Robert Denoël, éditeur

Sidonie Zupanek

Domestique d'origine yougoslave de Jeanne Loviton, née le 28 janvier 1906 à Salosci, mère célibataire. Engagée en 1941, elle était très attachée à sa patronne, comme en témoigne Paul Valéry qui écrit : « J'aime cette fille si gênante, je l'aime de t'aimer comme elle t'aime, de te soigner si tendrement. » [lettre à Jean Voilier, 13 avril 1945].

Dans son rapport du 25 janvier 1946, l’inspecteur Ducourthial écrit :

« Au cours de la nuit de l’attentat, nous avons entendu Mlle Zupanek Sidonie, âgée de 39 ans, bonne à tout faire au service de Mme Loviton depuis cinq ans, demeurant 11 rue de l’Assomption. Elle nous a déclaré :

" M. Denoël était l’ami de la patronne depuis deux ou trois ans. Il habitait chez elle depuis un certain temps. Ils s’entendaient parfaitement, du moins je n’ai jamais soupçonné aucun dissentiment entre eux. Hier, 2 courant, ils étaient sortis à l’heure du déjeuner pour ne rentrer que vers 19 heures, avec la voiture. Ils ont ensuite dîné ensemble pour ressortir une heure et demie après environ, sans me faire part de leurs intentions. Lorsqu’ils sont partis avec la voiture, personne ne les accompagnait."

Lors de son audition par le commissaire Pinault, le 10 octobre 1946, Jeanne Loviton déclare :

« Quant à ma bonne, Mlle Zupanek, elle est partie de chez moi à une date que je ne puis préciser en raison du peu d’importance que j’attache à son départ. Elle m’a quittée parce qu’elle me demandait une augmentation que je ne pouvais lui donner et parce qu’elle avait trouvé une place plus avantageuse. »

Dans son rapport du 15 novembre 1946, l’inspecteur Ducourthial écrit :

« Nous avons recherché, afin de l’entendre à nouveau, Mlle Zupanek Sidonie, née le 28 janvier 1906 à Salosci (Yougoslavie), célibataire, mère d’un enfant, demeurant actuellement 43 rue Jacques Dulud à Neuilly-sur Seine. Elle nous a déclaré :

" J’ai quitté Mme Loviton au mois de mai 1946, uniquement parce que j’avais trouvé une place plus avantageuse que chez elle, tant au point de vue travail, que rétribution. J’ai des frais de nourrice à payer pour faire élever mon enfant.

Mme Loviton ne m’a jamais fait de reproche, ni même une réflexion au sujet de ce que j’ai dit à la police, dans la nuit du meurtre de Monsieur Denoël.

Le jour du drame, je savais que Mme Loviton et Monsieur Denoël devaient se rendre au théâtre. Ils m’avaient demandé à ce que le dîner soit prêt de bonne heure. Ils sont rentrés vers 19 heures 30.

Ils ont dîné très rapidement, en laissant leur dessert. C’est M. Denoël qui pressait ma patronne, laquelle, fatiguée, manifestait le désir de rester à la maison.

Lorsqu’ils sont partis, c’est moi qui ai donné les billets de théâtre à Monsieur Denoël, je les avais trouvés dans la chambre de M. Denoël et les avais pris pour les placer sur la cheminée de la chambre de Mme Loviton. Je ne puis fournir aucune précision sur l’heure exacte à laquelle ils sont partis.

J’ai l’impression qu’ils ne sont restés qu’une heure à peine à la maison, après leur retour. Je les ai accompagnés jusqu’à la voiture dont M. Denoël a pris le volant. "

Sur question, Mlle Zupanek a déclaré ne pas se souvenir si Monsieur Denoël avait téléphoné en rentrant de Saint-Brice, et avant de partir au théâtre. »

Le 24 mars 1950, Armand Rozelaar écrit au juge Gollety :

« Mlle Zupanek a également varié constamment dans ses déclarations. On a cette impression désagréable que toutes les personnes entendues ont cherché, dans la mesure du possible, à faire plaisir à Mme Loviton et à confirmer la thèse qu’elle avait toujours soutenue.

Ceci prouve bien que si Mme Loviton avait dit la vérité, elle n’aurait pas eu besoin de faire entendre des témoins, dont les mensonges trop visibles et les contradictions prouvent surabondamment qu’elle n’a jamais dit elle-même la vérité.

Mlle Zupanek a, dès son premier interrogatoire, le lendemain du crime, contredit sa patronne en révélant que Denoël vivait maritalement avec elle, alors que, pour des raisons que j’ignore, Mme Loviton avait essayé de faire croire que, tout en vivant séparé de sa femme, Denoël, en tout cas, ne vivait pas maritalement avec elle.

Puis Mlle Zupanek (voir rapport Ducourthial) a déclaré qu’elle habitait 43, rue Jacques Dulud, à Neuilly-sur-Seine, qu’elle avait quitté Mme Loviton au mois de mai 1946, uniquement parce qu’elle avait trouvé une place plus avantageuse. Elle déclare " qu'ils sont rentrés vers 19 heures 30, qu’ils ont dîné très rapidement en laissant leur dessert, et que c’était M. Denoël qui pressait Mme Loviton, laquelle, fatiguée, manifestait le désir de rester à la maison " (sic). Elle ajoute que, lorsqu’ils sont partis, c’est elle qui a donné les billets de théâtre à M. Denoël.

Entendue à nouveau le 9 février 1950, elle déclare qu’elle a assuré son service auprès de Mme Loviton jusqu’au mois de mars 1947, date à laquelle elle a trouvé un emploi chez un avocat, Me Perrin, 105 bis, rue Perronet à Neuilly-sur-Seine.

Que signifie alors sa première déclaration, disant qu’elle a quitté Mme Loviton au mois de mai 1946, c’est-à-dire cinq mois après le crime, et qu’elle habitait alors rue Jacques Dulud, également à Neuilly ?

Mlle Zupanek précise une fois de plus que Denoël avait les billets en sa possession, mais elle s’écarte totalement de sa première déposition en disant que M. Denoël se trouvait dans la bibliothèque et qu’au bout d’un moment Mme Loviton lui avait fait part de son impatience, disant qu’ils allaient être en retard, car M. Denoël téléphonait depuis la bibliothèque.

Dans sa première déposition, Mlle Zupanek avait tout à fait oublié ce coup de téléphone. Ils ont quitté la rue de l’Assomption vers 20 heures, dit-elle, sans pouvoir préciser exactement.

Mlle Zupanek ne dit pas non plus la vérité lorsqu’elle raconte que Mme Dornès est venue chercher Mme Loviton vers 9 heures du matin, le 3 décembre. Mme Dornès et Mlle Pagès du Port reconnaissent bien avoir passé la nuit chez Mme Loviton.

Ainsi donc, qu’il s’agisse de Mlle Zupanek, de M. Gorget, de M. Tosi, de M. Barjavel, de M. Vialar, tous se sont efforcés de confirmer cette thèse absurde, selon laquelle Denoël n’avait pas un sou, qu’il vivait en somme à la charge de Mme Loviton, et qu’il lui avait abandonné la totalité de son actif en échange d’une somme, d’ailleurs dérisoire, dont il avait besoin pour rembourser des dettes. »

Le 25 mars 1950, au cours d’une confrontation entre Jeanne Loviton et Cécile Denoël dans le cabinet du juge Gollety, la veuve de l’éditeur pose cette question :

« Dans une première déposition à la Police, Mlle Zupanek, domestique de Mme Loviton, a déclaré que M. Denoël pressait Mme Loviton au moment de sortir ; dans sa dernière déposition, elle a déclaré que c’était au contraire Mme Loviton qui était impatiente de partir. »

Jeanne Loviton répond : « Nous avons dîné, Robert Denoël et moi, ce repas a été servi par Mlle Zupanek, il s’agissait d’un repas normal et d’une durée normale. Je ne sais plus si ma toilette se place avant ou après le dîner. »

Cécile Denoël : « Interrogée à deux ans d’intervalle, Mlle Zupanek a déclaré à deux reprises que les billets de théâtre se trouvaient sur la cheminée et qu’elle les avait remis à M. Denoël. »

Jeanne Loviton : « Il n’y avait qu’un seul billet de théâtre et encore était-ce un bulletin d’agence qui a été saisi depuis. »

Dans son rapport du 25 mai 1950, l’inspecteur Voges écrit :

« La présence d’une tierce personne au départ de leur domicile paraît devoir être exclue si on tient compte du témoignage de Mlle Zupanek, qui dit avoir accompagné M. Denoël et Mme Loviton jusqu’à la voiture, au moment de leur départ pour le théâtre, le soir du drame. »

Dans son réquisitoire du 1er juillet 1950, le procureur de la République, Antonin Besson, écrit :

« Plusieurs témoins, les époux Baron, la demoiselle Zupanek, alors domestique de la dame Loviton, ont certifié que les deux amants avaient manifesté l’intention de se rendre ce soir-là au théâtre.

La déposition de la demoiselle Zupanek, domestique de la dame Loviton, fixant à 20 heures l’heure du départ, n’est pas en effet à retenir car elle est manifestement erronée et en contradiction avec les témoignages Delbo et Baron.

Sur la durée du séjour du couple dans l’appartement, au retour de St-Brice, la demoiselle Zupanek se contredit d’ailleurs en la fixant à 1 heure 30 dans sa première déposition et à 1 heure à peine dans une seconde déposition. »