leurs efforts. La situation est encore bien trop troublée pour que l’on puisse penser à une reprise normale des affaires de librairie.
  Veuillez agréer, Chère Madame, l’expression de nos sentiments très respectueux.

Les Editions Denoël,


    R. Denoël

1. Les Editions Denoël ont été fermées par l'occupant du 17 juin au 15 octobre 1940. Leurs premières publications datent en effet d'avril 1941. Mais Robert Denoël a renoué avec l'édition dès novembre 1940, sous le couvert des Nouvelles Editions Françaises.
* Autographe : collection Mme Evelyne Pollet.

À Louis-Ferdinand Céline

Paris, le 20 Janvier 1941

Cher Ami,

Je ferai certainement travailler DARAGNÈS (1) un jour prochain, mais pour votre livre j'ai déjà pris un engagement avec l'imprimeur DIÉVAL - rue de Seine - qui offre l'avantage de me fournir le papier qui, comme vous le savez, est extrêmement rare en ce moment.
    Diéval, que j'ai eu l'occasion d'expérimenter ces derniers mois (2), me donne des garanties dans le travail, brochage par exemple, que je ne pourrais pas trouver immédiatement chez Daragnès.
    Mais dès que j'aurai repris le courant habituel de mon activité, je penserai à votre ami (3).
    Bien cordialement,

[Robert Denoël]

PS : Vos comptes seront prêts jeudi prochain.


1. Jean-Gabriel Daragnès [1886-1950], graveur et typographe, ami et voisin de Céline à Montmartre.
2. Henri Diéval, 57 rue de Seine, a imprimé les quatre libelles antisémites de la collection « Les Juifs en France » parus entre novembre 1940 et avril 1941, et sera en effet chargé des Beaux Draps, mais son nom n'apparaît pas au colophon de ces volumes publiés à l'enseigne des Nouvelles Editions Françaises. Denoël a préféré indiquer qu'ils avaient été tirés « sur les presses de l'Imprimerie spéciale des Nouvelles Editions Françaises, Paris », comme il l'avait fait pour Bagatelles pour un massacre et L'Ecole des cadavres, sortis de l' « Imprimerie spéciale des Editions Denoël ». Contrairement à ce qu'on pourrait croire, cette mention ne permet pas de se calfeutrer dans la clandestinité puisque les imprimeurs réels sont bien désignés au Dépôt légal : elle signifie que l'éditeur prend à sa charge la responsabilité du travail de l'imprimeur, qui peut, lui aussi, avoir des comptes à rendre aux autorités.
3. Daragnès n'a jamais travaillé pour Denoël.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Luc Dietrich

[Carte interzone]

Paris, le 27 janvier 1941

Sommes en bonne santé et vous (1) ?
    François Dallet tué devant Soissons (2).
    Suis resté longtemps sans nouvelles de vous. La famille va bien.
    Je travaille à remettre maison sur pieds.
    Ai de très sérieux espoirs redressement complet. Quand m’envoyez-vous L’Apprentissage (3) ?

Comment vous envoyer argent ?


    Robert Denoël


1. Luc Dietrich se trouve alors à Mégève, et il a bien avancé son roman, auquel il travaille depuis trois ans. Mais, en juillet 1939, Lanza del Vasto, de retour de Terre Sainte, avait examiné le manuscrit et il s'était dit atterré : le ton du livre faisait trop penser à Céline, qu'il ne pouvait souffrir. Il fallait, décida-t-il, tout remettre à plat. A partir d'octobre 1940, les deux amis ont entrepris de réécrire tout le livre.
2. Le 6 juin 1940.
3. Dietrich, soudain ferme, lui répond qu'il n'aura rien tant qu'il n'aura pas reçu ses arriérés de droits d'auteur [4 000 francs], et obtenu un laissez-passer entre les deux zones.
* Autographe : collection famille Luc Dietrich.

À Evelyne Pollet


[Carte-lettre à l’en-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 8 Février 1941

Chère Madame,

Je vous ai écrit dernièrement que j’espérais faire paraître votre livre dans le courant de mars prochain, ne m’en demandez pas davantage. La reprise est extrêmement lente et difficile. Nous nous heurtons à des difficultés de toutes sortes : absence de papier, difficultés de transports, etc. Soyez assurée que nous faisons tout le possible pour vous donner satisfaction.
    Veuillez agréer, Chère Madame, l’expression de nos sentiments respectueux.

Les Editions Denoël,


    R. Denoël


* Autographe : collection Mme Evelyne Pollet.

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 13 Février 1941

Mon Cher Ami,

Votre nouvel envoi est bien arrivé et a fait la joie de tout le personnel (1). Nous vous renvoyons aujourd’hui le cageot avec l’espoir qu’il reviendra bientôt bourré de victuailles. Vous pouvez certes y joindre les camemberts dont vous nous parlez.
    D’autre part, je vous envoie, par même courrier, un numéro de la Nouvelle Revue Française, dans lequel vous trouverez une note très aimable de M. Lucien Combelle, un nouveau venu intéressant (2).
    D’autre part encore, j’ai posé votre candidature au prix du Roman Populiste, qui se décernera dans le courant de mars (3). J’ai alerté à ce propos Charles Braibant et Léon Lemonnier, qui sont naturellement fort bien disposés à votre égard.
    Lectures 40, dont vous me parlez, est publié par Jean Fontenoy (4), que vous connaissez sans doute. C’est surtout une revue littéraire, ainsi que vous aurez pu vous en apercevoir par le contenu. Si vous aviez une bonne nouvelle d’une douzaine de pages, je pourrais sans doute la placer utilement dans un journal de Paris.
    Bien affectueusement et encore merci,

R. Denoël

Vous dois-je quelque argent pour les victuailles ?


1. Voir la lettre suivante.
2. L'article de Combelle consacré au Fer et la forêt est paru le 1er février dans le n° 324 de La NRF.
3. Le Prix Populiste sera décerné le 26 mars.
4. Jean Fontenoy [1899-1945] a lancé la revue mensuelle Lectures 40 le 25 aout 1940, avec l'appui financier de son ami Otto Abetz. Après plusieurs changements de nom et de propriétaires, elle s'arrêtera le 25 mai 1941.
* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Jean Rogissart


[Sigle imprimé des Editions Denoël]

Paris, le 13 février 1941

Cher Monsieur,

Le personnel réduit des Editions Denoël, très sensible à vos envois gastronomiques, me prie d'être son interprète pour vous remercier très sincèrement d'avoir pensé à lui pour agrémenter les rutabagas.

Recevez, Cher Monsieur, l'assurance de nos sentiments dévoués.

M. Collet (1)

[Lettre contresignée par quatre membres du personnel dont Auguste Picq, comptable, et Georges Fort, magasinier]


1. Madeleine Collet, épouse Tardieu, était, depuis 1931, la secrétaire de Robert Denoël.
* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Jean Rogissart


[Sigle imprimé des Editions Denoël]

Paris, le 27 février [1941]

Cher Ami,

J’ai reçu votre copieux colis samedi soir et la distribution a été accueillie avec une grande joie par le personnel. Vous ne pouvez pas vous imaginer quel plaisir vos envois nous donnent. Je tiens à vous le répéter car je sais fort bien quelle peine vous avez à les composer. Merci encore !
    Je m’occupe du prix populiste. Vous ai-je dit que j’avais vu Duhamel, qui connaît Mervale et qui m’a promis de lire Le Fer et la forêt. Nous avons nos petites chances.
    Mes affaires prennent tournure tout doucement. J’ai tout lieu de croire à une solution dans les prochains jours.
    Je vous enverrai un mandat pour vos droits dans le courant de la semaine prochaine. Et si mes espoirs se confirment, je pourrai sans doute hâter le règlement total. C’est la grâce que je nous souhaite à tous les deux.

Croyez, Cher Ami, je vous prie, à mes sentiments bien cordiaux.

Robert Denoël


* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Jean Rogissart


[Sigle imprimé des Editions Denoël]

Paris, le 8 mars 41

Mon Cher Ami,

Vos deux envois me sont parfaitement arrivés et je vous en remercie. Tout cela était excellent et fort bien conditionné. Je vous ai expédié d’autre part 1 300 francs. Soit mille francs de droits d’auteur et 300 francs pour les provisions.
    J’espère pouvoir faire mieux sous peu. Mes affaires prennent tout doucement meilleure tournure et j’espère qu’avant la fin du mois j’aurai pallié aux plus grosses difficultés.
    Je n’ai pas de nouvelles du prix populiste qui doit se décerner dans le courant du mois. Je vais relancer nos amis à ce sujet.
    Dites-moi donc un de ces jours quels sont les journaux de votre région qui publient encore des chroniques littéraires. Je reconstitue tant bien que mal un service de presse.
    Il ne serait pas mauvais non plus que vous songiez à écrire deux ou trois contes et nouvelles. Si vous aviez le prix, je pourrais les placer à Paris dans des conditions intéressantes.
    A bientôt, Cher Ami, et bien cordialement à vous,

Robert Denoël


* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Louis-Ferdinand Céline

24 Mars 1941

Cher Ami,

Je dispose actuellement d'un petit stock de papier, qui me permet de faire une réimpression à 2.100 exemplaires de « LES BEAUX DRAPS » (1). Je vous prie donc de bien vouloir me retourner le « bon à tirer », ci-inclus.
    Je joins à cette lettre un chèque de 9.000 frs sur le Comptoir d'Escompte, en règlement des droits.
    D'autre part, j'ai bien reçu votre demande de livres (2). Le colis sera prêt demain, mais je vous demande d'attendre jusqu'à la fin de la semaine pour que je puisse vous le faire parvenir. Il faut une voiture pour monter chez vous et je ne crois pas en avoir une avant trois ou quatre jours.
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

[Robert Denoël]


1. Le premier tirage des Beaux Draps, sorti de presse le 28 février et épuisé, était de 10 800 exemplaires, dont 300 destinés à la presse, plus un tirage de luxe de 305 exemplaires.
2. Le 14 février, Céline lui avait demandé 6 exemplaires de Voyage au bout de la nuit, 6 de Mort à crédit, 6 de Mea culpa, 6 de L'Eglise, et un exemplaire de l'Histoire de la musique par Charles Nef, paru en 1931 chez Payot - le tout à envoyer 11 rue Marsollier.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Jean Rogissart


[Sigle imprimé des Editions Denoël]

Paris, le 26 mars [1941]

Mon Cher Ami,

J’ai été bien heureux de pouvoir vous télégraphier hier l’heureux résultat (1). D’autant plus que je croyais à un échec. En effet, un mauvais renseignement me faisait penser que le prix se décernait au cours d’un déjeuner. Vers trois heures, je n’avais eu aucun coup de téléphone. Dans les journaux, on ne savait rien. La publicité préliminaire avait été mal faite. Les courriéristes littéraires n’avaient pas été alertés. Vers sept heures Luc Durtain me téléphonait qu’il se rendait à la réunion. Et vers neuf heures notre ami Braibant m’annonçait votre succès. Vous le devez à Braibant d’abord, à Durtain, à Duhamel, à Thérive et à Lemonnier qui ont voté pour vous. Je ne sais malheureusement pas le nom de vos autres parrains. Braibant vous les dira sans doute. Il serait de sage politique de leur envoyer à chacun un mot de remerciement.
    Pratiquement, je ne sais pas du tout quel peut être le rendement d’un prix comme celui-là, en dehors de la petite somme qui lui est attribuée. La publicité est assez importante mais je ne me rends pas bien compte des résultats qu’on peut en espérer en ce moment. Il me reste, en retours, et en exemplaires neufs, deux mille exemplaires environ. Et il en reste quelques uns dans les librairies. Je fais remettre ces exemplaires sous couverture neuve, quand c’est nécessaire, et sous bandes. Nous procédons à un nouvel envoi d’office aux libraires et je m’occupe à secouer les journaux et revues afin d’obtenir un maximum de publicité.
    Je suis convaincu que nous épuiserons les exemplaires en stock et j’espère que je pourrai procéder à un nouveau tirage. Mais, en ce moment, on ne peut tabler sur rien.
    J’ai bien reçu la nouvelle « Retour à la terre ». Elle est curieuse et attachante. Mais vous l’avez traitée un peu comme un roman. C’est-à-dire avec la durée et par conséquent la lenteur d’un roman. Il faudrait l’alléger d’une dizaine de pages pour lui donner un rythme plus rapide, la rendre plus vivante. Malheureusement, je ne vois pas à Paris de journal qui puisse publier une œuvre aussi importante. Et les hebdomadaires se refusent à publier les nouvelles en deux fois. Je vais voir s’il y a quelque chose de possible et je vous le dirai.
    Par contre « Le Prodige » moins riche de substance mais plus court pourra trouver un placement assez aisé. La meilleure formule, c’est la nouvelle de douze pages de machine à écrire à interligne normal.
    Merci pour le rôti de veau, savoureux et tendre, que nous avons mangé avec infiniment de plaisir. Quel dommage que vous ne soyez pas venu le partager avec nous ! Nous eussions certainement trouvé un honnête Bourgogne comme on les aime en Ardenne pour l’arroser et célébrer votre succès.
    Le colis de la rue Amélie est aussi arrivé en fort bon état et le partage s’est fait à la satisfaction générale. Merci pour les adresses. Je vous renvoie quelques exemplaires qui pourront vous être utiles en ce moment. Toutes mes félicitations et bien cordialement,

Robert Denoël

Je publierai assez prochainement une anthologie de poètes populistes (2) où il convient que vous figuriez : voulez-vous m’envoyer trois poèmes qui vous plaisent particulièrement.


1. Le Fer et la forêt a obtenu la veille le prix du roman populiste par neuf voix contre six. Le président du jury était Georges Duhamel.
2. Poèmes populistes paraîtra début juillet.
* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Luc Dietrich

30 mars 1941

Je reçois en même temps votre lettre et un coup de téléphone de votre amie me disant que vous avez reçu la moitié de l’envoi, soit mille francs. Je remettrai le 25, deux mille francs encore à Mlle Guillepain. Dans votre prochaine lettre, dites-moi où nous en sommes. J’achève en ce moment, par mes propres moyens, un rétablissement douloureux. Et je pense que sous peu, tous mes cauchemars d’argent seront définitivement chassés.
    Nous pourrons reprendre des relations sur un plan plus aimable. Je ne cherche pas à m’excuser. Je suis désolé des ennuis que je vous ai causés. Je n’en mesurais pas l’importance, c’est vrai. J’espère que l’avenir me permettra de vous faire oublier vos griefs parfaitement justifiés. C’est tout ce que je peux vous dire aujourd’hui.
    La librairie reprend. Les gens lisent. Les livres se vendent. J’ai de grands projets. J’espère pouvoir faire revenir Barjavel, le mois prochain. Je viens de sortir un livre de Céline : Les Beaux Draps (1) qui connaît un succès inespéré. Deux autres nouveautés sont sous presse.
    Nous sommes sans nouvelles de Billy, c’est un grand chagrin (2). Votre absence me pèse. Je rêve parfois à ces réunions où il y avait Dallet, Barjavel, Billy, Philippe, vous, certains soirs dans mon bureau. Ce bureau est devenu un endroit solitaire. On n’y a plus ri aux éclats depuis longtemps.
    J’attache à votre livre la même importance que vous. Vous êtes sans doute le seul écrivain de ma maison qui puisse me surprendre. De tous les jeunes que j’ai publiés, vous êtes le seul auquel je croie. Votre incroyable maturité, ce que vous appelez votre vieillissement, a dû vous permettre d’accomplir votre livre. J’ai une confiance solide en tout ce que vous faites, en tout ce que vous ferez. A cause de vos dons et à cause de votre ténacité, de votre ambition, de votre constant besoin de perfection. Vous avez toutes les qualités du bon ouvrier, c’est à dire du poète au sens premier du mot.

Venez à Paris dès que vous le pourrez. J’attends beaucoup de votre rencontre. Et votre livre sera servi par moi, comme il doit l’être.
    Le Finet vient d’être malade. Il a grandi. Il a gardé sa finesse de trait, sa gentillesse. Il est devenu extrêmement bavard et son sens de l’humour se développe. Il est insolent avec beaucoup de naturel. Cécile a un moral aussi solide que les circonstances le lui permettent. Notre vie s’est beaucoup assouplie.
    Philippe (3) travaille avec ardeur. Il écrit des articles et les publie. Il est dans une sorte d’euphorie intellectuelle que je ne lui ai jamais connue et qui me fait grand plaisir. Il a fait des rencontres intéressantes, il a des échanges qui le transportent de joie avec les nouveaux venus. J’espère qu’il pourra bientôt vous raconter tout cela lui-même.
    Si vous venez à Paris bientôt, je pourrai sans doute vous aider à sortir de vos ennuis vestimentaires. Mais il ne faudrait pas trop tarder. Car les ressources du marché vont sans doute s’épuiser assez rapidement.
    Ecrivez-moi encore. Vous ai-je dit que pour meubler mes loisirs de retraite, j’avais adapté pour la scène le roman de Stevenson : Le Maître de Ballantrae (4) ? J’écris une autre pièce, de mon cru, celle-là. Votre avis me sera précieux.
    Au revoir, mon cher Luc. Donnez-moi de vos nouvelles. Mieux encore : venez ici. On vous y attend.
    Affectueusement.


    Robert


1. Le nouveau pamphlet de Céline a été mis en vente le 28 février par les Nouvelles Editions Françaises. Denoël ne lui parle pas de cette nouvelle enseigne, à l'abri de laquelle il a déjà publié quatre libelles antisémites.
2. Le beau-frère de Denoël a gagné l'Angleterre en juin 1940.
3. Philippe Lavastine a rejoint l'équipe des Editions Denoël, dont il fait partie depuis septembre 1937.
4. Denoël l'a rédigé à Souillac durant l'été 1940, après sa randonnée en zig-zag de l'exode.
* Autographe : collection famille Luc Dietrich.

À Louis-Ferdinand Céline

2 Avril 1941

Cher Ami,

Je vous prie de trouver, ci-inclus, un chèque de frs : 11.700, en règlement de 2.600 exemplaires des « BEAUX DRAPS », dont je vous prie de bien vouloir me retourner le « bon à tirer » ci-inclus.
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Robert Denoël


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël. L'autographe a été mis en vente à l'Hôtel Drouot le 28 novembre 2014.

 

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 2 Avril 1941

Cher Ami,

Je vous envoie, par même courrier, 1.500 frs à valoir en compte sur notre arriéré. J’espère vivement pouvoir faire beaucoup mieux à la fin du mois prochain.
    N’oubliez pas les poèmes que je vous ai demandés pour l’Anthologie de la poésie populiste. La Gerbe s’est décidée à prendre une nouvelle, qui paraîtra dans le numéro de la semaine prochaine. Je n’ai pas encore obtenu d’autres résultats. 

Bien amicalement à vous,

R. Denoël


* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Jean Rogissart


[Sigle imprimé des Editions Denoël]

Le 9 avril 1941

Mon Cher Ami,

    Merci de votre magnifique envoi dont nous avons fait le régal de plusieurs jours.
    Avez-vous vu Je suis partout ? Et Le Petit Parisien (1) ? Deux bonnes publicités encore, qui viennent s’ajouter aux petites notes publiées un peu partout. Je ne sais ce que cela donnera au point de vue de la vente. Il restait en stock chez Hachette et chez nous environ deux mille exemplaires du premier tirage. Il est probable que cela épuisera ce tirage. Peut-être même arriverons-nous à retirer. Cela fera partir également quelques centaines de Mervale et nous permet de penser que nous écoulerons facilement les retours sous une couverture nouvelle.
    En outre, cela donne à votre nom d’écrivain une popularité plus grande et fortifie votre excellente réputation. Quand vous viendrez à Paris, nous déjeunerons avec quelques journalistes et cela donnera lieu encore à quelques notes çà et là.
    J’espère que vous avez bien reçu le dernier mandat « droits d’auteur ». Je vous en enverrai un autre dans quelques jours pour le ravitaillement (Les haricots seront fort bien accueillis par le personnel).

Bien amicalement,

Robert Denoël


1. Henri Poulain a consacré, dans Le Petit Parisien du 8 avril, un long article au roman et à son auteur sous le titre : « Jean Rogissart, prix populiste, vu par son éditeur ». C'est en réalité une interview de Robert Denoël.
* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Pierre Marcot


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 21 Avril 1941

Monsieur,

M. Céline nous communique votre lettre du 17 avril concernant le volume : « L'ECOLE DES CADAVRES », dont plusieurs pages ont été supprimées.
    Cette suppression ayant été faite par autorité de justice, il nous est impossible d'y remédier (1).
    Nous nous en excusons vivement auprès de vous,
    Et nous vous prions d'agréer, Monsieur (2), l'expression de nos sentiments très distingués.
    Les Editions Denoël,

R. Denoël


1. Le 21 juin 1939, la 12e Chambre correctionnelle de la Seine a condamné l'éditeur à amputer l'ouvrage de la page 302 où figurait le nom du Dr Rouquès. Lors de la remise en vente du pamphlet, en septembre 1939, l'éditeur a fait coller sur le feuillet de garde des volumes un papillon imprimé avertissant le lecteur que trois feuillets avaient été supprimés : les pages 17-18, 121-122, 301-302. La page 17 contenait une lettre scatologique d'un supposé lecteur juif intitulée « A Céline le dégueulasse », la page 122 portait le nom de Léon Treich (traité de juif, il avait menacé de porter plainte), la page 302 celui du Dr Rouquès. On peut consulter ici le détail de cette affaire de volumes caviardés.
2. Pierre Marcot [1915-1980], lecture assidu de Céline dès 1932, habitait alors Le Mans. Il sympathisera avec l'écrivain après la guerre.
* Repris de : Dauphin & Fouché. Bibliographie des écrits de Louis-Ferdinand Céline, 1985, avec reproduction du document.

Le Petit Parisien,  7 janvier 1939   Le Temps,  8 janvier 1939   Remise en vente de septembre 1939, avec papillon

 

À Louis-Ferdinand Céline


[Nouvelles Editions Françaises
21 Rue Amélie (VIIe)]

23 Avril 1941

Cher Ami,

Voici exactement quels ont été les tirages de votre livre « LES BEAUX DRAPS » :
1er tirage.......................................................................... 10.500 exemplaires
2ème   ” ...........................................................................   4.200         ”
3ème   ”  ..........................................................................   2.100         ”
4ème   ”  ..........................................................................   2.730         ”
                                                                                          _______
Soit, au total..................................................................... 19.530 exemplaires

auxquels il faut ajouter l'édition de luxe comprenant 220 exemplaires sur Lafuma et 50 exemplaires sur Arches.
 

Il vous a été réglé à ce jour :
   18.600 ex. ordinaires, soit...........................................   83.700 frs
    et l'édition de luxe, soit...............................................     4.740   ”
                                                                                        _________
    Soit au total................................................................   88.400   ”

Le nombre d'éditions est représenté par 19.630 exemplaires soit 40 éditions, plus une édition de luxe, soit 41 éditions.
Nous donnerons demain le bon à tirer de 2.100 exemplaires, ce qui portera le chiffre des exemplaires tirés à 21.630, et nous atteindrons comme cela la 45ème édition (1).
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

[Robert Denoël]

P.S. : Veuillez trouver, ci-inclus, un chèque de 9.000 frs, représentant vos droits sur 2.000 exemplaires nouveaux et le « bon à tirer » que nous vous prions de bien vouloir nous retourner. Avec ce chèque, les droits que vous aurez touchés s'élèveront donc à la somme de 97.440 frs.


1. Une « édition », ou un « mille », chez Denoël, correspond donc à 500 exemplaires, ce qui est conforme aux usages de cette époque. Il y inclut aussi le tirage de luxe (ici, 305 exemplaires dont 35 hors commerce), ce qui est plus inattendu.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Louis-Ferdinand Céline

8 mai 1941

Cher Ami,

Je vous prie de trouver, ci-inclus, un chèque de frs : 8.550, en règlement de 1.900 exemplaires des « BEAUX DRAPS », dont je vous prie de bien vouloir me retourner le « bon à tirer », ci-inclus.
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

[Robert Denoël]


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Jean Rogissart


[Sigle imprimé des Editions Denoël]

8 mai 1941

Mon Cher Ami,

Merci de votre bonne lettre. Le premier mille du Fer et la forêt ne portait pas de numéro d’édition. Comme beaucoup de libraires se montrent friands d’éditions sans millésime, nous gardons toujours quelques douzaines d’exemplaires de ce tirage en réserve pour satisfaire aux demandes. Et comme nous arrivons à l’épuisement de votre livre, nous utilisons tous les exemplaires disponibles.
    Hélas ! nos difficultés deviennent tous les jours plus grandes : le papier devient très rare. Je ne peux réimprimer des livres épuisés et recherchés. C’est une catastrophe à laquelle j’essaie de parer de mon mieux.
    S.O.S. aussi pour le ravitaillement. Nous mangeons des carottes, navets et nouilles depuis dix jours. Si vous avez la moindre possibilité d’envoyer quoi que ce soit, je vous recommande instamment la rue de Buenos-Ayres (1). 2 boîtes sont parties ce matin à votre adresse.
    Au point de vue financier, mes espoirs se confirment mais comme j’ai « affaire » avec une administration, on me recommande la patience (2). D’autre part, je mets sur pied une revue familiale à grand tirage, pour une société assez puissante (3). Ce serait une chance pour nous tous, si j’aboutissais. Envoyez-moi la nouvelle.

Et bien cordialement,

Robert Denoël


1. Adresse privée de l'éditeur.
2. Il s'agit du prêt d'un million de francs sollicité le 28 décembre 1940 auprès du Crédit National de France.
3. Lectures 40, la revue mensuelle dirigée jusqu'alors par Jean Fontenoy, a été rachetée par L'Oréal, la société d'Eugène Schueller, et Denoël a été pressenti pour la diriger.
* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Luc Dietrich

Paris, le 9 mai 1941

Mon Cher Ami,

Je vous ai écrit déjà plusieurs fois ce mois. Je reçois aujourd’hui votre lettre du 2 mai.
    Croyez bien que je n’ai pas mal reçu la personne qui m’a téléphoné de votre part. Je lui ai dit très gentiment qu’elle avait tort de me prendre pour Dieu le Père. Mes relations ne me permettent d’aucune manière d’obtenir ce que vous me demandez (1). J’ai écrit à l’Ambassadeur, qui n’a pas daigné me répondre. Je m’occupe de vous par d’autres voies, mais tout cela est extrêmement long. Voilà deux mois que je demande l’autorisation pour un représentant et je ne l’ai pas encore obtenue. Les assouplissements qu’on nous annonce vont peut-être vous permettre de réaliser votre désir. Croyez bien que nul n’est plus désireux que moi de vous voir à Paris. J’ai remis à Mlle Guillepain le versement d’avril et je suppose qu’il va vous parvenir.
    J’estime que la publication de votre livre, à n’importe quel moment pourrait être une sorte d’événement. Si vous étiez sur place, je suis en mesure de m’occuper de vous d’une façon exceptionnelle. Je suis sûr, après ce que vous m’avez dit, que ce livre pourrait être un très beau succès. Ne croyez donc pas que je ne veuille pas m’occuper de vous, bien au contraire. Je suis désolé d’apprendre que vous avez encore été malade.
    Philippe s’est occupé de vous, lui aussi, mais sans plus de succès que moi, et pourtant lui est infiniment mieux placé.
    Bien affectueusement,


    Robert


1. Dietrich, qui habite Montredon, a demandé à l'éditeur de lui obtenir un laissez-passer pour la zone occupée (voir la lettre du 27 janvier, note 3).
* Autographe : collection famille Luc Dietrich.

À Jean Rogissart


[Sigle imprimé des Editions Denoël]

Le 19 mai 41

Mon Cher Ami,

Vos deux envois me sont bien arrivés. Ils ont été salués par des cris de joie. Depuis quelques semaines, on ne trouve plus de viande, de poisson ou d’œufs qu’au restaurant. Et à des prix très noirs. C’est vous dire que nous avons fêté le lapin et les œufs durs.
    Je vous aurais écrit plus tôt mais j’ai été débordé ces jours-ci par l’étude de cette revue dont je vous ai dit un mot déjà. Les choses se précisent. Il est probable que j’aboutirai dans quelques jours.
    Ce sera une première étape vers la solution de mes difficultés. Je devais avoir ces jours-ci un accord qui se trouve, pour des raisons obscures, retardé encore de plusieurs semaines. On vit de patience !
    Les Poèmes populistes paraîtront vers le 15 juin, j’ai corrigé vos épreuves. Ne craignez rien. Encore merci. A bientôt.

Et très amicalement

Robert Denoël


* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Jean Rogissart


[Sigle imprimé des Editions Denoël]

21 mai 1941

Mon Cher Ami,

Chacune de mes lettres débutera donc toujours par un chant d’actions de grâces ! Cette fois, c’est du lapin qu’il me faut vous remercier. La merveilleuse bête ! Nous en avons mangé les cuisses en rôti et le civet est à la marinade. Toute cette semaine nous avons vécu de vos bienfaits.
    Bravo pour la lettre de Thomas Braun (1). C’est là un témoignage de qualité. Cela compte. Votre réputation grandira ; à chaque livre vous étendrez votre public. J’ai grande confiance. La probité en art, il n’y a pas d’autre recette. Le lecteur finit tôt ou tard par s’y reconnaître.
    Autre chose : ma revue prend corps. Je voudrais voir votre nom au sommaire du 2ème numéro. Page folklore. Il faudrait m’envoyer d’ici une dizaine de jours un article de 150 à 200 lignes divisé en quatre ou cinq paragraphes, sur les coutumes d’Ardenne, sur les anciennes coutumes qui subsistent et s’il en est de récentes, sur celles qui sont vraiment significatives. Coutumes, légendes, chansons (avec citations). Un article de bonne humeur, pittoresque, poétique même. Pas doctrinal et pas superficiel non plus. Quelque chose de substantiel mais d’enlevé, de vivant, qui renseigne et qui divertisse.
    Je vais demander la même chose à plusieurs écrivains. Dupé me donne le Marais, Colette la Bourgogne, Dietrich la Franche-Comté etc... Ce sera « honoré » convenablement : 300 francs. Mon budget n’est pas énorme.

Merci pour l’adresse que je conserve soigneusement. Je vous envoie votre conte par même courrier. Je vous envoie également une caissette de bois : œufs frais, œufs cuits, à votre bon plaisir. Nous tendons les mains.
    Oui, je crois, nous allons tout doucement vers la paix. Je serais bien étonné que l’été se passe sans un changement profond dans la condition des Français. Je suis optimiste malgré tout.
    Merci encore de vos attentions si appréciées et croyez-moi, Cher Ami, bien affectueusement vôtre,

R. Denoël


1. Juriste et poète belge [1876-1961], élu en 1939 à l'Académie Royale de langue et de littérature française.
* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Luc Dietrich

Paris, le 9 juin 1941

Impossible, mon cher ami, d’obtenir l’autorisation demandée. La dernière démarche a échoué. Il faut que vous reveniez en qualité de réfugié par les trains que l’on organise actuellement. J’ai pris note de garder à votre disposition les droits d’auteur. J’ai hâte de vous voir. Le moment est infiniment propice à la publication de votre livre.


    Robert Denoël


* Autographe : collection famille Luc Dietrich.

À Evelyne Pollet


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19 Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 9 Juin 1941

Chère Madame,

Ne soyez pas étonnée de mon silence : je n’ai rien à vous dire de nouveau au sujet de votre livre. Comme vous le savez, votre ouvrage a été composé entièrement en zone non occupée et les relations que nous avions avec cette partie de la France ne nous permettaient pas, jusqu’à présent, de donner suite à nos projets. L’échange des marchandises est de nouveau permis et nous allons pouvoir maintenant donner le « bon à tirer » définitif de votre ouvrage.
  Je pense qu’avec les lenteurs actuelles des transports, il ne faut pas compter recevoir les premiers exemplaires avant le 15 juillet, au plus tôt. Si le moment est favorable, nous ferons la diffusion comme elle avait été prévue.
  Je suis désolé de tout ce qui a empêché jusqu’à présent l’exécution de notre contrat, et croyez bien que s’il n’avait tenu qu’à moi, vous n’auriez eu à subir aucun de ces retards. J’espère que, malgré les circonstances difficiles, votre livre connaîtra un beau succès.

Et je vous prie d’agréer, Chère Madame, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

Les Editions Denoël,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Evelyne Pollet.

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 9 Juin 1941

Cher Ami,

Je m’excuse d’avoir tardé à vous envoyer votre mensualité. J’ai eu une fin de mois un peu dure, mais le cap est maintenant heureusement doublé.
    J’ai reçu votre article sur l’Ardenne, je le trouve excellent, très joliment écrit et plein de choses peu connues. Il sera peut-être un peu long et selon les nécessités de la mise en pages, je serai sans doute forcé de couper quelques lignes çà et là, mais ce sera peu de chose. Je donnerai un coup de téléphone à La Gerbe et à La Semaine pour savoir ce que sont devenus vos manuscrits.
    Vous allez recevoir à la fin de cette semaine (1), le premier numéro de Lectures 40. C’est un numéro un peu improvisé. Il a fallu créer les cadres, trouver la copie, les collaborateurs en l’espace de quinze jours. Le second numéro sera meilleur. Mais je serais vraiment très heureux de recueillir vos avis et vos critiques sur celui-ci.
    Croyez, Cher Ami, à mes sentiments les meilleurs.

Robert Denoël

Reçu d’autre part le colis « œufs », le chevreau, les fromages. Magnifique envoi, bien réconfortant. J’ai reçu à peu près les mêmes nouvelles que vous de Belgique : cela ne va pas du tout. J’espère qu’on vous gardera dans les Deux-Sèvres. Mais d’ici octobre la face du monde peut encore changer. Bien affectueusement et merci

R.D.

La direction littéraire de Lectures 40 est la première étape vers la solution définitive de mes difficultés. Un mois encore et ce sera fini, je pense.


1. Le premier numéro de Lectures 40 « nouvelle formule » est sorti le 15 juin. Si sa rédaction est domiciliée rue Amélie, l'administration et la publicité se trouvent au 38 rue Jean-Mermoz, dans le VIIIe arrondissement. Cette adresse est celle de la S.E.M.P., la Société d'Editions Modernes Parisiennes qui appartient au groupe L'Oréal.
* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

[Timbre à date de la poste : 9 Juin 1941]

Mon Cher Ami, Très heureux d’avoir enfin de vos nouvelles. Je vais reprendre une activité très importante. Je la reprends déjà (1). J’ai besoin de votre manuscrit (2). Envoyez-le moi. Envoyez-moi aussi deux ou trois nouvelles. Je les ferai passer dans des journaux. Je dirige un journal littéraire dont le premier numéro paraît le 15. La librairie va connaître bientôt un essor magnifique. Votre œuvre trouvera une place de premier plan, j’en suis sûr. Envoyez-moi des provisions, si c’est encore possible. Ce que vous voudrez (3). Amitiés à Marie (4). Merci d’avoir écrit et bien affectueusement,

Robert Denoël


1. Denoël a publié, entre avril et juin, une demi-douzaine d'ouvrages dont deux volumes d'une nouvelle collection : « La Révolution mondiale ». Le premier, qui pèsera lourd à la Libération : Discours d'Hitler.
2. Celui des Arnaud.
3. L'approvisionnement en denrées périssables est aisé dans la région provençale.
4. Marie Mauron, sa voisine et amie.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Louis-Ferdinand Céline

23 juin 1941

Cher Monsieur,

    Nous avons l'avantage de vous remettre sous ce pli un chèque barré n° 162.218 sur le Comptoir National d'Escompte de Paris, de Frs : 9.000 (NEUF MILLE) correspondant à 2.000 exemplaires des « Beaux Draps ».
    Veuillez agréer, Cher Monsieur, nos sincères salutations.
    LES NOUVELLES EDITIONS FRANCAISES,

[Auguste Picq (1)]


1. Cette copie ne comporte pas de signature mais c'est bien Auguste Picq qui a envoyé ce courrier à l'auteur. Depuis le 23 novembre 1940, le comptable détient [fictivement, il est vrai] 18 des 50 parts de la Société des N.E.F., et il les conservera jusqu'au 8 mai 1944. Tous les documents comptables des N.E.F. lui sont dus, et on note que cette petite société, qui n'est qu'une annexe des Editions Denoël, tire sur le même Comptoir d'Escompte ses chèques dont la numérotation suit celle de la maison-mère.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 26 Juin 1941

Mon Cher Ami,

Je vous retourne, ci-inclus, le texte de votre article (1), que nous avons été obligés, pour des raisons de mise en pages, d’écourter terriblement. Il serait dommage de perdre des pages supprimées, c’est pour cela que je vous les retourne, pour le cas où vous n’auriez pas le double. Gardez ce texte soigneusement, il est de premier ordre et un jour ou l’autre, ce qui n’a pas servi à Lectures 40 pourra trouver sa place dans un essai peut-être plus poussé, que vous écrirez sans doute sur notre petite patrie (2).
    Le 2ème numéro de Lectures 40 a encore été bien malmené par la censure et il a encore les défauts de l’improvisation. Il faudra que nous ayons publié trois ou quatre numéros encore pour arriver à la formule définitive.
    J’espère que vous pourrez, sans trop de difficultés, faire connaître ce petit effort dans votre entourage. Si vous passez chez le dépositaire Hachette, demandez-lui à propos de votre article de pousser la vente du prochain numéro.
    Je ne sais pas ce que le premier numéro a donné à Parthenay, mais pour l’ensemble de la France les résultats sont extrêmement encourageants, quoique fort variables. Dans certaines villes, tous les exemplaires ont été vendus et on a réclamé d’autres exemplaires, dans d’autres au contraire la vente a boudé. Je pense que le règlage se fera dans quelques semaines et que nous arriverons bientôt à un tirage honorable.
    A bientôt de vos bonnes nouvelles, et croyez-moi, Cher Ami, votre tout dévoué,

[la suite entièrement manuscrite]

Je réponds à votre lettre : et d’abord merci pour le poulet, petit mais précieux. Nous mangeons très rarement de la volaille en ce moment, sauf au restaurant qui devient hors de prix.
    Envoyez-moi un texte court pour la « grande explication » (3) : un texte court : deux pages, des faits éloquents par eux-mêmes, aussi peu de commentaires que possible. J’en aurai besoin par retour du courrier. Vous devriez me donner le schéma de l’enquête sur l’Ecole et l’Université. Comment voyez-vous cela ? Pensez à un article d’intérêt général : article d’idées mais basé sur l’observation, illustré d’exemples pittoresques. Mais avant de l’écrire, donnez-m’en le sujet en quelques lignes.
    Je veux que Lectures 40 soit pour mon équipe un précieux instrument de publicité : je compte y faire connaître d’une façon systématique tous mes auteurs. Déjà le premier numéro a porté ses fruits à cet égard. Si j’obtiens des propriétaires et des autorités la publication hebdomadaire, ce sera pour la maison un levier magnifique. Car ce qui sera apprécié dans ma revue le sera ailleurs. Les collaborations seront sollicitées par les concurrents etc... C’est un travail énorme pour le moment, parce que nous n’avons pas de « copie » d’avance : cela viendra vite mais je compte encore deux mois avant d’être en parfait ordre de marche.
    Encore une question : Qui est G. Rallon au sujet de qui paraît dans ce numéro un écho aimable (4). Son livre vaut-il quelque chose ? Bien affectueusement,

Robert Denoël

P.S. La semaine prochaine sera pour moi la semaine décisive, j’ai tout lieu de croire que cela va marcher (5).


1. « Mon Ardenne » a été publié sur une pleine page dans le deuxième numéro de Lectures 40, paru le 1er juillet.
2. Voilà un mot que l'éditeur n'a guère utilisé depuis qu'il s'est installé à Paris. Mais Rogissart est originaire des Ardennes belgo-françaises, comme la mère de Denoël, et c'est peut-être l'explication de son attachement à cette région : Robert Denoël se sent Ardennais, un peu à la manière de Simenon, qui écrivait : « Je ne me sens pas Belge mais Liégeois, et même principautaire liégeois ».
3. « La grande explication » est le titre d'une chronique, d'abord anonyme, ensuite signée Morvan Lebesque, qu'on trouve dans les quatre premiers numéros de Lectures 40. La publicité faite dans Le Petit Parisien du 11 juin est sans équivoque : « Officiers et soldats français y témoignent à la face du monde sur la défaite de 40. Et les témoignages des " civils " sont attendus. » C'est en somme une entreprise d'auto-flagellation. On s'étonne que Denoël sollicite Rogissart.
4. Germain Rallon [1896-1945] est instituteur à Thénezay. En 1939 il a publié à compte d'auteur Deux larmes, un « roman du terroir » que Gallimard vient de rééditer sous le titre L'Ouche aux brebis, et qui aurait ses chances au prix Renaudot. Le livre est signalé anonymement dans Lectures 40 avec ce commentaire : « G. Rallon est un grand ami de Jean Rogissart ». Les deux hommes se sont rencontrés à Parthenay durant l'exode. Rogissart l'a présenté à Charles Braibant, qui a signé la préface de cette nouvelle édition.
5. Le 14 juin, dans un compte rendu d’activité du Gruppe Scriftum pour la période du 7 au 14 juin 1941, Gerhard Heller écrit que « L’éditeur Wilhelm Andermann, des Editions Zeitgeschichte à Berlin, a mené à Paris des négociations pour une éventuelle participation à des maisons d’édition parisiennes. Il faut s’attendre à ce qu’un accord soit établi avec l’éditeur Denoël. L’éditeur Denoël est un des plus jeunes de sa profession et en même temps l’un des plus capables et des plus actifs. »

* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Raymond Queneau

[Juin 1941]

[...] La vente de Chêne et chien (1) n'est pas prodigieuse. Mais je pense que vous serez célèbre dans peu de temps et que les amateurs se disputeront sauvagement les derniers exemplaires (2). [...]


1. Roman en vers publié en juillet 1937 à des conditions très particulières. L'auteur écrivait à Denoël, le 12 décembre 1937 : « Je vous confie donc l’édition de mon poème Chêne et chien, étant entendu qu’il ne me reviendra aucun droit d’auteur sur le premier tirage (500 + 5 Hollande + 25 pur fil = 530 exemplaires) et qu’il me sera versé 10 % du prix fort de chaque volume vendu des tirages suivants. » Le premier tirage n'était donc pas épuisé, cinq ans après sa mise en vente. En conséquence, Queneau n'a rien perçu sur ce roman, que Denoël ne réédita pas.
2. Queneau se vengera de cette désinvolture (et du refus de l'éditeur de publier ses « Fous littéraires » en 1934) en donnant à un personnage de Loin de Rueil le nom estropié de Robert Denoël (Louis-Philippe Des Cigales).
* Repris de : Album Raymond Queneau. Gallimard, 2002.

 

À Louis-Ferdinand Céline

1er juillet 1941

Cher Monsieur,

Nous vous prions de vouloir bien trouver sous ce pli les divers relevés vous concernant, arrêtés au 30 juin 1941, et présentant au total un solde en votre faveur de frs 77.040,10 dont nous vous couvrirons en un chèque au 31 juillet prochain.
    Veuillez agréer, Cher Monsieur, nos sincères salutations.
    Pour les Editions Denoël,

[Auguste Picq (1)]


1. Le comptable n'est plus tenu de faire suivre la formule « Pour les Editions Denoël » de sa qualité de Chef de la Comptabilité, car Denoël lui a délégué la signature de sa société en mai 1940, au moment de l'exode. C'est aussi le cas pour les N.E.F. dont Picq est co-administrateur grâce aux actions qu'il détient dans cette petite société.
* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Jean Proal

[Carte-correspondance]

[Timbre à date de la poste : 2 Juillet 1941]

Mon cher Ami, la précieuse caisse est fort bien arrivée à la joie et au ravissement de la famille. Nous sommes très touchés de la peine que vous avez prise et nous vous remercions bien vivement. Maintenant, il faut me dire très simplement combien je vous dois, que je vous envoie un mandat. Sans cela je n’oserais plus rien vous demander. J’ai les manuscrits dans mon bureau. Tâchez de trouver une occasion pour me faire parvenir la version remaniée (1). Merci encore et à bientôt de vos bonnes nouvelles.

Robert Denoël


1. Celle des Arnaud. Proal la lui envoie le 4 août, accompagnée d'une lettre énergique : « Je peux vous dire que Les Arnaud, c'est un grand bouquin. [...] Croyez-moi : aucun des livres que j'écrirai ne vaudra Les Arnaud. [...] Ce livre est écrit depuis trois ans (et vous savez qu'il est sorti d'un manuscrit  de 1928). J'avais passé, depuis 1938, un nombre incalculable d'heures à l'écrire, le corriger. Il devait paraître à l'automne 1939... Depuis, j'ai eu beaucoup de temps pour y travailler encore. Je l'ai buriné, épuré, décanté. Il n'y a plus un mot de trop. Il n'y manque rien. [...] Les Arnaud, c'est pour la montagne ce que Maria Chapdelaine est pour le Grand Nord. [...] Je ne connais pas un livre, pas un seul, sur la montagne, qui vaille celui-là. [...] Allons, j'ai fini mon discours. Vous pouvez respirer (je vous vois au fond de ce bureau dont j'ai souvent la nostalgie). Mais ne riez pas. Nous avons bagarré ensemble, à nos débuts. Depuis mes débuts, j'ai mis tout mon espoir en vous, sans réticence, sans restriction. »
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Lectures 40
Rédaction
10, rue Amélie, Paris-VII (1)

Paris, le 29 Juillet 1941

Cher Ami,

Ne croyez pas que je vous oublie mais j’ai eu de telles complications ces dernières semaines qu’il m’a été impossible de vous écrire. Heureusement, tout s’arrange en ce moment et je pense que d’ici quelques jours mes soucis seront dissipés.
    Je vous dois beaucoup d’argent et je m’excuse infiniment de ne pas l’avoir envoyé. Je pense que le dix août au plus tard j’aurai comblé l’arriéré. Mes accords sont signés (2) mais le versement des espèces est soumis à des formalités que je n’avais pas prévues (3). Je vous demande de prendre patience avec moi !
    Avez-vous songé à votre étude sur le personnel de l’université ? Si vous passiez par Paris cet été, nous pourrions mettre la question sur pied. Car elle est difficile, délicate. Mais bien présentée, d’un très vif intérêt.
    Encore quelques jours d’attente et je m’acquitte envers vous ! Bien affectueusement

Robert Denoël


1. L'adresse de la revue n'est pas celle de la maison d'édition, qui est 19 rue Amélie. L'éditeur annexera encore le n° 12 en novembre 1942, pour y installer les services de direction et de fabrication des Editions Denoël. Denoël occupera donc alors quatre locaux, rue Amélie : le 19 qui est l'adresse légale de la société et où ne subsistent que les services comptables, le 21 qui est le siège des Nouvelles Editions Françaises, le 12 où il travaille personnellement, le 10 qui abrite Lectures 40.
2. Le 22 juillet Denoël a cédé 360 parts de sa société, sur les 725 qu'il possède, à l'éditeur berlinois Wilhelm Andermann qui accorde aux Éditions Denoël un prêt de deux millions remboursables au 31 juillet 1946.
3. Le prêt et la cession de parts « interviendront dès que seront obtenues les autorisations de paiements, émanant des autorités compétentes », c’est-à-dire l’Office des changes. Ce dernier article du contrat, essentiel, est sans ambiguïté. Comment Denoël a-t-il pu le négliger ? Les ennuis avec le ministère des Finances ne font que commencer : ils dureront deux ans.

* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Louis-Ferdinand Céline

30 juillet 1941

Cher Ami,

Veuillez trouver, ci-inclus, un chèque de 9.000 frs, représentant le nouveau tirage de 2.100 exemplaires des « BEAUX DRAPS ».
    Veuillez agréer, Cher Ami, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

[Robert Denoël]

PS : Veuillez me retourner, par courrier, le « bon à tirer » ci-inclus.


* Repris de : P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991. Copie dactylographiée dans les archives des Editions Denoël.

 

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Lectures 40
Rédaction
10, rue Amélie, Paris-VII

Paris, le 4 août 1941

Mon Cher Ami,

Merci de votre gentille lettre et de votre confiance. Je retiens « L’Original » pour septembre ou octobre. Excellente nouvelle, ramassée, dramatique, du meilleur Rogissart. Je demande seulement à l’auteur de pouvoir l’appeler « La Fin du diable noir » ou un titre du même genre, plus attirant que celui proposé (1).
    « L’Envoûtement » est trop court pour Lectures. Et la fin déçoit. Il y a manque de proportion entre l’exposition excellente (et qui tient trois pages sur quatre et demie) et le dénouement escamoté. Je me demande si vous ne devriez pas y repenser. Je vous la renvoie.
    En hâte comme toujours mais fidèlement,

Robert Denoël


1. La nouvelle de Rogissart est parue sous le titre « La Fin du diable noir » dans le n° 7 de Lectures 40 (sorti de presse le 15 septembre), où elle occupe trois pleines pages, illustrées.
* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Jean Proal

Paris, le 14 août 1941

Mon Cher Ami,

Je viens de recevoir le manuscrit définitif : Les Arnaud.

Je partage entièrement votre idée : c'est un grand livre d'une magnifique venue, solide, vivant dans toutes ses parties, harmonieux et dont le tragique même est naturel.

Je crois comme vous au très grand succès, et je vais m'y employer dès la rentrée, avec toutes les ressources dont je puis disposer (1).

Je me réjouis d'avoir su vous faire attendre si longuement, puisque vous avez maintenant accompli votre dessein.

Tout ici me plaît, me touche. Nous sommes dans la grandeur d'un bout à l'autre du livre. Votre langue elle-même s'est dépouillée, affermie ; tout ce qui encombrait, l'emphase, l'enivrement des mots pour les mots, vous avez su y renoncer, et vous voilà maître d'un instrument parfaitement au point.

Je crois que le moment est venu, et que le livre s'imposera très profondément. Au point de vue de la diffusion, il va profiter, non seulement de l'atmosphère « Retour à la terre », mais du besoin de tous les Français de trouver dans la littérature comme dans la vie des exemples de force virile, de vrai et patient courage.

Ce livre-là doit plaire dans tous les milieux, les milieux catholiques comme les autres, puisque, par une chance inouïe, il est entièrement chaste.

Vous parlez de Maria Chapdelaine. L'exemple est bon. Quand les temps seront meilleurs, il est certain que le Canada lui aussi fera un succès de ce livre. Je crois qu'on n'aura pas de difficultés sérieuses à obtenir un prix littéraire (2) ; ce n'est qu'une question de date. Par conséquent, je donne tout de suite le livre à composer.

Est-il indispensable que je vous envoie les épreuves ? Votre manuscrit me paraît extrêmement correct. Je pourrais sans difficulté, faire revoir les épreuves ici par un professionnel.

Je pense même qu'il ne me serait pas impossible de vous obtenir un laissez-passer au mois d'octobre pour la signature du service de presse et les avantages publicitaires qui pourraient résulter pour vous d'un bref séjour à Paris.

Comme je vous le disais dans ma dernière lettre, je dirige actuellement un magazine littéraire qui marche fort bien, et qui pourrait être utile pour la diffusion (3). A ce propos, je voudrais bien que vous pensiez dès maintenant à faire faire des photographies de montagne des plus nettes et des plus expressives possibles, de façon à pouvoir illustrer une présentation du livre quand il sortira.

Si le hasard des vacances vous mettait en rapport avec un bon photographe, n'hésitez pas ; je voudrais aussi des photographies de vous dans le paysage. Ce sont là des petites choses, mais qui servent grandement.

Dans mes dossiers, j'ai retrouvé une nouvelle de vous : « Les Loups de Pierrefiche » (4). Si vous en aviez deux ou trois de la même veine, vous pourriez m'en faire parvenir, car on en publiera sans difficulté au moment de la sortie du livre.

Il faudrait également préparer un service de presse pour la zone libre, de façon à obtenir une plus grande diffusion en zone libre également.

Toutes mes difficultés financières vont être levées d'un jour à l'autre (5). Jamais je n'aurais eu de telles possibilités de mener à bien la tâche que j'ai entreprise.

Je vous remercie de me la faciliter en me donnant une oeuvre aussi forte, aussi pleine et aussi belle, et je vous prie de croire, cher Ami, à ma très grande joie.

Les Editions Denoël,

Robert Denoël


1. Denoël s'engage en effet personnellement dans la promotion du livre, ce dont témoigne un très beau dossier de presse. En novembre, l'éditeur présentera sur les ondes de Radio-Paris son candidat au prix Goncourt : Jean Proal pour Les Arnaud.
2. Jean Proal verra l'un de ses romans couronné par le prix Marcellin Cazes, le 19 mars 1943, mais pas pour Les Arnaud.
3. Lecture 40, que Denoël dirigera entre juin et novembre 1941. On y trouve en effet deux articles illustrés consacrés au livre et à son auteur en septembre et novembre 1941.
4. Denoël lui en avait accusé réception le 28 août 1934 et comptait la proposer à Candide ou à Gringoire.
5. Le 22 juillet Denoël a obtenu de l'éditeur allemand Wilhelm Andermann un prêt de deux millions de francs, qui doit encore être avalisé par l'Office des changes.
* Autographe : Archives départementales des Alpes-de-Haute-Provence à Digne, cote AD 318 7JO1.

 

À Luc Dietrich

Paris, sans date [cachet de la poste : 2/9/1941]

Mon cher Luc,

La princesse Murat (1) m’a téléphoné ce matin encore à votre sujet. Je vous confirme ma dernière carte. Je vous ai envoyé deux mille francs. Si vous voulez davantage, dites-le moi. J’attends votre manuscrit avec impatience. Je l’ai annoncé dans toute la presse (2) : il est attendu par la critique. La librairie marche on ne peut mieux. Il faut profiter de cette situation bénéfique et lancer votre roman sans tarder. Vous devez maintenant connaître le grand succès. On lit un peu en zone nono, on lit beaucoup ici. En zone nono j’ai vendu trois mille exemplaires du dernier Céline, j’en ai vendu trente mille ici. Je sais qu’on vous sollicite de publier votre roman là-bas (3). Ce serait une absurdité.
    J’attends d’un jour à l’autre le retour d’une personnalité qui m’a promis de s’occuper de votre laissez-passer. Celui de Barjavel est en route. Il va reprendre sa place d’un jour à l’autre. Et la maison va ronfler. C’est le moment d’en profiter après tant d’épreuves pénibles supportées ensemble.

Envoyez-moi votre manuscrit sans plus tarder. Vous arriverez à Paris pour corriger les épreuves. Tout est un peu plus long qu’autrefois. Si nous voulons paraître en octobre, il faut donner à composer sans tarder. J’espère que votre santé est meilleure. Votre correspondante m’a tenu au courant de votre maladie. Quand serez-vous à l’abri de la souffrance, mon cher Luc ? Je vous embrasse bien affectueusement


    Robert


1. Isabelle d'Orléans [1900-1983], princesse Murat, l'une des protectrices de Luc Dietrich.
2. Notamment dans Lectures 40 du 15 juillet, et dans Le Journal du 2 septembre.
3. Robert Laffont, à Marseille, aiguillonné par Lanza del Vasto, a probablement contacté l'écrivain.
* Autographe : collection famille Luc Dietrich.

À Luc Dietrich

Paris, le 17 septembre 1941

Mon Cher Luc,

Je vous envoie 2000 frs par mandat, comme vous me le demandez.
    Je suis certain que vous pourrez aisément placer des photographies à Paris et peut-être même en Allemagne.
    Je n’ai pas encore de nouvelles pour votre laissez-passer, mais j’espère bien y parvenir bientôt. Que de temps perdu ! 

Dites-moi dans quelles conditions sous aimeriez traiter pour votre manuscrit, je ferai le nécessaire aussitôt. Mais il faudrait le mettre à la composition sans tarder : deux mois sont maintenant nécessaires pour l’édition.
    Bien cordialement,


    Robert Denoël


* Autographe : collection famille Luc Dietrich.

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

Paris, le 17 Septembre 1941

Mon Cher Ami,

Quand vous recevrez cette carte, votre livre sera entièrement composé. Je fais corriger les épreuves par une spécialiste fort avisée. Par conséquent, je peux vous promettre un texte parfait. Mais je voudrais recevoir les photographies et nouvelles, dont je vous parlais dernièrement. En principe, le livre sortira vers le 25 octobre (1). J’en ai déjà fait parler pas mal dans la presse.

Bien cordialement,

Robert Denoël


1. Les Arnaud, annoncé dans plusieurs organes de presse dès le 1er septembre, sera mis en vente début novembre.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 19 Septembre 1941

Cher Ami,

Par même courrier, je vous envoie six exemplaires du numéro de Lectures 40 où a paru votre nouvelle.
    Je vous envoie, d’autre part, le prix de cette nouvelle : 800 frs + 300 frs pour l’article de folklore + 3.000 frs, à valoir sur notre arriéré. Soit, au total : 4.100 frs.
    Je m’excuse infiniment d’avoir tardé si longtemps à vous régler ces sommes, mais comme je vous le disais, j’ai passé un été très difficile, accablé de soucis et de travaux de tous genres.
    Je vais maintenant repartir dans d’autres conditions et nos rapports deviendront naturellement beaucoup plus aisés.

Bien cordialement à vous,

Robert Denoël

Et ne m’oubliez pas dans vos prières, je veux dire, au marché !


* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

À Jean Rogissart


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 26 Septembre 1941

Cher Ami,

Je vous envoie par même courrier un nouveau mandat de 2.000 francs, à valoir sur le compte de Mervale. Je vais voir avec la comptabilité où nous en sommes pour cet ouvrage, et je tâcherai de liquider ce compte avant la fin de l’année.
    D’autre part, je vous envoie 170 francs pour mon compte personnel, et je m’excuse d’avoir tardé le règlement de cette petite somme.
    Je signale à Hachette l’urgence d’un envoi de vos livres à Charleville. Mervale avait déjà été remis en vente dans les gares, et le résultat n’a pas été mauvais. Quant au Fer et la forêt, ce titre est épuisé dans nos magasins, mais selon une enquête que j’ai fait faire par mes représentants, il en reste encore çà et là dans les librairies. Je crois que nous en récupérerons en fin d’année quelques centaines d’exemplaires. Nous les recouvrirons, et nous procéderons sans doute à un nouveau tirage au printemps si d’ici là j’arrive, comme je l’espère, à résoudre toutes les difficultés pour le papier.
    Je comprends fort bien votre angoisse à l’idée de regagner Nouzonville (1). Je n’ai eu aucune nouvelle ces derniers temps des Ardennes. L’on me dit que la vie y est dure. En tous cas vous pouvez compter désormais sur moi pour vous aider de toutes les manières.
    Je pense comme vous, que votre passage à Parthenay n’aura pas été un dépaysement inutile ; pour un écrivain comme vous, une expérience de ce genre compte vraiment. Je suis certain que dans quelques années un livre solide nous apportera de curieux reflets de cet exil.
    Je vous remercie de ce que vous me dites au sujet du ravitailleur : mettez-moi en rapport avec lui dès que vous le pourrez, car l’hiver s’annonce difficile à Paris aussi (2).
    Faites-moi signe dès que vous serez rentré dans vos foyers, et de toute manière gardez avec moi des relations étroites. Nous ne pouvons qu’en bénéficier l’un et l’autre.
    Bien cordialement à vous,

Robert Denoël


1. Une directive ministérielle a enjoint aux membres de l'Education Nationale de rentrer dans leurs foyers, et Jean Rogissart doit impérativement libérer l'appartement qu'il occupe à Parthenay.
2. Rogissart est homme de principes et il a veillé, avant de quitter Parthenay, à ce que son pourvoyeur habituel reste attentif aux demandes de l'éditeur parisien.
* Autographe : Archives Départementales des Ardennes à Charleville-Mézières, cote 19 J 10.

 

[À Louis-Ferdinand Céline]

[Relevé récapitulatif des Nouvelles Editions Françaises établi par Auguste Picq à la fin du mois de septembre. Il n'a sans doute pas été envoyé à Céline sous cette forme, puisqu'il comporte aussi les factures de l'imprimeur Diéval, qui ne concernent pas l'auteur. C'est un relevé à usage interne, conservé dans les archives de l'éditeur, et reproduit dans P.-E. Robert. Céline & les Editions Denoël, 1991, p. 166].

Relevé des ventes des « Beaux Draps » à fin septembre 1941

 

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

Paris, le 6 Octobre 1941

Cher Ami,

Je viens de recevoir les photographies : elles sont excellentes et vont me donner sans doute les possibilités de faire passer un reportage illustré dans un magazine important d’ici. Si vous en avez d’autres, n’hésitez pas à m’en envoyer. Ces photos agrandies peuvent faire de très bons éléments de vitrines.
    D’autre part, je vais entrer très prochainement en rapport avec le Secrétariat de la Jeunesse, où je compte beaucoup pousser le livre. La composition est maintenant achevée et je pense donner le « bon à tirer » définitif sous huitaine. Nous serions donc en vente vers le 25 octobre. J’essaye de vous obtenir un laissez-passer, mais cela me paraît très difficile.
    J’espère que vous avez commencé à prendre des informations, au sujet du service de presse à faire de votre côté. Si vous pouviez entrer en rapport avec un rédacteur du Figaro, par exemple, cela pourrait être utile. On me dit que ce journal a une grosse influence. On me parle également beaucoup de Gringoire et de Candide. Bref ne négligez rien de ce qui peut aider à la diffusion.

Bien cordialement,

Robert Denoël


* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 8 Octobre 1941

Mon Cher Ami,

Je vous disais hier que j’avais bien reçu les photographies qui me paraissent excellentes. J’espère bien arriver à les faire passer dans un hebdomadaire illustré ou à m’en servir dans le magazine que je dirige (1). De toute façon, il y a là d’excellents éléments de vitrines, que je pourrai faire reproduire. J’attends le complément de photographies que vous m’avez promis par votre lettre. Voulez-vous y joindre une présentation du livre, comme si vous répondiez à un journaliste qui vous poserait les questions habituelles : Pourquoi avez-vous écrit ce livre ? - Avez-vous connu les personnages ? - Est-ce un livre d’imagination ? etc, etc. (2)
    Je pourrais faire passer cette interview ici, comme si vous l’aviez réellement donnée. Je m’occupe de votre laissez-passer, mais tout le monde me dit que c’est très difficile à obtenir.
    Je m’occupe actuellement de la diffusion de mes livres en Zone libre. Mon représentant va partir très prochainement pour un long séjour. Je vous envoie, par la Maison du Livre Français (3), 6 exemplaires de Tempête de printemps et de À hauteur d’homme..
    Je vous ai dit, déjà, je crois, que j’avais protesté auprès de la Maison Plon et que j’ai fait à cette maison une sommation par huissier de retirer le livre de la vente (4) et que je compte pousser les choses jusqu’à un procès en dommages et intérêts. Malheureusement, il faut compter un an ou deux avant que ce procès n’arrive à être jugé...
    Croyez, Mon Cher Ami, à mes sentiments bien cordiaux.

Robert Denoël


1. L'une d'elles a été utilisée dès le 15 novembre dans Lectures 40 et resservira dans Le Figaro du 10 janvier 1942.
2. C'est la formule retenue par Le Figaro du 10 janvier 1942.
3. Distributeur de livres pour la zone libre établi à Limoges et Lyon depuis décembre 1940. Les envois étaient fait à partir de la maison-mère, 3 rue Félibien à Paris VIe.
4. On trouve un écho de ce différend dans Lecture 40 du 1er septembre : Plon avait annoncé dans la presse la parution d'un roman dû à Pierre Pirard portant le titre : Tempête de printemps. Il y avait usurpation de titre mais l'éditeur de la rue Garancière passa outre la protestation de Denoël et le volume parut le 5 août 1941. Il fut même réédité à Liège chez Soledi en 1946 et publié en supplément du Petit Echo de la Mode en 1949. Le plus irritant pour Denoël est que cet auteur était belge, et peut-être même liégeois. Jean Proal, lui, n'attendait pas grand-chose de cette procédure : le 20 octobre il écrivait à son éditeur qu'il avait « bien fait de réagir contre Plon et le type qui m'a fauché mon titre. De plusieurs côtés on me conseillait de protester. Il ne faut pas se faire trop d'illusions sur le résultat, mais il convenait je crois de marquer le coup. »
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 6 Novembre 1941

Cher Ami,

J’ai remis à Hachette, à votre intention, 160 exemplaires de votre volume (1), qui doivent vous arriver incessamment. Je vous fais parvenir, d’autre part, par la même voie, quelques exemplaires de luxe, ainsi que l’exemplaire destiné au Maréchal Pétain, cet exemplaire sera dans un emballage spécial. J’y joindrai les étiquettes et les « prières d’insérer » que vous m’avez demandées.
    Ne perdez pas de temps et tâchez surtout de toucher les « Goncourt » en zone libre (2). Je m’occupe de ceux qui sont à Paris. Secouez aussi les organisations de la Jeunesse, qui me semblent pouvoir agir.
    Vous devriez vous abonner à un service de coupures pour les journaux de zone libre, de façon à garder une documentation, qu’il m’est impossible de me procurer ici.
    La presse semble fort bien disposée à votre égard. On m’a promis de plusieurs côtés des articles importants. Je tâcherai de vous en faire parvenir les doubles tous les quinze jours. Tenez-moi au courant de tout ce que l’on dit et de tout ce qui se passe autour du livre.
    J’ai remis à votre ami les exemplaires destinés au personnel directeur de l’Enregistrement.

Toutes mes amitiés,

Robert Denoël


1. Les Arnaud. Il s'agit des exemplaires destinés à la presse.
2. Quatre jurés Goncourt habitent depuis l'Armistice en zone non occupée : Denoël les énumère dans la lettre suivante.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[En-tête imprimé :]
Les Editions Denoël
19, Rue Amélie, Paris VIIe

Paris, le 10 Novembre 1941

Mon Cher Proal,

Nous avons envoyé les 6 ex. de Tempête de printemps et de À hauteur d’homme par un colis remis à la M.L.F. (1). Comme nous craignons que cet envoi ne vous soit point parvenu, nous en refaisons un autre aujourd’hui.
    Quant à ce qui concerne Les Arnaud, le service de presse vous a été expédié par les soins des Messageries Hachette. Vous avez dû recevoir un colis comportant 160 exemplaires ordinaires du service de presse.
    Quant aux exemplaires sur beaux papiers, soyez-en très économe : il n’y a plus de papier de luxe et c’est par miracle que j’ai pu tirer quelques exemplaires (2). Dans le colis que nous vous envoyons aujourd’hui, vous trouverez donc les exemplaires de luxe, y compris celui destiné au Maréchal Pétain.
    Le service de presse pour la Zone occupée a été fait depuis plusieurs jours déjà et nous commençons même à voir paraître les premiers articles. Je donne cette semaine une interview en votre nom à « Radio-Actualités » (3) et « Radio-Jeunesse » a été alertée également.
    Remuez-vous pour toucher les « Goncourt » de la Zone libre. Voici les adresses que nous avons (4) :
    M. Léo Larguier - 5, rue Lulli à Perpignan (P. Orientales)
    M. Francis Carco - Hôtel Plazza à Nice (A.M.)
    M. Jean Ajalbert - Hôtel Hermitage, Nice-Cimiez (A.M.)
    M. Roland Dorgelès - a.b.s. de Gringoire, rue Grignan à Marseille (B. du Rh.)
    Gardez soigneusement les articles qui vous parviendront, car nous avons de grosses difficultés à recevoir les coupures de Zone libre. Tout va bien pour le moment, je suis persuadé du succès. Bien cordialement à vous,

R. Denoël


1. La Maison du Livre Français [voir la lettre à Jean Proal du 8 octobre].
2. Le tirage de luxe du livre est limité à 35 exemplaires sur vélin d'Arches dont 10 hors commerce, parmi lesquels l'exemplaire destiné au maréchal Pétain.
3. Emission littéraire de quinze minutes sur le poste de Radio-Paris, au cours de laquelle Denoël a présenté, le 15 novembre, son candidat au prix Goncourt : Jean Proal avec Les Arnaud.
4. En marge : « Ces adresses sous toutes réserves ».
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

Paris, le 24 Novembre 1941

Cher Ami,

Je suis heureux que vous ayez reçu les premiers exemplaires. Je vous ai fait parvenir par Hachette, le 5 novembre, 160 nouveaux exemplaires, qui devraient être arrivés depuis longtemps.
    Votre livre a reçu déjà un fort bon accueil, mais surtout dans la presse de province. Nous comptons déjà une vingtaine d’articles. Je serais désolé que mon envoi ne vous parvienne pas. Faites-moi signe tout de suite. S’il est nécessaire, je vous ferai une nouvelle expédition.
    Bien cordialement,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

Paris, le 4/12/41

Cher Ami,

Je vous ai envoyé hier par Hachette 150 nouveaux exemplaires. La situation ici est bonne, le livre commence à bien se vendre. Je pense arriver rapidement à épuiser le premier tirage de 6.000 exemplaires.
    On vous cite d’une façon régulière parmi les candidats au Goncourt. Gonzague Truc a fait un très bon article dans La Gerbe. J’ai parlé moi-même à la Radio (1), où je vous donne comme mon candidat au Goncourt : interview de cinq minutes, j’ai pu exposer en long et en large l’intérêt du livre.
    Le Ministère de la Jeunesse a recommandé, sur ma demande, l’ouvrage à tous les chefs de centre. Je continue ma publicité dans tous les hebdomadaires. Ce gros effort aboutira certainement à un résultat.
    Pour les prix, je ne sais rien encore, les membres du Jury ne sont pas à Paris.

Bien affectueusement,

Robert Denoël


1. Voir sa lettre du 10 novembre.
* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

Paris, le 11 Décembre 1941

Cher Ami,

Je suis très heureux que vous ayez reçu les exemplaires de notre livre. Faites votre service de presse sans plus tarder.
    Si c’est le premier envoi, les exemplaires doivent être marqués S.P. au lieu du prix. Si c’est le second, le prix sera indiqué. Si vous recevez les deux colis, j’envisagerai une mise en vente par l’intermédiaire du dépositaire Hachette de Clermont-Ferrand. Mais ne faites rien sans nouvelles instructions de ma part. La vente ici est bonne. Les prix littéraires sont retardés sine die. Tout au moins, ce sont les renseignements que l’on donne aujourd’hui, mais tout peut changer encore demain.

Bien cordialement à vous,

R. Denoël


* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

Paris, le 16 Décembre 1941

Cher Ami,

Pour les 150 ex. à prix marqué, vous pourriez écrire à M. Fradet, directeur des Messageries Hachette à Clermont-Ferrand, en lui annonçant l’envoi des 150 volumes. Il les répartira à ses libraires qui en auront certainement besoin.
    La vente ici a donné de très bons résultats. Nous avons débité 6.000 exemplaires déjà et nous pensons à une réimpression prochaine.

La presse continue à être abondante, surtout en province. Dans l’ensemble, elle est très favorable.
    Je suis très content que Charensol soit emballé. On m’a dit que Maurice Noël était également très chaleureux. Peut-être aurez-vous une chance « Renaudot ». Le « Prix Goncourt » me paraît assez vaseux.

Bien cordialement à vous,

Robert Denoël


* Autographe : collection Mme Jean Proal.

À Jean Proal


[Carte-correspondance]

Paris, le 26 Décembre 1941

Cher Ami,

Nous avons passé au « travers » du Goncourt. Etant donné la manière dont ce prix a été donné (1), la chose était à prévoir. Quant au Renaudot, il n’en a pas été question cette année, à cause de moi. Les Renaudot prétendent en effet qu’il était impossible de décerner un prix à l’auteur d’une maison qui l’a remporté sept fois de suite (2).
    On me signale, d’autre part, qu’il va se décerner en Zone libre un prix « Sully », qui semble avoir été créé pour vous (3). Voudrez-vous faire le nécessaire pour l’envoi de services de presse ? Cela peut toujours servir.
    Dites-moi, d’autre part, ce que vous avez fait des 150 exemplaires que je vous ai demandé d’envoyer à Clermont-Ferrand. Si l’envoi a été fait, je régulariserai d’ici la question des factures.

La vente des Arnaud continue à être bonne. J’espère même pouvoir bientôt passer à une réimpression.

Bien cordialement à vous,

R. Denoël


1. Le 22 décembre, le prix Goncourt a été attribué à Henri Pourrat pour Vent de mars publié chez Gallimard.
2. Le même jour, le prix Renaudot a été décerné à Paul Mousset pour Quand le temps travaillait pour nous publié chez Grasset. Il est vrai que Denoël a remporté sept fois le prix, mais avec une interruption en 1934 et 1935.
3. Denoël commet involontairement un impair car le prix « Sully - Olivier de Serres », qui sera décerné pour la première fois en juillet 1942, est destiné « à stimuler la littérature ruraliste sous toutes ses formes et à récompenser les œuvres littéraires consacrées à la vie paysanne ». C'est une création du ministre de la l'Agriculture, Jacques Le Roy Ladurie, qui rejoint le programme de Révolution Nationale prôné par le gouvernement Pétain : le retour à la terre. Curieusement, ce prix littéraire existait encore après la Libération : le 1er novembre 1946, Proal écrivait à La Varende, à propos de Bagarres, publié par les Editions Denoël en mars 1946 : « Ces jours derniers, on m'a littéralement jeté dans les jambes le prix Olivier de Serres. J'ai, bien entendu, décliné l'honneur que l'on disait être prêt à me faire.» Jean Proal, qui détestait l'étiquette « écrivain régionaliste », se ravisa pourtant et finit par envoyer son livre aux membres du jury. A cette occasion, il rend hommage à son éditeur assassiné : « Depuis la disparition de Robert Denoël (pour moi une peine qui s'avive chaque jour au lieu de décroître), je suis plus que tout autre livré à mes seules ressources dans une maison qui se désintéresse de ses auteurs... »
* Autographe : collection Mme Jean Proal.