Robert Denoël, éditeur

 

Les Décombres 1942 - 2015

 

                                                                                                                          A Marc Laudelout

 

Le travail d'un éditeur consiste à transformer un manuscrit en un volume imprimé, à assurer sa diffusion et sa publicité, et à payer l'auteur de ses droits, après avoir prélevé son pourcentage sur les ventes avérées. Chez Robert Denoël c'est autre chose. Il lit seul les manuscrits, les corrige, et parfois en choisit le titre. Les exemples sont nombreux : Jean Proal, Luc Dietrich, Evelyne Pollet, et quelques autres, ont eu affaire à un censeur littéraire bienveillant que Céline qualifiait ainsi : « C’est sa manie de remanier les bouquins : une manie d’impuissant... Il n’est pas foutu d’écrire lui-même ! »

Céline a sans doute raison mais Denoël est bon critique et il considère les livres publiés par sa firme comme les siens. Il s'engage à leur sujet, même si les opinions des auteurs sont différentes des siennes. Seul le talent, la qualité, ont droit de cité rue Amélie. C'est pourquoi la presse de l'après-guerre l'a qualifié de caméléon.

Lucien Rebatet n'est pas un inconnu : en avril 1941 Denoël lui a édité un libelle : Les Tribus du cinéma et du théâtre, et il a pu vérifier son talent de polémiste. Ce n'est pourtant pas à lui que s'adresse l'auteur pour son pamphlet torrentiel.

Alain Laubreaux lui avait conseillé Gallimard : son comité de lecture préconisa des coupures (« la moitié du bouquin », écrit Rebatet) et un tirage de 5 000 exemplaires. Chez Bernard Grasset, où André Fraigneau et Henry Muller faisaient la pluie et le beau temps, on le félicite de son talent mais on renonce à le publier : « j'insultais trop d'amis du patron », écrit-il. En effet François Mauriac, l'un des piliers de la maison, y était franchement malmené.

A la fin du mois de mai 1942 Rebatet a fait le tour des maisons prestigieuses (« Je n'avais aucune chance chez les culs-bénits de Plon ») : « Le Belge Denoël ne disposait que de petites ressources, semblait même en assez mauvaise posture. Mais parmi bien des médiocrités, il avait publié Céline, l'excellente Histoire du cinéma de Maurice Bardèche et de Robert. C'était une enseigne avouable. Je trimbalai mon énorme manuscrit dans son échoppe plutôt minable, d'une petite rue près des Invalides. »

Denoël est, depuis 1938, un éditeur sans grands moyens, qui a perdu son bailleur de fonds deux ans plus tôt et qui cherche désespérément à remettre sa société à flot. Sa situation est connue dans le petit monde de l'édition. En juillet 1941 il a fait alliance avec un important éditeur allemand mais on ne le sait pas encore et son catalogue ne témoigne pas de cette subite bonne fortune.

« Quarante-huit heures plus tard, il me signait un contrat, me garantissait un tirage initial de vingt mille exemplaires, m'offrait vingt-cinq mille francs d'avance. » Denoël, comme Gallimard avant lui, sait qu'il tient un dangereux ouvrage à succès mais la prudence n'est pas son fort. Il s'engage, comme d'habitude, et ne demande aucune coupure, « sauf quelques lignes où je protestais contre la réannexion de l'Alsace et de la Moselle ». Il fait plus ; c'est lui qui suggère le titre du livre : « Mon manuscrit restait sans titre. Denoël, en relisant la dernière page, me proposa : Devant les Décombres. Je fis sauter la préposition. Et en route ! »

La phrase qui suggère à l'éditeur le titre du livre se trouve au bas de l'avant-dernière page du livre imprimé : « Nous ne sommes pourtant plus que devant des décombres. » Elle n'existe pas dans sa réédition, puisque ce chapitre a été supprimé par l'auteur.

Contrairement aux livres de Céline qui ont fait l'objet d'une campagne de presse importante, celui de Rebatet est simplement annoncé pour paraître en juillet, sans effets publicitaires. Révolution Nationale a annoncé dès le 10 mai « un pamphlet sur notre temps, amer comme du Céline ». Le Figaro écrit, le 23 juin : « M. Lucien Rebatet a écrit un livre de 600 pages : Décombres, qui paraîtra chez Denoël ».

Pourtant Denoël prépare bien son affaire : il sait que Les Décombres va relancer sa maison d'édition, comme Voyage au bout de la nuit, dix ans plus tôt, et il demande à l'auteur de signer un service de presse hors normes : « Vers le 15 juillet, j'avais en mains les premiers exemplaires des Décombres, parsemés de coquilles, sur un méchant papier journal, avec une couverture d'un bleu douteux. Denoël, encore plus sûr que moi de son coup, me contraignait à un service de presse gigantesque, des dédicaces à une flopée d'Allemands inconnus, de fonctionnaires français qui ne l'étaient guère moins, et aussi à Laval : " au Président Pierre Laval, pour qu'il nous tire des DÉCOMBRES ". Mais le rempart des bouquins, qui couvrait maintenant tout le local exigu de mon éditeur, était réconfortant à l'oeil. »

   

Le livre est sorti de presse le 16 juillet 1942, le jour même de la rafle du Vel' d'Hiv (qui n'a été évoquée dans la presse que bien plus tard), et mis en vente à  partir du 6 août :

Comoedia,  8 août 1942

Ereinté, l'auteur a quitté Paris pour Moras-en-Valloire. Il a corrigé trop rapidement les épreuves de son livre, qui est émaillé de multiples coquilles. René Barjavel, avec qui il a sympathisé, est chef de fabrication chez Denoël : c'est lui qui était responsable de la fabrication du livre mais c'est bien l'auteur qui se chargea de sa relecture sur épreuves.

Le tapuscrit des Décombres, qui comptait 900 pages A4 réunies en trois énormes cahiers brochés, n'aurait pas effrayé Denoël, correcteur hors pair, mais ce n'est pas lui qui se chargea des corrections d'un ouvrage qu'il avait reçu au début du mois de juin et qu'il lut entièrement en quarante-huit heures. D'autre part l'auteur voulait à tout prix voir son livre paraître avant les vacances, ce qu'il regretterait en novembre, après le débarquement allié en Afrique du Nord et l'occupation de la zone libre : « Quel diable m'avait induit à trimer comme un bœuf, mettre les bouchées doubles, turlupiner mon éditeur pour déballer mes Décombres au beau milieu de l'été, contre tout usage ».

Le manuscrit autographe des Décombres fut proposé aux enchères le 29 avril 1999 par la salle des ventes Piasa, rue Drouot, qui l'estimait 80 000 francs, et qui réalisa 12 196 euros, frais inclus. C'était, il est vrai, un manuscrit incomplet : il comportait 637 pages in-4 foliotées 1-387 et 900-1125. Il lui manquait donc deux importants chapitres mais incluait la sulfureuse « Petite méditation sur quelques grands thèmes ».

       Manuscrit autographe des Décombres

 

Cette version manuscrite, écrit Robert Belot, « diffère parfois significativement de l'état publié. Des noms connus sont biffés. Des pages sont passées à la trappe, notamment celles, torrides, où l'auteur déclare professer le plus absolu dégoût à l'égard des suppôts d'un régime défini comme le plus haïssable que la France ait connu. Des professions de foi trop crédules manquent, comme celle où l'Allemand est présenté comme un vainqueur audacieux qui va offrir à la France des perspectives de paix juste. Rayés les passages où Rebatet se voit à la tête d'un secrétariat d'Etat aux Affaires juives. Disparus également les passages plus lucides où l'auteur exprime ses regrets devant son impuissance à convaincre le microcosme parisien. »

En mai 2004 Jean-Jacques Pauvert dira à un journaliste du Magazine littéraire : « Il est vrai que le livre est terrifiant. La veuve de Rebatet m'avait fait passer une version des Décombres qui était encore pire ! »

Est-ce que Pauvert a eu en main le manuscrit des Décombres ? Les passages caviardés l'avaient-ils été à la demande de Robert Denoël ? ou par lui-même ? Seul l'examen de l'autographe permettra de le dire.

Dès le 25 juillet 1942 le comité de censure de Vichy stipule qu'il est « rigoureusement interdit de parler sous forme d'informations ou de commentaires » de ce « livre d'émeute », sans doute publié « avec la complicité de l'occupant ». Charles Maurras, qui y est durement étrillé, consacre deux articles féroces à cette « volumineuse saleté ».

A Paris, au contraire, la presse collaborationniste est enthousiaste : Alain Laubreaux, Philippe Henriot, Claude Jamet, Robert Brasillach, encensent le pamphlet. Curieusement c'est au sein de la rédaction de Je suis partout qu'on fait le plus de réserves.

Début août l'éditeur télégraphie à l'auteur : « Félicitations pour grand succès. Première édition épuisée en deux semaines. » Brasillach lui écrit que son livre est « un triomphe ». Rebatet dira plus tard : « J'avais exactement réalisé dans Les Décombres ce que je voulais. Mais je les avais écrits très facilement, ni plus ni moins en somme qu'un reportage très développé. C'était encore un travail de journaliste.»

        

Libelles parus en 1938, en avril et en octobre 1941

Rebatet est lucide. Trois brochures à caractère politique n'ont pas fait de lui un écrivain. Il les ignorera d'ailleurs plus tard, dans une « chronologie » destinée à la monographie que Pol Vandromme allait lui consacrer en 1968 : « Je n'avais éprouvé aucun besoin de débuter, comme presque tous mes amis, par un petit roman ou un essai. Je ne leur enviais pas ces livres trop minces. » Ses chroniques cinématographiques publiées dans L'Action Française et Je suis partout lui ont valu de l'audience à Paris, mais le grand public l'ignore.

Pourtant si, rétrospectivement, la puissance corrosive des Décombres est inférieure à celle de Bagatelles pour un massacre, le livre de Rebatet paraît à un moment où les écrits de Céline, qui datent d'avant la guerre, ont perdu de leur impact. Les Beaux draps a déçu, et le champ est libre pour de nouveaux pamphlétaires. Son gros et furieux ouvrage a battu tous les records de vente immédiate : vingt mille exemplaires ont été enlevés en quelques semaines, sans bouillons.

Le 31 août Rebatet écrit à son éditeur : « On me dit que, d’après vos services, il ne reste plus un exemplaire des Décombres rue Amélie. En somme, gros succès. A mon sens, ce n’est d’ailleurs qu’un début, mais il faut être capable de pousser le bouquin. Il faut absolument que nous fassions une seconde édition dans les plus brefs délais, sinon tous les beaux papelards dans la presse ne serviront à rien. [...] Vous n’êtes plus Denoël si vous n’arrivez pas à retirer rapidement. D’autant que ce sera le moment où vous commencerez à gagner de l’argent d’une façon intéressante, et moi aussi... Bon Dieu ! avec un départ pareil, nous devons arriver aux 50.000 ex. En tout cas, je compte désormais là-dessus. »

A ce moment, il s'avise que l'ouvrage contient décidément trop de coquilles : « Je vous joins une petite liste de corrections. Elle ne prétend pas, il s’en faut, à être complète. Le jeune Chauveau a relu, je crois, le bouquin en notant les coquilles. Il faudrait en tout cas que quelqu’un s’en charge avant le retirage. Je suis loin pour ma part d’avoir tout relu. »

On ne dispose pas de la liste des corrections à apporter au texte originel mais on sait, au moins, que le premier retirage est postérieur au 31 août 1942.

« Denoël », écrit-il encore, « avait obtenu du papier pour un nouveau tirage, mais dérisoire au regard des 250 000 commandes qui lui étaient parvenues. Ce détail me préoccupait assez peu. Les Allemands dirigeaient les attributions de papier. Ils ne laisseraient pas en panne le livre le plus fasciste qui eût jamais paru en France. »

L'autorisation accordée en juillet à l'Imprimerie parisienne P. Boll, rue des Bourdonnais, pour imprimer l'ouvrage portait le n° 10.442. Celle qu'on lui donne par la suite porte : « Autorisation de réimpression n° 14-828 », sans date (mais en septembre). On n'en connaît pas d'autre. Or, c'est bien au cours de la seule année 1942 que Denoël a fait réimprimer Les Décombres : est-il possible qu'à une époque où les attributions de papier étaient sévérement contingentées, il ait pu faire retirer 40 000 exemplaires du livre, avec ce seul numéro de réimpression ?

Fin septembre Rebatet regagne Neuilly : « je trouvai la loge de ma concierge submergée par le courrier de mes lecteurs, un millier de lettres ! Sur le tas, une dizaine d'injures au plus, et anonymes. Et pour ainsi dire pas une lettre de fous, alors que les déments sont les correspondants les plus assidus des journalistes. Dans toutes les autres, des félicitations, des louanges, des hyperboles à vous faire vaciller, des protestations magnifiques de solidarité. »

 

A la librairie « Rive Gauche »,  3 octobre 1942

« A l'occasion de la réimpression des Décombres », écrit Paris-Soir, l'auteur a accepté de signer son livre à la Librairie Rive Gauche, place de la Sorbonne, le 3 octobre : « je vis une file qui piétinait le trottoir par rangs de huit ou dix, jusqu'à la porte de la librairie, et que contenaient des gardiens de la paix. Il y avait là quinze cents personnes peut-être. Mon entrée à " Rive Gauche " souleva une ovation. Je signai des Décombres à la volée, fort épanoui, je ne le cache pas, durant plus de cinq heures [...] Vers huit heures et demie du soir, le stock monumental des Décombres fut épuisé. »

Le Petit Parisien,  4 novembre 1942

Le 4 novembre Le Petit Parisien assure que l'ouvrage continue de susciter la même passion : « Plus de vingt éditions consécutives n'ont pas apaisé la curiosité du public qui, littéralement, s'arrache les exemplaires des Décombres, le livre torrentueux de M. Lucien Rebatet, au fur et à mesure qu'ils arrivent chez les libraires. »

 

 

Albert Préjean, Noël Roquevert, Rebatet, Michel Simon (Ciné-Mondial,  6 novembre 1942)

Rebatet est devenu un écrivain à la mode et il est accueilli dans tous les milieux, notamment ceux du cinéma où l'on n'oublie pas que « François Vinneuil » étrille aussi les films mal ficelés dans Je suis partout, et que ses jugements sont redoutés.

Dans ses Mémoires d'un fasciste il écrit : « Denoël me trompait certainement sur le tirage des Décombres, qui dut atteindre 100 000 exemplaires, alors qu'il m'en régla 65 000. Sa canfouine ténébreuse de la rue Amélie s'était transformée en une suite de bureaux clairs, spacieux, élégants, meublés de neuf. Céline et moi, ses deux auteurs à succès, faisions les frais de ce luxe nouveau. »

C'est en novembre 1942 que Denoël a procédé à tous ces aménagements, en faisant transférer dans un ancien bureau de poste désaffecté situé au n° 12 de la rue Amélie les services de direction et de fabrication.

Albert Morys décrit ainsi les nouveaux locaux : « La vente et l’emballage occupaient une grande partie du rez-de-chaussée ; la majorité des bureaux étaient au premier, dont le bureau de Robert qui, enfin, était éclairé par une fenêtre, ce qui n’était pas le cas au 19 ». Les services comptables d'Auguste Picq étaient restés au n° 19, l'adresse du siège social, « pour des raisons purement administratives. En réalité, à la fin de la guerre, presque tout se passait au 12 où il n’y avait pratiquement pas de place perdue. »

On peut considérer que le succès des livres de Rebatet et de Céline a contribué au renouveau des Editions Denoël, mais sans perdre de vue que l'éditeur a bénéficié, dès juillet 1941, d'un prêt de deux millions de francs accordé par son nouvel associé allemand, Wilhelm Andermann.

En 1943 le livre de Rebatet reste dans toutes les mémoires et l'auteur donne en février une conférence au Théâtre des Ambassadeurs (« La France devant les décombres »), mais les ventes du livre ne sont plus évoquées, sauf dans la presse clandestine, où on promet à l'auteur autre chose qu'un procès équitable.

En janvier l'écrivain est interviewé à Radio-Paris dans une émission au titre éloquent : « L'écrivain de l'année : Lucien Rebatet ». C'est lui qui y prononce les vœux de la presse parisienne.

Entretemps la donne a changé : le 2 février 1943, l'armée allemande a capitulé à Stalingrad, et ce revirement militaire décisif signifie la fin d'une certaine collaboration.

On ne trouve plus trace des Décombres dans la presse, sauf pour signaler des enchères étourdissantes à l'hôtel des ventes : le 25 juin, un des 50 exemplaires de luxe sur papier d'Arches a été adjugé 2 700 F, ce qui est réjouissant pour le déposant, mais Je suis partout ajoute que des exemplaires ordinaires se négocient désormais sous le manteau à 500 francs, soit huit fois plus que leur prix en catalogue. Le 6 décembre 1943 un exemplaire ordinaire a réalisé à l'Hôtel Drouot 750 F, hors frais, soit plus de dix fois son prix d'émission.

Nous ne sommes pas en février 1945, lorsque Jean Galtier-Boissière écrivait que « sur les quais, les Céline se vendent maintenant 400 francs pièce et Les Décombres de Rebatet 1 500 francs », mais bien en pleine Occupation : le « best seller » de Rebatet est désormais vendu comme les livres coquins ou interdits, sous le comptoir.

En cour de justice Denoël déclara, le 13 juillet 1945, qu'en dépit de son succès il n'avait pas réimprimé l'ouvrage et qu'il s'était opposé « formellement » à ce qu’il soit traduit, même en Allemagne. Aurait-il trouvé preneur ? Bernhard Payr, chef de l'office allemand de littérature, jugeait ce brûlot intraduisible en raison de « ses excentricités et de ses descriptions trop crues ». On peut penser que c'est surtout la pénurie de papier qui a empêché Denoël de le réimprimer : Rebatet estimait que son éditeur avait eu en souffrance quelque 200 000 commandes.

Denoël avait pourtant trouvé le papier nécessaire pour rééditer L'Ecole des cadavres en octobre 1942, Les Beaux draps en décembre 1942 et octobre 1943, et Bagatelles pour un massacre en octobre 1943, mais c'était grâce à l'intervention de Karl Epting. Sans doute le directeur de l'Institut allemand n'éprouvait-il pas autant de sympathie pour l'auteur des Décombres.

Rebatet envisagea bien de quitter les Editions Denoël pour les Editions Théophraste-Renaudot qui lui proposaient une édition de luxe du livre, ou pour les Editions Pierre-Charron qui lui assuraient un tirage de 10 000 exemplaires, mais le contrat qu'il avait signé en juillet 1942 avec Denoël ne le lui permettait pas.

Les Décombres, le plus gros succès éditorial de l'Occupation, aura été un énorme pétard mouillé, qui s'est éteint moins d'un an après sa mise en vente, faute de retirages, ce que confirmait Rebatet lui-même : « Un livre sert à témoigner pour son auteur un peu plus longtemps qu'un papier de journal. Le fait est que le mien a disparu depuis tantôt six mois des vitrines des libraires. J'ai appris par des personnages remarquablement bien renseignés que j'avais retiré de la vente ce volume à la suite des cruels démentis que Stalingrad  et Tunis m'auraient infligés. Ces personnages si bien renseignés ignorent donc encore que la pâte à papier est devenue à peu près aussi rare en Europe que la sardine à l'huile, que l'édition française s'est vu allouer une infime partie du tonnage de papier que se réserve la bureaucratie, qu'enfin nous ne serions plus dans la France 1943 si un livre du général Doumerc, grand champion de l'alliance franco-stalinienne, ou d'un disciple juif de Bergson ne prenaient sournoisement le pas sur une réédition éventuelle des Décombres, cochonnerie qui, selon ces messieurs, n'a déjà été que trop diffusée. » [« L'Espérance est fasciste », Je suis partout, 10 septembre 1943].

Le pamphlétaire y reviendra encore, quelques mois plus tard : « L'histoire du Six Février est celle de deux crimes. Je m'en suis déjà expliqué à loisir dans Les Décombres. Si je le réécris ici, c'est avant tout parce qu'on ne peut plus trouver certains livres, le mien par exemple, dans les devantures, mais qu'on y trouve encore des journaux. » [« Les Crimes du 6 février 34 », Je suis partout, 4 février 1944].

Le 1er mars 1944 les services de la Propaganda-Abteilung ont fait figurer l'ouvrage dans leur « Gesamtliste des foerdernswerten Schrifttums » (qu'on peut traduire par : « Liste générale des ouvrages de littérature à promouvoir ») dans la catégorie  « Kritik und alten Frankreich » (« Critique contre la France »), mais c'est une liste à usage interne.

Le 16 août Rebatet et sa femme quittent leur domicile de Neuilly pour Baden-Baden, avant de trouver refuge à Sigmaringen. Incorrigible, le pamphlétaire y prononcera en novembre, à la « Deutsches Haus », un discours présenté en ces termes par le journal La France : « Le Comité des loisirs artistiques et littéraires convie tous les jeunes révolutionnaires de Sigmaringen à venir écouter leur ardent camarade Lucien Rebatet qui déblayera pour eux quelques " décombres " ». Ces fanfaronnades n'empêchent pas un Rebatet perpétuellement inquiet de se morfondre dans cette désolante ville allemande : Abel Bonnard le surnommait « l'écrasé sous ses décombres ».

A Paris Denoël a dû quitter sa maison d'édition et il vit désormais caché. Dans la presse où l'on désigne les éditeurs collaborateurs, on lui reproche invariablement les pamphlets de Céline et celui de Rebatet. La plupart de ses amis et auteurs se sont écartés de lui. Aragon et Elsa lui refusent leur aide : « on vous a supporté pendant la guerre... Vous ne pouvez pas savoir le calvaire que ce fut pour nous d’être publiés à côté de Céline et de Rebatet, dans la même maison qu’eux ».

Le 15 janvier 1945 l’Office professionnel du Livre, émanation du ministère de la Guerre, adresse aux libraires une première liste d’ouvrages à retirer de la vente et à retourner aux éditeurs : chez Denoël figurent les deux pamphlets de Rebatet. On les trouve désormais, comme naguère les auteurs anglo-américains, dans les boîtes à livres des quais de la Seine, à des prix prohibitifs. Leur auteur figure en bonne place sur toutes les listes noires publiées par le CNÉ.

Le 13 juillet Robert Denoël comparaît en cour de justice. Parmi la douzaine d'ouvrages qui lui sont reprochés, Les Décombres occupe une place à part : c'est le seul qui soit paru après l'association Denoël-Andermann (22 juillet 1941), et il pourrait donc constituer une lourde pièce à charge. L'éditeur assure que son associé allemand n'est jamais intervenu dans le choix de ses publications.

Il a pris seul la décision de l'éditer : « ce n’est pas la germanophilie ou l’antisémitisme de l’auteur qui m’a intéressé mais plutôt la variété des aperçus, notamment sur la vie des partis politiques français et plus particulièrement sur le maurrassisme ».

Trois mois plus tard Rebatet, arrêté le 8 mai à Feldkirch, est incarcéré à Fresnes. C'est le juge Alexis Zousmann, celui-là même qui a été chargé du dossier Céline, qui s'occupe du sien. L'écrivain pamphlétaire sera interrogé à quatre reprises : les 19, 27 et 31 octobre, et le 30 novembre. Denoël a été convoqué dans son bureau le 5 novembre et il confirme qu'il a publié Les Décombres pour ses qualités littéraires, mais sans beaucoup d'illusions sur son auteur, « hypersensible et peut-être à cause de cela, par moments, beaucoup trop violent, presque pathologiquement violent ».

Au début de l'année 1946 la Commission d'épuration entreprend de réunir les éléments d'un dossier en vue du procès de la Société des Editions Denoël, et charge la police de réclamer rue Amélie douze ouvrages incriminés, dont Les Décombres. Auguste Picq, le directeur commercial, répond qu'il en a transmis à la police les derniers exemplaires le 6 février 1945 ; il les avait d'ailleurs retirés de la vente le mois précédent, à la suite de la publication de la liste d'ouvrages interdits par l’Office professionnel du Livre, tout au moins ceux qui restaient disponibles car, dit-t-il, « bon nombre de ces ouvrages étaient épuisés avant la Libération. Les Décombres notamment étaient épuisés dès 1942. »

En réalité Picq y avait été forcé car la Police judiciaire ne lui avait pas rendu une visite de courtoisie, ce jour-là :

Rapport du commissaire de la Police judiciaire, A. Agreige,  22 février 1946

Le 18 novembre 1946 débute le procès des journalistes de Je suis partout, dont la moitié sont toujours en fuite. Si Claude Jeantet et Pierre-Antoine Cousteau restent impassibles, Rebatet, le visage pâle et ravagé de tics, paraît si tourmenté qu'un journaliste du Monde écrit qu'il lui est apparu « comme un décombre ».

Au cours de la dernière audience Rebatet renie publiquement son gros ouvrage : « J'avais écrit Les Décombres, j'en ai été prisonnier, je le déplore », déclare-t-il, avant d'ajouter : « Il y avait de tout dans ce livre, et principalement de la boue [...] Il y a des choses affreuses que je suis désespéré d'avoir écrites. » Il dit encore l'avoir écrit « par devoir, à contrecœur » alors qu'il avait en chantier un roman qu'il a dû délaisser pour lui. C'est un argument qui ne porte pas, son œuvre littéraire étant alors inexistante.

Pour son activité journalistique, le commissaire du Gouvernement déclare : « Faire des appels au meurtre, ce n'est pas exprimer une opinion lorsqu'on tire à 300 000 exemplaires et qu'on obéit à la censure allemande. » Rebatet renie à peu près tout ce qu'il a écrit : « Aucun doute que c'est sur cette question que je dois faire le plus profondément amende honorable. »

     Le Populaire du Centre,  21 novembre 1946

Son attitude déplaît, il apparaît comme un « déglonflé », contrairement à Cousteau qui assume posément tous ses engagements. La presse écrit : « Lui, au moins, ne se fait guère d'illusions et, perdu pour perdu, paraît ne rien regretter. »

L'avocat de Rebatet utilise une tactique un peu spécieuse pour défendre son pamphlet : « Ce livre que vous reprochez aujourd'hui à celui-ci comme une œuvre impie et sacrilège, eh bien ! il l'est ou il ne l'est pas, mais ce que je ne puis admettre, moi, et ce que je ne puis concevoir pour la liberté même de mon esprit, c'est que, suivant la personnalité de celui à qui on l'impute, il puisse l'être tout à la fois et ne pas l'être. Le classement pour l'un, le châtiment pour l'autre, quelle est la raison obscure de votre choix ? »

Robert Denoël avait, en effet, été acquitté le 13 juillet 1945 mais sa société restait poursuivie et aurait bien pu être dissoute dans un procès devant la Commission nationale interprofessionnelle d'épuration.

Le 23 novembre Cousteau et Rebatet sont condamnés à mort et leurs biens confisqués. Le cas de Lucien Rebatet était différent des autres puisqu'on lui reprochait à la fois les quelque 65 articles politiques qu'il a publiés durant la guerre, et Les Décombres.

La presse résistantialiste est sévère pour le pamphlétaire et pour son livre. François Mauriac estime qu'il est à l'image du personnage dont Forain disait : « Il se vomit lui-même, mais sur les autres » et ne lui accorde qu'une valeur documentaire : « Dans ce livre putride tient peut-être tout ce que la littérature a hérité de la collaboration. » (Le Figaro, 26 novembre).

Jean Paulhan rédige alors et fait circuler dans Paris une pétition en sa faveur. Elle sera signée par Jean Anouilh, Marcel Aymé, Georges Bernanos, Albert Camus, Francis Carco, Paul Claudel, Roland Dorgelès, Henri Jeanson, Pierre Mac Orlan, Roger Martin du Gard, les frères Tharaud - et François Mauriac.

Le 10 avril 1947 sa condamnation à mort sera commuée par le président Vincent Auriol en travaux forcés à perpétuité. Bénéficiant de la loi d'amnistie du 5 janvier 1951, il quitte définitivement la prison de Clairvaux le 16 juillet 1952.

Le 30 avril 1948 la Société des Editions Denoël appartenant désormais à Jeanne Loviton, qui bénéficie de puissants appuis politiques, est acquittée. Céline, dont le procès est annoncé et qui a reçu copie de ce jugement, en interprète aussitôt les attendus en sa faveur. Mais il y a l'épineux cas Rebatet, auteur Denoël condamné et emprisonné : « je peux considérer que Rebatet a été condamné non pour les " Décombres " mais pour " Je suis partout " », écrit-il à Pierre Monnier, le 20 décembre 1949.

Céline tient le raisonnement suivant, dont il ne déviera jamais : si la maison d'édition Denoël a été acquittée, tous ses auteurs doivent l'être aussi puisqu'aux termes de la loi, l'éditeur est co-responsable des textes qu'il publie. Il importe donc que Rebatet ait été condamné essentiellement pour ses activités de journaliste. Les attendus du jugement Denoël ne mentionnent pas les livres litigieux, et Céline ne connaît pas ceux du jugement Rebatet : il considère simplement qu'on a condamné davantage le journaliste que l'écrivain. Robert Belot, qui a probablement eu accès à ce dossier, écrit au contraire : « C'est d'abord l'auteur des Décombres que l'on condamne à mort ».

Quoiqu'il en soit l'histoire littéraire va bien dans ce sens : en publiant Les Décombres Rebatet a signé son arrêt de mort en librairie. On connaît les difficultés inouïes qu'il eut à faire éditer en 1952 son roman magnifique, Les deux Etendards. Sans Jean Paulhan il serait resté manuscrit. Sa carrière fut celle d'un « maudit » et il ne parvint à gagner modestement sa vie qu'en reprenant ses activités de journaliste à Rivarol, Valeurs actuelles ou Le Spectacle du monde. Son excellente Histoire de la musique parue en 1969 chez Laffont reste un ouvrage de référence qui fut régulièrement réédité jusqu'à nos jours. C'est à peu près tout ce qu'on retiendra de sa carrière météorique, fracassée dès son premier livre.

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Dans sa préface à la réédition des Décombres, en 1976, l'éditeur Jean-Jacques Pauvert [1926-2014] rappelle qu'en juillet 1940 Rebatet avait entrepris d'écrire ses « mémoires » dont la première partie fut publiée en 1942 chez Denoël sous le titre Les Décombres. Trente ans plus tard, écrit-il, l'écrivain continuait à dire « mes mémoires » : « C'est pourquoi, tout naturellement, lorsqu'à la fin de 1970 il décida de donner une suite aux Décombres, il l'intitula Les Mémoires d'un fasciste, titre sous lequel il semble avoir eu l'intention de publier ou de republier l'ensemble de ses souvenirs ».

Si Pauvert reste prudent quant aux intentions de Rebatet, c'est qu'à aucun moment il n'a pris contact avec lui. Ses informations sont de seconde main : il suit les indications de Véronique Popovici, la veuve de l'écrivain, avocate de formation, qui a pris l'initiative de lui proposer de rééditer l'ouvrage et sa suite.

Elle assure que son mari avait envisagé de rééditer Les Décombres dès 1955, en prévoyant un certain nombre de corrections : « J'ai eu sous les yeux la page manuscrite dans laquelle il écrivait quatorze ans plus tard : " Je bifferais aujourd'hui dans Les Décombres un bon millier d'adjectifs pour le style, et deux fois sur trois le mot juif " », écrit l'éditeur.

Il est vrai qu'au cours des années cinquante Rebatet paraît renouer avec la veine pamphlétaire ; dès son entrée à la chronique politique de l'heddomadaire Rivarol, en 1958, il se présente à ses nouveaux lecteurs comme l'auteur des Décombres, qu'il ne renie plus du tout : « Je ne saurais mieux m'exprimer sur ces choses que par une réédition du livre, avec une postface de 40 pages [...] Si cela ne dépendait que de moi, ce serait accompli depuis longtemps. »

Quand Lucien Rebatet s'est-il attelé au « toilettage » des Décombres ? Jean-Jacques Pauvert écrit : « D'après l'exemplaire retouché qui nous a été communiqué par Madame Rebatet, il avait non seulement procédé à ces différentes rectifications, mais encore coupé quelques passages trop violemment antisémites ou insultants pour certaines personnes qui, comme André Malraux, étaient intervenues après la publication des Deux Etendards pour demander sa libération anticipée.

Nous avons suivi le texte qui nous a été indiqué, supprimant ainsi au total un peu moins de huit pages sur les 536, car Rebatet a supprimé complètement les pages 537 à 664 qui, sous le titre Petite méditation sur quelques grands thèmes, forment en effet un appendice un peu hétérogène. »

Véronique Rebatet, décédée le 4 octobre 1988, avait choisi pour exécuteur testamentaire Pierre Darrigrand qui, avant de mourir, le 25 octobre 2001, fit de Nicolas d'Estienne d'Orves l'ayant droit de Rebatet. Ce n'est pas à lui que Darrigrand offrit l'exemplaire des Décombres « retouché » par Rebatet dont parle Pauvert, mais au journaliste Michel Marmin qui l'a remis dans le commerce, où je l'ai trouvé.

L'écrivain s'est servi d'un exemplaire du premier tirage à couverture « bleu délavé » qu'il a méthodiquement débroché pour y porter ses corrections. La couverture et le premier feuillet blanc ont été pollués par des annotations étrangères mais, à la page « du même auteur », c'est bien Rebatet qui a établi la liste des ouvrages qu'il a publiés jusqu'en 1969 :

        

Sa première intervention est en page 12, dans l'avant-propos, où il biffe sept lignes relatives à « Petite méditation sur quelques grands thèmes », le chapitre final qui occupe les pages 537 à 664 et qu'il a résolu de supprimer [absentes de l'édition Pauvert, p. 10] :

Aux pages 32-33 l'auteur supprime 17 lignes [absentes de l'édition Pauvert, p. 33] :

A la page 39 disparaît, à propos d'André Malraux, « sa figure de maniaque sexuel dévorée de tics » [p. 39 de l'édition Pauvert] :

A la page 40, « de monstrueuses familles de youtres » devient : « de joyeuses familles de juifs ». L'expression populaire allemande : « Maul zu ! Juden ! Maul zu ! » [qui signifie à peu près : « Fermez vos gueules, les juifs »] est supprimée [p. 40 de l'édition Pauvert] :

La page 47 est amputée de trois lignes [p. 48 de l'édition Pauvert] :

Page 48 Rebatet fait sauter cinq lignes relatives à Jacques Maritain, qualifié de « souilleur de la race » dans Je suis partout [p. 50 de l'édition Pauvert] :

A cette page 49 on pouvait s'attendre à ce que le polémiste tempère son texte quant à François Mauriac, qui a signé en 1947 la pétition Paulhan en vue de le faire libérer. Il n'en est rien. Rebatet corrige une seule lettre : « l'unique trame de sa prose » devient « l'unique drame de sa prose » [ p. 51 de l'édition Pauvert] :

La page 61, amputée de 6 lignes, concerne la ville de Vienne [p. 65 de l'édition Pauvert ] :

Page 62 l'auteur biffe un paragraphe consacré au ghetto viennois de Leopoldstadt où il a vu des « Hitlerjungen » barbouiller des façades juives [p. 65 de l'édition Pauvert] :

A la page 63, 16 lignes concernant le roi Carol II de Roumanie et les frères Tharaud sont cancellés [p. 66 de l'édition Pauvert] :

Page 68 Rebatet supprime six mots allemands : « Nieder mit den Juden ! Judas verrecke » qui signifient « A bas les juifs ! Judas est crevé » [p. 70 de l'édition Pauvert] :

Page 85 figure le mot youtre : ici comme partout ailleurs, Rebatet le remplace par juif [p. 89 de l'édition Pauvert] :

Page 91 deux mots sont cancellés [p. 96 de l'édition Pauvert] :

Page 94 le mots porcs est biffé [p. 100 de l'édition Pauvert] :

Les pages 106 à 110, qui sont les dernières du 5e chapitre [« Les vaincus de Munich »] ont été entièrement biffées. Dans le haut de la page 107 Rebatet a tracé 5 mots, cancellés ensuite, et indéchiffrables [p. 113 de l'édition Pauvert] :

Page 135 l'auteur raye sept mots compromettants [p. 143 de l'édition Pauvert] :

A la page 148 figurait une phrase insultante pour Henri Jeanson, qui a signé en 1946 la pétition en sa faveur : « Un misérable voyou de presse du nom d' Henri Jeanson ». Rebatet la supprime [p. 157 de l'édition Pauvert] :

Page 159 l'auteur supprime quatre phrases [p. 171 de l'édition Pauvert] :

Page 168 il biffe : « les ignobles confrères que trois ans plus tard aucun châtiment n'a encore frappés » [p. 182 de l'édition Pauvert] :

Page 170 il porte deux suppressions : l'une sur le tohu-bohu assez déshonorant de l'Hôtel Continental, l'autre sur Edouard Daladier, cet écœurant poivrot [pp. 184-185 de l'édition Pauvert] :

Page 174 l'épouvantable Reynaud est supprimé [p. 189 de l'édition Pauvert] :

Page 175 un adjectif concernant l'Angleterre passe à la trappe : « l'île orgueilleuse, solitaire, obtuse et mercantile » [p. 190 de l'édition Pauvert] :

Page 180 sept mots à propos de la foule parisienne sont rayés : « la foule citadine, animalement fidèle à ses habitudes, énorme troupeau inconscient de son grotesque, s'écoulait béatement » [p. 194 de l'édition Pauvert] :

Page 183, deux corrections ; l'une modifie une coquille : régime en régiment. L'autre masque le nom de Cazals, qui doit être l'artiste et chansonnier Frédéric-Auguste Cazals (1865-1941) [p. 197 de l'édition Pauvert : « notre confrère C... »]

Page 190 l'adjectif maudits Slaves est supprimé [p. 205 de l'édition Pauvert] :

Page 191 l'épithète bornés est supprimée [p. 207 de l'édition Pauvert qui, par exception, l'a maintenue] :

Page 226 quatre mots sont supprimés : « avec leurs nez crochus ou leurs panses épanouies » [p. 249 de l'édition Pauvert] :

Page 231 deux mots sont cancellés, qui concernent Henri Poulain, « Normand malicieux, réfractaire de bonne souche, bienheureusement relégué » [p. 256 de l'édition Pauvert] :

Page 233 une phrase est supprimée : « Il était impossible que nous ne l'employassions point à nous surarmer, nous surblinder » [p. 258 de l'édition Pauvert] :

Page 234 l'auteur supprime un mot pour éviter une redondance [p. 259 de l'édition Pauvert] :

Page 236 il porte deux corrections : haïr est remplacé par détester, détestable et redoutable est supprimé pour éviter une répétition [p. 262 de l'édition Pauvert] :

Page 237 la phrase concernant Henri de Kerillis : « On ne polémiquait pas avec un misérable énergumène, aussi venimeux, dangereux et vendu » devient : « On ne polémiquait pas avec un énergumène, aussi venimeux et dangereux [p. 263 de l'édition Pauvert] :

Page 252, un patronyme : Katchadourian, qui figurait déjà deux lignes plus haut, est supprimé ; la tournure fautive : « Qui c'est comment qu'il est fait » est corrigée [p. 279 de l'éditrion Pauvert] :

Page 281 un fragment de phrase est cancellé : « Mais il faudrait le dégager de la gangue, de l'animalité morne, de cette extravagante bicaillerie d'Arméniens » [p. 314 de l'édition Pauvert] :

Page 284 deux mots sont supprimés : « la hargne, la haine » [p. 317 de l'édition Pauvert] :

Page 285, pernod, qui est une marque, est remplacé par pastis, boisson alcoolisée à l'anis [p. 318 de l'édition Pauvert] :

Page 289 la phrase « l'allure un peu lourde, un peu lente, mais solide » est cancellée [p. 323 de l'édition Pauvert] :

Page 291 l'adjectif possible est remplacé par concevable [p. 325 de l'édition Pauvert] :

Page 292 une coquille : « il n'existe une raison valable » est corrigée [p. 326 de l'édition Pauvert] :

Page 293 trois corrections sont portées : millimètres et jumelées sont supprimés ; infâmes l'est pour cause de redondance [p. 327 de l'édition Pauvert, qui maintient les deux infâme, le signe de suppression n'ayant pas été formellement porté par l'auteur] :

Page 297 « Soldats » est remplacé par Alpins (Rebatet fait partie du 5e bataillon de chasseurs alpins) [p. 331 de l'édition Pauvert] :

Page 300, trois mots supprimés : « le misérable petit Reynaud » [p. 335 de l'édition Pauvert] :

Page 307, « trente jours » est remplacé par quatre semaines [p. 342 de l'édition Pauvert] :

Page 308, une phrase supprimée : « C'est bien là qu'est la force et l'esprit » [p. 344 de l'édition Pauvert] :

Page 327, l'adjectif « inestimables » est remplacé par précieux [p. 364 de l'édition Pauvert] :

Page 349, « ma femme » est remplacé par Véronique [p. 390 de l'édition Pauvert] :

Page 350, l'épithète vendu est cancellée [p. 390 de l'édition Pauvert] :

Page 355, « s'avérait » est remplacé par se révélait [p. 396 de l'édition Pauvert] :

Page 362 l'auteur supprime trois mots : « Le petit monstre ». Julien Benda n'avait pourtant pas signé la pétition en sa faveur [p. 403 de l'édition Pauvert] :

Page 363, l'adverbe « ignoblement » est supprimé [p. 403 de l'édition Pauvert] :

Page 368, « Le rat pesteux Reynaud » est remplacé par « Mais Reynaud » [p. 409 de l'édition Pauvert] :

Page 374, « l'abominable crapule » est modifié en « l'abominable Reynaud » [p. 416 de l'édition Pauvert] :

Page 379 « ces cochons de crétins » est remplacé par « ces crétins » [p. 422 de l'édition Pauvert] :

Page 385, « la charogne » est supprimé [p. 428 de l'édition Pauvert] :

Page 387 le mot youpins est, comme partout ailleurs, remplacé par juifs [p. 430 de l'édition Pauvert] :

Page 401 le nom de ce capitaine Lager qui, jusque-là était désigné par « L... » a été rétabli par erreur : l'auteur lui rend son anonymat [p. 447 de l'édition Pauvert] :

Page 408 un long fragment de phrase est cancellé : « entre les mains de l'ennemi à la haine inassouvissable, du parasite venimeux, du métèque au sang indiciblement souillé » [p. 456 de l'édition Pauvert : « de l'ennemi. »] :

Page 428 l'épithète « verdâtres » a été supprimée [p. 479 de l'édition Pauvert] :

Page 433, un long fragment de phrase concernant Henry Bernstein et sa femme est rayé : « côte à côte avec le Juif Bernstein et sa femelle, la fille Curie, devenus des personnages d'Etat » [p. 484 de l'édition Pauvert] :

Page 436 l'auteur a porté deux corrections : « l'éreintante et fétide promiscuité » est modifié en « la fétide promiscuité » ; « aussi fidèle qu'il se peut » devient « aussi fidèle que possible » [pp. 487-488 de l'édition Pauvert] :

Page 441 l'auteur a cancellé « enjuivés jusqu'à l'os » [p. 493 de l'édition Pauvert] :

Page 451 il a supprimé « qui souvent étaient eux-mêmes de plusieurs régiments » [p. 505 de l'édition Pauvert] :

Page 454 il a procédé à plusieurs modifications. Une phrase est supprimée : « Je n'éprouvais qu'un remords : celui de ne pas avoir eu l'audace de prêcher l'apostolat du revolver contre les ennemis de la France, de ne pas avoir eu le courage d'en donner moi-même l'exemple. » L'épithète « melliflu », qui s'adresse à l'archevêque de Bordeaux, est corrigé en « melliflue », sans doute parce que l'auteur considère que le mot acolyte, qui prend occasionnellement la forme du féminin, renvoie à « cette canaille d'Eglise » ; mais il aurait dû alors écrire : « cette acolyte melliflue ». En bas de page deux lignes sont supprimées : « Ah ! les fétides et venimeux cafards ! N'allait-on pas enfin leur intimer silence, le poing sous leurs gueules immondes ? » [p. 509 de l'édition Pauvert : « cet acolyte melliflue » ; « N'allait-on pas enfin leur intimer silence ? »] :

Page 455 un fragment de phrase est cancellé : « sa culotte par terre, tout son chose à l'air » [p. 509 de l'édition Pauvert] :

Page 464 l'auteur efface le mot « sentinelle » avant de le rétablir en marge [p. 520 de l'édition Pauvert] :

Page 465, deux phrases concernant le même soldat Worms sont supprimées. La première : « ergoteur presque malgré lui, ne pouvant toucher à une œuvre ou une idée qu'il n'y laissât une tache de pourriture, analyste intelligent, mais paraissant toujours fouiller quelque substance en décomposition ». La seconde : « Je lui ferais, je l'affirme, s'il était utile, couper la tête sans ciller. » [p. 521 de l'édition Pauvert] :

Page 479 le nom d'André Maurois, qui n'était pas signataire de la pétition, est biffé [p. 536 de l'édition Pauvert] :

Page 487 l'adverbe « fraternellement » est cancellé [p. 545 de l'édition Pauvert] :

Page 491 l'adjectif « youtrissime » est supprimé [p. 549 de l'édition Pauvert] :

Page 498 un paragraphe consacré au ministère de l'Intérieur d'Adrien Marquet et à l'expulsion de juifs hors de France est cancellé [p. 498 de l'édition Pauvert] :

Page 508 les mots « youtres » et « youpins » sont, comme partout ailleurs, remplacés par juifs [p. 569 de l'édition Pauvert] :

Page 520 les mots « fantoche impuissant » sont cancellés [p. 581 de l'édition Pauvert] :

Page 523  les adjectifs « chauve, gélatineux » sont supprimés [p. 585 de l'édition Pauvert] :

Page 525 « la femme Tabouis » est remplacé par Geneviève Tabouis [p. 587 de  l'édition Pauvert] :

Page 529 le mot « juif » est supprimé deux fois [p. 592 de l'édition Pauvert ; par exception la seconde suppression a été ignorée : « avec ce mauvais juif Bernstein »] :

Page 531 « le voyou » est cancellé [p. 593 de l'édition Pauvert : « l'anarchiste »] :

Page 532 l'épithète « épaisse » est cancellée [p. 595 de l'édition Pauvert] :

Page 535 le mot « youtre » est cancellé [p. 598 de l'édition Pauvert] :

Page 536 l'auteur a procédé à un montage en prélevant dans un autre exemplaire le bas de la page 664 qui comporte le mot « fin » et les dates de rédaction pour le fixer au-dessous du texte et en y accolant le feuillet « Table des matières ». La date de fin de rédaction « Mai 1942 » est corrigée en mars 1942.

Ce montage indique que Rebatet avait bien l'intention de terminer à cet endroit le texte du livre à rééditer, pourtant l'examen des pages 539-664, qui contiennent sa « Petite méditation sur quelques grands thèmes », montre qu'il a poursuivi sa relecture jusqu'à la fin, en procédant à une dizaine de corrections. La plus importante se trouve à la page 565, qui débute le chapitre « Le ghetto », où, en marge d'un paragraphe, il a noté « ils ont sauté » :

Les dernières corrections sont à la table des matières : l'auteur y a ajouté deux surtitres qui manquaient dans l'édition originale, et que celle de Pauvert a rétablis. L'ultime chapitre y est bien supprimé :

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1976

 

C'est donc après 1969 que Rebatet a entrepris de corriger le texte de son livre. Il supprime des chapitres, des pages, des paragraphes, des mots, mais n'y ajoute rien. Il substitue des mots à d'autres, corrige les coquilles (je n'ai pas reproduit ces interventions, qui sont au nombre d'une centaine), et réorganise la table des matières, bâclée dans l'édition originale. Peut-être, si un infarctus ne l'avait emporté, le 24 août 1972, y aurait-il ajouté une postface, ainsi qu'il l'envisageait en 1958.

La nouvelle édition des Décombres respecte scrupuleusement toutes les corrections que l'auteur a apportées à son texte, sauf deux, sans conséquence (voir plus haut, pp. 191 et 529).

Tirée sur les presses de l'Imprimerie Hérissey à Evreux, elle parut en juin 1976 aux Editions Jean-Jacques Pauvert. Dans un billet publié le 18 décembre 2009 sur son blog de Libération, Raphaël Sorin écrit : « il eut l'imprudence d'en caviarder des passages sans avertir ses lecteurs. A cours d'une émission de radio, en direct, je lui en fis la remarque. Il dut imprimer un papillon pour signaler cette censure stupide (faite à la demande de l'auteur ?) ». L'attaque de Sorin était injuste puisque Pauvert avait annoncé cette autocensure dans sa préface, mais il fit en effet coller un « papillon » d'avertissement au verso du feuillet de titre, qui ne concerne d'ailleurs pas le texte caviardé.

En mai 2004 l'éditeur déclara à un journaliste du Magazine Littéraire qu'il en avait vendu vingt mille exemplaires, « ce qui est un chiffre honnête ».

    

 

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2015

 

 

Cette nouvelle édition publiée par Robert Laffont dans sa collection « Bouquins » a été imprimée sur papier bible en septembre 2015 par Normandie Roto Impression à Lonrai. Elle a été mise en vente le 8 octobre 2015. Le soir même L'Express annonce que les 5 000 exemplaires du premier tirage ont été vendus et qu'une réimpression de 3 000 exemplaires est annoncée par l'éditeur. La fureur d'écrire de Lucien Rebatet ne paraît pas avoir subi d'éclipse.

Son texte a été solidement encadré par un appareil critique sans faille. Pour qui connaît le texte initial, c'est dans l'inédit qu'il faut chercher la pépite, et on la trouve dans « L'inédit de Clairvaux » qui est la vraie suite des Décombres, où le talent polémique de l'auteur n'a pas disparu, bien qu'il écrive alors dans des conditions difficiles.

Certes Rebatet est emprisonné, le ton s'est apaisé, mais sa mémoire est intacte : le tableau de la collaboration parisienne vécue de l'intérieur qu'il nous offre n'a pas d'équivalent.

 

*

 

Les Décombres depuis 1942 jusqu'à nos jours

 

Si la mort violente de Robert Denoël reste une énigme, l'écran de fumée dont on s'est longtemps servi dans la presse pour la qualifier d'assassinat politique porte un nom : Les Décombres. Ce livre incendiaire a disqualifié définitivement l'éditeur aux yeux de ses contemporains, bien plus que les pamphlets de Céline qui avaient paru avant la guerre. Pourtant il n'est pas resté bien longtemps dans les librairies : six ou sept mois à peine, mais son écho fut immense, et il dure encore.

Voilà un ouvrage de 670 pages qui est mis en vente au début du mois d'août 1942, dont les 20 000 premiers exemplaires se sont vendus en quelques semaines, et dont toute la presse parle avec étonnement et admiration car l'auteur est inconnu du public lettré. Quelle presse ? La seule permise : celle de la collaboration.

Son prix de vente, 65 F, n'a pas découragé les acheteurs, qui trouvent en librairie Bagatelles pour un massacre à 39 F, ou les Mémoires d'Alexandre Dumas (572 et 502 p.) à 80 F. Le beau roman de Luc Dietrich, L'Apprentissage de la ville (380 pages), sorti de presse en février, coûte 40 F. Denoël est sûr de son fait et impose le livre au prix fort.

Dans l'ombre, la presse clandestine a bien suivi tout ce charivari politico-littéraire qui durera six mois, car l'auteur du livre fait aussi partie des journalistes politiques qu'elle a dans sa ligne de mire : c'est celui-là même qui consacrait, dans Je suis partout, un numéro spécial aux juifs [15 avril 1938], puis aux juifs et la France [17 février 1939], ou des articles virulents à « Marseille la juive » [30 août 1941], et qui regrettait que l'étoile juive ne soit pas imposée par une loi française [6 juin 1942].

On lui promet de l'abattre comme un chien [Libération, 2 mars 1943], et on ne perd pas de vue son éditeur : « Alors que la France se reprenait à espérer, M. Denoël lui jetait au visage un amas d'immondices et de mensonges : Les Décombres, de Rebatet » [Combat, 15 octobre 1943].

Rétrospectivement on a associé la carrière de Denoël à celle de Céline, mais on a oublié l'immédiateté de l'édition : en 1945, à l'heure des règlements de comptes, c'est le livre de Rebatet, paru trois ans plus tôt, et que tout le monde a encore à l'esprit, qui lui colle aux basques, et à propos duquel un juge d'instruction lui demande de se justifier, le 5 novembre 1945. A ce moment-là, ses auteurs à succès sont tous en fuite : il reste seul dans l'arène.

Au lendemain de sa mort, tous les journaux mentionnent ce livre compromettant. Un article de Week-End en offre une bonne illustration : « L’éditeur Denoël, ce Belge parisianisé qui, durant l’Occupation, avait publié les petites ordures de Monsieur Céline et les pas plus ragoûtants Décombres de Rebatet, est mort assassiné » [23 décembre 1945].

Denoël, à son tour, n'est plus qu'un « décombre ». Dominique Rolin, sa maîtresse entre 1942 et 1945, lui a d'ailleurs tressé une couronne inoubliable dans Le Jardin d'agrément (Gallimard, 1994). Au cours d'un dialogue imaginaire avec son amant qu'on vient d'enfouir au cimetière Montparnasse, elle lui déclare : « Toi qui m'as sauvée, tu n'es plus qu'un déchet planté dans ton trou, tu le sais, n'est-ce pas ? »

Cette égérie éphémère, qui fit de ses amants successifs des personnages de roman, n'aura accordé à l'éditeur qui l'avait découverte et lancée dans la littérature française, que la silhouette fugace de « l'homme de Paris », celui qui l'avait engrossée et abandonnée pour une maîtresse plus riche, avant de finir brutalement, comme « un déchet planté dans son trou ». Voilà une expression violente qui ne se trouve pas là par hasard, quand on sait que Dominique Rolin se fit avorter à Bruxelles, sur le conseil de son amant resté à Paris.

Ce mort encombrant, qu'on a fini par verser à la fosse commune, ne cesse de hanter, depuis soixante ans, la scène littéraire. Il incarne toujours, comme Lucien Rebatet, un passé ostracisé, une sorte de miroir douteux où personne ne veut se mirer : celui de la collaboration intellectuelle.

J'ai choisi de proposer chronologiquement ci-après les réactions de tous bords à ce livre hors normes, qu'elles se trouvassent dans la presse, dans les livres, ou dans les correspondances privées et publiques. Le danger, avec Rebatet, est de confondre le journaliste et l'écrivain, ce que certains font sciemment.

Lui-même ne trace pas de frontière précise quand il accorde, le 18 mars 1965, une interview à Jacques-Laurent Bost pour France-Observateur au cours de laquelle il déclare : « Oui, dans mon domaine, j'ai été partiellement responsable d'Auschwitz, mais je ferai mon mea culpa quand les autres [les communistes] feront le leur ». Met-il en cause ses articles de presse antisémites, son pamphlet qui l'est aussi, ou les deux ?

*

Les articles précédés d'un astérisque bleu sont consultables entièrement sur ce site (cliquez sur l'astérisque)

 

Robert Brasillach, trois mois avant sa parution, consacre un article au livre qui ne porte pas encore de titre et qu'il vient de lire sur manuscrit : « Je suis plongé depuis plusieurs jours dans une épopée grandiose, un océan d'un millier de pages violentes, démesurées et même déraisonnables, une somme des jours de l'avant-guerre et de la guerre, de nos fautes et de nos espoirs - je veux dire le manuscrit du prochain livre de Lucien Rebatet, qui brillera comme un sombre soleil sur ces prochains mois. J'ai peine, je l'avoue, à m'en arracher, autant de peine que nous avions, aux belles années du Front populaire, quand nous nous arrachions Bagatelles pour un massacre. Nous sommes là, dans ce petit cagibi de l'imprimerie, et, par bonheur, le manuscrit de cet ouvrage mammouth est broché en trois énormes tomes, que nous nous volons mutuellement pour nous lire à haute voix des pages entières. Quelle langue étonnante et magistrale ! Quelle verve ! Aura-t-il paru un livre pareil depuis trois ans ? Sincèrement, je ne le crois pas... » [« Espoir ou colère ? », Je suis partout, 11 avril 1942].

*** : « La gravité des remous provoqués par ce livre de polémique, violente, agressive et passionnée, est d'autant plus profonde que le livre est écrit avec un incontestable et puissant talent. 20.000 exemplaires ont été tirés. En une semaine, ils ont été vendus, enlevés en zone occupée où ils sont passés de main en main et commentés. C'est un livre d'émeute [...] une arme d'autant plus terrible qu'il paraît être cependant documenté [...] Déjà, on se sert de ce livre, prôné par toute la presse de la zone parisienne, pour attaquer le Maréchal, à travers son gouvernement et ses hommes [...] Comment se fait-il que les censures si tatillonnes, si stupidement bornées, aient permis la publication d'un pareil livre, dont l'utilité est plus que douteuse quand l'occupant est chez nous [...] Alors, quel est le rôle joué par les Allemands ? Quel double jeu ? Quel but ? Et pour finir, comment se fait-il que Radio-Révolution, de Vichy, organe de Vichy, ait pu, pendant une demi-heure, recommander ce livre où sont insultés le Cabinet, l'entourage du Maréchal ? » [Rapport (destiné au maréchal Pétain) sur le livre : Les Décombres, de Rebattet [sic] », 25 juillet 1942].

Louis-Ferdinand Céline : « Très bien ton livre je le ferai lire et relire... mais tu vois, pour commencer - difficile comme St Thomas - je demanderais à tous les contemporains et surtout aux Antisémites de me présenter avant toutes choses - Bulletins de naissances de 4 générations de leur patriotique personne et de leurs ascendants et de leurs épouses - [...] Nulle clique plus noyautée de juifs  et juivisants anxieux que le brelan antisémite ! Fatalement ! J'aurais voulu trouver cette close capitale dans ton ouvrage. » [Lettre à l'auteur, 4 août 1942].

Lucien Rebatet : « A Robert Castille, cet opuscule qui, comme dit Alain Laubreaux, " castigat ridendon Maurras ", mais pas si " ridendo " que cela. De toute façon, à mort Calzant. Bien amicalement » [Dédicace sur un exemplaire des Décombres (1942), Hôtel des ventes Drouot, 10 juin 2014]. Georges Calzant [1897-1962], avocat et journaliste d'Action Française, fondateur en 1947 de l'hebdomadaire Aspects de la France.

* « Les Anagnostes » : « Du milieu de nos ruines et de nos désordres, une voix vengeresse s'élève et crie de terribles vérités. L'histoire enfin affranchie de tout conformisme. Impossible de rendre compte en quelques lignes de ce livre phénoménal qui va scandaliser et délivrer, peut-être l'ouvrage le plus important paru depuis la défaite. Une somme d'extraordinaires " choses vues " et de commentaires lyriques. Un torrent de vie, d'histoires, d'invectives, un orage traversé d'éclairs. De quoi révolter les opportunistes, assommer les faibles, exciter les forts. » [Le Petit Parisien, 12 août 1942].

Jean Galtier-Boissière : « Lu Les Décombres. Je déteste Lucien Rebatet, " S.A. d'élite ", et ses idées, mais je reconnais qu'il a écrit un pamphlet d'une verve extraordinaire. » [Mon Journal pendant l'Occupation, à la date du 15 août 1942].

* Charles Maurras : « Peut-être, jusqu'ici, Gribouille n'est-il que godiche. Il lui arrive d'être odieux. Il a des poussées de fureur sanguinaire dans lesquelles il s'exprime en tricoteuse et en pataud : " Du sang, du sang, il faut du sang pour régénérer la République... " Cela se chantait en 1793. Mais c'étaient des fous et des folles. Il s'agit aujourd'hui de l'Etat français. La France a eu le temps de réfléchir. Lorsque en moins d'un quart de siècle un peuple a  été saigné par deux guerres cruelles, quand sa vitalité physique et morale a souffert deux fois comme elle a souffert, en 1918 et en 1940, il est d'un très joli toupet de venir proposer pour guérir les maux de la guerre étrangère un petit additif de guerre civile. Mais, là non plus, Gribouille ne convaincra personne, et bien des citoyens lucides se demanderont si l'on a affaire à un simple étourneau malade ou s'il faut poser la question, toujours actuelle, de savoir quel intérêt il peut avoir eu à cette exhibition de sottises surnaturelles. » [« Où Gribouille revit », L'Action Française, 21 août 1942].

Robert Brasillach écrit à l'auteur qu'il vient de créer « l'événement du siècle », qu'on n'a « jamais vu ça depuis le premier livre de Céline », et qu'il va devenir millionnaire [Lettre à l'auteur, 26 août 1942].

* « Le Coupe-papier » : « Les Décombres, de Lucien Rebatet, ont plus de six cents pages. Parfaitement. Lisez les dix premières pages, et je vous défie bien de ne pas aller jusqu'à la dernière. [...] Les Décombres sont une fresque puissante de la résistance à tout ce que la France compta, pour son malheur, de corrupteurs résolus et d'ignares acquis à la fatalité de la guerre. Une mise au pilori des gredins et des médiocres qui nous menèrent au massacre et à la ruine. Un tableau réaliste, brossé par le soldat, de la décomposition quotidienne d'une armée sans chefs, sans armes et sans foi. [...] Tout cela dans une forme vibrante, entraînante, une langue classique et hardie qui serait à elle seule la négation même des abandons, le symbole et la preuve des forces intactes de la race. Les Décombres resteront comme un document majeur des années terribles. » [Le Matin, 26 août 1942].

Dominique Sordet écrit à l'auteur qu'il est devenu la tête politique de Je suis partout, et lui rapporte qu'Abel Bonnard lui aurait rendu hommage pour avoir réussi à concilier la violence et la justice, « à la différence de Céline qui, politiquement, n'a que des éclairs et met souvent à côté de la plaque » [Lettre à l'auteur, 27 août 1942].

* Thierry Maulnier : « Dans un excellent article publié au Salut Public, M. C.-J. Gignoux parle de cette catégorie, heureusement restreinte, de Français, qui estiment sans doute que la France n'a pas encore été assez vaincue, assez humiliée, et qui éprouvent une sorte de volupté suspecte à crier à tous les échos que notre pays est pourri jusqu'aux moëlles, que les élites n'y sont plus composées que d'incapables et de traîtres, que la masse y est abrutie par l'alcool, que tous les sentiments y sont également avilis, toutes les professions déshonorées [...] Ceux qui ne trouvent rien de plus utile à faire, dans les circonstances présentes, qu'à couvrir de boue et de crachats la face de leur patrie blessée auraient peut-être tort de croire qu'ils auront toujours le bénéfice du mépris dont ils sont l'objet. Le mépris n'est ni l'oubli, ni le pardon. » [« Les Maniaques de l'humiliation », L'Action Française, 28 août 1942].

Lucien Rebatet : « Bon Dieu ! avec un départ pareil, nous devons arriver aux 50.000 ex. En tout cas, je compte désormais là-dessus. Je suis particulièrement heureux de la réaction à gauche, ou du moins dans les milieux catalogués comme tels. Mon bouquin aura servi à révéler la sympathie que nous avons de ce côté-là. Je suis content aussi d’avoir, sans concessions, fait pourtant un livre populaire. C’est à mon sens la véritable pierre de touche. [...] Maurras veut, paraît-il, répondre. On se marrera. » [Lettre à Robert Denoël,  31 août 1942].

Théophile Briant : « Bilan sombre et désolé de notre pourriture nationale depuis dix ans, d'allure ultra-collaborationniste. La pensée qui anime ce livre n'est pas toujours d'une grande noblesse, il y a cependant beaucoup de talent dans ces pages ardentes » [Journal inédit, été 1942, publié par Gaël Richard dans La Bretagne de Céline, 2013, p. 344]

Maurice Pujo : « Nous sommes tenus de faire quelque chose sans quoi on penserait que nous sommes intimidés par ce sale bouquin. Je pense d'ailleurs que, s'il ne faut pas cacher qu'il s'agit d'un ancien collaborateur, il n'y a aucune nécessité de donner son nom ni le titre du livre : mais je pense aussi qu'il faut faire de ce livre, entre nos mains, une arme offensive. Rebatet est un énervé sans importance, mais ce qu'il faut marquer, c'est que cet insulteur de l'armée française (officiers et soldats) et de tout le peuple français - le traître qui jette au vent les secrets militaires - déshonore avec lui son équipe de Je suis partout, la presse de Paris et la cause collaborationniste elle-même. Il déshonore aussi ceux qui ont permis la publication du livre et le laissent vendre en zone libre : ne perdons pas l'occasion de provoquer un certain redressement. Pour le reste vous savez mieux que moi ce qu'il y a à dire. J'ai été frappé du fait qu'il lance toutes ses infamies et tous ses blasphèmes au nom de l'intelligence. Je vous rappelle, vous, Maurras, à l'intelligence que vous avez sacrifiée aux pires préjugés. Il faudrait peut-être lui dire qu'il est un imbécile, que l'intelligence n'est pas cette frénésie, cette " épilepsie juive " [...] Je voulais aussi vous faire remarquer que ce Rebatet qui se pique de tout dire, de ne reculer devant aucune vérité, de mettre les pieds dans tous les plats, a pourtant un personnage tout conventionné, et c'est lui-même qu'il peint en rose, héros attardé malgré lui dans les embuscades où il prenait des notes sur la lâcheté de l'armée française, mais qui disait à Laubreaux : " Ils sont capables de m'envoyer au front ! " » [Lettre à Charles Maurras, 1er septembre 1942].

Georges Albertini considère que le livre est à mettre sur un plan supérieur au Voyage au bout de la nuit de Céline [L'Atelier, 5 septembre 1942].

* Charles Maurras : « Cette volumineuse saleté essaie de salir non seulement l'Action Française mais le gouvernement du Maréchal, l'Armée française, ses officiers, ses hommes, les vivants et les morts, et c'est peut-être là que l'on trouverait les plus basses immondices qui aient jamais été écrites sur les femmes de France. On voit que le triste garçon n'a pas trouvé la sienne dans notre pays. Vous le connaissez bien, nabot impulsif et malsain, l'œil égaré, éminemment grégaire et cramponné à toutes les têtes du troupeau [...] Ce qu'il a appelé lui-même " l'épilepsie juive " et dont il offre un exemple si parfait, fait de son livre une exhibition ingénue et cynique de tous les attributs du pourceau intégral. [...] Ce qu'on y voit de plus dégoûtant, c'est la combinaison de l'agressivité et de la couardise : il faut bien admirer les attitudes de matamore que lui prête son livre, mais comment oublier ses tremblements de lièvre, cette crainte éperdue et perpétuelle d'un attentat si la voiture tardait un peu à venir le chercher à l'imprimerie la nuit ? » [« Fripouille ? Non, Gribouille », L'Action Française, 12 septembre 1942].

Philippe Henriot : « Un livre impitoyable, dur et dru. Un miroir terrible placé devant un pays qui refusait de se voir tel qu'il était et qui, confronté avec sa propre image, s'en détournera sans doute avec une sorte d'effroi. Un livre tonique pour les forts, mais inassimilable pour les débilités. Une sombre et tragique épopée, avec des côtés d'une bouffonnerie shakespearienne. Une œuvre de désespoir et de foi, désolée et exaltante, implacable pour le passé et tendue de tous ses muscles vers un avenir à construire. Une satire féroce, mais où l'accent pamphlétaire naît tout naturellement d'une rébellion légitime de l'esprit et du cœur. En l'écrivant d'une plume frémissante et corrosive, Lucien Rebatet a anéanti les dernières illusions du confortable mais stérile conformisme pour lequel tant de gens avaient renoncé à réfléchir et à penser par eux-mêmes. [...] Les Décombres - titre accablant qui condense en un mot toutes les conséquences de notre désastre. Des ruines, cela se restaure ou se relève. Des décombres, cela se jette à la voirie. » [Gringoire, 2 octobre 1942].

* Thierry Maulnier : « Charles Maurras a dit dans ce journal, à deux reprises, ce qu'il fallait penser d'un livre récemment paru, qui n'est qu'une diffamation systématique de la France humiliée et vaincue. A Gringoire, M. Philippe Henriot croit bon de faire l'éloge de cette ordure qu'il appelle " un des bréviaires de la Révolution nationale " comme si le premier acte de la Révolution nationale devait être de venir cracher au visage de la patrie abattue : " [...] Le Christ, qui fut la bonté et la douceur mêmes, s'empara un jour de fouets pour chasser ceux devant lesquels son indignation ne pouvait se contenir. " Cette dernière phrase montre assez à quel degré de délire atteint l'apologie que fait M. Philippe Henriot du livre innommable. Il n'y a vraiment plus qu'à laisser, sans commentaires, l'auteur de l'article de Gringoire en compagnie de ce qu'il aime. » [« Eloge de l'ordure », L'Action Française, 5 octobre 1942].

Maurice Garçon : « Je termine le livre de Rebatet, Les Décombres. L'ouvrage a un grand succès. La première édition a été enlevée en quelques jours. C'est un livre de talent écrit en un style rapide et imagé. Moins grossier que Céline, Rebatet est aussi violent. Antisémite, admirateur des doctrines allemandes, l'auteur se réjouit de notre défaite et de notre abaissement. La déroute qui a été l'occasion de détruire le régime lui paraît en fin de compte un bienfait. Et l'on frémit en pensant que cet état d'esprit était antérieur aux événements. De là à avoir désiré la débâcle et à n'avoir rien fait pour l'empêcher, il n'y a qu'un pas, et quel pas ! » [9 octobre 1942, Journal 1939-1945, 2015].

* Alain Laubreaux : « Pas une personne, exactement pas une, que je n'aie rencontrée depuis trois mois sans qu'elle me parle des Décombres. Non seulement dans nos milieux d'écrivains et de journalistes - car ici tout le monde, plus ou moins, connaît Lucien Rebatet, besson de François Vinneuil, critique d'art à l'œil impitoyable, musicologue hardi et sûr - mais chez les gens les plus inattendus. En tous lieux, à tout instant, au restaurant, en chemin de fer, à Paris, en province, dans l'autre zone, dès que la conversation, par l'implacable loi des gravitations de la pensée par rapport à l'actualité, tombe sur ce sujet, je me sens pressé de tous côtés, comme par des cavaliers haletants : " Vous êtes l'ami de Rebatet ! Comment est-il ? Est-il grand, brun ou blond, farouche, violent, ou bien doux et souriant dans la vie courante ? " [...] Lucien Rebatet, sans doute, est un archange exterminateur. Mais c'est un archange fantassin. La réside d'abord le succès extraordinaire de son livre, un succès qui paraît à peine croyable en un moment où s'abandonnent tant de cœurs lascifs et de reins coupables. Mais telle est la puissance de la vérité, habillée sans un pli dans les mots de la foi. Les Décombres est le livre d'un enfant terrible venu s'asseoir au milieu des docteurs de la panique, celui qui est le mieux fait pour les atterrer et, depuis que nous sommes tombés dans le malheur, celui qui va le plus loin dans l'exploration des vallées de la mort d'où il faudra, coûte que coûte, arracher notre pays. [...] En écrivant Les Décombres, il a fait œuvre de Français et de patriote. » [« Le succès persistant des Décombres de Lucien Rebatet », Le Petit Parisien, 4 novembre 1942].

Paul Léautaud : « Une bien drôle de surprise avec la visite d'Albertine. Son amant O. connaissait ou a fait la connaissance de Lucien Rebatet, l'auteur des Décombres. Il lui a parlé de moi. Albertine m'a apporté ce soir un exemplaire de ce livre, à elle envoyé par Rebatet pour m'être remis. Un envoi charmant : A Paul Léautaud, à Maurice Boissard aussi, pour lui témoigner vingt années de fidèle admiration. Le diable emporte cela. Cela a été mon premier mot à Albertine. Encore une lettre à écrire. » [Journal littéraire, 9 novembre 1942].

Claude Roy : « On ferait un gros livre avec toutes les invectives que ses enfants jettent à la face de la France, un livre aussi gros que les déclarations d'amour. [...] Il faut savoir porter le fer et la fine pointe de la critique là où cela est nécessaire. Mais il y a un mode de critique massive, totale, tranchante, une certaine complaisance dans l'accusation et le reproche, une facilité dégradante dans l'insulte tournée contre soi-même, qui rebute aujourd'hui et le cœur et l'esprit. Avoir du tempérament n'est rien si l'on ne sait se tempérer. Nos pseudo-polémistes à l'emporte-pièce l'oublient trop. La France a besoin non de brutales négations, mais de tous les soins que peut inspirer un violent amour, qui se veut lucide et redresseur, aussi bien que tendre et chaud. Rappelons-nous qu'il existe des chirurgiens dont le bistouri assassine ! » [« Des Français qui n'aiment pas la France », L'Action Française, 19 novembre 1942].

* *** : « Dès le début, il s'est cependant lié avec des écrivains de tendances fort différentes, mais en lesquels il n'a entendu voir que la valeur. Il estime, en effet, que l’édition doit refléter la littérature de son temps et la direction de son époque. Il s'est intéressé depuis longtemps aux grands mouvements politiques. C'est ainsi qu'il a publié des ouvrages sur le Fascisme de Mussolini, comme, d'autre part, sur l'U.R.S.S. de Staline et le New-Deal de Roosevelt et, après l'armistice, il a joint à cette collection les Discours du Chancelier Hitler. A la série des Céline, il vient d'ajouter un livre formidable de la même veine, Les Décombres, de Lucien Rebatet. Dès le début, le succès a été complet. En quinze jours, toute l'édition a été liquidée. On dit que trente mille exemplaires ont été ainsi enlevés. Et que si le papier le permettait, le tirage dépasserait utilement les cent mille. » [« Robert Denoël, découvreur de talents et lanceur de chefs-d'œuvre », Voilà, 27 novembre 1942].

Bernhard Payr juge ce brûlot intraduisible « à cause du grand nombre de ses excentricités, de ses entêtements et de ses descriptions trop crues » [Phönix oder Asche ?, 1942].

Lucien Rebatet : « A mon cher René [Gontier] qui me donna mes premières leçons de style, le plus vieux des " amis qui me restent ", le premier des racistes français, avec mon salut national, fraternellement » [Dédicace sur un exemplaire des Décombres (1942), Salle des ventes Piasa, 1er décembre 2006]

* ***. Commentaire d'un article de Georges Riond paru dans Le Salut public : « Est-ce à dire que la France n'est plus que décombres où germent les ronces et gîtent les bêtes puantes ? - Quelques frénétiques peuvent se tailler sur cette thèse un succès d'édition, mais ni l'honneur, ni l'intérêt français n'en sortent saufs. En couvrant la patrie de sarcasmes et d'opprobes, on la désigne à la commisération ou au mépris, mais on ne suscite jamais l'admiration de ses fils ou la sympathie des voisins. » [L'Action Française, 15 février 1943]

* *** : « M. Rebater [sic] transfuge de l'Action Française, hitlérien pur de l'équipe de Je suis partout a écrit un livre massif qui veut être un acte d'accusation contre la France démocratique et républicaine et se présente en même temps comme un monument à la gloire de l'Hitlérisme libérateur. [...] Et M. Rebater, s'imaginant avoir devant lui le peuple républicain de France tire alors " comme un dieu, goulûment, passionnément, par petites rafales posées ". A quoi rêvent les jeunes hitlériens... Qu'il se hâte de rêver, M. Rebater dit Petite-Rafale. Qu'il se hâte. Non vraiment il n'y aura pas besoin de tirer comme un dieu pour l'abattre, lui, comme un chien. » [Libération, 2 mars 1943].

* *** : « Denoël Robert, l'infâme éditeur de ce livre d'immondices qui s'appelle Les Décombres, de Lucien Rebatet, de Principes d'action [sic] de Hitler, Denoël qui, au moment où s'entassaient dans les charniers de Pologne, des milliers de corps de juifs assassinés, rééditait à plusieurs [milliers] d'exemplaires les ouvrages déshonorants d'un Louis-Ferdinand Céline, Denoël qui, il y a peu de temps encore proclamait en paradant devant certains de ses amis, étonnés de son attitude politique, que si la fin de la guerre survenait malheureusement sur une victoire des Alliés, il n'y aurait qu'à disparaître à la campagne pendant un an pour que l'oubli se fasse autour de son nom, et que, les Français pardonnant trop vite, il n'aurait qu'à reparaître sans dommage sur la scène des éditeurs parisiens après ce délai. » [« Quelques collaborationnistes " repentis " », Bulletin du BCRA (services de renseignements français), 15 août 1943].

Thierry Maulnier, à propos d'un article de Rebatet paru dans Je suis partout : « Un journaliste, dont il est inutile de publier ici le nom, parce qu'en écrivant ce nom, déshonoré du reste à plus d'un titre, on paraîtrait attribuer quelque importance à une opinion qui ne vaut d'être remarquée que comme l'expression avouée d'une certaine médiocrité anonyme et collective, a publié, il y a deux ou trois semaines, un article assez curieux. Cet article prétendait nous imposer une certaine révision des valeurs littéraires. [...] » Dans le cours de l'article l'auteur, se pliant à l'ukase de Maurras, use des périphrases suivantes pour désigner Rebatet : « l'auteur que nous ne nommons pas », « le journaliste dont on parlait plus haut », « un très négligeable monsieur dont le nom, s'il était imprimé ici, ne constituerait aux yeux du lecteur ni une garantie de goût, ni une garantie de talent, ni une garantie de culture », pour finir par « M. X... » (à neuf reprises)  [« Les Ennemis de la littérature », L'Action Française,  23 septembre 1943].

* *** : « Alors que la Gestapo faisait fusiller les otages à Paris, l'éditeur Robert Denoël publiait les Principes d'action [sic] d'Hitler. Alors que la même Gestapo torturait des milliers de Juifs en Pologne, M. Denoël rééditait les ouvrages antisémites du puant Céline. Alors que la France se reprenait à espérer, M. Denoël lui jetait au visage un amas d'immondices et de mensonges : Les Décombres de Rebatet. M. Denoël, en juin 1940, était ruiné, mais depuis la fin de 40, il mène grand train. La propagande nazie n'aurait-elle pas quelque peu aidé son renflouement ? M. Denoël déclare à qui veut l'entendre que si la guerre s'achève sur une victoire alliée, il lui suffira de se retirer pendant deux ou trois ans, " quelque part en France ", et d'y vivre de ses rentes. Après quoi, nos compatriotes oubliant vite, il pourra reparaître sans danger dans le monde de la librairie. M. Denoël s'abuse s'il croit s'en tirer à si bon compte... » [« ...Et une canaille », Combat, 15 octobre 1943].

Pierre-Antoine Cousteau : « on ne pardonne pas à Céline d'avoir dit trop crûment des choses trop simples. Même grief dès qu'il s'agit des Décombres. Et par surcroît les constipés crient à l'attentat contre la patrie. Céline a insulté la France ! Rebatet a insulté la France. Voilons-nous la face. Ou plutôt brisons ces miroirs qui reflètent en pleine lumière des images impitoyables. Tout, mais pas la vérité ! [...] Personne n'a rien écrit depuis l'armistice qui approche de ce livre prodigieux. Tout y est dit, exactement tout. Et il fallait que ces choses-là soient dites, si douloureuses qu'elles pussent nous apparaître. C'est facile d'écrire que Rebatet est " l'insulteur de la France vaincue ". Est-ce qu'un médecin insulte son malade lorsqu'il lui révèle qu'il est syphilitique ? [...] Certes, Céline et Rebatet sont durs, brutaux même. Il leur prend des envies de gifler le malade pour le forcer à réagir. Ils ont des mots féroces. " Ce peuple ", lit-on dans Les Décombres, " va au mensonge juif comme le chien à l'étron. " [...] Non, tout bien réfléchi, si Céline et Rebatet ont péché, c'est par indulgence. » [« Indulgence des polémistes », Je suis partout, 15 octobre 1943].

Claude Jamet : « L'éditeur, Denoël, m'avait bien prévenu. " Ça vous hérissera peut-être, m'avait-il dit, en me montrant Les Décombres, de Lucien Rebatet. Mais, vous verrez, c'est quelque chose. " Si c'est quelque chose ? je vous crois ! C'est-à-dire que, depuis Les Beaux Draps, du génial Ferdinand, je n'ai rien lu de comparable à ce bouquin énorme, ce pamphlet-fleuve, ce torrent de souvenirs, ce monologue vociféré de 664 pages tassées. C'est-à-dire que c'est un événement, en forme de pavé... [...] Quoi qu'on en pense d'ailleurs, il faut saluer dans Les Décombres une réussite d'art. La verve, le nerf, la verdeur. L'humeur nue. A la Céline (on sent, par endroits, l'influence). Avec pourtant une juvénilité, une éclatante naïveté, je ne sais quoi de joyeux, de chaleureux dans l'engueulade, qu'on ne trouve pas chez Bardamu. Enfin, c'est un tempérament, ce Rebatet - nous n'en avons pas tant dans les Lettres françaises. Un écrivain entier, et qui fait le poids. N'est-ce pas, Denoël ? " C'est quelqu'un ". » [La France socialiste, chronique reprise dans Images de la littérature. Sorlot, 1943].

* François Mauriac : « Un Lucien Rebatet peinait, obscur forçat, dans les soutes de L'Action Française. Aucune espérance d'être délivré avant sa mort. [...] Dans ses Décombres, Rebatet a beau accabler d'outrages ses adversaires politiques, il y apparaît bien que toute sa haine - une haine cuisinée dans le secret et recuite durant ses années de bagne, va toute à son maître, à la fois abhorré et adoré, à ce Maurras dont il a dépouillé la livrée ; mais rien ne peut faire qu'il ne soit sa créature ni qu'il ne se sente incapable de lier deux idées hors de l'orthodoxie maurrassienne. » [« Le Nègre », Les Lettres Françaises, mai 1944].

* R.B. : « Denoël, qui avait déjà sorti les ouvrages antisémitiques de Céline, fit paraître Les Décombres de Lucien Rebatet et d'autres volumes inspirés par la Propaganda Staffel, comme les œuvres de Brasillach et les discours de Hitler. A la libération, sa maison d'édition fut placée sous séquestre, mais l'éditeur, s’il fut exclu de la vice-présidence du Groupement corporatif du Livre, conserva sa liberté, ce qui ne fut pas sans provoquer des mécontentements. » [Libération soir, 4 décembre 1945].

* *** : « M. Robert Denoël était d'origine belge ; il était âgé de quarante-trois ans. Ancien vice-président du groupe corporatif du Livre, il en avait été exclu le 19 septembre 1944 pour avoir édité de nombreux ouvrages d'auteurs compromis dans la « Collaboration », tels que Rebatet, Céline. Faut-il établir un rapprochement entre ces activités professionnelles et l'attentat dont il vient d'être victime ? L'enquête, commencée par l'inspecteur Ducourciale [sic], de la brigade criminelle, rejette dès maintenant toute idée de crime politique. » [Le Monde, 4 décembre 1945].

* *** : « L’éditeur Denoël, ce Belge parisianisé qui, durant l’occupation, avait publié les petites ordures de Monsieur Céline et les pas plus ragoûtants « Décombres » de Rebatet, est mort assassiné. Crime de rôdeurs, déclare la police. Peut-être. Toutefois, le maintien en liberté de Denoël faisait grincer les dents de pas mal de bons Français. » [Week-End, 23 décembre 1945].

Marcel Aymé : « Les Décombres constituent un pamphlet remarquable et, malgré quelques traits outrés, mais inséparables du genre, le seul livre où l'avenir reconnaîtra vraiment l'époque 1940. » [Lettre à Bernard de Sariac, l'avocat de Rebatet, 16 novembre 1946, reprise de Le Dossier Rebatet, 2015, p. 1064].

Thierry Maulnier : « J'ai été vivement attaqué dans Les Décombres de Lucien Rebatet comme gaulliste et anglophile. Mais ces attaques visaient une attitude à l'égard de l'occupant que je cherchais pas à cacher et qui était connue de tous les gens informés. Elles doivent être considérées non comme des actes de dénonciation mais comme des actes de polémique politique. Elles n'ont d'ailleurs été suivies d'aucune action de la police allemande contre moi. Je n'ai jamais, à ma connaissance, été dénoncé par Lucien Rebatet comme étant en relations avec la Résistance. J'estime qu'on ne peut pas considérer les allusions à des faits publics - et mon hostilité aux Allemands sous l'Occupation était connue aussi bien de la censure de Vichy que des services de l'avenue Foch - comme des actes de délation. » [Lettre à Bernard de Sariac, l'avocat de Rebatet, 16 novembre 1946, reprise de Le Dossier Rebatet, 2015, p. 1064].

François Mauriac : « On ne pourra plus écrire de l'Action Française sans relire Les Décombres du malheureux Rebatet. Dans ce livre putride tient peut-être tout ce que la littérature a hérité de la collaboration. » [« La leçon d'un verdict », Le Figaro, 26 novembre 1946].

Jeanne Loviton : « Sans doute savez-vous que j'ai abrité chez moi Robert Denoël, de la Libération à son assassinat. A cause de Rebattet, à cause de vous, il a vécu, nous avons vécu, des heures d'angoisse. » [Lettre à Louis-Ferdinand Céline, 14 janvier 1948].

* *** : « Tout autour du fait brutal, du meurtre à fond de règlement de compte qui s'est déroulé au soir du 2 décembre, il y a l'atmosphère trouble dans laquelle vivait Denoël, au lendemain de la libération. Homme d'affaires sans pitié, éditeur aventureux, Denoël avait, durant l’occupation, publié des ouvrages tels que Les Décombres de Rebatet, qui pouvaient lui laisser prévoir des " ennuis " à la libération. » [« Qui a assassiné l'éditeur Robert Denoël ? », L'Aurore, 13 janvier 1950].

* *** : « Si l'on écarte l'éventualité du crime de rôdeurs, deux hypothèses restent en présence : le meurtre politique et le crime d'intérêt. C'est la première qui est venue immédiatement à l'esprit des amis de l'éditeur. On sait que Robert Denoël était accusé de " collaboration littéraire " pour avoir édité - bien avant la guerre - les pamphlets antisémites de L.-F. Céline et, pendant l’occupation, Les Décombres de Lucien Rebatet, polémiste de Je suis partout. Il ne cachait pas que c'était lui qui avait trouvé le titre des Décombres, mais il soulignait en même temps qu'il s'était abstenu de toute activité politique et que, toujours pendant l'occupation, Aragon et Elsa Triolet - dont il avait sorti en 1943 Le Cheval blanc avec le Geprüft de la Propaganda Staffel - avaient reçu chez lui, avenue de Buenos-Ayres, abri et subsides. » [La Presse, 22 janvier 1950].

Lucien Rebatet : « A Yvonne et Henri Chauchard/ Pour remplacer ici les lignes/ épouvantables, qui dataient/ d'avant mon amendement./ A bas la quatrième Putain !/ Vive le futur Auschwitz !/ La crevaison pour la Démocratie./ Roosevelt et Ratti à la/ chaudière éternelle./ L. Rebatet/ Texte à détruire de toute/ urgence à la prochaine épuration./ 23/5/53 » [Dédicace sur un exemplaire des Décombres (1942), Salle des ventes Piasa, 10 décembre 2015. Le docteur Chauchard hébergea Lucien Rebatet après sa sortie de la prison de Clervaux, en juillet 1952].

Jean Nicole : « Par l'allégresse acerbe, âcre parfois, d'un style superbement soutenu, Les Décombres restent pourtant, avec les pamphlets de Céline, un livre extraordinairement vigoureux, vivant témoignage des soubresauts d'une époque éperdue. Comme les épitres de Louis-Ferdinand frappé d'anathème, ce chef-d'œuvre d'humeur massacrante risque bien de ne jamais reparaître ! » [« Décombres », Gazette de Lausanne, 2 septembre 1972].

Robert Badinter : « C'est un document de l'histoire [...] C'est très important de savoir ce que sont les fascistes, ce que pensent les fascistes. Qu'ils fassent par définition de l'antisémitisme et du racisme, je dirai qu'on s'y attend. Mais l'idée qu'une forme quelconque de censure puisse s'exercer à l'encontre d'un ouvrage de ce type me paraît à proprement parler aberrant. » [Déclaration sur le plateau d'Apostrophes, l'émission littéraire de Bernard Pivot sur Antenne 2, 18 juin 1976].

Roger Joseph : « La réédition des Décombres n'est qu'une scandaleuse exaltation de la bassesse » [Aspects de la France, 1er juillet 1976].

Gerhard Heller, le censeur de la Propaganda Staffel, se dit rétrospectivement « révolté de lire ces vomissures sur des auteurs qui m'étaient chers » [Un Allemand à Paris, 1981], un sentiment qu'il ne paraissait pas éprouver en juin 1942 lorsqu'il accepta l'invitation de l'éditeur pour parler de l' « imprimatur » à accorder au livre : « Denoël m'avait invité à dîner avec ma femme et mon très amène censeur, le lieutenant Heller», écrit Rebatet dans Les Mémoires d'un fasciste.

Bertil Galland : « Au temps des rafles du Vel' d'Hiv' sortit de presse le plus grand succès de librairie de l'Occupation, Les Décombres. La réputation de l'auteur s'est trouvée jusqu'à ce jour ensevelie sous cette masse de 664 pages, récit vécu, épique et persifleur de la dégringolade de la France. [...] Sans avoir le génie novateur de Céline, qu'il admirait, Rebatet appartenait à sa famille gouailleuse et furibonde. Il se trouva des écrivains pour surmonter leur répulsion et le reconnaître comme l'un des leurs. » [« Un Salaud de talent », Le Nouveau Quotidien (Genève), 29 juillet 1994].

Marcel Déat juge l'ouvrage « de tout premier ordre » et estime qu'il pourrait constituer « une préface excellente et copieuse » à la création de son parti unique [« Journal de guerre », 2002].

Pierre Assouline écrit : « " Fallait-il republier ça ? " Le livre que l’historien Pascal Ory désigne de manière inhabituellement méprisante pour un préfacier comme " ça ", est un ensemble de textes du sulfureux journaliste, polémiste, écrivain Lucien Rebatet dont le navire-amiral s’intitule Les Décombres. Il est vrai que ce best-seller de l’Occupation, aussi passionnant qu’immonde, mérite d’être ainsi traité. [...] Ecrire des articles, en 1944 encore, dans l’organe des Waffen SS français entre autres, en les achevant systématiquement d’un " Mort aux juifs ! " qui vaut signature, et dégager toute responsabilité sur la portée de ses écrits, comment appeler cela ? Dans l’excipit des Décombres, eu égard à sa solitude, Lucien Rebatet admettait faire figure d’ " énergumène ". Ce qui était bien trop faible. Il y manque la dimension criminelle. [...] Pour ses articles de Je suis partout comme pour ses Décombres, Lucien Rebatet méritait déjà douze balles. Rouillées et tirées dans le dos. Car la trahison louée, proclamée, revendiquée fut chez lui augmentée de dénonciations de résistants et d’appels au meurtre de juifs, à la chasse à l’homme et au pogrom permanent, signés d’un homme qui se trouvait alors du côté du manche, encore plus nazi que ceux qui occupaient son pays. Si on n’a pas la dignité de se sentir responsable après " ça " » ! [La République des livres, 12 octobre 2015]