Robert Denoël, éditeur

Guillaume Hanoteau

 

Né le 29 avril 1908 à Paris, fils de Jean Hanoteau, historien [1869-1939], et de Léonie Regnault. Etudes : lycées Montaigne et Louis-le-Grand, collège Sainte-Barbe, faculté de Droit de Paris.

Journal des débats politiques et littéraires,  28 septembre 1935

 

Avocat au barreau de Paris dès le 26 novembre 1931 ; secrétaire de Me Maurice Garçon à partir de 1934.

Il figure sur la « Liste officielle des prisonniers français » du 20 septembre 1940 avec le grade de capitaine au 235e Régiment d'Infanterie.

Dans son livre : Robes noires, années sombres, Liora Israël parle d’un stock d’armes ayant appartenu à la Cagoule qui se trouvait au greffe du Palais de justice et qu’un membre du Front National Judiciaire avait été chargé, en mai 1944, de récupérer : « A midi, un de nous, je crois que c’était [...] Guillaume Hanoteau, est venu à bicyclette prendre les paquets devant le Palais de justice, il a fait plusieurs voyages. Il les a transportés chez un de mes confrères qui s’appelle Véron » (p. 349). Ce stock d’armes était composé « de plus de 200 pistolets et de quelques fusils-mitrailleurs ». La citation est reprise de l’ouvrage de Jacques Debû-Bridel : La Résistance intellectuelle.

Dans le second volume de ses Mémoires de Porthos [Desroches, 1969], Henry Charbonneau, neveu de Joseph Darnand, écrit : « Guillaume Hanoteau roule ses bons gros yeux et trinque gentiment avec les plus compromis de la collaboration, parfois même à la table où le ministre Darnand prend sans façon l'apéritif avec Boubal (le patron du Flore). Dans quelques jours il sera capitaine FFI ! Il n'a pas dû " capitainer " grand-chose ! » Darnand avait été nommé secrétaire d'état à l'Intérieur le 13 juin 1944.

En septembre 1944 Hanoteau, qui fut résistant sous le pseudonyme de « Lombard », et qui paraît avoir côtoyé les plus hautes autorités, avait prévenu son amie Alice Sapritch que « Brasillach n’avait rien à espérer de la Résistance, si ce n’est la mort aussitôt que la Libération serait acquise. »

Quelques jours après l'assassinat de Robert Denoël, dont il fut l'un des deux seuls témoins, Guillaume Hanoteau fut radié de l'Ordre des avocats. Si le procureur de la République, dans son réquisitoire final, n'avait rien trouvé à redire quant à sa présence insolite sur les lieux d'un crime dont il connaissait les protagonistes, la veuve de l'éditeur ne manqua pas d'épingler cette coïncidence : « Il est tout de même, quelle que soit la bonne foi dont Monsieur le Procureur de la République veut bien honorer M. Hanoteau, exact de dire que, deux jours après le crime, M. Hanoteau était jugé par défaut par le Conseil de l’Ordre des Avocats et qu’il fut alors radié à l’unanimité. Je n’ai pas à connaître les motifs de cette radiation, mais elle est de notoriété publique et par conséquent, elle permet de penser que M. Hanoteau n’est pas un personnage tellement intéressant. »

Les enquêteurs, eux, s'étaient bien demandé « pourquoi M. Hanoteau, qui s’est trouvé avec son ami M. Roland Lévy, le premier témoin en présence du corps de Denoël sur les lieux du drame, n’ait pas cru devoir se manifester aussitôt ou dès le lendemain à la police malgré la gravité de cet attentat. »

En fait Hanoteau ne répondit à aucune des convocations policières. Il promit bien de faire une déclaration écrite mais ne tint pas promesse, et ne fut pas inquiété. Dans leur dernier rapport, les enquêteurs se bornèrent à constater « que la présence de M. Hanoteau à proximité des lieux, le soir et à l’heure du drame, est due à un concours de circonstances extraordinaires.»

Il était légitime de s'interroger sur ce singulier avocat, en apparence bien protégé, mais qui fut tout de même exclu de sa profession. En 2005 l'archiviste de L'Ordre me confirma laconiquement que Guillaume Hanoteau avait, en décembre 1945, « été retiré du tableau, mais pour des raisons professionnelles sans rapport avec la Deuxième Guerre mondiale ».

Qu'avait pu commettre Hanoteau, en cette période particulièrement troublée, qui justifiât sa radiation du Barreau ? Un avocat qui connaît bien ce dossier m'écrivit que cet homme « faisait mille choses à la fois et il semble qu'il n'exerçait qu'épisodiquement la profession d'avocat. Son cabinet était plus ou moins sans adresse et il ne réglait pas très ponctuellement les cotisations dues par lui à son Ordre. C'est donc pour des motifs très futiles qu'il a été radié de L'Ordre, lequel était alors très sévère. Hanoteau, qui n'avait sans doute plus envie d'exercer la profession, n'a pas fait appel de cette décision et il a pu se consacrer au journalisme, à la littérature, au cinéma, à la politique, et à beaucoup d'autres choses. »

Au mois d'août 1945, il était pourtant actif auprès du secrétaire général à la Justice, Marcel Willard, un avocat communiste qui, le 2 novembre, allait être nommé directeur de cabinet du ministre du Travail, Ambroise Croizat, et dont le chef de cabinet serait Pierre-Roland Lévy.

Le 19 août 1944, au lendemain de l'insurrection, les avocats communistes Willard, Joë Nordmann [1910-2005], Pierre Kaldor et quelques membres du Font National, avaient investi sans violence le ministère de la Justice, place Vendôme, et, après avoir distribué les rôles, y étaient demeurés. Willard fut provisoirement nommé ministre de la Justice entre le 19 août et le 10 septembre 1944, avant de céder la place au MRP François de Menthon.

    

      Marcel Willard [1889-1956]                  Pierre Kaldor [1912-2010]

Les 24 et 31 août 1945 Hanoteau co-signait, avec Pierre Kaldor, un long article sur l'oeuvre accomplie en 14 jours, place Vendôme, par Marcel Willard, c'est-à-dire essentiellement des décrets épuratoires. C'était le fonds de commerce de ce Kaldor qui, dès octobre 1944, réclamait dans les colonnes de l'hebdomadaire communiste La Défense, une épuration plus vigoureuse et une justice expéditive pour les collaborateurs. Pourquoi Hanoteau y prête-t-il la main ?

On relève parmi les experts chargés d'examiner la plupart des écritures litigieuses le nom de Paul Caujolle [1891-1955], qu'on retrouvera en 1949, mandaté par la cour d'appel pour débrouiller celles de l'affaire Denoël. Caujolle avait été, depuis le 18 avril 1942, président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables, ce qui signifie qu'il avait donné des gages au gouvernement de Vichy, mais cela ne l'avait pas empêché d'être reconduit dans ses fonctions par le gouvernement provisoire, le 15 octobre 1945, et d'être médaillé de la Résistance.

Au bas de ces articles, Hanoteau se disait « chef adjoint du Cabinet » Willard. A cette époque perturbée où les nominations succédaient aux exclusions, quelle valeur accorder à ce poste sans doute vacant peu après ?

Celle d'un rapprochement significatif d'un résistant sans étiquette politique précise avec le parti tout puissant du moment, et, pour ce qui nous concerne, un lien direct avec Pierre-Roland Lévy, l'avocat communiste rentré récemment de captivité.

 

      

                                 La Défense, 24 et 31 août 1945

Hanoteau et Lévy furent donc, entre août et décembre 1945, chefs de cabinet d'un même haut fonctionnaire communiste, Marcel Willard, d'abord au ministère de la Justice, puis à celui du Travail.

 

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Auteur dramatique (depuis 1949), journaliste à Paris-Match (depuis 1952 et jusqu’à 1975), à Marie-Claire, Télé 7 jours, et à Radio-Luxembourg. A signé les scénarios ou les dialogues de huit films et tourné dans trois autres : La Fille d'en face de Jean-Daniel Simon [1968], La Banquière [1980] et Le Bon Plaisir [1983], de Francis Girod.

Avec Alice Sapritch, années 1950

Marié le 27 septembre 1950 à Alice Sapritch [1916-1990], dont il divorce en 1971. Il eut ensuite une liaison tumultueuse avec l’actrice Marie-Louise Chamarande dite Amarande qui, dans un livre de souvenirs, écrivait à son sujet : « Malgré son immense érudition et sa culture infinie, il était l’humilité et la modestie mêmes ».

En 1971, il a publié chez Fayard Ces Nuits qui ont fait Paris, un ouvrage qui mélange habilement fiction et reportage, dans lequel il s'est mis en scène en 1935 chez Robert Denoël, en compagnie d'Antonin Artaud.

Décédé à Paris le 27 novembre 1985. Curieusement, sa fiche sur le site Internet « Les Gens du cinéma » porte : « en principe de mort naturelle (sans autre précision) ».

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  Le 2 décembre 1945 il avait rendez-vous au ministère du Travail avec son ami Roland Lévy, avant « d’aller à la Chambre des Députés où il y avait une séance importante », dit-il au juge Gollety, le 10 mai 1950. Roland Lévy déclarera, lui, qu’ils avaient décidé d’aller dîner.

Le 3 décembre, Lévy avait écrit au commissaire Pinault pour lui donner sa version des faits, mais n’avait pas cité le nom de son ami, « qui n’avait rien vu ni entendu de plus » que lui-même.


  Dans son rapport du 25 janvier 1946, Ducourthial écrivait : « Nous n’avons pas jugé utile d’entendre l’ami de M. Roland Lévy dont ce dernier n’a d’ailleurs pas cru [devoir] nous communiquer le nom et l’adresse. »

Le nom de Hanoteau avait cependant été prononcé dès le 4 décembre 1945 : c’est Maximilien Vox qui apprit à Cécile Denoël « que Me Hanoteau, alors avocat à la Cour, s’était trouvé un des premiers sur les lieux du crime avec M. Roland Lévy, directeur du Cabinet du ministre du Travail, et que Me Hanoteau était un ami de son fils Flavien Monod ; c’était par ce dernier qu’il avait appris ce qui s’était passé. »

Flavien Monod, qui a travaillé durant quelque temps au « service de presse » des Editions Denoël, durant l’année 1945, était journaliste et chansonnier, comme Hanoteau. On peut supposer que Hanoteau lui avait appris la nouvelle de l’assassinat, dès le 3 décembre.

Dans la première lettre qu’il adresse au juge Gollety, le 21 mai 1946, Armand Rozelaar écrit : « Il existe un autre témoin que je vous demande de bien vouloir entendre. Il s’agit de M. Hanoteau, avocat à la Cour de Paris, demeurant 13 rue de Verneuil. Ce dernier témoin vous donnera quelques éclaircissements qui pourraient être extrêmement importants pour la suite de votre instruction. »

Dans son rapport du 15 novembre 1946, l’inspecteur Ducourthial écrit : « Touché par téléphone le 9 octobre 1946, M. Hanoteau a fait connaître à l’Inspecteur principal adjoint Ducourthial qu’il ne savait rien de plus de ce qui nous avait été dit par M. Roland Lévy, en acceptant néanmoins de venir faire sa déposition. Rendez-vous fut pris mais il ne vint pas. A la suite d’une visite que lui rendit plus tard l’inspecteur Tifa, il promit de nous faire parvenir ses déclarations par lettre, lettre que nous n’avons jamais reçue. »

Les deux enquêtes de Ducourthial n’ont donc pas permis d’interroger un témoin capital. Au cours de la nouvelle instruction, l’inspecteur Voges va, au contraire, l’entendre à deux reprises. Je ne dispose pas de ces interrogatoires, mais ils sont repris par Armand Rozelaar dans une lettre du 28 avril 1950 au juge Gollety.

Le 14 février 1950, Hanoteau « a déclaré qu’il sortait du ministère du Travail vers 21 heures en compagnie de M. Roland-Lévy, et qu’alors qu’ils venaient de franchir la porte, M. Lévy s’est aperçu qu’il avait oublié un dossier. Il est remonté et M. Hanoteau aurait parcouru en l’attendant, environ une quinzaine de mètres... en direction de la rue de Bourgogne, bien entendu.

C’est à ce moment qu’Hanoteau aurait entendu le coup de feu et, repassant devant le ministère du Travail, il aurait rencontré M. Roland-Lévy qui en sortait. Il ne peut dire si M. Lévy a entendu le coup de feu, ou s’il lui en a fait part, et ils se sont rendus sur les lieux du crime.

Ils aperçoivent le corps gisant sur le trottoir et, en même temps, un homme sortant d’un immeuble situé à droite, dans la rue de Grenelle, cet homme devait être le concierge. Faisant la description de la position du corps M. Hanoteau, à l’encontre de tous les témoignages formels et tous rigoureusement conformes des agents, déclare que cet homme gisait sur le dos, les pieds tournés vers la rue de Grenelle, la tête en direction du trottoir.

Vous pourrez vous reporter, Monsieur le Juge d’Instruction, aux déclarations des agents. C’est précisément le contraire, et l’homme était étendu la tête en direction de la rue de Grenelle, les trois témoins déclarant unanimement que la victime paraissait avoir poursuivi quelqu’un en direction de la rue de Grenelle.

M. Lévy se serait alors penché sur la victime et aurait déclaré : ‘Il est en mauvais état’. Puis, M. Hanoteau rapporte que deux ou trois personnes sont arrivées et se sont jointes à lui et à M. Lévy, et qu’un gardien de la paix est venu ensuite.

M. Hanoteau rapporte l’arrivée du car de Police-Secours et celle de Mme Loviton. M. Hanoteau connaissait Mme Loviton depuis 1936, dit-il, et sur le moment... il ne l’a pas reconnue.

Enfin, M. Hanoteau rapporte qu’il n’a vu fuir personne, et que la seule voie de fuite était le square. Il oublie, en indiquant volontairement le square, les fenêtres du rez-de-chaussée du ministère du Travail donnant sur le boulevard des Invalides. Et, au fait, pourquoi indique-t-il comme seule possibilité de fuite, le square ? »

Le 18 mars 1950, Hanoteau « s’est montré un peu plus prolixe ; il nous raconte comment il a fait la connaissance de M. Roland-Lévy et comment, après son retour de déportation, il l’a retrouvé un beau jour, place du Théâtre Français : ‘Nous nous sommes liés d’amitié, dit-il, et par la suite, nous nous sommes souvent rencontrés, soit chez lui, soit chez moi.’

Comme ils se rencontraient soit chez l’un, soit chez l’autre, on pourra demander aussi bien à M. Roland-Lévy qu’à M. Hanoteau, ce qu’ils venaient justement faire ce soir-là, un dimanche soir, à 21 heures, dans un ministère absolument désert.

M. Hanoteau rapporte que le 2 décembre 1945, il est allé chercher M. Roland-Lévy au ministère et qu’il est arrivé dans ce ministère vers 20 heures 15 ou 20 heures 30. Il ne se souvient pas à la suite de quelles circonstances le rendez-vous avait été pris. Il ne se souvient pas de l’emplacement du Cabinet de M. Lévy et il ne se souvient pas si le concierge l’a accompagné.

Il y a ici un certain nombre d’impossibilités majeures :

Dans tout ministère, et à plus forte raison dans un ministère tenu par un membre du parti communiste, les noms des visiteurs sont soigneusement inscrits sur un registre ad hoc. Le concierge devait avoir reçu des instructions très strictes et devait obligatoirement noter les noms de toutes les personnes demandant à être reçues par un fonctionnaire, et à plus forte raison par un membre du Cabinet.

M. Hanoteau, qui ne se souvient plus de l’emplacement du bureau de M. lévy, ne devait pas bien connaître ce bureau et si ce qu’il dit avait été exact, le concierge l’aurait conduit à ce bureau.

Comme le portier, ce soir-là, était M. Ré qui avait pris son service à 19 heures 30, cette visite d’un inconnu à 20 heures 30 aurait été certainement remarquée par lui. Or, il n’en est rien.

Si, par contre, M. Hanoteau avait été un familier du ministère et s’il avait connu l’emplacement du bureau, le portier l’aurait reconnu. Or, M. Ré, dans sa déposition, rapporte que M. Roland-Lévy, après sa première sortie du ministère, a sonné et est entré, accompagné d’un monsieur inconnu de lui.

Hanoteau reprend la thèse de M. Lévy, sorti avec lui et rentré seul au ministère, pour aller chercher un dossier dans son bureau. Cette fois, il raconte qu’il faisait les cent pas sur le trottoir, du côté de la rue de Bourgogne.

Même description que le 14 février, en ce qui concerne la position du corps de Denoël, avec cependant une légère variante : le 14 février, il que que Denoël gisait sur le dos, les pieds tournés vers la rue de Grenelle et la tête en direction de la bordure du trottoir.

Le 18 mars, il dit que le corps était allongé légèrement en oblique, la tête en direction de la rue de Varennes et les pieds en direction du trottoir. C’est M. Roland-Lévy seul qui serait allé chercher un agent.

A l’arrivée du taxi, une femme est descendue et, dans son deuxième interrogatoire, M. Hanoteau déclare qu’il a entendu cette femme prononcer les paroles suivantes : ‘Qui a fait ça?’

M. Hanoteau ajoute : ‘Pendant ce temps, je bavardais avec les agents. Je connaissais Mme Loviton pour l’avoir rencontrée plusieurs fois, la dernière en 1939. J’avais dîné avec elle chez Me Jacques Mourier, ce qui explique que je ne l’ai pas reconnue sur les lieux.’

Nous sommes en 1945. M. Hanoteau était avocat. Mme Loviton l’avait été également. M. Hanoteau rapporte qu’en 1942, il a rencontré à de nombreuses reprises M. Pierre Roland-Lévy chez Me Maurice Garçon.

J’ignore (et ce sera facile à vérifier) la date à laquelle M. Hanoteau est entré au Palais et la date à laquelle Mme Loviton a donné sa démission du Barreau. Il me semble bien que M. Hanoteau a dû connaître Mme Loviton lorsqu’elle était encore inscrite au Barreau.

Si l’on se base sur ses propres déclarations, il l’avait rencontrée à cinq ou six reprises et la dernière fois en 1939, au cours d’un dîner chez un confrère.

On peut supposer qu’il l’a rencontrée par la suite, car Me Maurice Garçon ayant été le 'patron' de Mme Loviton puis de M. Hanoteau, il est vraisemblable qu’il se sont retrouvés, ne fût-ce que par hasard, par son intermédiaire.

En tout cas, il est inconcevable qu’ayant vu une femme telle que Mme Loviton, laquelle ne saurait passer inaperçue, à plusieurs reprises et ayant dîné avec elle cinq ou six ans auparavant, M. Hanoteau puisse affirmer, comme il le fait, qu’il ne l’a pas reconnue lorsqu’elle est descendue du taxi et lorsqu’elle a prononcé certaines paroles.

En tout cas, M. Hanoteau est tout d’abord formel et déclare à cet endroit de sa déposition qu’il est parti avec M. Roland-Lévy en direction de son domicile, 13 rue de Verneuil.

C’est alors que la Police a fait connaître à M. Hanoteau la déposition et le rapport écrit de M. Ré. On lui pose une question : ‘Etes-vous certain de ne pas être retourné au ministère du Travail après avoir vu le corps de M. Denoël ?’, et Hanoteau, qui flaire le piège, répond : ‘Sans pouvoir être affirmatif, je ne le crois pas.’

Tout le reste de la déposition consiste en un lamentable bafouillage, lorsque la Police met Hanoteau en contradiction avec le rapport du gardien de nuit.

M. Hanoteau se souvient exactement de paroles prononcées par Mme Loviton qu’il ne reconnaît pas, et ne se souvient plus des paroles prononcées par M. Lévy avec lequel il est resté ce soir-là.

Enfin, dernier point intéressant. A la question : ‘Connaissiez-vous Denoël ?’, Hanoteau répond : ‘Je le connaissais à peine ; je crois l’avoir rencontré une fois chez Me Maurice Garçon. Je ne l’avais pas reconnu sur les lieux du drame.’

Toute cette déposition est un tissu d’invraisemblances et d’impossibilités matérielles.

Hanoteau connaissait Denoël. Denoël est étendu sur le dos, dit-il, et il ne le reconnaît pas. C’est naturellement après le départ du car de Police-Secours que Roland-Lévy éclaire Hanoteau (lequel n’a cessé d’être avec lui) sur l’identité de la victime. Hanoteau connaissait Mme Loviton. Mais il ne l’a pas reconnue.

Hanoteau, mis au courant de certaines allées et venues suspectes au ministère du Travail et sachant, lui, ce qui s’est passé, cherche à faire cadrer ces allées et venues avec des gestes ou des attitudes mettant hors de cause, à la fois lui-même, M. Roland-Lévy et Mme Loviton.

Je suis persuadé qu’un interrogatoire serré finira par vous faire connaître la vérité. »

Le 28 avril 1950 eut lieu, dans le cabinet du juge Gollety, une première confrontation entre Cécile Denoël et Jeanne Loviton, au cours de laquelle Mme Denoël posa à sa rivale plusieurs questions à propos de Hanoteau :

« La partie civile : Affirmez-vous que vous n’avez reconnu personne sur les lieux du crime?

Le témoin : Je l’affirme expressément. Je pense que vous faites allusion à M. Hanoteau, que je ne connais pas personnellement, que j’ai peut-être eu l’occasion de voir cinq minutes autrefois chez Me Maurice Garçon, et qui n’a d’ailleurs jamais lui-même pris la peine de me prévenir qu’il avait vu le corps de Robert Denoël ?

La partie civile : Comment avez-vous appris il y a peu de temps qu’un nommé Hanoteau était sur les lieux ?

Le témoin : Je l’ai appris il y a peu de temps - je ne sais même plus par qui.

La partie civile : Qui vous a appris cela ?

Le témoin : Peut-être par les articles que fait Me Rozelaar dans la presse (sic). »

La réponse de Mme Loviton est curieuse car le nom de Guillaume Hanoteau n’apparaîtra que deux jours plus tard, dans l’hebdomadaire Express-Dimanche [voir Presse].

Le journaliste, particulièrement bien informé (par Me Rozelaar ?) y écrit : « c’est que ces deux témoins apparaissant comme accidentels connaissaient l’éditeur et sa maîtresse. Mme Loviton s’était même trouvée à l’époque où elle était avocate, faire partie du même cabinet - en l’espèce celui de Me Maurice Garçon - que M. Guillaume Hanoteau, qui fut lui-même avocat. »

Le 10 mai 1950 a lieu, dans le cabinet du juge Gollety, une confrontation entre Cécile Denoël et Guillaume Hanoteau :

« La partie civile : Le témoin allait-il souvent au ministère voir Roland Lévy ?

Le témoin : A cette même époque, j’ai dû aller le voir trois fois. Une première fois, je suis allé voir Vialar; une seconde fois, sans pouvoir être affirmatif, je suis allé voir Roland Lévy, et il m’avait fait visiter l’appartement affecté au chef du cabinet du ministère du Travail. J’ai revu Vialar une autre fois, puis Roland Lévy encore une fois au sous-secrétariat du ministère du Travail.

La partie civile : Le témoin a dit être arrivé à 8 heures 15, aujourd’hui il dit 8 heures 45.

Le témoin : Je dis maintenant 8 heures 50 parce que j’ai un recoupement : ce jour-là, je devais être au Châtelet.

La partie civile : La porte du ministère était-elle ouverte ou fermée ?

Le témoin : Elle devait être fermée.

La partie civile : Le témoin s’est-il annoncé ?

Le témoin : Le concierge m’a demandé où j’allais.

La partie civile : Où se trouvait le bureau de Roland Lévy ?

Le témoin : Le bureau de Roland Lévy devait se trouver donnant à droite en entrant, donnant sur le boulevard des Invalides.

La partie civile : Au rez-de-chaussée ?

Le témoin : Je n’en sais rien.

La partie civile : Le témoin avait-il un surnom pendant la guerre ?

Le témoin : Jamais. Peut-être m’a-t-on appelé ‘Lombard’, mais jamais un prénom tel que ‘Gabriel’, par exemple. Il est exact que, quelquefois dans les journaux, on met Gabriel au lieu de Guillaume.

La partie civile : Quelques témoins ont dit que Mme Loviton avait, en descendant du taxi, dit : ‘Ils me l’ont tué, ils me l’ont tué’ ?

Le témoin : C’est inexact. Elle a dit : ‘Qui a fait cela ?’

La partie civile : Le témoin connaissait-il Denoël ?

Le témoin : Je crois avoir aperçu Denoël une fois chez Maître Maurice Garçon. Et encore, je n’en suis pas sûr.

La partie civile : Vous connaissiez fort bien Mme Loviton ?

Le témoin : Je pense bien ! Je l’ai recontrée quatre fois dans ma vie. En 1934 au restaurant du Vert Galant, alors que Maurice Garçon était candidat au Conseil de l’Ordre ; et il avait réuni tous ses collaborateurs et anciens collaborateurs. Je l’ai rencontrée dans les mêmes circonstances en 1935, et je l’ai revue une ou deux fois, depuis. Et je l’ai revue pour la dernière à un dîner chez Jacques Mourier en 1938.

La partie civile : Le témoin se souvient avec précision des rencontres qu’il a eues avec Mme Loviton, et lorsqu’elle descend seule d’un taxi et qu’un crime a été commis, il ne la reconnaît pas.

Le témoin : Non, il y avait sept ans que je ne l’avais pas vue.

La partie civile : Pourquoi M. Roland Lévy n’a-t-il pas jugé utile de donner votre nom?

Le témoin : Il a eu tort. En tous les cas, en ce qui me concerne, je n’ai jamais caché cette affaire ».

Le 15 mai 1950, Jeanne Loviton adresse au procureur général Antonin Besson un mémoire rédigé à la troisième personne : « Tout récemment, un journal [Express-Dimanche] ayant signalé la présence sur les lieux, de Mr Roland Lévy, Magistrat - et alors Chef de Cabinet de Ministre - et de M. Hanoteau, ancien Avocat à la Cour, la police judiciaire a convoqué à nouveau, une fois de plus, Mme Loviton pour l’entendre à ce sujet et cela, bien que cette présence fût connue depuis quatre ans et demi.

Quel a été l’objet des interrogatoires des inspecteurs de police ? Faire avouer à Mme Loviton qu’elle connaissait MM. Roland Lévy et Hanoteau.

Même si Mme Loviton avait parfaitement connu MM. Roland Lévy et Hanoteau, est-ce que de ce fait l’instruction aurait fait un pas ?

La police suppose-t-elle, un instant, que M. Roland Lévy, actuellement membre du Conseil de la Magistrature, et M. Hanoteau, dans les loisirs que leur laissent leurs occupations, font métier de tueurs à gage ?

Dans les romans policiers - qui paraissent devenus le bréviaire de certains inspecteurs de police - sont suspectes toutes les personnes qui se trouvaient sur les lieux au moment du crime.

Mais, en l’espèce, MM. Roland Lévy et Hanoteau ne s’y trouvaient pas, et sont soupçonnés, parce qu’il sont arrivés auprès du corps du malheureux Robert Denoël, immédiatement après le crime, attirés - semble-t-il - par le bruit du coup de feu. Ils étaient encore là quand la police est arrivée, ce qui n’est pas, en général, considéré comme une preuve de culpabilité. »

Le 25 mai 1950, l’inspecteur Voges remet au juge Gollety son rapport d’enquête, dans lequel il écrit : « Un point nous paraît bizarre ; c’est celui de savoir pourquoi M. Hanoteau, qui s’est trouvé avec son ami M. Roland Lévy, le premier témoin en présence du corps de Denoël sur les lieux du drame, n’ait pas cru devoir se manifester aussitôt ou dès le lendemain à la police malgré la gravité de cet attentat. »

Après avoir entendu André Ré, le gardien du ministère, et comparé sa déclaration à celle de Hanoteau, le policier écrit : « Il nous est évidemment venu à l’esprit, comme il le serait venu à celui de tout enquêteur, de faire un rapprochement entre cette déclaration et la présence de M. Hanoteau, à proximité des lieux et à l’heure précise de l’attentat. [...]

Ces déclarations en effet ne correspondent pas avec celles de Ré qui situe le retour au ministère de M. Lévy non pas avant le drame, ainsi que le dit M. Hanoteau, mais après, puisque M. Lévy à ce moment lui aurait fait part du crime qui venait d’être commis à proximité. »

Voges conclut son rapport en écrivant que « la présence de M. Hanoteau à proximité des lieux, le soir et à l’heure du drame, est due à un concours de circonstances extraordinaires. »

Le 1er juillet 1950 le procureur général Besson expose, dans son réquisitoire : « Il convient d’examiner enfin si, comme l’a prétendu la partie civile, l’attitude de M. Hanoteau, ancien avocat et actuellement écrivain, s’est révélée suspecte.

Le sieur Hanoteau a affirmé que lorsqu’il entendit le claquement du coup de feu, il venait de sortir du ministère du Travail et marchait rue de Grenelle vers la rue de Bourgogne, c’est-à-dire dans la direction opposée au boulevard des Invalides, en attendant l’arrivée de M. Roland Lévy qui, d’après lui, était retourné au ministère chercher un dossier.

Or, M. Roland Lévy, dans sa première déclaration, a indiqué qu’il sortait avec le sieur Hanoteau du ministère lorsqu’il perçut la détonation. Cette précision est corroborée par l’agent Testud qui, parvenu à la hauteur de la rue de Bourgogne, vit sortir du ministère MM. Lévy et Hanoteau lorsque lui-même entendit le coup de feu.

Ainsi donc et bien qu’il eût pu adopter cette même version des faits s’il était coupable, Hanoteau dont la bonne foi ne paraît pas douteuse est en contradiction avec les précédents témoins sur les circonstances dans lesquelles il perçut le bruit de la détonation. Aucun élément de l’information ne permet de suspecter son attitude. »

Le 10 juillet 1950, Cécile Denoël écrit au président de la Chambre des Mises en accusation près la cour d’Appel de Paris : « comme par hasard, en ce soir du 2 décembre 1945, qui était un dimanche, on trouve réunis à cet endroit désert, Me Hanoteau qui connaissait fort bien Mme Loviton, Mme Loviton, M. Pierre Roland-Lévy, également avocat et, depuis quelques jours, nommé chef de cabinet de M. Croizat, ministre du Travail. [...]

En conséquence, lorsque M. Pierre Roland-Lévy est rentré à l’intérieur du ministère avec Hanoteau, le crime avait déjà été commis. [...] Il est tout de même, quelle que soit la bonne foi dont Monsieur le Procureur de la République veut bien honorer M. Hanoteau, exact de dire que, deux jours après le crime, M. Hanoteau était jugé par défaut par le Conseil de l’Ordre des Avocats et qu’il fut alors radié à l’unanimité.

Je n’ai pas à connaître les motifs de cette radiation, mais elle est de notoriété publique et par conséquent, elle permet de penser que M. Hanoteau n’est pas un personnage tellement intéressant. »