Robert Denoël, éditeur

Denoël dans la presse

1939

 

Cette année et la suivante sont capitales pour qui veut comprendre le cheminement d'un éditeur dont le souci a toujours été de donner la parole à tous les intervenants dans une polémique : « un affamé de controverses et batailles sous son toit », comme l'appelait Louis-Ferdinand Céline, en mai 1939.

Robert Denoël aurait pu signer cette déclaration due à l'un des plus grands éditeurs du XIXe siècle, Auguste Poulet-Palassis [1825-1878] : « Sans me mêler en aucun façon aux querelles et animosités littéraires des écrivains qui veulent bien s’adresser à moi pour se faire éditer, j’imprime tout ce qu’ils peuvent penser les uns des autres, littérairement parlant, et je ne me fais conscience d’intervenir que lorsque la critique passe le livre pour prendre l’homme à partie. »

Depuis l'avènement du gouvernement de Front Populaire et durant la Guerre d'Espagne, Denoël avait publié des textes de tous bords : « Je continue à publier communistes et royalistes avec plaisir et sans aucune sorte de cynisme », écrivait-il à Irène Champigny, le 29 janvier 1937.

En 1938 et 1939 il avait édité deux pamphlets antisémites de Céline, mais aussi L'Espagne au cœur de Pablo Neruda ou les Souvenirs d'un militant socialiste d'Emile Vandervelde, et avait repris la distribution de la revue de gauche Europe.

Cet éclectisme allait prendre fin avec la déclaration de guerre et, disons-le, avec l'instauration de la censure. Toute l'activité éditoriale de l'éditeur, entre septembre 1939 et mai 1940, sera consacrée à des livres et revues à caractère patriotique, ce qui ne l'empêchera pas de subir quantité de tracasseries de la part de l'administration française car, depuis le 3 septembre 1939, le roi Léopold III a proclamé la neutralité de la Belgique : son courrier est détourné, sa carte de circulation lui est retirée. Dans une lettre écrite en mars 1940 à sa femme, Denoël a décrit l'inconfort de sa situation d'éditeur d'origine belge :

« Il parait que je suis soupçonné d'activités anti-nationales. C'est incroyable mais c'est comme ça. Depuis la guerre mon activité n'est pour ainsi dire que nationale. Notre Combat qui a l'approbation de toute la presse, de toute l'opinion, du Grand Quartier Général, du Ministère de l'Information, a dû, ou susciter des jalousies mal fondées car Notre Combat est loin d'être une afffaire brillante !, ou être soupçonné d'abriter on ne sait quelles machinations. [...] Je puis donc dire que mon activité de guerre est entièrement consacrée à servir la cause des alliés et de la France, à répandre les idées qui sont à la base de toute l'action gouvernementale. [...] Je me trouve donc dans la situation suivante : le Président du Conseil honore ma firme en y laissant publier par un de ses collaborateurs immédiats une étude sur sa carrière. Le Ministre des Colonies encourage ma revue en faisant distribuer des numéros aux troupes coloniales. Le G.Q.G. fait pareil pour les troupes métropolitaines. Le Ministre de l'Information souscrit des numéros de ma revue pour ses Centres de Documentation en France et à l'étranger. Et d'autre part, dans le même moment, un service indépendant de ces Ministères, me brime d'une manière extrêmement pénible, dérange toutes mes affaires, me vaut mille avanies de la part de mes correspondants, s'acharne contre ma vie privée en retardant tes lettres et contre la vie commerciale qui est entièrement bouleversée. Comment ne pas voir là une vengeance, une machination ? Si je suis suspect, que l'on m'interroge, que l'on m'accuse ! Mais pourquoi ces mesures vexatoires ? »

 

8 septembre

 

Une semaine après la déclaration de guerre, le quotidien L'Intransigeant reprend la publication de son « Courrier des lettres » et rend compte de l'activité des quelques éditeurs restés en place à Paris. Robert Denoël, citoyen d'un pays qui vient de proclamer sa neutralité, est l'un d'eux :

 

Chez Denoël, Robert Denoël reste à peu près seul dans sa maison ; il se consacrera surtout désormais à des publications d'actualité. Parmi les collaborateurs de la jeune maison déjà sous les drapeaux, citons le secrétaire général François Dallet, qui s'est engagé volontairement ; le chef de fabrication, René Barjavel ; les poètes André Breton, attaché depuis plusieurs semaines déjà à l'hôpital du Val-de-Grâce, Louis Aragon, adjudant du service de santé, Jacques Baïf, romancier et pilote à Port-Saïd, qui se prépare à rentrer, et nommons encore Jean Malaquais, l'auteur des « Javanais » ; Pierre-Jean Launay, récent prix Renaudot ; Albert Paraz, Roger Lannes, Jean Follain, Maurice Sachs, etc...

« Les Treize »

15 septembre

 

L'Intransigeant annonce les prochaines publications de l'éditeur, qui seront des brochures de combat : Notre Combat sera en effet la première revue patriotique à paraître durant la guerre. Le premier numéro paraît le 21 septembre. Les suivants ne sortiront pas dans l'ordre annoncé mais verront bien le jour : celui d'André Maurois le 6 octobre, celui de Paul Chack le 13 octobre, celui de Stephen Osusky le 27 octobre.

Parmi les maisons d'édition encore à Paris, il en est deux qui se préparent à lancer des collections de grande actualité : la maison Flammarion et la maison Denoël. Cette dernière, sous le titre : Notre Combat, va publier une collection hebdomadaire qui débutera par un tract de Louis Gillet ; il paraîtra à la fin de cette semaine et sera consacré aux responsabilités de l'Allemagne. Nous lirons ensuite un essai de M. Stefan Osusky sur la renaissance de la Tchéco-Slovaquie, puis des textes de MM. André Maurois, Paul Chack, etc.

« Les Treize »

 

29 septembre

 

L'Intransigeant annonce et commente le premier numéro de Notre Combat, sorti de presse quelques jours plus tôt. Il contient un texte de Louis Gillet [1876-1943], de l'Académie Française ; comme pour tous les numéros qui suivront, on trouve à la suite les éphémérides de la guerre, non signées mais qui sont dues, soit à Robert Denoël, soit à Robert Beckers ; un commentaire de la situation par André Fribourg ; et une chronique sur « les curiosités de l'époque » du journaliste Georges Rotvand, auteur de deux ouvrages parus chez Denoël en 1936 et 1939.

Si la guerre a fait disparaître un certain nombre de publications, déjà elle a donné naissance à un nouvel hebdomadaire. Nous avons annoncé la publication prochaine de Notre Combat. Le premier numéro vient de paraître sous la direction de M. Robert Denoël. La plus grande partie de cette brochure est occupée par un essai de M. Louis Gillet intitué Journal d'un crime (21-31 août 1939). Ce crime, on le pense, c'est la guerre actuelle et les manœuvres sournoises ou ouvertes qui préludèrent à sa déclaration.

Chaque numéro de Notre Combat contiendra un commentaire de la situation par M. André Fribourg, historien et homme politique, l'auteur de La Victoire des vaincus. On lira dans les prochains numéros des études de M. André Maurois  sur Les Ressources de l'empire anglais ; de M. Pierre Lyautey sur Les Ressources de l'empire français ; du général Weiss, de M. Edmond Vermeil, de M. Paul Chack, etc...

« Les Treize »

 

6 octobre

 

L'Intransigeant annonce le deuxième numéro de Notre Combat, paru le 29 septembre ; il est consacré aux bombardements aériens et rédigé par André Fribourg [1887-1948], professeur d'histoire qui a publié chez Denoël La Victoire des vaincus, l'année précédente.

Quant à la librairie Denoël, elle vient de donner le deuxième numéro de la collection Notre Combat ; il est intitulé La Menace aux civils et il a pour auteur M. André Fribourg, qui démontre que l'Allemagne a, beaucoup plus que la France, à craindre les bombardements aériens puisqu'elle possède 54 villes de plus de 100 000 habitants dont beaucoup dans l'ouest, alors que la France, pays plus agricole, n'a que 17 grandes villes.

« Les Treize »

 

9 octobre

 

Le Figaro signale la parution du troisième numéro de Notre Combat, sorti le 6, dont le texte principal est dû à André Maurois [1885-1967], et les suivants à André Beucler [1898-1985] et André Fribourg.

« L’Angleterre combattra jusqu’au dernier soldat français ». Tel est le slogan de la propagande hitlérienne. A ce mensonge grossier, André Maurois répond par une étude solide, basée sur une documentation rigoureuse. Forces navales, aériennes, terrestres, l’illustre écrivain analyse les formidables ressources de l’Empire britannique dans Notre Combat (n° 3), le premier périodique né de la guerre. (En vente partout. Envoi contre 2 F 50 en timbres-poste, 19, rue Amélie, Paris).


Le Masque de fer

 

13 octobre

 

Le n° 4 de Notre Combat contient en page 29 un texte non signé mais qui doit être dû à la plume de Robert Denoël : il fait le point sur la situation de l'édition et annonce la parution d'une brochure de Maurice Percheron, sans dire qu'il en est l'éditeur : le Gamelin de Percheron paraît en effet aux Editions Documentaires, qui n'ont pas d'existence légale.

 

19 octobre

 

L'Intransigeant remarque que la guerre n'a encore inspiré aucun ouvrage important mais rappelle que Notre Combat en est déjà à son 4ème numéro et annonce une nouvelle brochure sur le général Gamelin, qui vient de paraître aux Editions Documentaires. Curieusement, le journaliste ne relève pas que cette maison est, comme Notre Combat, domiciliée au 19, rue Amélie. Maurice Percheron [1891-1963] a inauguré, en octobre 1934, la première revue de Robert Denoël, Le Document, et publié chez lui Tour d'Asie, deux ans plus tard.

Une deuxième brochure, consacrée au cardinal Verdier, parut début 1940 puis la collection fut abandonnée sans avoir publié les trois brochures annoncées. En mars 1940 Denoël écrivait à sa femme que, « dans deux ou trois jours, Roger Giron, chef des services de la presse à la Présidence du Conseil, me remettra le texte d'une étude sur M. Paul Reynaud, étude approuvée par le Président, cela va sans dire - qui paraîtra dans la collection Les Grandes Figures d'Aujourd'hui », mais elle ne parut pas non plus.

 

Mais voici une nouvelle collection qui s'intitule Les grandes figures d'aujourd'hui et qui paraît aux Editions Documentaires. Cette collection nous promet des portraits de l'amiral Darlan, du général Vuillemin, de lord Gort, et elle s'ouvre par une étude de M. Maurice Percheron sur le général Gamelin.

M. Maurice Percheron n'est pas un inconnu pour nos lecteurs puisqu'ils ont lu de lui, il y a quelques années, un essai sur le Japon moderne. Celui qu'il consacre au généralissime des armées alliées est sobrement écrit et fortement documenté. Il nous apprend que le général Gamelin est un lettré, qu'il fut particulièrement brillant en classe de philosophie et qu'il fut lauréat du Concours général. Il parle aussi du séjour que le général Gamelin fit au Brésil, au lendemain de la guerre. Il rencontra là-bas un écrivain français qui racontera quelque jour ses souvenirs sur cette période mouvementée de son existence. Il s'agit de M. Blaise Cendrars.

« Les Treize »

 

25 octobre

 

L'Intransigeant présente le 5e numéro de Notre Combat, paru le 20. Le texte principal est dû à Edmond Vermeil [1878-1964], professeur à la Sorbonne qui, l'année précédente, a publié un ouvrage sur les doctrinaires de la révolution allemande chez Fernand Sorlot. A côté des rubriques habituelles la brochure contient la relation d'un voyage en Allemagne par André Beucler. Le chroniqueur de L'Intran ne l'a sans doute pas encore reçue lorsqu'il publie sa notule, ce qui explique l'erreur de titre, repris d'un numéro précédent.

Le 5e numéro de Notre Combat vient de paraître ; il est intitulé « Le Nazisme en guerre » [sic] et il a pour auteur un éminent professeur en Sorbonne, M. Edmond Vermeil. On lira dans les prochains numéros de cette publication des essais d'une actualité non moins brûlante. Georges Duhamel donnera une suite à sa Guerre blanche parue l'an dernier au Mercure de France ; Pierre Lyautey parlera de l'Empire français ; Marcelle Auclair, des femmes françaises ; le général Pierre Weiss, de l'aviation de combat ; Robert de Saint-Jean, de l'Amérique. Parmi les auteurs, citons encore : Blaise Cendrars, Pierre Mac Orlan, Francis Carco, Léon-Paul Fargue, etc.

« Les Treize »

 

19 novembre

 

L'Intransigeant présente le 9e numéro de Notre Combat, paru deux jours plus tôt, et consacré par le journaliste Georges Suarès [1890-1944] aux chefs nazis.

Le dernier numéro de Notre Combat, en date du 17 novembre, s'intitule « Les Chefs nazis » et il a pour auteur M. Georges Suarès, qui eût préféré sans doute continuer à étudier la vie d'Aristide Briand plutôt que celles d'Hitler, Goering, Ribbentrop et Hesse.

Dans un prochain numéro de Notre Combat on lira une étude sur « Hitler et l'Allemagne », dont l'auteur est M. René Gillouin, philosophe et conseiller municipal de Paris, qui a succédé à M. André Maurois au poste que celui-ci occupait au commissariat général de l'Information.

« Les Treize »

 

29 novembre

 

L'Intransigeant annonce le 10e numéro de Notre Combat paru le 24 novembre, et signé de Marcelle Auclair [1899-1983], l'épouse de Jean Prévost. Il contient aussi un curieux texte d'Emile Ripert [1882-1948] consacré aux débuts de Jean Giraudoux, dont on se demande ce qu'il fait là : c'est que Giraudoux occupait alors à l'Hôtel Continental le poste-clé de censeur de la presse parisienne.

Dans le numéro de Notre Combat consacré aux Françaises depuis la guerre, par Marcelle Auclair, on lit un court article du poète Emile Ripert, intitulé « Les débuts de Jean Giraudoux ». Il nous apprend que le premier essai littéraire de l'actuel directeur du Centre d'informations est intitulé Le Dernier rêve d'Edmond About. Signé J.-E. Manière, il a paru en 1904 dans le Journal de l'Association des Etudiants de l'Université d'Aix-Marseille. Voilà fixé un petit point d'histoire littéraire.

« Les Treize »

 

20 décembre

 

L'Intransigeant présente le 12e numéro de Notre Combat paru le 8 décembre et dû à Pierre Mac Orlan [1882-1970], avec des textes d'André Pierre, Jean Desbois et André Fribourg.

Le douzième numéro de Notre Combat était intitulé Le Français sous les armes [sic] et nul n'était mieux qualifié pour parler de la condition du soldat que Pierre Mac orlan. L'auteur des Poissons morts a, en effet, servi pendant quatre ans dans l'infanterie au cours de la dernière guerre et il rappelle dans Notre Combat que son frère a participé à plusieurs campagnes coloniales. Lui-même n'a jamais caché son goût pour l'armée, en particulier pour la Légion étrangère ; aussi cette étude est-elle une des plus originales qui ait paru dans cette collection.

« Les Treize »