Robert Denoël, éditeur

André Ré

Né le 31 janvier 1907 à Paris (VIIe), garçon de bureau au ministère du Travail, demeurant 48 avenue Louise à Blanc-Mesnil (Seine-et-Oise).

Témoin capital mentionné par la presse début avril 1950. Il a été entendu pour la première fois par l’inspecteur Voges fin mars 1950 :

« Au mois de décembre 1945, j’assurais les fonctions de gardien de nuit au ministère du Travail et je commençais mon travail à 19 heures, pour le terminer à 7 heures le lendemain matin.

Le dimanche 2 décembre 1945, j’ai pris mon travail à l’heure habituelle et je suis resté dans la loge du concierge.

Quand une personne sonne à la porte d’entrée du ministère, l’ouverture de celle-ci est commandée électriquement de la loge ou par un déclic à main qui se trouve sur la porte même, à l’intérieur du bâtiment.

A 21 heures 10 environ, je ne puis être plus précis, M. Roland Lévy, chef de cabinet, est sorti de son cabinet, je l’avais entendu marcher dans la cour du ministère et j’ai fait fonctionner l’ouverture de la porte pour lui permettre de sortir.
Je ne me souviens plus très bien s’il était accompagné de quelqu’un mais mes souvenirs ne sont plus très précis à ce sujet.

Environ 7 ou 8 minutes après, M. Roland Lévy a sonné à la porte d’entrée. Je lui ai ouvert. Il était accompagné d’un monsieur que je ne connaissais pas, de taille moyenne. M. Lévy m’a dit : " Ne vous dérangez pas, je vais chercher mes cigarettes. C’est un drôle de coin, votre quartier, il vient d’y avoir un attentat à l’angle du boulevard".


    Je crois qu’il m’a parlé d’un homme qui était occupé à réparer sa voiture. Il a dit au monsieur qui l’accompagnait:
" Ça doit être une histoire de bonne femme. "

lls sont rentrés tous les deux dans la cour du ministère. J’ai refermé la porte d’entrée. J’ai proposé à M. Lévy de l’accompagner à son bureau avec une lampe pour lui permettre de traverser la cour. Il m’a répondu que ce n’était pas la peine. Je ne me souviens plus si le monsieur qui l’accompagnait l’a suivi jusqu’à son bureau mais je puis affirmer que ce dernier était bien rentré dans le ministère.

M. Lévy est resté absent pendant quatre ou cinq minutes. Je lui ai ouvert la porte à nouveau, ainsi qu’à son compagnon. Je n’ai entendu aucun bruit suspect, détonation ou autre.

Vers trois heures du matin, le lundi 3 décembre 1945, trois inspecteurs de la Police judiciaire se sont présentés au ministère et m’ont dit que je ne devais pas ignorer l’attentat qui avait été commis. Je leur ai répondu affirmativement et à leurs questions, je leur ai fait part que c’était M. Lévy qui me l’avait appris.

Ils m’ont demandé si quelqu’un était sorti du ministère à l’heure du crime, c’est à dire vers 9 heures. Je leur ai dit que seul M. Lévy, chef de cabinet, et un de ses amis étaient sortis du ministère. Ils m’ont fait part de leur intention de consulter M. Lévy le lendemain matin, puis m’ont demandé l’autorisation de rédiger leur rapport dans la loge.

Je possédais un cahier de rondes sur lequel je notais, avec les heures de rondes, tous les incidents qui pouvaient se produire au cours de la nuit. Après la visite des inspecteurs de la P.J., j’ai noté les phrases suivantes sur ce dernier :

" Rapport : M. Roland Lévy, chef de cabinet, sorti de son cabinet vers 21 heures 10 du ministère du Travail ; entré à nouveau 21 heures et quelques minutes, revenant chercher ses cigarettes. Me fit part qu’il venait de se produire une agression à cette dite heure, à l’angle rue de Grenelle et boulevard des Invalides.

D’autre part, à 3 heures du matin, donc lundi 3 décembre, deux coups de sonnette sont donnés. J’ouvre la porte, 3 inspecteurs de la P.J. me demandent l’identité du chef de cabinet, firent leur rapport confidentiel à la loge, sont repartis à 3 heures 30. "

J’indique à toutes fins que je n’ai rédigé cette note qu’après le départ des inspecteurs, c’est à dire longtemps après le départ de M. Lévy, et que les heures portées sur cette note ne sont qu’approximatives.


    Le lendemain, j’ai rendu compte à mon chef de service, M. Walter, actuellement sous-directeur au ministère du Travail, et je lui ai montré la feuille du cahier, feuille que j’avais préalablement déchirée afin qu’elle ne puisse s’égarer. M. Walter m’a demandé de la garder par devers moi, ce que j’ai fait. Je l’ai portée sur moi très longtemps, puis je l’ai déposée à mon domicile. »

Avant d’examiner ces déclarations, il faut bien s’interroger sur l’attitude de l’inspecteur Ducourthial, qui n’a jamais mentionné ce témoin dans ses deux rapports.

Le 3 décembre 1945 à trois heures du matin, les policiers apprennent par André Ré que Roland Lévy se trouvait, avec un ami inconnu, sur les lieux du crime, à l’heure où il a été commis, et ils ne prennent pas sa déposition. Quelques heures après l’attentat, André Ré avait encore à l’esprit tous les détails de la soirée. Ce témoin aurait, par sa déposition, levé tous les doutes quant au minutage précis des événements.

Cinq ans plus tard, il ne se rappelle plus très bien si Lévy était, ou non, accompagné quand il a quitté le ministère, ni si, quand il y est rentré quelques minutes plus tard, l’homme qui était avec lui l’a suivi, ou non, dans son bureau.

Un travail bâclé de la part de l’inspecteur Ducourthial, qui est pourtant resté une demi-heure dans sa loge pour rédiger son rapport... Et c’est ce même Ducourthial qui fait plus tard des déclarations à propos du feuillet retrouvé d’André Ré à un journaliste d’Express-Dimanche, lequel écrit, le 30 avril 1950 : « Qu’un dossier secret sur cette affaire soit resté si longtemps entre les mains de la police n’est pas habituel et l’inspecteur Ducourthial n’aurait pas caché à ses amis sa stupéfaction de le voir s’éterniser à la préfecture de police alors qu’il eut dû être déjà entre les mains d’un juge d’instruction »...

Voyons comment a été apprécié le témoignage d’André Ré. Dans son rapport du 25 mai 1950, l’inspecteur Voges écrit : « Que vaut la déclaration de ce dernier témoin ? Le fait qu’il ait rapporté dans la nuit même du drame ou le lendemain, plus vraisemblablement, puisque nous relevons sur sa feuille de rondes arrachée du cahier, des heures de rondes à la nuit du 3 au 4 décembre, ses observations de la nuit ou de la veille se rapportant au drame revêtaient pour nous une certaine importance, rien que du fait qu’il ne s’agit plus de vagues souvenirs d’un témoin, mais d’un écrit remontant à l’époque même du drame.

Il nous est évidemment venu à l’esprit, comme il le serait venu à celui de tout enquêteur, de faire un rapprochement entre cette déclaration et la présence de M. Hanoteau, à proximité des lieux et à l’heure précise de l’attentat.

Il déclare en effet : " Le 2 décembre 1945, vers 21 heures, je sortais du ministère du Travail, rue de Grenelle, en compagnie de M. Roland Lévy, chef du cabinet du dit ministère.


    Alors que nous venions de franchir la porte, M. Lévy s’est aperçu qu’il avait oublié un dossier. Il est remonté et j’ai parcouru en l’attendant environ une quinzaine de mètres en direction de la rue de Bourgogne. A ce moment, j’ai entendu un coup de feu que j’ai situé comme provenant de l’angle du boulevard des Invalides et de la rue de Grenelle.

J’ai rebroussé chemin immédiatement pour aller me rendre compte et, en repassant devant le ministère du Travail, j’ai rencontré M. Roland Lévy qui en ressortait. Je ne puis dire si M. Lévy a entendu le coup de feu ou si je lui en ai fait part, mais il m’a accompagné ".

Ces déclarations en effet ne correspondent pas avec celles de Ré qui situe le retour au ministère de M. Lévy non pas avant le drame, ainsi que le dit M. Hanoteau, mais après, puisque M. Lévy à ce moment lui aurait fait part du crime qui venait d’être commis à proximité. »

Cette contradiction capitale n’empêche pas l’inspecteur Voges de conclure que « la présence de M. Hanoteau à proximité des lieux, le soir et à l’heure du drame, est due à un concours de circonstances extraordinaires. »

Dans son réquisitoire prononcé le 1er juillet 1950, Antonin Besson écrit, à propos de l’heure du coup de feu : «Cette indication : 21 heures 10 résulte également d’une note rédigée - après les faits - par le sieur Ré André, gardien de nuit au ministère du Travail, puisque c’est à cette heure qu’il a ouvert la porte du ministère à M. Roland Lévy, actuellement magistrat et alors chef du Cabinet du ministre du Travail. Or, d’après M. Roland Lévy et d’après le gardien Testud, c’est alors que M. Roland Lévy et son ami Hanoteau Guillaume sortaient du ministère que retentit la détonation. »

Le procureur général ne s’interroge pas longtemps sur cette différence de minutage : « A la vérité, de telles discussions n’offrent qu’un intérêt relatif puisque l’heure du départ du couple Loviton-Denoël de la rue de l’Assomption, et par conséquent celle de son arrivée boulevard des Invalides, n’ont pu être déterminées avec une rigueur absolue. »

Dans le dernier courrier qu’elle adresse, le 10 juillet 1950, à la cour d’Appel, Cécile Denoël écrit : « la police avait retrouvé un témoin véritablement très intéressant : il s’agit du portier du ministère, M. Ré. J’ai vainement cherché dans le réquisitoire définitif trace de la déposition de M. Ré.

Je n’y ai trouvé qu’une allusion au rapport qu’il avait rédigé, et encore cette allusion n’a-t-elle été faite que dans l’intention de l’écarter sans même l’analyser.

Or, qu’a dit M. Ré tant à la police que devant M. Gollety ?

M. Ré a constaté que M. Pierre Roland-Lévy se trouvait au ministère à 20 heures 30. Il était seul dans son bureau et M. Ré s’y est rendu pour fermer les volets.

Vers 21 heures, M. Pierre Roland-Lévy est sorti seul du ministère et il est resté absent une dizaine de minutes.

Puis, il y est rentré accompagné d’un personnage qui ne pouvait être que M. Hanoteau, et il a tenu à M. Ré des propos dont celui-ci s’est parfaitement souvenu : " Singulier quartier que le vôtre ; on vient d’assassiner un type au coin de la rue ". Puis, s’adressant à Hanoteau : " Ce doit être une histoire de bonne femme ".

Puis il a ajouté qu’il allait chercher des cigarettes dans son bureau. M. Ré a proposé de l’accompagner et M. Pierre Roland-Lévy s’y est opposé.

Il est ressorti du ministère quelques instants plus tard, accompagné de M. Hanoteau (M. Ré ne peut préciser si ce dernier a suivi M. Pierre Roland-Lévy dans son bureau) et l’on ne les a plus revus.

En conséquence, lorsque M. Pierre Roland-Lévy est rentré à l’intérieur du ministère avec Hanoteau, le crime avait déjà été commis.

En tout cas, qu’il s’agisse du départ de Pierre Roland-Lévy, qu’il s’agisse d’Hanoteau, qu’il s’agisse de l’agent Testud, ces trois témoins sont absolument d’accord pour déclarer que Police-Secours a été alertée par un coup de téléphone donné de la borne de Police-Secours par l’agent Testud.

Or, apprenant je ne sais comment, que le portier Ré avait relaté une conversation que M. Pierre Roland-Lévy aurait eue avec lui après le crime, M. Pierre Roland-Lévy s’est empressé de déclarer au Juge d’Instruction qu’il avait prié le portier de téléphoner à Police-Secours, ce qui justifiait du même coup sa rentrée dans le ministère et sa conversation avec ledit portier. Or, ceci est manifestement un mensonge flagrant. »

Cécile Denoël concluait : « En tout état de cause, les éléments réellement nouveaux apportés par la deuxième enquête, le furent par trois témoins : MM. Baron, Desprez et Ré. Le réquisitoire définitif, ou bien n’en parle pas, ou bien n’y fait que de discrètes allusions pour les éliminer instantanément. »

La déposition tardive d’André Ré, et la découverte du document capital qu’il détenait depuis le 3 décembre 1945, n’auront donc eu aucun poids dans la décision finale de la Cour d’appel de Paris.