Robert Denoël, éditeur

 

Textes et interviews

1923

 

Février

 

Compte rendu de l'ouvrage de Max Jacob [1876-1944] : Le Cabinet noir, publié en 1922 par la Librairie de France dans la « Bibliothèque des Marges ». Ce texte, signé J.C. [Jacques Cormier], a paru dans le n° 5 de Créer, janvier-février 1923, pp. 151-152.

Décidément Max Jacob se refuse aux attitudes : l'instantané seul peut fixer un aspect de son visage multiple. Nous le surprenons aujourd'hui historiographe et commentateur de quelques médiocrités bourgeoises. L'écueil était que l'écœurement du poète s'exprimât en phrases grandiloquentes. Max Jacob garde au coin des lèvres une raillerie qui le tient éloigné de cette sorte d'excès. Son livre suscite le rire, plus souvent le sourire et quand il nous attendrit c'est de si intelligente manière que nous n'avons aucun remords de notre émotion. Bénies soient les conversions ou les retraites qui facilitent l'éclosion de livres tels qu'on ne sait si l'on y doit goûter davantage le charme d'une prose classique dans sa simplicité ou les tours d'esprit d'un écrivain parmi les plus sensibles.

J.C.

 

Compte rendu du roman de Marmouset : Au Lion tranquille, publié en 1922 par la Librairie de France dans la « Bibliothèque des Marges ». Ce texte, signé J.C. [Jacques Cormier], a paru dans le n° 5 de Créer, p.152.

 

 

Marmouset raconte ingénument ses débuts dans la carrière qu'illustrent des jeunes gens paresseux et sans jalousie. Ces aventures ne sont pas bien perverses : les amateurs de « peintures audacieuses » n'y trouveront pas de quoi satisfaire leurs instincts. Mais l'auteur les conte avec une verve si franche, si dénuée d'art qu'elles font passer une heure agréble. Rien qu'une.

J.C.

 

Compte rendu de l'ouvrage d'Ernest Tisserand [pseudonyme de Magdeleine de La Charmeraye] : A l'Ancre, publié en 1922 par la Librairie de France dans la « Bibliothèque des Marges ». Ce texte, signé J.C. [Jacques Cormier], a paru dans le n° 5 de Créer, p.152.

 

 

Je ne sais qui reprochait à M. Lalou d'avoir omis le nom de M. Tisserand dans son « Manuel de littérature ». Ce reproche est-il fondé ? Après lecture de « A l'Ancre » je serais enclin à ranger M. Tisserand dans la catégorie « amateurs distingués ».

M. Tisserand n'est plus tout jeune. De son temps, semble-t-il, les filles étaient plus belles et les hommes plus ardents qui buvaient la mominette sans vergogne. M. Tisserand se souvient, compare et méprise... Les histoires qu'il nous conte, Maupassant eût pu les écrire mais certes avec moins de saveur. C'est que M. Tisserand vénère les vieux auteurs, qu'il aime Erasme autant que Rabelais. Parfois son goût de l'épithète rare et de la phrase consciencieuse le ramène aux jours héroïques du symbolisme. Ce manque de simplicité n'est pas toujours un défaut et il ne nous gêne guère dans la lecture de cette fantaisie, un chef-d'œuvre, que l'auteur intitule « Eloge de l'Absinthe ».

J.C.

 

Compte rendu du roman de Léon Lafage [1874-1953] : Les Abeilles mortes publié en 1921 chez Bernard Grasset. Ce texte, signé Jacques Cormier, a paru dans le n° 5 de Créer, p. 153.

 

Le héros de M. Lafage a bon pied, bon œil et d'admirables muscles. Son humeur est gaie, voire légèrement gaillarde. Malgré la qualité et la chaleur de son sang, les femelles mamelues ne l'émeuvent point mais plutôt les danseuses orientales qu'il regarde en mangeant des confitures de fleurs et surtout la cousine aux yeux bleus que lui fit découvrir la lecture de parchemins poudreux.

Après les femmes, ce que Monsieur d'Izarn aime le plus au monde, c'est la couleur. Le bonheur pour lui serait parfait de vivre dans une pièce garnie de paysages juxtaposés. Le jaune, le rouge, le bleu, enchantent son œil : il mésestimerait le repos que procure l'uniformité d'une tapisserie. L'aventure d'amour que ce gentilhomme nous conte, il oublie de la rajeunir. Les descriptions intéressantes mais mal situées l'alourdissent. M. d'Izarn fut nourri aux bonnes lettres. L'éloquence ne lui manque pas plus que le lyrisme. Aussi cette « turquerie » qui aurait pu être une agréable nouvelle, a-t-elle vu le jour sous la forme d'un roman ennuyeux et soigné.

Jacques Cormier

 

Compte rendu du livre de Roger Avermaete [1893-1988] : Quand les enfants se battent, farce satirique en un acte publiée à Anvers en 1922 par les Editions Lumière, illustrée de bois originaux par Henri Van Straten et tirée à 123 exemplaires numérotés. Texte signé Jacques Cormier paru dans le n° 5 de Créer, p. 155.

Crommelynck, Mazaud, Avermaete. Le plaisir eût été grand de rapprocher ces trois noms. Mais le moyen ?

M. Avermaete ne semble pas soupçonner combien est usagée cette allégorie des peuples en guerre. Ou plutôt si. Et pour que nous lui passions cette pauvreté, il nous a voulu charmer par une forme assurément inédite. Ainsi nous relevons :

P. 59 : Willy jette avec des quilles contre les boîtes de Will ; p. 21 : Ali en rouge avec une étoile et un croissant sur sa poitrine et sur son dos ; p. 72 : Will, je n'ai rien eu avec toi.

La brochure comprend 82 pages, des fautes d'orthographe, des bois de M. Van Straten et une préface de M. Henri Barbusse, où il est question d'une épilogue.

Et pourtant l'auteur doit être bien heureux. M. André Baillon ne l'a-t-il pas signalé récemment, dans un grand journal français, comme un des plus distingués parmi les représentants des Lettres Belges ?

Jacques Cormier

 

« Chronique des revues ». Article signé Jacques Cormier paru dans Créer, n° 5, février 1923, pp. 156-157.

Le Divan (déc.) Une étude de M. Martineau sur son ami M. Pierre Lièvre, critique aux Marges. Relevons : Qu'il s'agisse de critique et de jugements sur les auteurs d'aujourd'hui aussi bien que de ces essais ou nouvelles où il a semé parmi des situations osées des réflexions qui ont pu paraître anarchiques, ou encore de ces pages nombreuses qui envisagent les choses et les hommes avec un détachement de naturaliste, partout nous ne découvrons qu'un homme qui ne vise qu'à une parfaite sincérité. ¶ Le Bon Plaisir (déc.) M. Louis Estève n'a pas encore terminé son amusante glose des aberrations de l'amour romantique et déhà M. Fraischélan lui consacre une appendice rimée et réactionnaire :

Ah, lorsque deux êtres limpides,
Animés du rythme essentiel,
Se savourent, d'ivresses avides,
La Beauté renaît sous le ciel.

Les Marges (déc.) Marmouset reproche à M. Carco l'inexactitude de son argot. Si l'on voulait se montrer méchant on pourrait relever chez l'auteur d' « Au lion tranquille » l'une ou l'autre défaillance syntaxique (et l'on dirait « qu'il n'écrit vraiment pas le français comme quelqu'un dont c'est la langue natale ». ¶ La Terre Wallonne (déc.) Quelques souvenirs de M. Jean Valschaerts sur le poète belge Louis Boumal mort à la guerre. ¶ La Nervie (déc.) Signalons les poèmes de M. René Purnal, encore que leur actualité ne nous plaise guère. Quelle est aussi cette rage des jeunes poètes dont on ne peut ouvrir un recueil sans tomber sur les inévitables locomotives, dancings ou jazz-bands ? ¶ La Vie (déc.) Un discours sur la littérature française fait par M. Claudel aux universitaires japonais : « La littérature française n'existerait pas si elle n'était basée sur ce principe que l'esprit humain a autorité sur la matière et que cette terre est appropriée non seulement à l'exercice de notre sensibilité animale mais à l'ordre que notre intelligence a pour mission de retrouver. L'esprit qui se dégage de notre littérature est un esprit de joie et cette joie est la plus haute qu'un cœur humain puisse contenir, celle de l'homme qui s'aperçoit que le monde lui appartient parce que le monde a un sens ». ¶ Les Ecrits nouveaux (déc.) « Le Démon de la terre » de Frank Wedekind. ¶ Les Ecrits du Nord. - Un poème de circonstance signé Mélot du Dy où nous admirons également la souplesse de la technique et le sentiment exquis :


Nous connaissions le pouvoir
De nos âmes attentives -

Mais on allait au devoir

Par la petite routine ;

Nous connaissions le salut

Sans pardon ni procédure -

Est-ce alors qu'on nous reçut

Dans la classe des adultes ?

Nous connaissions cet esprit

De noblesse qui se donne -

Est-ce alors qu'on nous apprit

A cracher nos sucres d'orge ?

Lucifer (n° 2). Aucun satanisme dans cette revue, mais une obscurité profonde. Ce ne sont pas les « Lueurs » critiques que M. Marius Riolley jette sur les livres du jour qui nous permettront d'y voir plus clair. La Nouvelle Revue Française consacre son numéro de janvier à Marcel Proust. Images de Paris : Joseph Delteil, un extrait de « Sur le Fleuve Amour » et de M. Raoul Gain : « Céline ou la discrétion ».

Jacques Cormier