Robert Denoël, éditeur

Un agenda Hermès

 

Le 2 décembre au soir, les services de la morgue de l’hôpital Necker firent l’inventaire des objets trouvés dans les poches du veston de Denoël : un portefeuille contenant ses papiers d’identité et une somme de 12 000 francs, un carnet de métro, et un agenda « Hermès ».

Ce petit agenda pratique (14 x 9) et luxueux dont le modèle fut créé en 1930 est généralement relié en lézard, maroquin ou crocodile, et accompagné d'un petit crayon ; il comporte un système d'anneaux qui relie les feuillets entre eux. Son prix de vente était de quelque 150 euros.

 

L’année y est divisée en quatre fascicules que l’on glisse chaque trimestre dans l’enveloppe en cuir. Celui de Robert Denoël ne comportait donc que les feuillets du quatrième trimestre de l'année 1945.

 

Son importance fut révélée à Cécile Denoël dès le 4 décembre 1945 ; ce jour-là, « M. Guillaume Ritchie-Fallon, demi-frère de Mme Denoël, garçon assez fantasque et qui paraît éprouver pour Mme Loviton une certaine admiration, se rendait chez sa soeur et lui demandait, au nom de Mme Loviton, un souvenir personnel ayant appartenu à Denoël, par exemple son carnet Hermès sur lequel il inscrivait ses notes confidentielles et ses rendez-vous. Mme Denoël fit immédiatement bloquer à l’hôpital tous les objets retrouvés sur son mari, parmi lesquels se trouvait ce fameux carnet », écrit Armand Rozelaar au juge Gollety, le 21 mai 1946.

Au cours des semaines qui suivirent la mort de l’éditeur, Jeanne Loviton distribua à peu près tout ce qui lui avait appartenu et qui se trouvait chez elle, mais elle éprouvait le besoin urgent de réclamer son agenda. Il n’en fallait pas plus pour que l’avocat de Mme Denoël et les enquêteurs s’intéressent à cet objet si convoité.

Mme Loviton dut s’en expliquer le 10 octobre 1946 devant le commissaire Pinault : « Il est exact que j’ai exprimé à M. Fallon, frère de Mme Denoël - qui était devenu mon ami, Robert Denoël me l’ayant présenté et lui ayant exposé les raisons de son divorce avec sa soeur, ce qu’il avait fort bien compris - que je serais contente si Mme Denoël voulait bien me donner l’agenda que Robert portait sur lui au moment de sa mort. Je disais d’ailleurs à Fallon qu’il ne me restait rien de Denoël et que j’attachais à cet objet sans valeur un prix sentimental. Je sais que sur ce carnet M. Denoël notait une partie de ses rendez-vous, et des prévisions financières, ainsi que tous autres calculs. »

Cécile Denoël, dans un courrier adressé le 8 janvier 1950, au juge Gollety, explique que « plusieurs mois après son décès, j’avais pu obtenir de l’Hôpital Necker la restitution de ses affaires personnelles et notamment d’un carnet ‘Hermès’ dans lequel il écrivait ses rendez-vous, les adresses les plus importantes et surtout sur lequel il tenait sa comptabilité clandestine [...] Ce petit carnet contient énormément de choses, et c’est même grâce à ses inscriptions fragmentaires, toutes de la main de mon mari, sur un carnet ne portant que sur un seul trimestre, que j’ai pu, petit à petit, reconstituer son activité [...] On comprend, dès lors, que Mme Loviton ait voulu (à titre sentimental, bien entendu !) posséder ce carnet qui contient la comptabilité clandestine de mon mari, comptabilité qui, encore une fois, porte sur des sommes qui se chiffrent par millions. »

L’agenda Hermès de l’éditeur constituait en fait la seule pièce à conviction dont disposait la partie civile pour convaincre la justice que Denoël avait, avant sa mort, brassé des affaires d’édition très importantes, et qu’on ne pouvait prétendre, comme le faisaient Mme Loviton et ses amis, qu’il n’avait d’autre fortune que les 12 000 francs retrouvés dans son portefeuille.

L’agenda fut déposé au greffe du tribunal. Cécile Denoël l’avait, entretemps, fait microfilmer. J’ai pu en obtenir, grâce à Albert Morys, une copie photographique intégrale qui, avec toutes mes archives, a été déposée en 1982 à la B.L.F.C., puis à l' I.M.E.C., qui la détient toujours mais n'en permet pas la consultation.

Cela me prive d'une description détaillée de l'agenda Hermès de l'éditeur, sauf pour deux ou trois feuillets utilisés au cours des procès par la partie civile : on la trouvera dans la rubrique Procès.