Robert Denoël, éditeur

Denoël dans la presse

1948

Cette année n'a été marquée que par deux événements majeurs : l'acquittement de la Société des Editions Denoël devant la Cour de Justice, le 30 avril, et la condamnation des Editions Domat-Montchrestien à restituer les parts de Robert Denoël dans sa société d'édition à sa veuve, le 24 décembre. Seul le premier a été évoqué dans la presse.

 

7 mai

 

Article non signé paru dans Aux Ecoutes, l'hebdomadaire dirigé par Paul Lévy :

« La succession Denoël »

Robert Denoël dirigeait, avant la guerre, une importante maison d’édition qui publiait alors de nombreux livres anti-nazis. Aussi dès l’occupation fut-elle réquisitionnée par les Allemands qui s’emparèrent de 45 % des actions et firent paraître successivement Les Décombres de Rebatet, Les Beaux Draps et Les Juifs en France de Céline [sic].

Arrêté à la Libération et sa maison mise sous séquestre, Robert Denoël bénéficia finalement d’un non-lieu justifié par la contrainte des occupants et surtout par les services rendus à Max Jacob, Aragon, Elsa Triolet, Paul Vialar, etc.

Denoël était en pourparlers pour la cession de ses parts majoritaires avec son amie Mme Loviton qui dirigeait une autre maison d’édition : la société Domat-Montchrestien, quand il fut assassiné le 2 décembre 1945, dans des conditions restées mystérieuses.

Mais il restait cependant à juger la responsabilité de sa société, dont les Domaines détiennent toujours les titres, estimés à 9 millions. C’est en la personne de son administrateur provisoire que la société comparaissait devant la Cour. Robert Denoël ayant bénéficié d’un non-lieu, sa société pouvait-elle être condamnée ? Telle était la question posée aux jurés.

Avec beaucoup d’embarras, le commissaire du Gouvernement conclut par l’affirmative, tout en faisant remarquer à la Cour que si cette société était déclarée dissoute et ses biens confisqués, c’était une perte sèche de 9 millions pour l’Etat et la ruine des auteurs ayant des contrats datant d’avant-guerre. D’autre part, il convenait de ne pas oublier que Denoël devait céder ses parts à la société de Mme Loviton et qu’on portait à celle-ci un préjudice grave. Le ministère public suggéra donc de ne prononcer qu’une amende, même importante, qui laisserait intact le patrimoine social.

Me Janin, pour la Société Domat-Montchrestien devenue propriétaire des parts sous séquestre, a conclu à l’acquittement pur et simple, lequel conserverait aux titres détenus par l’Etat toute leur valeur et aux tiers tous leurs droits.

Allant encore plus loin que le réquisitoire modéré du commissaire du Gouvernement, M. Fouquin, la Cour a fait droit aux conclusions de Me Joisson et estimé que Robert Denoël ayant bénéficié d’un non-lieu [photocopie défectueuse].

 

Article non signé extrait d'un journal non identifié. Postérieur à l'acquittement de la Société des Editions Denoël et antérieur au procès opposant Cécile Denoël et Jeanne Loviton devant le tribunal de Commerce, il a donc paru durant l'automne 1948 :

« Duel de femmes autour d’une maison d’édition »

Madame Denoël accuse sa rivale de l'avoir dépouillée. Le procès que Madame Robert Denoël, veuve de l'éditeur, intente à sa rivale, Madame Loviton, risque d'éclabousser la femme d'un des plus importants personnages de la IVe République.

Mme Denoël accuse Mme Loviton, dite Jean Voilier, de l'avoir dépouillée des biens de Robert Denoël, dont elle était la maîtresse. Parmi ces biens figurait la maison d'édition Denoël. Gérante des Editions Domat-Montchrestien, ancienne secrétaire de Me Maurice Garçon, Mme Loviton est une femme d'affaires expérimentée. Ses ennemis laissent entendre qu'elle a été, aussi, puissamment aidée par ses relations.

- C'est, disent-ils, à l'influence d'une amie dont le mari occupe encore des fonctions gouvernementales, que Mme Loviton doit, notamment, d'avoir obtenu la levée de l'administration provisoire dont était dotée la maison Denoël.

- Force est de constater, ajoutent-ils, que, depuis l'assassinat de Robert Denoël, tous les procès qu'a engendrés sa disparition se sont terminés en queue de poisson. A commencer par l'enquête sur le crime lui-même.

Le 2 décembre 1945, Denoël se rendait en voiture avec sa maîtresse, à la Gaîté-Montparnasse. Panne à l'angle du boulevard des Invalides et de la rue de Grenelle : un pneu crevé. Madame Loviton part à la recherche d'un taxi. A son retour, elle voit un rassemblement autour de la voiture : son amant vient d'être tué d'une balle de colt. Nul n'a vu le meurtrier : il n'a pas même fouillé sa victime.

L'assassinat a-t-il été commis par un fanatique ? Denoël a publié pendant la guerre les œuvres des plus célèbres collaborateurs, tels que Céline et Rebatet. Après une enquête que certains jugent assez peu poussée, l'affaire est classée.

A la surprise générale, le procès intenté devant la cour de justice contre les Editions Denoël est également classé, alors qu'on s'attendait à la confiscation. La société Denoël constituait tout l'actif - 20 millions de francs environ - de la succession de l'éditeur.

Il habitait, lors de sa mort, avec Mme Loviton. Madame Denoël, qui réclamait les meubles de son mari, a fait un procès et l'a perdu.

Restait la maison d'édition. Madame Loviton produisit un acte signé de son amant et lui cédant toutes ses parts dans l'affaire. Elle est aujourd'hui en possession légale de tous les biens de l' éditeur. Madame Denoël a déposé contre elle une plainte pour vol, abus de confiance, abus de blanc-seing, faux et usage de faux.

- L'acte de cession, déclare-t-elle, par la voix de son avocat Me Rozelaar, avait été signé sans date, par mon mari, bien avant sa mort, alors que, poursuivi devant la cour de justice, il craignait la confiscation de ses biens.

De l'héritage, il ne reste plus aujourd'hui à la veuve, qu'un nom assez lourd à porter.