Robert Denoël, éditeur

 

Généalogie Herd

 

Jean Jour fut l’un des premiers à s'intéresser à cette famille pittoresque d’où était issue Cécile Brusson, native, comme lui, de l’île d’Outre-Meuse. Il lui a consacré quelques pages savoureuses dans son Robert Denoël, un destin publié en 2006, et il fit bien car son informateur, Lambert Grailet, historien de la famille et cousin de Cécile, s’est éteint le 19 mai 2009, et il semble que ses archives soient aujourd’hui perdues.

J’avais effectué jadis quelques recherches biographiques de ce côté, sans trop y insister, puisque les Brusson-Herd étaient à l’origine de la brouille de Robert Denoël avec sa famille, qui me dissuada d'en parler, mais j’avais tort : on n’efface pas son passé, et, réflexion faite, ces Herd étaient plus attrayants que la coterie denoélienne qui, durant soixante-dix ans, aura plombé le passé de l’éditeur, sans jamais honorer sa mémoire.

1.  Les Herd

La famille Herd est de souche prussienne. Nikolaus, le premier patriarche retrouvé par Lambert Grailet, était maître-sellier à Steinau, près de Francfort.

Son fils Johann, qui embrassa la même carrière, fit son service militaire comme tambour-major au 2e régiment d’Infanterie basé à Hanau, la ville natale des frères Grimm, située à 50 km de Steinau.

Il y rencontra une demoiselle Christina Schlingloff, qui donna naissance en 1825 à Christian Herd, et qu’il épousa en 1827. C'était donc un mariage réparateur. Le couple s'installa ensuite à Steinau, où Christiana mourut en 1830, et Johann en 1865.

On ne sait si c’est durant son service militaire que Christian rencontra Bertha Schleicher, native de Stolberg, une petite ville de Rhénanie située près d’Aix-la-Chapelle. Agée de vingt-cinq ans, cette fille de petits industriels se trouva enceinte de ses œuvres et dut quitter la maison familiale.

Elle trouva refuge en province de Liège, à Ramet, un village situé à moins de 100 km de chez elle, où elle accoucha, le 3 octobre 1843, d’une petite fille qui reçut le prénom de Wilhelmina.

Christian Herd, qui n’était pas majeur à la naissance de sa fille, n’émigra à son tour en Belgique qu’en 1849, et il s’installa à Seraing, où il trouva du travail dans les charbonnages comme mineur de fond. Un deuxième enfant adultérin naquit en 1850, avant que Christian épouse Bertha l’année suivante. Le couple eut deux autres enfants en 1852 et 1856. Christian mourut en 1863, et Bertha en 1882.

Ce premier enfant légitime né à Liège en 1852 s’appelait Guillaume. Peintre en bâtiments, il épousa en 1873 MadeleineTreffer, que tout le monde appelait Mina, née à Liège d'un père luxembourgeois et d'une mère allemande. Le couple eut huit enfants entre 1879 et 1892, dont deux garçons, et adopta encore deux petites filles en 1894. Selon Morys (« Cécile ou une vie toute simple »], les Herd en auraient adopté cinq autres avant 1879, mais Grailet ne les mentionne pas. Guillaume Herd mourut à la suite d’une chute dans un escalier en 1911, et Mina en 1936.

Parmi tous ces enfants dont le plus célèbre est Henri, né le 12 août 1884, qui devint champion de lutte sous le pseudonyme de Constant-le-Marin, il y a Elvire, née le 31 mai 1886. Ouvrière de fabrique dès 1900, revendeuse en 1906, puis lutteuse de foire en 1908, elle eut une liaison avec un garçon-boucher nommé Walthère Brusson qui l'engrossa à la fin de l'année 1905.

Le quatrième enfant Herd adultérin était une fille, qui naquit le 19 septembre 1906 et reçut le prénom de Cécile. La légende familiale, relayée par Albert Morys, veut qu'Elvire ait donné naissance à sa fille chez ses parents, 28 rue Porte-aux-Oies, et que son géniteur, qui habitait lui aussi la rive droite mais sans appartenir à la communauté d'Outre-Meuse, n'intervint jamais dans l'éducation de sa fille. Il devait être entendu que Cécile, comme sa mère, appartenait à la tribu outre-meusienne des Herd.

  

Cécile Brusson et Elvire Herd en 1910 et en 1950

Les inscriptions dans les registres de l'état-civil sont, dans leur sécheresse, impitoyables. Elvire Herd avait, dès le 31 janvier 1905, quitté sa famille pour s'établir au 32 rue Basse-Wez, à huit cents mètres du domicile de Walthère Brusson qui demeurait 162 rue Grétry.

A partir du 19 avril 1906 Elvire est domiciliée 23 rue Villette, où Walthère Brusson est inscrit dès le 9 juillet. Elvire et Walthère auront donc vécu ensemble jusqu'à la naissance de Cécile, qui eut lieu, en effet, 28 rue Porte-aux-Oies, au domicile des Herd. Walthère s'y fait domicilier le lendemain de la naissance de sa fille, et Elvire, quatre jours plus tard.

Walthère Brusson quitte le domicile des Herd le 1er octobre 1907, pour la rue Grétry, son quartier originel. A partir du 13 décembre 1907 et jusqu'au 20 novembre 1919, Elvire Herd et sa fille seront inscrites au 33 de la rue Entre-Deux-Ponts, c'est-à-dire à l'adresse du café populaire appartenant à Guillaume et Mina Herd.

Les registres de l'état-civil sont précieux mais n'enregistrent que ce qu'on leur déclare. Ils ont bien noté qu'Elvire Herd avait, le 5 août 1908, obtenu un passeport pour sa profession de lutteuse, et ils l'inscrivent à nouveau le 20 novembre 1919, « venant de Cape-Town ». Entre ces deux dates ont eu lieu bien des péripéties mais, pour l'état-civil, Elvire est restée domiciliée à Liège.

Ce n'est pas le cas pour Cécile, qu'on a inscrite ailleurs. Le 6 août 1913, et jusqu'au 2 décembre 1919, elle sera domiciliée à Herstal, 57 rue de Jupille. Cette adresse est celle de la famille Houbiers. Jean Houbiers, mécanicien né le 1er janvier 1876, a épousé Bertha, la fille aînée des Herd née le 17 février 1879, qui lui donnera cinq enfants dont Fernand, un jeune bourlingueur qu'on retrouvera sur le front de Galicie en 1917, avec Constant-le-Marin, et rue Amélie en 1945, chez les Denoël.

Ceci serait sans grande importance pour notre propos si Cécile n'avait été réinscrite à Liège en 1919, en même temps que sa mère, alors qu'elle était supposée « sud-africaine » jusqu'en 1923. Combien de temps Cécile Brusson aura-t-elle réellement passé au Cap, cela reste à établir.

Elvire Herd est morte le 31 juillet 1959 à Housse, un village situé à 10 km de Soumagne, où Walthère Brusson avait choisi de finir ses jours.

2.  Les Brusson

 

Cécile est donc née le 19 septembre 1906, des amours de Walthère Brusson et d’Elvire Herd. Trois jours plus tard c’est Brusson qui, s’en reconnaissant le père, déclare sa naissance à l’officier de l’état-civil liégeois.

Né le 4 avril 1886 rue de l’Usine à Liège, fils d’Alfred Brusson et Marie Thérèse Frankson, jusqu’à sa domiciliation forcée de 1906, Brusson a habité durant vingt ans le « quartier Grétry » situé sur la rive droite, mais qui n’est pas en Outre-Meuse : ce n’est donc pas un garçon de « Dju d’là », comme Elvire. En 1903 les registres de la population l’ont enregistré comme « garçon-boucher » puis comme « fripier ».

Dans son livre de souvenirs, Albert Morys le décrit ainsi : « Walthère Brusson, le géniteur, était ce que l'on peut appeler un beau mâle. Dix-neuf ans, la moustache conquérante comme il seyait à un don juan en ce début de siècle. Nous sommes en 1905. Très fier de sa carrure, de sa prestance et d'un je-ne-sais-quoi qui plaisait aux filles parmi lesquelles il faisait des ravages. Le beau Walthère avait le succès facile et ne se gênait pas pour en profiter. [...] Ce Walthère était d'une force herculéenne ; il faisait " le Christ sur deux doigts " : entre deux barres parallèlement placées, assez écartées pour que seules ses mains y puissent prendre appui lorsqu'il avait les bras en croix et fixées bien au-dessus du sol. Dans cette position inconfortable, il repliait l'un après l'autre chacun de ses doigts pour rester ainsi, bras en croix à deux mètres du sol appuyé seulement sur une phalange du médius de chaque main. »

Le 1er octobre 1907, un an à peine après la naissance de Cécile, Walthère Brusson est à nouveau enregistré 162 rue Grétry, chez ses parents. Est-ce que l’adresse des Herd était de complaisance, ou bien l’a-t-il quittée parce que la vie y était irrespirable, comme le laisse entendre Jean Jour ? Albert Morys pense plutôt que Brusson effectuait alors son service militaire.

Walthère Brusson quitte ensuite Liège pour Bruxelles durant deux ans, revient à Liège, avant de s’expatrier, en 1917, à Brentfort, dans le Middlesex, où il épouse, le 27 février, Marie Koymans, une demoiselle liégeoise expatriée née le 14 décembre 1894.

Le 18 octobre 1917 le nouveau couple Brusson est de retour à Liège. En 1919 l’état-civil l’inscrit comme marchand de meubles, rue Basse-Wez. Le 8 juillet 1921 il s’installe rue Souverain-Pont 46 : c’est là qu’il créera la salle de ventes « La Pommelette », bientôt renommée, qu’il dirigera jusqu’en 1957.

Le 11 août 1921, Marie Brusson-Koymans avait mis au monde une petite fille : Marie, qui est morte le 28 janvier 1934. Cécile Brusson, qui avait gardé de bons rapports avec son père, et qui a dû la connaître, ne l’a jamais évoquée.

Walthère Brusson prit apparemment sa retraite en 1957, vécut confortablement à Liège jusqu’en novembre 1962, avant de finir ses jours à Soumagne, où il mourut le 26 juin 1967. A ma connaissance, il n’a pas de descendants.

 

3. Les Ritchie-Fallon

 

Le 4 mars 1914 Elvire Herd épouse à Cape Town Walter Ritchie-Fallon, un ingénieur anglais né à Bristol le 8 novembre 1884. D’ascendance irlandaise par son père [Ritchie] et écossaise par sa mère [O’Fallon], Walter était alors un architecte très connu au Cap. Le 27 mars 1916, Elvire donna naissance à un garçon qui reçut le prénom de William et qu’on appella familièrement Billy.

Elvire rentra à Liège le 15 juin 1923 et ne revit jamais ce gentleman dont elle ne divorça effectivement que le 8 juin 1938, et qui mourut le 3 mars 1962. Billy vécut donc chez sa mère jusqu'en 1928, après quoi il rejoignit Cécile et Robert Denoël à Paris, quoique l'état-civil n'ait enregistré son installation rue de Buenos-Ayres que le 13 septembre 1940.

Billy fut mis en pension à Paris, où il entreprit ensuite des études de médecine, devint chirurgien, et épousa avant la guerre Jacqueline Causse. A la déclaration de guerre il passa en Angleterre et s'engagea dans la Royal Air Force. C'est la raison pour laquelle Denoël le fit domicilier chez lui en septembre 1940, mais non la seule car Billy était aussi, depuis 1937, le prête-nom de l'éditeur dans sa société « La Publicité Vivante », qui allait devenir en 1940 les Nouvelles Editions Françaises, et il importait qu'il fût domicilié en France.

On possède quelques témoignages sur Billy Fallon. Celui de Robert Beckers, qui m'écrivait en 1978 qu'il voyait quotidiennement « le demi-frère de Cécile, Billy, intelligent, jugeant son monde et sa sœur. » Le 22 décembre 1945 Champigny écrivait à Cécile Denoël : « Il était le fils spirituel de Robert, Billy, lui seul pourra t’aider à élever ton enfant. C’est un cœur capable d’amour. Il a une âme. Billy ne fera jamais rien de médiocre. »

Il fit pourtant, quelques jours après la mort de Denoël, une étrange démarche auprès de sa sœur. Jeanne Loviton, avec laquelle il avait noué des liens étroits, le chargea de récupérer un agenda resté dans une poche de l'éditeur assassiné, document qui allait constituer une pièce maîtresse au cours des procès entre sa veuve et sa maîtresse.

    

William dit Billy Ritchie-Fallon en 1936 et en 1945

Une lettre écrite en juillet 1950 par Cécile au président de la cour d'appel de Paris et qui concerne les témoins circonvenus par Jeanne Loviton, laisse entrevoir le rôle joué par Billy Fallon : « N’a-t-elle pas été jusqu’à produire certaines lettres qui lui furent adressées par mon propre frère, prouvant ainsi avec une impudeur dont je vous laisse juge, que peu de jours après l’assassinat de Robert Denoël, elle entretenait des relations disons, suivies, avec son beau-frère ? » Je dois ajouter qu'en 1980, alors que je lui rendais visite, Jeanne Loviton n'hésita pas à téléphoner à Billy à propos d'un événement dont la date lui échappait. Leurs relations étaient restées très cordiales.

Billy Fallon « repartit au Cap après la guerre. À trente-sept ans, il devint médecin dans l’île portugaise d’Acunha, où il pratiqua pendant trois ans, avant de s’installer aux Seychelles. Il passa le reste de sa vie à Londres où il mourut sans avoir repris contact avec sa famille liégeoise », écrit Jean Jour, qui tenait l'information de Lambert Grailet.

 

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